L'humanisation des lieux de détention au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Vincent Pascal MOUEN MOUEN Université catholique d'Afrique centrale - Master en droits de l'homme et action humanitaire 2009 |
Chapitre 2 : UNE POLITIQUE JUDICIAIRE PEU FAVORABLE A LA PROTECTION DES PERSONNES INCARCEREESL'humanisation des lieux de détention au Cameroun est une question épineuse mais qui a pendant très longtemps été exclue du débat public. Pourtant, ce sujet ne manque pas d'intérêt, soulevant des aspects relevant de l'intérêt général. En effet, la bonne administration de la justice permet d'éviter l'engorgement des prisons. Elle offre aux personnes privées de leur liberté des moyens de recours contre l'administration en général en cas de violation de leurs droits en même temps qu'elle met en place des mécanismes judiciaires permettant aux personnes incarcérées d'assurer leur défense relativement au motif de leur incarcération. La protection des personnes sous mains de justice nécessite donc la mise en place d'un cadre judiciaire crédible garant des droits relatifs à l'exercice de la justice pour les personnes détenues, mais aussi d'un cadre répressif adéquat qui contribuerait à décourager les atteintes aux droits des personnes incarcérées. Cependant, le cadre judiciaire camerounais est encore marqué par une timide répression des atteintes à la dignité humaine dans les lieux de détention (section 2) et par l'inadaptation de l'institution judiciaire à l'exercice des droits processuels des personnes privées de leur liberté (section 1). Section 1 : L'inadaptation de l'institution judiciaire à l'exercice des droits processuels des personnes privées de liberté« Les droits processuels sont les droits dont l'exercice est indispensable à l'individu lorsqu'il fait face à l'appareil judiciaire. Ces droits concourent à assurer le bon déroulement de la justice et à garantir à chaque individu le respect de ses droits face au rouleau compresseur que peut devenir la justice».93(*) Il s'agit des principes qui garantissent à l'être humain des voies de recours en cas d'atteinte à ses droits. Ce qui « implique d'une part le droit de saisir les juridictions compétentes et d'autre part le droit à un procès équitable par une juridiction indépendante et impartiale »94(*) en cas de violation d'un de ses droits. Le statut de personne incarcérée n'emportant pas privation de l'exercice des droits dits processuels, les personnes privées de leur liberté se retrouvent pourtant très souvent victimes du fonctionnement tatillon de l'appareil judiciaire ou même d'une certaine discrimination relative à leur statut. Ces dysfonctionnements s'observent à travers un difficile accès à la (paragraphe1) et certaines pratiques préjudiciables aux détenus (paragraphe2). Paragraphe1 : Un difficile accès à la justice« L'accès à la justice pour le justiciable camerounais suppose que ce dernier à non seulement accès aux tribunaux, mais aussi et surtout qu'il a accès au juge et au droit.»95(*) Seulement, si physiquement les tribunaux sont relativement faciles d'accès, l'administration d'une bonne justice dans un contexte de privation de liberté quant à elle, reste minée par le caractère restrictif des voies de recours et l'impossibilité matérielle pour les détenus d'assurer leur défense. A- Le caractère restrictif des voies de recoursL'accès à la justice se manifeste par la possibilité offerte aux justiciables de saisir les juridictions soit pour faire appel d'une décision, soit pour alléguer des atteintes à leurs droits et libertés commises par des tiers ou par l'administration. La possibilité des recours est garantie aux citoyens en général par l'article 8 de la DUDH, les articles 9 et 14 du PIDCP, et aux personnes privées de leur liberté en particulier par les 35ème et 36ème règles de l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus. Mais dans un cas comme dans l'autre, les recours sont assez bien encadrés et leur mise en oeuvre obéit à une conditionnalité qui en limite l'usage et favorise du même