VI.- CONCLUSION
43 Article premier de la loi sur le statut de
l'éducateur spécialisé parue au Moniteur Belge le 20 avril
1996.
![](Regime-virtuel-equilibre-pour-jeunes-places13.png)
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Mon engagement dans la profession d'éducateur couvait
donc déjà tôt dans mon histoire personnelle par le biais
d'activités bénévoles et volontaires.
De fil en aiguille, j'ai fini par « débarquer
» dans le milieu de l'Aide à la Jeunesse. Là, je me suis mis
- successivement au sein de cinq services d'hébergement, de la France
à la Belgique - au service d'enfants et adolescents placés par
les autorités publiques compétentes.
Dans ce contexte, j'ai souvent été amené
à mettre le focus sur le rapport particulier que beaucoup de jeunes
bénéficiaires développaient avec les dispositifs et autres
gadgets de la technologie numérique. J'observais une espèce
d'obnubilation des sujets qui, à l'occasion de ces interactions,
présentaient comme une fusion identitaire avec le non-humain. Ce
phagocytage de l'homme par la machine inférait une prolongation
inquiétante du temps qu'ils consacraient à ce domaine.
Simples espaces transitionnels, au sens de Winnicott ?
Toujours est-il que « mes protégés » encouraient le
risque réel, que ce doux flirt passager devienne un véritable
poison pour eux dans la mesure où ils étaient susceptibles
d'explorer ces lieux parallèles en guise d'échappatoire à
leurs souffrances existentielles (voir Tisseron, page 22).
Il me fallait donc jouer la carte de la prévention pour
que les U.P.T.I.C.44 n'émergent pas dans leur vie future
tantôt plus ou moins proche, tantôt plus ou moins lointaine.
Bientôt, inspiré par des auteurs ayant traité de la
façon de considérer les adolescents et jeunes adultes
fréquentant ces univers, équipé en plus d'outils
empruntés aux champs théoriques et méthodologiques de ma
formation, je me suis fixé comme objectif d'améliorer
l'accompagnement pédagogique des bénéficiaires dans leur
consommation des contenus proposés par les T.I.C., afin de leur
éviter des T.O.C.45.
44Usages problématiques des technologies de
l'information et de la communication. 45Troubles obsessionnels
compulsifs.
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Le choix des vignettes cliniques, figurant dans ce
mémoire, m'a semblé pertinent pour faire état de la
façon dont j'ai procédé pour modérer ou stabiliser
la dose de pixels que s'« injectaient » quotidiennement les
concernés. Les pistes d'intervention, que j'ai mises à
l'épreuve par rapport à ces situations, ont chacune comme but
commun de permettre aux bénéficiaires d'être plus
pondérés dans leur consécration au loisir virtuel.
Dans la première situation, celle avec François
et Damien, j'ai choisi de rencontrer un besoin relationnel insatisfait,
similaire chez ces protagonistes. Pour ce faire, j'ai appliqué une piste
proposée par Serge Tisseron (2008), qui consiste à s'investir -
en tant qu'imago parental - aux côtés des jeunes. A cette
occasion, les intéressés m'ont expliqué et fait
expérimenter leur univers « magiques ». J'ai obtenu comme
résultat de gagner davantage de proximité relationnelle avec eux.
Ceci m'a permis, en tant qu'autorité ajustée, d'identifier
davantage leurs besoins affectifs non nécessairement assouvis dans les
jeux vidéo interactifs.
Dans le deuxième cas relaté, mon objectif
était de mettre en place une réglementation formelle, claire et
univoque pour une utilisation plus saine et équilibrée des PC. En
terme d'hypothèses d'intervention, que j'ai exploitées suite
à une première rencontre collective avec les jeunes, l'action que
j'ai mise en place a eu un impact satisfaisant en ce qui regarde l'aspect
organisationnel. Par contre, du point de vue relationnel, je n'ai pas
été à la hauteur de mes espérances. Quelques
ratés de ma part, au niveau du principe de relation d'aide et
d'écoute, ont inféré une démotivation plus ou moins
généralisée des jeunes dans leur contribution à la
réalisation d'une charte informatique. Malgré cela, la
réunion suivante s'est déroulée dans un climat assez
détendu et plutôt « bon enfant ».
