INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES
D'AIX-EN-PROVENCE
et
ÉCOLE DES OFFICIERS DE L'ARMÉE DE
L'AIR
MEMOIRE
En vue de l'obtention du diplôme de l'Institut d'Etudes
Politiques d'Aix-en-
Provence
Du mercenariat aux Entreprises de Services de
Sécurité et de Défense : la question de
l'externalisation dans les forces armées
françaises
Par le Slt François LE GALLIC
Mémoire réalisé sous la direction
du Colonel (R) Éric NICOD et Céline LE CORROLLER
INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES
D'AIX-EN-PROVENCE
et
ÉCOLE DES OFFICIERS DE L'ARMÉE DE
L'AIR
MEMOIRE
En vue de l'obtention du diplôme de l'Institut d'Etudes
Politiques d'Aix-en-
Provence
Du mercenariat aux Entreprises de Services de
Sécurité et de Défense : la question de
l'externalisation dans les forces armées
françaises
Par le Slt François LE GALLIC
Mémoire réalisé sous la direction du
Colonel (air) Éric NICOD et Céline LE
CORROLLER
L'IEP et les EOAA n'entendent donner aucune approbation ou
improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions
doivent être considérées comme propres à leur
auteur.
« Je n'ai point l'autorité d'être cru, ni ne le
désire, me sentant trop mal instruit pour instruire autrui. »,
Montaigne, Essais, I, 26
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d'abord à remercier le Colonel Eric
Nicod, qui a bien voulu diriger ce travail et me faire part de ses
précieux conseils et encouragements continus.
Mes remerciements s'adressent également à ceux
qui m'ont apporté leur aide et sans qui ce mémoire n'aurait pas
été possible. Dans l'ordre alphabétique, j'ai l'honneur de
citer :
- Patrice VAN ACKERE, Contrôleur
général des armées ;
- Claire AGOSTINI, Spécialiste en
économie et veille stratégique ;
- Olivier AMROUCHE, Capitaine de
frégate (Marine) - Planificateur militaire stratégique au
Crisis Management & Planning Directorate (EEAS) ;
- Vincent BRETON, Colonel (Air) - Conseiller
- Adjoint au chef de la section planification de Défense /
capacité / finances à la Représentation militaire
française auprès de l'Union européenne ;
- Georges-Henri BRICET DES VALLONS, Doctorant
en science politique, Directeur IE/Gestion des risques chez GEFYRA ;
- Kevin BROADLEY, Lieutenant-colonel
(Commander), Représentant militaire britannique auprès
de l'Union européenne ;
- Walter BRUYERE-OSTELLS, Historien,
Maître de Conférences en histoire contemporaine à l'IEP
d'Aix-en-Provence ;
- Philippe CHAPLEAU, Journaliste au service
Politique du journal Ouest-France, Animateur du blog Lignes de
défense ;
- Philippe CHOLOUS, Colonel (Gendarmerie) -
Conseiller - Adjoint au chef de la section gestion civile des crises / finances
à la Représentation militaire française auprès de
l'Union européenne ;
- Cyrille CLAVER, Général de
brigade aérienne - Adjoint au Chef de mission à la
Représentation militaire française auprès de l'Union
européenne ;
- Geoffroy DESROUSSEAUX de MEDRANO, Chef
d'escadrons (Terre) - Conseiller - Adjoint au chef de la section gestion
militaire des crises / exercices à la Représentation militaire
française auprès de l'Union européenne ;
- Etienne de DURAND, Directeur du Centre des
études de sécurité de l'IFRI ;
- Frédéric GALLOIS, Colonel
(Gendarmerie) - Directeur Général Délégué,
Vice-président de Gallice Security ;
- Michel GARI, consultant externe chez DMG
Consult ;
- Diane GERIBALDI, Lieutenant-colonel (Air) -
Responsable de la formation initiale
des officiers de l'Armée de l'air en science-humaines
;
- Emmanuel GERMOND, Conseiller adjoint
(Armement) à la Représentation
permanente de la France auprès de l'Union
européenne ;
- Patrice GOURDIN, Docteur en histoire,
professeur agrégé de l'Université ;
- Paul HOUOT, EU Affairs Assistant
chez Thalès ;
- Peer de JONG, Colonel (Terre), fondateur de
Strike Global Services et de Sovereign
Global Solutions ;
- Luc JOUVENCE, Capitaine de frégate
(Marine) - Conseiller - Chef de la section
planification de Défense / capacités / HTF
à la Représentation militaire française auprès
de l'Union européenne ;
- Eric LABOURDETTE, Colonel (Air), Chef
d'état-major à la Représentation militaire
française auprès de l'Union européenne
;
- Frank LATTY, Professeur de droit à
l'Université Paris 13 ;
- Emeric LHUISSET, Artiste, Enseignant
à l'IEP de Paris ;
- Christian MENARD, Ancien
Député du Finistère (UMP), ancien Secrétaire de
la
Commission de la Défense nationale et des Forces
armées ;
- Denis MERCIER, Général
d'armée aérienne - Chef d'état-major de l'Armée de
l'air ;
- Jean-Michel OUDOT, Docteur en
économie spécialisé sur les questions de défense
;
Chef de la section études de la Direction des affaires
financières du ministère de la
Défense ;
- Christophe PAJON, Enseignant-Chercheur au
Centre de recherche de l'Ecole de l'air ;
- Paul-Antoine PEIGNON, Chief Executive
Officer chez Global X, Business
Development Manager chez Thalès ;
- Vivien PERTUSOT, Responsable IFRI Bruxelles
;
- Patrick PIQUIER, Colonel (Air) - Conseiller
- Chef de la section gestion militaire des
crises / exercices à la RMF UE ;
- Philippe POURQUE, Commissaire Colonel
(Terre) - Conseiller - Chef de la section
financement des opérations à la
Représentation militaire française auprès de l'Union
européenne ;
- Yannick PRATI, Lieutenant-colonel
(Gendarmerie) - Officier de liaison au ministère
de la Défense ;
- Bernard RAMBAUD, Colonel (Terre) - Head of the
EU AMANI Africa Planning Team - European External Action service ;
- Jean-Jacques ROCHE, Professeur de Science
politique, Directeur de l'Institut Supérieur de l'Armement et de la
Défense ;
- Gilles ROUBY, Général de corps
d'armée - Chef de la représentation militaire de la France
auprès de l'Union européenne et de l'OTAN ;
- Virginie SANDROCK, Directrice de GEOS EUIR
;
- Jean-Philippe SCHERER, Lieutenant-colonel
(Air) - Chef de la cellule de planification des opérations à
l'European Union Operations Centre (EEAS) ;
- Théodore VALLEGEAS, MDR BA -
Sécurité Hors-siège - « Stratégie » -
European External Action Service.
