III. Différend
Brésil/États-Unis
Il est intéressant de rappeler qu'avant le lancement de
l'initiative sectorielle en faveur du coton, le Brésil avait
initié en 2002 une plainte contre les Etats-Unis devant l'Organe de
règlement des différends (ORD) de l'OMC. Le Bénin et le
Tchad membre du groupe C_4 se sont d'ailleurs constitués tierces parties
dans cette affaire. Dans cette affaire, le Brésil reprochait aux
Etats-Unis de favoriser ses producteurs de
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coton upland17 en leur garantissant des
mesures de soutien interne et des crédits à l'exportation.
En 2009, au terme d'une procédure de plus de sept ans au
cours de laquelle les Etats-Unis ont utilisé tous les recours possibles,
l'arbitrage de l'ORD a autorisé le Brésil à prendre des
mesures de rétorsion contre les Etats-Unis dont les mesures en cause
avaient été reconnues incompatibles avec l'Accord sur
l'agriculture et l'Accord SMC. Le Brésil était ainsi
autorisé à suspendre dans une certaine mesure des concessions ou
d'autres obligations au titre des Accords sur le commerce des marchandises, et
potentiellement de s'affranchir de certaines obligations au titre de l'Accord
sur les ADPIC et/ou de l'AGCS. Après avoir d'abord annoncé son
intention d'appliquer de telles mesures de rétorsion, le Brésil a
annoncé en avril 2010 qu'il différait l'application de ces
mesures car il menait des discussions avec les États-Unis en vue de
parvenir à une solution mutuellement satisfaisante du différend.
Sous la menace, les Etats-Unis ont proposé la suppression des
crédits de garantie à l'exportation GSM-102. Les Etats-Unis ont
une autorisation de 5,5 milliards de dollars de garanties de crédits
à l'exportation. 2,7 milliards de dollars ont été
alloués et 1,9 milliards ont été utilisés
jusqu'à maintenant. La proportion non utilisée de ce
crédit sera retirée et placée dans un système neuf
et révisé qui reste à déterminé. Cela
représente une toute première étape vers la mise en
conformité de la politique commerciale américaine avec certaines
obligations de l'OMC. Un accord bilatéral passé entre les deux
protagonistes en 2010 offre également une compensation financière
au Brésil à hauteur de 147,3 millions de dollars par an pour
fournir une assistance technique et un renforcement des capacités en
faveur du secteur du coton. Le fonds restera en vigueur jusqu'à
l'approbation de la prochaine Farm Bill ou d'une solution mutuellement
agréée du différend sur le coton, si celle si intervient
avant.
Cet accord est indirectement bénéfique aux pays
africains producteurs de coton. En effet, le Brésil utilise une partie
(10%) de la compensation financière annuelle fournie par les
États-Unis pour accorder une assistance aux pays africains producteurs
de coton. De plus, cet accord maintient la pression sur les Etats-Unis pour
leur mise en conformité avec les règles de l'OMC. Ceux-ci n'ont
eu d'autre choix que de traiter de manière systémique au moins
une question : leur système de garanties de crédit à
l'exportation. Il faut espérer que ce premier pas débouche sur
une mise en conformité totale avec les obligations de l'OMC et un effort
signal doit être donné dans le cadre de la révision de la
farm bill en cours actuellement.
L'accord intérimaire montre aussi les limites du
système multilatéral. Il ressort que les grandes puissances
peuvent être amenées à la table des négociations
seulement sous la pression économique d'autres puissances, alors que les
règles du commerce multilatéral ont pour objectif de
protéger le faible contre l'usage arbitraire de la puissance
économique. Le fait que le Brésil reçoive une compensation
alors que les pays africains ne peuvent faire entendre leur cas légitime
ne contribue certainement pas à la croyance en un système
multilatéral équitable et participatif.
D'aucuns seront tentés de se demander pourquoi les
africains n'ont pas emprunté la même voie que le Brésil.
C'est en effet une option qui fut longuement
17 Variété de coton cultivée au
Etats-Unis
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discutée, au début de l'initiative en 2003, au
cours d'une réunion ministérielle du C_4 à Ouagadougou
(Burkina Faso) mais qui ne fut pas retenue compte tenu du coût
généralement élevé des prestations des cabinets
d'avocats de qualité. Bien que le Centre Consultatif sur la
Législation de l'OMC (ACWL en anglais) puisse aider les PMA dans une
telle procédure, cette aide demeure largement insuffisante. De plus,
quand bien même les pays africains se seraient engagés avec
succès dans une telle procédure, ils n'auraient pas
disposé de véritables mesures de rétorsion pour forcer la
puissance américaine à se conformer à la décision
de l'ORD. C'est pourquoi le C_4 a préféré la voie des
négociations à l'OMC qui n'a, malheureusement, pas donné
les résultats escomptés jusqu'à présent.
Observations et conclusion
...Nous avons vu au niveau de l'aspect commercial du dossier
coton qu'à ce jour même s'il a eu quelques avancées sur
l'accès aux marchés et sur la concurrence à l'exportation,
le soutien interne est et demeure le levier sur lequel il faut rapidement agir
pour donner un signal fort à l'ensemble des pays les moins
avancés et africains producteurs de coton, car ce sont subventions
internes américaines et européennes qui posent le plus de
problèmes aux filières cotonnières africaines.
La position du C_4 (sa soumission de juin 2006 qui est toujours
sur la table des négociations) n'a pas varié, en ce sens qu'il la
juge comme étant la concession minimale pour laquelle il accepterait un
quelconque accord et repris dans les textes de modalités sur
l'agriculture.
Au niveau de l'aspect développement, tout en mesurant
l'importance de l'aide au développement en faveur du coton, le C_4 a
toujours souligné que l'aspect commercial reste la solution idoine pour
les filières cotonnières africaines menacées de
disparition. C'est pourquoi il a toujours appelé de tous ses voeux
à la conclusion rapide du Programme de Doha dans l'esprit du mandat
donné pour le coton dans la déclaration ministérielle
adoptée à Hong Kong en décembre 2005.
Mais quelles sont les autres problèmes du secteur
cotonnier notamment internes des filières cotonnières africaines
? C'est ce que nous allons voir dans le chapitre 2.
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