coup le surpeuplement carcéral par leur caractère sélectif. Ainsi, les critères de compétence de l'institution choisie, la nécessité de présenter des preuves tangibles des atteintes dénoncées, les délais de saisine, l'intérêt à agir, et les contraintes financières, sont tous applicables dans la formulation des recours internes. Et c'est précisément ces multiples conditions qui rendent ces recours inopérants, c'est à dire inefficaces et indisponibles. Pour la Commission africaine des droits de l'homme, « Un recours est considéré disponible lorsque le plaignant peut y accéder sans entrave ; il est jugé efficace s'il offre une chance de succès et si l'on trouve qu'il est capable de réparer le préjudice ».96(*) Dans l'affaire Jean SIMBARAKIYE, la Commission précise que : « L'existence d'une voie de recours interne doit être à la fois théorique et pratique et, à défaut de remplir cette condition, la voie de recours en question ne serait ni disponible ni efficace. Tel est le cas lorsque pour des raisons objectives le plaignant ne peut pas aller vers les tribunaux de l'Etat mis en cause dans les conditions lui garantissant un procès équitable.»97(*) Au Cameroun, le contexte global de pauvreté couplé à l'ignorance des populations rend difficile, la mise en oeuvre des recours. Cette situation est encore plus criarde dans un contexte de privation de liberté. En effet, très souvent délaissés par leurs familles, la majorité des détenus ne survie que grâce aux dons de la société civile. La défaillance de l'administration pénitentiaire étant quasiment généralisée. Ne pouvant ni manger à leur faim, ni se soigner convenablement, ni même s'habiller décemment, il va de soit que les détenus soient incapables de s'acquitter des frais parfois exorbitants nécessaires à la mise en oeuvre des recours surtout lorsqu'il faut faire appel d'une décision de justice les concernant, de même qu'ils sont incapables de se payer les services d'un avocat. La conséquence logique de cet état de chose étant l'expiration des délais de saisine et l'impossibilité de rassembler les preuves tangibles qui prouvent la véracité des dénonciations alléguées. Ainsi, bien que théoriques, les recours sont difficilement mis en oeuvre dans la réalité quotidienne. Et c'est à juste titre que le professeur Bernard-Raymond GUIMDO note que les obstacles de fait ou de droit, matériels, procéduraux, financiers, structurels et temporels insurmontables ou déraisonnables sont aussi de nature à rendre inopérantes, les voies de recours pourtant nécessaires à la protection des droits des personnes incarcérées.98(*) Il préconise pour pallier cette situation une « proximité géographique et technique entre le justiciable et le juge, proximité sans laquelle le droit d'accès au juge ne remplirait pas toute sa fonction ».99(*) Les recours internationaux demeurent une option pour les citoyens dont les droits ont été violés. Cependant, ils restent subordonnés à l'épuisement des voies de recours internes, au respect d'un délai raisonnable pour la saisine de l'instance internationale et à l'interdiction des recours parallèles. Conditions encore plus contraignantes que celles qui régissent les recours internes. * 93FOKA (Frédéric), op. Cit. p 57. * 94BOUKONGOU (Jean Didier), « Le système africain de protection des droits de l'homme » in Jean Didier BOUKONGOU (dir.), Protection des droits de l'homme en Afrique, Yaoundé, presses de l'UCAC, 2007, p128 * 95 ETOUNDI (Jean), L'administration pénitentiaire camerounaise et la protection des droits de l'homme : cas de la maison d'arrêt de kondengui, mémoire de master en droit de l'homme et action humanitaire, UCAC/APDHAC, année 2002-2003, p48. * 96 Com.228/99, Law officeof Ghazi Suleiman c/ Soudan et Com. 147/95 et 149/96 Sir Dawda K.Jawara c/Gambie. * 97 Com. 247/2002, aff. Jean SIMBARAKIYE * 98 GUIMDO DONGMO (Bernard-Raymond), « Le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à l'étude d'un droit fondamental », op. cit. P. 457. * 99 Ibid. |
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