TABLE DES ABREVIATIONS
ADF : Australian Defense Force
AE : Autorisation d'Engagement
AFRC : Armed Forces Revolutionary Council ALAT :
Aviation légère de l'armée de Terre ANA : Armée
nationale afghane
ANSI : American National Standards Institute AvDef :
Aviation Defense Service
BMI : Bureau maritime international BMP : Best Management
Practices
CAT : Civilian Air Transport
CATS : Cassidian Aviation Training Services
CBO : Congressional Budget Office
CEA : California Eastern Airway
CIA : Central Intelligence Agency
CICR : Comité International de la Croix Rouge
Cmmd : Command paper
CONDO : Contractors On Deployed Operations
CP : Crédit de Paiement
DCI : Défense Conseil International
DGSE : Direction Générale du Service
Extérieure
DoD : Department of Defense
DOMP : Département des opérations de maintien de la
paix de l'ONU
DoS : Department of State
DSL : Defense Systems Limited
EADS : European Aeronautic Defence and Space company
EdA : Economat des Armées
EEAS : European External Action Service
ESSD : Entreprises de Services de Sécurité et de
Défense
ETI : Entreprise de taille intermédiaire
EPAA : Ecole de pilotage de l'Armée de l'air
EPIC : Etablissement public à caractère industriel
et commercial
EUFOR Tchad/RCA : Force européenne au Tchad et en
République centrafricaine
EUPOL RD Congo : Mission de police européenne en
République démocratique du Congo
EUPOL COPPS : Mission de police européenne pour les
territoires palestiniens
EUTM Mali : Mission européenne de formation des forces
armées maliennes
FIAS : Force internationale d'assistance et de
sécurité en Afghanistan FMAA : Foreign Military Assistance
Act
FOB : Forward Operating Base
GIGN : Groupe d'Intervention de la Gendarmerie Nationale GAO :
Government Accountability Office
KAS : Kilo Alpha Services KBR : Kellogg Brown & Root KFOR :
Kosovo Force
KMS : Keenie Meenie Services
ICOC : International Code of Conduct
IFRI : Institut français des relations internationales
INHESJ : Institut National des Hautes Etudes de la
Sécurité et de la Justice
IRSEM : Institut de recherche stratégique de l'Ecole
militaire
ISPS : International Shop and Port Security
ITAR : International Traffic in Arms Regulations
LFI : Loi de finances initiale
LOLF : Loi Organique relative aux Lois de Financement LVF :
Légion des volontaires français contre le bolchevisme
MAE : Ministère des Affaires Etrangères
MCO : Maintien en condition opérationnelle
MEC : Mission d'évaluation et de contrôle
MI6 : Military Intelligence section 6 of England
MoD : Ministry of Defence
MONUC : Mission de l'Organisation des Nations unies en
République démocratique du
Congo
MPRI : Military Professional Resources Inc.
NEDEX : Neutralisation Enlèvement et Destruction
d'Explosifs NHE : Nouvel Hélicoptère Ecole
ODTC : Office of Defense Trade Controls
OMP : Opérations de Maintien de la Paix
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations unies
OPEX : Opérations extérieures
OTAN : Organisation du traité de l'Atlantique Nord
OUA : Organisation de l'Unité Africaine
PAE : Pacific Architects and Engineers
PAR : Plan d'accompagnement aux restructurations
PIB : Produit Intérieur Brut
PFI : Private Finance Initiative
PMC : Private Military Company
PME : Petites et moyennes entreprises
PFSO : Port Facility Security Officer
PPP : Partenariat Public-Privé
PPP : Public Private Partnership
PS : Parti socialiste
PSC : Private Security Company
PSDC : Politique de Sécurité et de Défense
Commune
RAF : Royal Air Force
RATP : Régie autonome des transports parisiens RGPP :
Révision Générale des Politiques Publiques RUF :
Revolutionary United Front
SADF : South African Defence Force
SAS : Special Air Service
SGA : Secrétariat Général pour
l'Administration SIC : Systèmes d'information et de communication SMP :
Société Militaire Privée
SNCF : Société nationale des chemins de fer
français SSO : Ship Security Officer
TCN : Third country national TVA : Taxe sur la Valeur
Ajoutée
UE : Union européenne
UMP : Union pour un Mouvement Populaire
USC : United States Code
SOMMAIRE
INTRODUCTION
|
.1
|
METHODOLOGIE
|
7
|
PREMIERE PARTIE - LE MERCENARIAT
|
8
|
Chapitre 1 - Le mercenariat : approche historique
|
8
|
1 / Définition
|
..8
|
2 / Le mercenariat : de l'Antiquité à
l'époque moderne
|
..11
|
3 / Le mercenariat à l'époque contemporaine
|
.23
|
Chapitre 2 - Le mercenariat : approche légale
|
32
|
1 / La notion de mercenaire au regard du droit international
|
32
|
2 / La notion de mercenaire au regard des législations
nationales
|
39
|
3 / Chartes éthiques et codes de déontologie : vers
une standardisation internationale
|
46
|
DEUXIEME PARTIE : L'EXTERNALISATION DE LA DEFENSE
|
49
|
Chapitre 1 - L'externalisation de la Défense : approche
théorique
|
49
|
1/ Définition
|
.49
|
2 / L'externalisation : un processus en deux temps
|
.51
|
3 / Délégation ou perte de souveraineté ?
|
54
|
Chapitre 2 - L'externalisation de la Défense : approche
empirique
|
57
|
1 / Le budget de la Défense en France
|
.57
|
2 / Les domaines susceptibles d'externalisation
|
..63
|
3 / L'externalisation en France
|
.69
|
4 / L'externalisation dans les pays anglo-saxons
|
.79
|
TROISIEME PARTIE : L'EXTERNALISATION DE LA DEFENSE, UN
PROCESSUS
AMBIVALENT
|
87
|
Chapitre 1 - Les avantages de l'externalisation
|
87
|
1 / Un complément nécessaire face aux armées
régulières
|
87
|
2/ Une expertise reconnue
|
..92
|
3 / La possibilité de gains économiques
|
.97
|
Chapitre 2 - Les limites de l'externalisation
|
.100
|
1 / Limites liées à la souveraineté
nationale
|
..100
|
2 / Limites économiques et sociales
|
105
|
3 / Limites culturelles
|
.110
|
LISTE DES PRECONISATIONS
|
.121
|
CONCLUSION
|
.....124
|
1
INTRODUCTION
Il est toujours difficile d'expliquer la genèse d'une
oeuvre, notamment parce les raisons que nous nous donnons pour justifier notre
choix sont toujours postérieures à ce choix, jamais
antérieures. Dans une série d'articles rédigés
entre 1903 et 1923 sous le titre de la Pensée et le Mouvant, le
philosophe Henri Bergson explique que la décision précède
la délibération et non l'inverse. On choisit d'abord et on
délibère ensuite. Par conséquent, ce n'est pas le possible
qui précède le réel mais le réel qui
précède le possible. Il y a une illusion rétrospective,
une illusion du possible.
Cela étant dit, nous ne chercherons pas à
convaincre notre lecteur que le thème de l'externalisation au sein des
forces armées françaises revêt une importance toute
particulière. Il n'a pas plus d'importance que la cyber-défense,
la dissuasion nucléaire, ou bien les capacités de connaissance et
d'anticipation. Ou pour le dire autrement, il en a autant. Il s'agit par
conséquent d'étudier ce qui fait de l'externalisation un sujet
particulièrement original.
Tout d'abord, le thème de l'externalisation au sein des
forces armées est digne d'intérêt car il n'appartient pas
exclusivement au domaine de la res militaris. Il fait non seulement
intervenir des matières comme l'histoire, l'économie, le droit,
mais aussi la morale et la littérature.
L'histoire, parce le recours à des militaires «
non-réguliers » remonte au mercenariat, dont les prémices se
situent vers 3000 avant J.-C. en Egypte.
