CONCLUSION
L'errance dans Étoile errante nous a
menés dans une traversée des sens et significations de vie. Nous
pouvons conclure qu'il existe bien un discours littéraire de l'errance.
Celle-ci est à la fois une thématique et une poétique que
génèrent ses propres modalités d'écriture en
permettant de montrer une nouvelle catégorie littéraire : celle
de la route et du hors lieu. Cependant, il nous faut dire aussi que cette
configuration pose certaines questions problématiques par rapport aux
littératures nationalistes qui marquent cette appartenance à la
nation d'origine.
Cette nouvelle manière de concevoir l'errance comme
problématique littéraire nous interroge sur le rôle des
différents discours directement liés à celle-ci comme le
sont le discours politique, juridique, sociologique, anthropologique et
psychanalytique qui renvoie à un symptôme social de la
société actuelle. L'errance est en effet le résultat d'un
monde qui ne sait pas distribuer ses territoires et qui crée des
inégalités sociales directement liées à un
système économique capitaliste qui privilégie le
sédentarisme sur de l'errance. Ainsi la problématique
d'Israël nous permet de réfléchir à propos des
politiques de distribution de la terre qui mènent les populations en
question à se déterritorialiser et à errer sans point fixe
d'arrivée, ce questionnement nous dévoile aussi un immense
problème politique qui ne trouve pas de solutions pour distribuer ses
espaces de façon équitable à ses citoyens.
Le Clézio fait preuve d'engagement avec la question de
l'errance Juive et Palestinienne, en nous donnant à travers les
témoignages des exclus, le meilleur exemple d'un monde marqué par
son exclusion sociale. L'écrivain envisage la nouvelle construction de
l'identité non comme un retour aux origines mais comme un partage des
cultures et des idées socialement reconnues dans un même espace.
Il défend une vision de l'identité où tout le monde puisse
se reconnaître comme issue d'appartenances multiples dans un territoire
socialement partagé et où la mystification des racines ne peut
pas être la consigne à suivre dans une société
reconnue métisse. C'est pourquoi dans ce mémoire nous avons
retracé le
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parcours de nos personnages et celui de l'écriture
leclézienne comme point de départ pour comprendre le nouveau
modus operandis du discours que l'écrivain nous invite à
suivre.
Dans la première partie nous avons étudié
comment l'auteur configure tout un dispositif narratif qui démontre sa
construction de la thématique de l'errance dans son ouvrage Etoile
errante. Nos points d'analyse ont été centrés sur la
déambulation géographique des personnages, les non-lieux des
récits, les éléments de l'errance tels que l'eau et le
désert et les deux métaphores de cette errance : Esther et
Nejma.
Dans la deuxième partie de notre mémoire, nous
avons analysé quelques modalités d'écriture de l'errance
chez Le Clézio. Le discours paratopiques, le récit, le mythe de
l'origine, sa vision fragmentée et subjective de l'Histoire, Dans ce
sens, nous avons trouvé les mécanismes que l'auteur emploie pour
dévoiler à partir de ses personnages une réalité
sociale. Grace à la vision porteuse de sens par rapport à la
quête identitaire que construit l'écrivain dans la mesure
où l'altérité et le croisement de cultures, langues et
mémoires renvoient aux interstices culturels, le lecteur comprend les
enjeux qui se tissent dans l'écriture du hors lieu.
Dans la troisième partie nous avons mis en
lumière les approches postcoloniales de l'écriture de l'errance
chez Le Clézio dans cet ouvrage à travers le développement
de quatre points de réflexions : Une écriture de
l'Altérité : le conflit judéo-palestinien ; la question
identitaire ; l'errance et les enjeux de l'interculturalité et
l'élaboration d'une poétique de la Relation
théorisé par Glissant. Dans cet chapitre nous avons
étudié que l'écrivain dénonce un système et
des politiques fixées en Israël où les Palestiniens sont
devenus étrangers sur leur propre terre et démunis d'une
identité qui puisse lutter contre celle de Juifs. L'auteur configure la
figure de l'exil toujours en fonction de la question de l'origine, il explore
avec ces personnages ce décalage issu du temps et de l'espace : d'une
part un passé mythifié et un présent exclusif et d'autre
part une errance qui va des lieux aux non lieux pour les deux peuples
frères.