Enfin, dans une troisième et dernière situation,
j'ai souhaité permettre à François de devenir le «
client » d'une activité qui le fasse ponctuellement prendre de la
distance d'avec ses centres d'intérêts pixélisés.
Une fois sa demande d'activité extérieure formulée, j'ai
pu organiser une sortie à vélo avec lui. Le garçon a
reconnu s'y épanouir autant - pour ne pas dire plus - que s'il avait
passé le même temps devant les écrans domestiques. La
« mission » que je m'étais fixée a donc
été couronnée de succès.
Par ailleurs, j'aurais souhaité faire part, au cours du
développement de ce TFE, d'autres situations de mon stage dans
lesquelles j'ai mis en place des activités alternatives à
l'informatique. Or, le volume du porte-folio étant déjà
bien fourni, je n'ai pas voulu en surajouté. Je vais donc
m'arrêté à quelques descriptions succinctes ici.
Je prenais plaisir à lire des histoires aux plus petits
pour favoriser leur endormissement paisible du coucher, quand j'étais de
service. Ils se montraient silencieux pendant que je racontais. Probablement
étaient-ils absorbés par mon intonation narrative, que je
m'efforçais de rendre mélodieuse pour fixer leur attention. En
dehors de nourrir la pensée magique de l'enfant, ne stimulais-je pas sa
représentation symbolique (voir Pascale Gustin, page 23) favorable, en
même temps, à une structuration linguistique ?
Le jeune François, onze ans, présenté
antérieurement dans les trois situations éducatives, insistait
souvent pour que je lui lise à son chevet des passages de ses livres de
récits d'aventure, dont il parcourait lui-même parfois
individuellement les chapitres. Il était, en ces circonstances,
constamment pendu à mes lèvres et découvrait des mots dont
je lui expliquais le sens.
Parfois, les mercredis après-midi ou le week-end, il
m'arrivait de me retrouver avec quelques-uns autour d'un jeu de
société de type coopératif ou stratégique. Je me
faisais même le partenaire des plus jeunes en me laissant entraîner
dans leurs jeux de rôles, du style « Papa, Maman et les enfants
» ou « commerçant/client » ou encore en créant des
interactions avec eux par le média des Playmobil.
Il est aussi certains autres loisirs que j'aurais aimé
réaliser plus souvent avec les enfants. Ainsi, en tant qu'amateur de
VTT, je n'ai pu réaliser que deux cyclo-randonnées pour partager
mon plaisir avec eux. Les contraintes organisationnelles et
météorologiques du printemps 2013 n'ont pas été
propices à la multiplication de ce type de sortie.
Finalement, les changements induits par l'humain dans l'ici et
maintenant de ma pratique, ainsi que la mutation permanente du contexte
socio-économique, me conduisent à demeurer un
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professionnel jamais achevé, qui dois s'adapter en
permanence. Il est de bon ton de parodier ici Simone de Beauvoir, en parlant de
la condition de l'éducateur : on ne naît pas éducateur, on
le devient !
J'ai également le souci constant de ne pas oublier
Socrate disant : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien ».
Loin de me situer ainsi dans un esprit d'ignorance béate, je veux
plutôt signifier qu'il est opportun - pour le professionnel que je veux
être - de ne pas se lasser de découvrir ou parfois
redécouvrir autrement l'humanité de l'Autre, dans un lien
authentique et quotidien, pas à pas.
Je pense que le travail éducatif est jalonné de
phases de construction, de déconstruction et de reconstruction. Ce
travail, qu'il se fasse en individuel, en équipe ou en
pluridisciplinarité, est fait de prises de risques et d'impasses, mais
aussi de trouvailles et pari pour le bénéficiaire regorgeant de
ressources parfois inexploitées...
Je reste toujours soucieux d'optimaliser l'intégration
socio-professionnelle des jeunes dans une société multiculturelle
régie par les lois de l'image et du multimédia. Fort de mes
quinze ans d'expérience dans le secteur socio-éducatif, je tiens
à continuer de mettre ma part de créativité et
d'humanité au service de la santé et de l'épanouissement
des personnes bénéficiant de mon accompagnement.
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