L'économie, parce que l'externalisation est souvent
présentée, à tort ou à raison, comme un processus
permettant de limiter les dépenses publiques. Cet argument est
d'ailleurs d'autant plus pertinent depuis la promulgation en août 2001 de
la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Le droit, parce qu'un ensemble de normes nationales et
internationales viennent encadrer le recours à l'externalisation dans le
domaine de la Défense. A ce titre, le mercenariat, pratique plusieurs
fois millénaires (« Le mercenariat est le deuxième plus
vieux métier du monde », Bob Denard), est illégal depuis
l'entrée en vigueur le 20 octobre 2001 de la Convention internationale
contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de
mercenaires du 4 décembre 1989.
La morale (qu'elle soit d'origine philosophique ou
religieuse), parce que le processus d'externalisation a pour effet de recourir
principalement à des prestataires privés dont la logique de
profit semble irréconciliable avec la mission d'intérêt
général dévolue aux forces
2
armées. Débattre de l'externalisation
reviendrait ainsi à mettre en balance la sphère du bien commun et
la sphère des intérêts privés.
La littérature, parce que devant la figure du
mercenaire, l'homme est à la fois attiré et repoussé d'une
manière incompréhensible. Qu'il s'agisse de Plaute (Le Soldat
fanfaron), de Machiavel (Le Prince, posth. 1532), de Henry de
Montherlant (Malatesta, 1946) ou encore de Hugo Pratt (série
des Corto Maltese), nombreux sont les auteurs de génie ayant
dépeint ce personnage rocambolesque.
Par conséquent, pour appréhender la question de
l'externalisation au sein des forces armées, il faut faire appel
à des domaines très divers, qui loin d'être opposés
s'avèrent complémentaires. Cette approche globale, en montrant la
complexité du phénomène, est pour nous un gage de sa
meilleure compréhension.
Plus concrètement, la question de l'externalisation
s'est tout d'abord posée de la plus mauvaise manière puisque les
Français n'en ont eu connaissance qu'à travers le battage
médiatique autour de différents scandales impliquant des
sociétés militaires privées (SMP) opérant en Irak
à partir de mars 2003. La société américaine
Blackwater s'est d'ailleurs particulièrement illustrée au point
de devoir changer de nom à plusieurs reprises (Xe à partir de
2009 puis Academi à partir de 2011). Malheureusement, si les
médias peuvent être salués pour avoir dénoncé
ces affaires, ils n'ont cependant pas mentionnés qu'il s'agissait
là d'un épiphénomène. En effet, l'opinion publique
considère que la majorité des employés de ces firmes sont
des gardes armés, alors qu'ils ne représentent qu'une
minorité. Pour le 4e trimestre de l'année fiscale 2010
aux Etats-Unis, « le Centcom1 recensait 74 106
contractors dont 11 628 security contractors (1017
Américains, 9713 TCN2 et 898 Irakiens). Moins de 16% des
contractors étaient donc des security
contractors.3 »
Cette condamnation hâtive des sociétés de
sécurité privée s'explique en partie par le poids de
l'histoire. En France, la mémoire collective associe
régulièrement les employés de ces entreprises à des
mercenaires purs et simples. Les chiens de guerre des années soixante
et
1 Le Centcom ou United States Central Command
est l'un des neufs Unified Combatant Command dépendant,
depuis le 1er janvier 1983, du Ministère de la Défense
des Etats-Unis (DoD).
2 Le terme TCN ou Third country nationals
désigne les individus ayant un contrat avec le gouvernement
américain ou un contrat avec une société ayant
contracté avec le gouvernement américain et qui ne sont ni
citoyens des Etats-Unis, ni citoyens du pays où ils opèrent.
3 3 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de la
guerre : des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 60.
3
soixante-dix (Bob Denard, Jean Schramme, Mike Hoare, Christian
Tavernier...) hantent encore l'imaginaire des Français. Toute tentative
d'externalisation est alors vue comme l'effacement de l'Etat devant des
armées irrégulières au service de multinationales, de
mouvements rebelles, etc. Avec l'externalisation, l'Etat perdrait ainsi ce qui
constitue son essence même depuis deux siècles, à savoir
« le monopole de la violence physique légitime. » tel que l'a
théorisé le sociologue allemand Max Weber dans Le Savant et
le Politique (1919).
Mais la rupture ne serait pas seulement d'ordre
institutionnel, elle serait également d'ordre idéologique.
Les contractors, comme leurs ancêtres les mercenaires, seraient
prêts à tous les coups de force pourvu que l'argent et la gloire
fussent au bout du chemin. Sans patrie et sans morale, ils constitueraient une
abomination aux yeux du soldat pour qui « la terre et les morts »
(Maurice Barrès) représentent un absolu indépassable.
Culte de l'argent, couardise et hédonisme d'un côté ;
attachement aux racines et à la famille, dédain de la mort et
dolorisme rédempteur de l'autre : les valeurs auxquelles sont
attachées ces deux figures de la guerre seraient trop opposées
pour envisager une quelconque réconciliation.
Le mythe est donc profondément ancré dans
l'inconscient français, à tel point qu'il lui arrive d'occulter
la réalité du débat. En effet, les sociétés
de sécurité privées, souvent filiales de puissantes
multinationales voire multinationales elles-mêmes, sont beaucoup plus
proches de Wall Street ou de la City (la firme britannique G4S est d'ailleurs
cotée au London Stock Exchange) que des officines «
barbouzardes » du temps de la fin des empires coloniaux.
De plus, ces nouveaux acteurs du marché de la
sécurité ne sont plus seulement au service des Etats mais aussi
de l'ONU et de l'UE, des ONG et des entreprises ayant des activités en
zones instables. Leurs missions vont du conseil au soutien en passant par la
formation, le transport aérien, le déminage, la fourniture de
matériel, l'analyse sécuritaire, le renseignement, la protection
des personnels et des infrastructures.
Cette montée en puissance des prestataires
privés agissant dans le domaine de la sécurité et de la
défense s'explique principalement par deux facteurs. Tout d'abord, la
fin de la guerre froide a entraîné une diminution majeure de la
taille des armées occidentales. Dans ce cadre, les
sociétés privées sont apparues comme un complément
nécessaire aux troupes régulières. De nos jours, cette
tendance est particulièrement manifeste dans le cadre des missions et
opérations menées par des organisations intergouvernementales.
L'externalisation est alors
4
systématiquement envisagée en cas
d'incapacité des Etats membres de mettre à disposition des
troupes et/ou du matériel. D'autre part, l'expertise dont ces
sociétés font commerce n'est plus aujourd'hui à
démentir. C'est notamment le cas dans le cadre de la lutte contre la
piraterie maritime. En effet, la présence de gardes armés
privés, en sus des équipes de protection embarquées de la
Marine nationale, contribue à faire baisser le nombre d'attaques et de
détournements des navires de commerce.
Malgré ces différentes évolutions, le
débat autour de l'externalisation des forces armées en France n'a
jamais vraiment eu lieu au niveau politique. Certes, il y a bien eu des
rapports parlementaires comme celui des députés Louis Giscard
d'Estaing et Bernard Cazeneuve en juillet 2011, ou bien encore celui des
députés Christian Ménard et Jean-Claude Viollet en
février 2012, mais globalement, ces rapports n'ont connu qu'un faible
retentissement auprès de la classe dirigeante. Pourtant, la question de
l'externalisation mérite d'être posée et les
réponses se font attendre. Assurément, des fonctions et des
services de la Défense ont déjà été
externalisés depuis plusieurs années, mais ils restent le fruit
d' « expérimentations » et non d'une véritable
stratégie. Espérons que le Livre blanc de 2013 change la donne.