Les scénographies travaillées par l'auteur nous
renvoient à une Europe en guerre et dépourvue de toute
significations pour ceux qui y sont. Après l'occupation allemande,
l'exil des Juifs nous amènera à une scénographie orientale
qui ne sera pas loin de nous décevoir aussi. En nous montrant ces
personnages abimés et oubliés, l'auteur nous questionne sur le
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rôle des politiques pour ces populations qui sont au
milieu du conflit. En nous proposant ces itinéraires, l'écrivain
nous dévoile un monde mal distribué qui cherche
désespérément trouver des lieux pour tous. L'errance que
les deux peuples devront vivre sans en savoir la raison manifeste un
symptôme social très ancien que notre monde contemporain avec
toutes ses avances n'a pas pu résoudre et qui reste fixe sur une vision
économique des pays. L'écrivain nous invite à penser
l'errance comme moyen de décentralisation du système mais aussi
comme un choix personnel et libre que ne doit pas être imposé
à certains peuples démunis.
La vision optimiste de Le Clézio nous laisse envisager
un possible monde où les différences culturelles devraient nous
pousser à aller de l'avant et non pas à nous faire reculer dans
nos perceptions de l'autre. Dans ce sens, la grande innovation de Le
Clézio a été d'aller vers toutes ces «
minorités » et de les convoquer au « partage » de la
connaissance et de l'activité réparatrice sans cesse
recommencées pour aller à la retrouvaille de ce passé, de
ces histoires, de ces mythes, « de ces voix » qui cherchent à
être inclus et entendus dans le patrimoine littéraire mondial pour
construire un Tout Monde habité par la poétique de la Relation et
la pensée de l'errance selon Glissant.
Cela nous permet de dire que cette recherche d'une explication
de l'errance nous amène toujours à la multiplicité. Jean
Marc Moura (2000) a même parlé de « roman géographique
» car les voyages proposés par Le Clézio nous font voyager
à travers les cinq continents de monde, dans tous les
déplacements des personnages lecléziens on découvre une
autre culture avec fascination. A travers la traversée de continents et
des imaginaires des langues, ce concert de l'humanité dont il parle se
voit concrétisé dans la littérature.
La quête d'un langage compréhensible pour tous
trouve sa place dans le roman comme élément « métis
», un outil de partage où la narration est le meilleur moyen de
réussir à inclure tous ceux qui n'ont pas été
là auparavant, mais réunis à un même niveau,
égaux. L'écriture recherchée est celle de l'oralité
qui attire, qui chante et que Le Clézio essaye de sauver avec ses
phrases, ses histoires et ses mises en abyme. Une écriture hybride qui
donne une place commune à la mémoire des peuples historiquement
opposés et confrontés, un interstice culturel qui émerge
pluriculturelle, plurireligieuse et pluriethnique.
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Le sens de l'utopie légitimise l'écrivain
malgré les critiques qui le considèrent comme « naïf
» ou « exotique ». Ainsi, en multipliant les voix de ses
personnages et en leur donnant le droit d'être entendus, en nous donnant
l'occasion de croire que nous avons besoin d'un prolongement
géographique et humain, en nous montrant que le monde peut devenir
meilleur en dépit de lui-même, la littérature fait de
l'écrivain, « un poète qui n'a pas d'identité et qui
s'empare donc du corps d'autrui68 »
68 Gefen, Alexandre, « Ce que la littérature sait de
l'autre », Revue Le Magazine littéraire No 526
décembre 2012. P. 37
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