Mais pour l'instant, il existe une véritable « myopie
stratégique » sur ce sujet.
Par conséquent, l'objet de cette étude est avant
tout de réactualiser le débat en y apportant sa modeste
contribution. Notre propos n'est pas de poser un quelconque jugement de valeur
sur ces sociétés. Elles sont une réalité qui
s'affirme chaque jour davantage et qu'il serait vain de nier. En cela elles
répondent à un besoin que les armées
régulières semblent incapables de satisfaire. Mais
reconnaître leur existence et leur poids de plus en plus important sur la
scène internationale ne met pas un terme au débat. Il est
essentiel de questionner ce qu'est l'externalisation au sein des forces
armées et ce qu'elle pourrait être en France. Un contractor
est-il un mercenaire ? Pourquoi le droit international criminalise
seulement l'activité de mercenaire et pas celle d'un employé
d'une SMP ? Quels services proposent les prestataires privés ? Quelles
fonctions l'Etat peut-il externaliser ? Faut-il prendre exemple sur les
politiques d'externalisation menées par les pays anglo-saxons et adopter
dans ce cas la législation adéquate ? L'externalisation est-elle
la seule solution aux problèmes budgétaires dans les forces
armées ? Quels sont les avantages et les limites de l'externalisation ?
La ré-internalisation d'un service externalisé est-elle toujours
possible ? L'externalisation est-elle synonyme de perte de souveraineté
? L'outil militaire peut-il se voir appliquer les mêmes
5
règles que les entreprises privées ? Dans quelle
mesure la culture française représente-t-elle un frein à
l'externalisation ?
Toutes ces questions aussi importantes les unes que les autres
viennent s'intégrer dans une problématique plus
générale, à savoir : quelle stratégie le
ministère de la Défense doit-il adopter en matière
d'externalisation ?
Dans le cadre de ce mémoire, notre démarche
consistera à analyser objectivement la situation actuelle en partant de
l'histoire des mercenaires depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours,
en dressant des parallèles entre les différentes époques
et les différents lieux, en montrant la prise en compte tardive de ce
phénomène par la communauté internationale et en finissant
par les avantages et les inconvénients propres au recours à des
prestataires privés.
Ce mémoire se décomposera dès lors en trois
parties.
Dans un premier temps, il s'agira non seulement
d'étudier le mercenariat en tant que première forme
d'externalisation dans l'histoire mais aussi en tant qu'objet criminel au
regard du droit international pénal. Plusieurs questions seront
posées. Quelles sont les causes de l'apparition du mercenariat ? Comment
a-t-il évolué au cours des siècles en passant d'un
modèle artisanal à un modèle entrepreneurial et vice-versa
? Nous verrons que le mercenaire n'est pas un être facilement
catégorisable, tantôt bravache, tantôt héros. Nous
verrons également pourquoi la communauté internationale a
jugé bon de criminaliser ses activités à la fin du XXe
siècle. Enfin, nous nous consacrerons à établir une
étude comparative des différentes législations nationales
en vigueur.
Dans une seconde partie, nous analyserons l'externalisation de
la Défense à travers une double approche : théorique et
empirique.
Il s'agira d'abord de donner une définition
précise de ce qu'est l'externalisation, en la distinguant d'autres
notions comme la privatisation et la sous-traitance. Nous nous
intéresserons aussi à sa genèse politique, en faisant
valoir qu'elle procède d'une même logique de la pensée que
la décentralisation dans la mesure où là aussi l'Etat
s'interroge sur la possibilité de faire réaliser par autrui ses
missions de service public avec une meilleure efficacité et un moindre
coût. Nous verrons cependant que l'externalisation n'est pas sans
conséquence lors qu'il s'agit d'aborder la question de la
souveraineté étatique.
6
Il s'agira ensuite de voir que l'étude de
l'externalisation passe aussi par l'analyse des contraintes budgétaires
dans le milieu de la Défense, contraintes qui poussent fortement la
France à s'y intéresser. Cette attirance est d'ailleurs
renforcée par le fait que la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et
l'Australie ont déjà largement recours à des prestataires
privés.
Enfin, nous mettrons en balance les avantages et les
inconvénients de ce processus. Il s'agira précisément
d'étudier les facteurs qui feront de l'externalisation un atout ou une
limite pour celui qui y recourra, en s'arrêtant notamment sur la question
de la culture française et des freins à l'externalisation qu'elle
induit.
Nous espérons qu'au terme de cette étude le
lecteur aura une vision plus claire des enjeux de l'externalisation au XXIe
siècle et comprendra combien il est devenu important de débattre
de ce sujet aux plus hauts niveaux.
7
METHODOLOGIE
Dans le cadre de l'élaboration de ce mémoire,
nous avons procédé à une enquête de terrain durant
les mois de mai et juin 2012. Pendant cette période, nous avons eu la
chance de pouvoir nous entretenir alternativement avec deux catégories
de personnes. La première catégorie est celle des experts de la
question de l'externalisation, qu'ils en soient acteurs (par exemple, dirigeant
d'une entreprise de services de sécurité et de
défense4) ou commentateurs (par exemple, chercheurs,
écrivains, historiens...). La seconde catégorie est celle des
personnes dont la spécialité n'est pas la question de
l'externalisation mais qui y sont confrontés de par les fonctions qu'ils
exercent (militaires, parlementaires...).
Par ailleurs, nous avons pu profiter d'un stage à la
Représentation militaire française auprès de l'Union
européenne (située à Bruxelles en Belgique) durant les
mois de janvier et février 2013 pour étudier le thème de
l'externalisation à un niveau intergouvernemental.
Durant ces deux périodes, nous avons
privilégié une approche qualitative. En l'espèce, nous
avons mené des entretiens individuels à l'aide d'un questionnaire
semi-directif (cf. annexe). L'avantage de cette méthode est double :
elle permet d'orienter la discussion sur des points précis et rend
également possible la comparaison des réponses données par
les différentes personnes interrogées. Cependant, cette
méthode autorise peu les digressions. C'est pourquoi, nous avons
privilégié un questionnaire réduit à dix questions
(cf. annexe I) afin de laisser libre cours aux réflexions des
interviewés.
Enfin, après analyse des réponses données
lors de ces entretiens, nous nous sommes autorisés à recontacter
certaines personnes afin d'éclaircir des points sur lesquels nous
n'avions pas eu le temps de nous appesantir.
4 Nous réutilisons ici le terme
employé par les députés français Christian
Ménard et Jean-Claude Viollet dans leur rapport d'information n°
4350 sur les sociétés militaires privées en date du 14
février 2012.
8
PREMIERE PARTIE - LE MERCENARIAT
Chapitre 1 - Le mercenariat : approche historique
Il peut paraître étonnant d'aborder la question
de l'externalisation en traitant d'abord de l'histoire du mercenariat,
notamment parce que l'amalgame a souvent eu lieu entre la figure du mercenaire
et celle du contractor. Et il est vrai que la différence entre
les deux n'est pas aisée. En témoignent certains personnels de
sociétés de protection (sociétés parfaitement
légales du point de vue du droit international) dont l'allure est
très proche de celle des « chiens de guerre » et autres
Affreux5. Cette confusion des genres tient en partie au fait que le
mercenariat et l'externalisation, bien qu'étant deux
réalités distinctes, entretiennent certains liens dans la mesure
où le mercenariat constitue la première forme historique
d'externalisation.
1 / Définition
« La perversion de la cité commence par la fraude
des mots. », Platon
Le débat autour de l'externalisation est souvent
miné par des rapprochements historiques hasardeux. C'est pourquoi, avant
d'étudier l'histoire du mercenariat, il convient de définir
précisément la réalité que recouvre le terme de
mercenaire.
5 « Au retour de [...] raids, les mercenaires de combats
de choc arrivaient à E'ville dans un état physique
impressionnant. Les vêtements déchirés [...], couverts de
poussière et de cambouis, ils étaient vraiment affreux à
voir, avec leurs crânes rasés, leurs barbes incultes et leurs
visages boursouflés par les piqûres d'insectes. Les colons et les
petits Belges les appelèrent les Affreux. », Pasteger R., Le
Visage des Affreux : les mercenaires du Katanga (1960-1964), Editions
Labor, Bruxelles, 2005, p. 229 (cité dans BRUYERE-OSTELLS Walter,
Histoire des mercenaires - De 1789 à nos jours, Editions
Tallandier, Paris, 2011, p. 152).
A) 9
Etude étymologique
Etymologiquement, « mercenaire » vient du
substantif latin mercenarius, qui tire lui-même son origine du
mot merces. Polysémique, merces signifie tout à
la fois 1) le salaire, la récompense, le prix pour quelque chose ; 2) la
paye, la solde, les appointements ; 3) le loyer, le fermage, le salaire (Le
Grand Gaffiot : dictionnaire Latin - Français, Hachette, 2000).
Dès lors, tout travail réalisé en échange d'une
rémunération peut se voir qualifier de mercenaire.
De même, le mot « soldat » tire son origine
de l'italien soldato, forme substantivée du verbe soldare
qui signifie le fait de « payer une solde »
(Littré, édition 2006). Ainsi, à ce stade, il n'y
a aucune différence de nature entre le mercenaire et le soldat. Ce n'est
plus le cas aujourd'hui, car lorsque les médias parlent des «
soldats français », ils font référence aux militaires
de l'armée française et non à des soldats privés de
nationalité française.
Enfin, il est intéressant de noter que contrairement
au mot latin mercenarius, son équivalent grec
mistophoros, c'est-à-dire celui qui reçoit un
misthos (une solde), n'a engendré aucun nom dans la langue
française. Il faut toutefois noter que ces vocables, bien que d'origines
différentes, entretiennent tous deux une étroite relation
à l'argent.
B) Mercenaire et soldat de fortune
« Il me semble que les choses ne sont en elles-mêmes
ni pures ni impures. »,
Montesquieu, Les Lettres persanes, 1721
Le terme de « soldat de fortune » est
également utilisé pour parler des mercenaires. Alors que le
mercenaire est avant tout motivé par l'appât du gain et
intéressé matériellement, le soldat de fortune chercher
d'abord l'aventure ou obéit à des motifs idéologiques.
Cependant, la distinction entre mercenaire et soldat de
fortune n'est pas aussi simple que cela car elle implique de connaître
les motivations des personnes concernées. Elle invite à explorer
leur intimité. Or, dans les pays condamnant moralement l'accumulation
des
10
richesses, il est plus vraisemblable de trouver des individus
se définissant comme soldats de fortune et non comme mercenaires.
De plus, il est possible d'instrumentaliser l'emploi du nom de
mercenaire. A l'image du terroriste, le mercenaire est toujours mercenaire
« sous le regard de l'autre » (Michel Wieviorka). A titre d'exemple,
les moudjahidin qui s'en vont combattre les « infidèles » dans
le cadre du petit jihâd6 en n'attendant rien d'autre
que de mourir en shahîd7 doivent-ils être vus
comme des mercenaires ou bien comme des soldats de fortune ? En effet, ces
hommes ne se battent pas pour de l'argent mais pour des valeurs, qui même
si elles ne sont pas les nôtres, restent des valeurs qui doivent
être prises en considération. Ils s'appellent d'ailleurs entre eux
« soldats de Dieu » ou « combattants de la foi ».
Dès lors, on aurait tort de les considérer comme des mercenaires
et le vocable de « soldat de fortune » doit aussi leur être
appliqué.
En conclusion, si la distinction entre mercenaire et soldat de
fortune permet de comprendre et d'analyser la réalité, elle est
une simplification qui peut parfois tourner à la falsification.
C) Acception contemporaine
« Ce que l'on conçoit bien s'énonce
clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. », Boileau,
L'Art poétique, 1674
Si l'étude étymologique d'un mot permet souvent
d'apporter un éclairage sur les réalités qu'il recouvre,
la définition donnée au départ du mercenaire n'est pas
totalement satisfaisante au regard des critères contemporains.
D'après le Littré (édition 2006), le «
mercenaire » est soit 1) un ouvrier ou un artisan qui travaille pour de
l'argent ; 2) un étranger qui sert dans une armée pour de
l'argent ; 3) un homme intéressé et facile à corrompre
pour de l'argent. C'est donc la deuxième définition qui sera
l'objet de nos soins, définition qui est d'ailleurs partagée par
d'autres dictionnaires comme le Nouveau Petit Robert (édition
2007) qui considère le « mercenaire » comme un « soldat
professionnel à la solde d'un gouvernement étranger. »
6 Le « petit jihâd » doit être
différencié du grand « jihâd » dans la mesure
où ce dernier concerne le combat du croyant contre lui-même et non
contre autrui.
7 Martyr dans l'Islam, celui qui a sacrifié sa
vie pour voir triompher la parole d'Allah.
11
Malheureusement, ces définitions contemporaines sont
partiellement vraies. Il serait effectivement abusif de considérer tout
soldat vendant ses services pour de l'argent en territoire étranger
comme un mercenaire. Affirmer cela reviendrait à considérer les
membres de la Légion étrangère, de la Legión
Española ou encore les Gurkhas népalais et les Gardes
suisses du Vatican comme des unités mercenaires.
Par conséquent, il n'y a pas à l'heure actuelle
de définition satisfaisante du mercenaire. C'est pourquoi, il convient
de se tourner vers l'histoire pour mieux saisir la réalité que
revêt ce terme.
2 / Le mercenariat : de l'Antiquité à
l'époque moderne
Le capitaine d'un bâtiment de la Royale Navy s'adressant
à Surcouf : « Vous, Français, vous vous battez pour
l'argent. Tandis que nous, Anglais, nous nous battons pour l'honneur ! »
Et Surcouf de répliquer : « Chacun se bat pour ce qui lui manque.
»
S'il arrive si souvent de considérer les
sociétés privées de services de sécurité et
de défense comme des formes actualisées de troupes mercenaires,
c'est avant tout parce que le mercenariat a longtemps été la
seule modalité d'externalisation au sein des forces armées.
Par ailleurs, lorsqu'on porte un regard d'historien sur ce
phénomène, on apprend deux choses. Tout d'abord, que le recours
à des forces armées privées remonte à
l'Antiquité et non à la seconde moitié du XXe
siècle. Ensuite, que le mercenariat, en plus d'être un
phénomène transhistorique, est également un
phénomène « transgéographique » puisqu'on en
retrouve des traces aussi bien en Egypte qu'au Japon.
12
A) L'Egypte antique : berceau historique du
mercenariat
« Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies, Berce de
rêves doux le sommeil des momies. »,
Verlaine, « Nocturne parisien », Poèmes
saturniens, 1866
Si le mercenariat ne semble pas remonter avant
l'Antiquité, c'est selon le journaliste Philippe Chapleau parce les
sociétés primitives n'étaient pas en capacité de
conjuguer « l'industrialisation » (qui détermine le choix des
armes et les tactiques guerrières) et le commerce (qui induit
échanges et prestations tarifées).8 »
Pour autant, si cette explication permet de comprendre
pourquoi le mercenariat n'a pas pu voir le jour durant la Préhistoire
(dont la fin est estimée aux alentours de 3 500 ans avant la naissance
du Christ), elle ne dit pas pourquoi ce phénomène est d'abord
né en Egypte et pas dans une autre région du monde.
D'après certaines études, deux facteurs peuvent être
considérés sérieusement. Le premier facteur est lié
à la répartition de la population. Sous l'Ancien Empire (2815
à 2400 avant J.-C.), l'Egypte est une civilisation essentiellement
agricole et une importante partie des sujets du Pharaon est dévolue aux
travaux des champs. Peu d'hommes sont donc affectés à la
défense du royaume. Le second facteur quant à lui est d'ordre
économique. L'Egypte, parce qu'elle s'affirme comme la puissance la plus
riche de la région, attire la convoitise des pays voisins (Nubie, Libye
et Phénicie) et se heurte également à une autre puissance,
le royaume hittite (actuelle Turquie). C'est pourquoi, les pharaons vont
recourir massivement à des supplétifs étrangers pour
augmenter leurs effectifs militaires « nationaux ».
Ainsi, des milliers de soldats privés originaires du
Soudan, de Syrie et de Palestine servent dans l'armée de
Sésostris III, pharaon de 1881 à 1842 avant J.-C. Toutefois, ce
sont surtout les souverains du Nouvel Empire (1590-1085 avant J.-C.) qui ont
intensifié le recrutement de mercenaires, notamment Ramsès II
(1304-1236 avant J.-C.), qui n'a pas hésité à les
intégrer dans ses quatre corps d'armée. Etonnement, c'est
à l'époque où l'Egypte connaît une période de
régression appelée Basse époque (1085 - 333 avant J.-C.)
que le nombre de mercenaires
8 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de
la guerre - Des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Editions Vuibert, Paris, 2011, p. 52.
13
est le plus important. A ce titre, le pharaon Apriès,
en 569 avant J.-C., possède une armée qui compte 30 000
mercenaires grecs et cariens appartenant soit aux troupes d'élites, soit
aux équipages de rameurs de la flotte égyptienne. Il s'agit
là d'un nombre considérable car, à titre de comparaison,
l'armée d'Alexandre comptera, un peu plus de deux siècles plus
tard, « seulement » 27 300 hommes (24 000 fantassins et 3 300
cavaliers).
B) La Grèce, Rome et Carthage
« Tout empire périra. », Jean-Baptiste
Duroselle
a) La Grèce
Comme nous l'avons vu auparavant, les mercenaires grecs
étaient renommés dans tout le bassin méditerranéen
pour leur professionnalisme. Trois régions sont alors
considérées comme de véritables réservoirs de
guerriers : le Péloponnèse, pour ses hoplites (infanterie
lourde), la Thrace, pour ses peltastes (infanterie légère) et la
Crète, pour ses archers. Parce que les techniques de combat
nécessitent un long apprentissage, notamment le maniement des armes de
jet, le mercenariat permet de disposer rapidement d'une force armée
composée d'hommes endurants aussi bien qu'expérimentés.
Cependant, la Grèce n'a pas été qu'une
pourvoyeuse de mercenaires, elle y a également fait appel. Pour citer
Michel Debidour dans Les Grecs et la guerre (2002) : « D'abord,
on enrôla des esclaves [...]. Et plus encore, on se mit à engager
à prix d'argent des professionnels de la guerre : des mercenaires
(mistophoroï9). » Paradoxalement, on aurait pu
penser que la tradition grecque du « soldat-citoyen »
constituât un obstacle au développement du mercenariat. Or, il
n'en fut rien. Athènes et Sparte y ont ainsi largement recouru.
Cependant, ce processus d'externalisation avant l'heure a également
suscité de vives critiques. En effet, comme le note Jean-Didier Rosi
dans Privatisation de la violence - Des mercenaires aux
sociétés militaires privées (2009), « le
goût des mercenaires pour le pouvoir suscitait pourtant
9 DEBIDOUR Michel, Les Grecs et la guerre, Le
Rocher, Monaco, 2002. Cité par CHAPLEAU Philippe, Les mercenaires.
De l'Antiquité à nos jours, Ouest-France, Rennes, 2006, p.
14.
14
de sérieuses inquiétudes relayées
dès 356 AC par Isocrate comme par Aristophane et
Démosthène.10 » Ces inquiétudes
s'avérèrent fondées puisque vingt ans plus tard, lors de
la bataille du Granique, en 334 avant J.-C., Alexandre le Grand, roi de
Macédoine, dut combattre des mercenaires grecs engagés par le roi
perse Darius III qui avaient servi quelques années plus tôt, pour
Philippe II de Macédoine, son propre père.
Enfin, il faut rappeler que le mercenaire grec le plus
célèbre est sans aucun doute le philosophe athénien
Xénophon (426 - 354 avant J.-C.), qui dans l'Anabase («
montée » vers l'intérieur en venant de la mer), raconte la
campagne menée au profit du Perse Cyrus le Jeune. Ce dernier, cherchant
à détrôner son frère aîné,
Artaxerxès II, sollicita pour renforcer sa propre armée
près de dix mille mercenaires grecs qu'il obtint grâce à
ses bonnes relations avec Sparte. Malheureusement, l'expédition sera un
échec (Cyrus sera tué) et Xénophon et ses compagnons
seront contraints de fuir, sans avoir jamais vu une once du butin promis.
b) Rome
Rome fit appel à des mercenaires aux IIIe et IIe
siècles avant J.-C. Là encore, la raison principale réside
dans le manque d'effectifs « nationaux ». Et pourtant, Rome
connaissait le principe de la conscription obligatoire (chaque citoyen
âgé de dix-sept ans et plus était tenu de servir durant
seize campagnes hivernales s'il était versé dans l'infanterie et
durant dix années, s'il appartenait à la cavalerie11).
A titre d'exemple, en 225 avant J.-C., juste avant la Deuxième Guerre
Punique, l'Armée républicaine pouvait mobiliser 700 000 hommes
parmi lesquels seulement un tiers était de citoyenneté
romaine.
Un autre facteur doit également être pris en
compte, géopolitique cette fois-ci. Plus le territoire
contrôlé par Rome s'étendait, plus il devenait difficile de
faire assurer la défense des frontières par des citoyens romains.
C'est pourquoi, la Ville éternelle fit appel à des soldats des
pays nouvellement conquis pour assurer ce genre de missions. Du
côté des supplétifs, intégrer les légions
romaines présentait un intérêt certain puisque cela pouvait
leur permettre d'acquérir le fameux statut de citoyen.
10 ROSI Jean-Didier, Privatisation de la violence
- Des mercenaires aux sociétés militaires privées,
Editions L'Harmattan, Paris, 2009, p. 23.
11 AYMARD André et AUBOYER Jeannine., Rome
et son empire, Editions Quadrige / PUF, Paris, 1995, p. 97.
15
c) Carthage
S'agissant de Carthage, son recours à des mercenaires
ne fut pas toujours heureux. En effet, à l'époque des guerres
puniques l'opposant à Rome (il y en eut trois en tout), Carthage fit
appel à un nombre croissant de soldats étrangers. Au début
de la Première Guerre Punique (264 - 241 avant J.-C.), l'ancienne
colonie phénicienne comptait dans ses rangs 150 000 hommes. Comme le
déclarent André Aymard et Jeannine Auboyer, « quelle qu'ait
été la population de la ville à cette époque, il
est évident que cette armée ne pouvait être
constituée des seuls carthaginois.12 »
Cependant, quand la guerre prit fin, Carthage perdit la Sicile
qui devint la première province romaine. 20 000 mercenaires
présents sur l'île décidèrent alors de regagner les
côtes d'Afrique pour se faire payer le prix de leurs services.
Ruinée économiquement, Carthage ne put les rétribuer, ce
qui engendra une révolte menée par les mercenaires et
menaçant l'existence même de la ville. C'est seulement en - 237,
soit quatre ans après la fin du conflit, que le général
Amilcar Barca réussit à mater cette rébellion. C'est
d'ailleurs cet épisode qui inspirera le célèbre roman
Salammbô (1862) de Gustave Flaubert.
En conclusion, il faut retenir que le recours au mercenariat
dans l'Antiquité est intimement lié à la question
démographique. A ce titre, les Egyptiens étaient surtout des
agriculteurs et les Carthaginois des marins et des commerçants. Par
conséquent, la survie de ces peuples dépendait étroitement
d'une défense assurée par des supplétifs étrangers.
De plus et d'un point de vue stratégique, le recrutement de mercenaires
était également un moyen pour les cités ou les princes de
disposer quasi instantanément d'une force déjà
expérimentée et aguerrie.
12 Op. cit., p. 34.
16
C) Féodalité et mercenariat
« Plutôt la mort que la souillure. », devise des
ducs de Bretagne
Par féodalité, il faut entendre un
système politique pyramidal où le suzerain, à la
tête de seigneurs qui sont ses vassaux, n'a que très peu de
pouvoir. L'armée dont il dispose est affectée à sa
protection et à celle du territoire qui est sous son autorité
directe.
Chaque année, tout vassal doit à son suzerain
une période de service militaire de quarante jours (appelée
l'ost) et qui consiste en la fourniture de troupes armées. Or,
s'agissant des seigneurs de la « petite noblesse », l'ost
nécessitait de mobiliser la population de leur fief. C'est pour
éviter cette fuite des « forces vives » que les seigneurs
pouvaient remplacer ce service militaire par le paiement d'une somme qui
servait au suzerain à payer des mercenaires et à entretenir une
armée de métier.
Toutefois, c'est surtout durant la Guerre de Cent ans
(1337-1453) que l'on assista à la première institutionnalisation
du mercenariat avec la création des Grandes compagnies, ancêtres
des sociétés militaires privées. La plus
célèbre est sans doute la Compagnie blanche, constituée
par Arnaud de Cervole. François-Xavier de Sidos voit d'ailleurs en ce
personnage un précurseur car « jusque-là, l'offre avait
toujours suivi la demande, les unités mercenaires se formant pour
répondre à un besoin précis.13 » Les
Grandes compagnies opèrent donc un changement paradigmatique puisque
« l'offre devient disponible avant que le besoin ne s'en fasse
sentir.14 » Cette originalité, au fondement d'ailleurs
de tout commerce, servira de base au développement du mercenariat
moderne, à commencer par celui des condottieri.
13 SIDOS François-Xavier, Les soldats
libres. La grande aventure des mercenaires, Editions de l'Aencre, Paris,
2002, p. 87.
14 ROSI Jean-Didier, Privatisation de la
violence - Des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Editions L'Harmattan, Paris, 2009, p. 27.
17
D) La Renaissance italienne : la figure du
condottiere
Deux moines saluèrent John Hawkwood par les mots
suivants : « Allez en paix. » Et le condottiere de répondre :
« Gardez votre paix pour vous, car elle vous est plus nécessaire
qu'à moi, qui vis
de la guerre et dont c'est la vocation. »
Avant d'être le pays unifié que nous connaissons
depuis 1861, l'Italie a d'abord été un territoire partagé
entre des Cités-Etats parmi lesquelles il faut surtout retenir : le
Duché de Milan, la République de Venise, la République de
Florence, la République de Naples et les Etats pontificaux. En raison
des finances qui ne permettaient pas d'entretenir une troupe professionnelle
permanente et en raison de la population qui était insuffisamment
nombreuse pour former une armée citoyenne, l'appel aux condottieri
apparut, dès la fin du XIVe siècle, comme la seule solution
viable d'un point de vue économique et politique. En outre, il faut
noter que les employeurs des condottieri pouvaient être également
des personnes privées comme des corporations de commerçants.
Les condottieri sont venus renforcer le caractère
institutionnel du mercenariat en faisant de ce dernier un service à la
fois légal et commercial. En effet, le condottiere est lié
à son employeur par un contrat, la condotta, passé
devant un notaire. Cet acte notarié précise l'objectif de la
mission, sa durée, et le montant de la prestanza,
rétribution générale allouée au condottiere pour
recruter, entretenir et équiper ses hommes. Les effectifs sont
comptabilisés par « lances » (une lance équivaut
à six hommes). De plus, le condottiere est à la tête d'une
compania et son armée s'appelle d'ailleurs compania di
ventura (« compagnie d'aventure »). Par analogie, c'est le
même terme qui a donné en anglais venture («
entreprise commerciale »).
S'agissant du profil des condottieri, la plupart sont des
étrangers, le plus souvent français ou anglais. Toutefois,
à partir du XVe siècle, on retrouve davantage d'hommes issus de
la noblesse italienne. Certains sont encore célèbres aujourd'hui,
notamment parce qu'ils ont eu entre leurs mains un formidable pouvoir
politique, en sus de leur pouvoir militaire. Citons Francesco Sforza
(1401-1466), qui devint duc de Milan en 1450 (la ville restera aux mains des
Sforza jusqu'en 1535). De même, Sigismondo Malatesta (1417-1468), dont la
vie inspira une pièce de théâtre à Henry de
Montherlant, fut seigneur de Rimini, Cesa et Fano. Enfin,
18
Cesare Borgia (1475-1507), auquel Machiavel fait souvent
référence comme « le prince idéal », eut un
poids politique tellement considérable que le Doge de Venise
écrira à son sujet : « Certains voudraient faire de Cesare
le roi de l'Italie, d'autres le voudraient faire empereur, parce qu'il
réussit de telle façon que nul n'aurait le courage de lui refuser
quoi que ce soit. »
E) Le service étranger suisse
Acriter et fideliter15, devise de la Garde
suisse pontificale
Si pour beaucoup la Garde suisse pontificale n'est pas autre
chose qu'une originalité qu'ils regardent avec un oeil bienfaisant, un
peu à l'image des Welsh Guards protégeant le palais de
Buckingham à Londres, il faut rappeler qu'il s'agit là du dernier
vestige du mercenariat suisse. En effet, la Suisse était à
l'époque médiévale une contrée où
l'économie n'était pas aussi florissante qu'aujourd'hui. Celle-ci
reposait principalement sur l'agriculture, l'artisanat et le commerce. Or,
quand l'hiver arrivait chaque année, beaucoup d'hommes dont le
métier était l'élevage se retrouvaient sans emploi. C'est
pourquoi, les perspectives offertes par le mercenariat ne laissèrent pas
indifférents. D'ailleurs, les Suisses excellaient dans le combat
à pied. La victoire en 1315 à Morgarten (au sud de Zurich) de
quelque mille cinq cents paysans helvètes contre 4 000 à 8 000
soldats de l'armée des Habsbourg leur assura une solide
réputation.
Curieusement, ce ne sont pas des compagnies qui
géraient ces mercenaires mais les autorités publiques. En effet,
comme le rapporte Philippe Chapleau, « le service étranger
était une véritable affaire d'Etat, les cantons puis la
Confédération imposant un contrôle strict sur les
recrutements et se transformant eux-mêmes en entrepreneurs militaires qui
sous-traitaient les levées à des agents professionnels,
confiaient les unités à des capitaines et en retiraient des
profits substantiels. Ainsi, dans le Valais, les pensions
étrangères ont longtemps permis de ne pas lever
d'impôts.16 »
15 « Courage et fidélité ».
16 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs
de la guerre : des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 54-55.
19
Au final, la Suisse fut l'un des pays les plus pourvoyeurs de
mercenaires. On en retrouvait aussi bien en Italie, qu'en Espagne ou encore en
France. Dans ces conditions, il n'était pas rare que des mercenaires
suisses s'affrontassent. Ainsi, la bataille de Malplaquet, qui eut lieu en 1709
au cours de la guerre de Succession d'Espagne, vit s'affronter les troupes du
Royaume de France contre celles de la Grande Alliance (Archiduché
d'Autriche, Provinces-Unies, Royaume de Grande-Bretagne). Durant cette
bataille, huit mille mercenaires suisses périrent, par respect du
contrat signé.
F) Les corsaires
« L'homme né pour la liberté, sentant qu'on
cherche à l'asservir, aime souvent mieux se faire corsaire que de
devenir esclave. », Beaumarchais
Historiquement, la tradition corsaire serait anglaise et
remonterait à 1243. Le roi Henri III Plantagenêt aurait alors
accordé la première Letter of Marquee ou Lettre de
Course17. Toutefois, ce sera surtout aux XVe, XVIe et XVIIe
siècles que ce nouveau type de mercenariat fleurira.
Cependant, avant d'étudier la réalité de
ce phénomène, il convient de bien comprendre la différence
qui existe entre un corsaire et un pirate. Dans le cas de la course, le roi
délègue à un armateur le droit d'armer un bateau et un
équipage. Le corsaire est donc un mercenaire au sens noble du terme.
Pour reprendre la formule latine de Wolf, non privatum, sed publicum bellum
gerunt (« ils ne font pas leur guerre privée, mais la guerre
nationale à titre privée »). C'est pourquoi, une fois le
navire de course arrivé au port, un juge de paix répartissait le
butin entre le corsaire, l'armateur18 et le royaume. A
l'opposé, le pirate est un hors-la-loi des mers. Il n'a pas de pavillon
de nationalité et s'attaque aux navires de commerce dans son seul
intérêt.
Par ailleurs, il est possible de recenser deux raisons
à l'origine de la course. Tout d'abord, les corsaires étaient des
gens normaux, c'est-à-dire des marins ou des pêcheurs qui ne
17 CHAPLEAU Philippe, Les mercenaires : De
l'antiquité à nos jours, Editions Ouest-France, Rennes, p.
29.
18 Il arrivait parfois que le corsaire et l'armateur
fussent la seule et même personne (exemple : Robert Surcouf).
20
pouvaient plus exercer leur activité habituelle en
temps de guerre et qui se reconvertissaient momentanément dans la chasse
au butin. Ensuite, le développement des corsaires fut principalement la
conséquence d'une volonté du pouvoir royal. En France, il faudra
attendre 1630 et Richelieu pour voir se créer une véritable
marine militaire. Auparavant, le roi de France faisait la guerre avec des
particuliers, moyennant un intéressement aux résultats. Ce fut le
cas de François Ier (1494-1547) qui, cherchant à briser le
monopole des Espagnols, aida l'armateur normand Jean Ango (1480-1551) à
armer des navires français. Toutefois, même en présence
d'une marine royale, Louis de Pontchartrain, Secrétaire d'Etat à
la Marine à partir de 1690, encouragera systématiquement la
guerre de course. En Angleterre, la reine Elisabeth (1533 - 1603) utilisa les
corsaires pour d'une part, ne pas ruiner le développement
économique de son pays dans l'établissement d'une flotte
gigantesque, et pour d'autre part, saper les fondements de la puissance
espagnole dont la richesse provenait principalement des cargaisons d'or du
Nouveau monde.
Il faut également rappeler que les corsaires n'avaient
pas mauvaise réputation comme ce fut le cas par la suite. Au contraire,
ils étaient vus comme des héros et récompensés
comme tels. Outre-Manche, Francis Drake (1545-1596) et Walter Raleigh
(1552-1618) furent anoblis par la reine et finirent vice-amiraux d'Angleterre.
S'agissant de la France, Jean Bart (1650-1702), célèbre corsaire
dunkerquois, fut décoré de l'ordre de Saint-Louis et termina sa
vie au rang de chef d'escadre de la Marine royale, soit l'équivalent
d'un contre-amiral aujourd'hui. Autre exemple, Robert Surcouf (1773-1827),
corsaire malouin, fut décoré de la légion d'honneur.
En conclusion, s'il est vrai que la course fut une
réussite économique19 qui permit de pallier l'absence
de marine royale, elle ne fut pas pour autant une réussite sur tous les
plans. D'un point de vue militaire, la course n'a jamais permis de remporter de
guerres, pour la bonne et simple raison que les corsaires s'attaquaient
principalement aux navires de commerce. D'autre part et d'un point de vue
éthique, la course fut critiquée par les philosophes des
Lumières et les autorités religieuses parce qu'elle frappait des
particuliers, c'est-à-dire des victimes innocentes.
19 Robert Surcouf fera vaciller l'économie
anglaise en capturant au total une cinquantaine de navires de commerce.
21
G) Le mercenariat : un phénomène «
transgéographique »
« Si vous n'avez pas été rônin sept
fois, vous ne pourrez revendiquer le titre véritable de samouraï.
Trébuchez et tombez sept fois, mais relevez-vous à la
huitième. », Yamamoto Jocho, Hagakure, 1706-1709
Si le mercenariat est un phénomène qui traverse
les temps, il traverse également les continents.
Le cas du Japon à l'époque
féodale20 est particulièrement intéressant. En
effet, le Yamato est célèbre pour sa tradition guerrière,
également appelée bushido ou « voie du guerrier
». Comme au Moyen Age français, l'autorité militaire
suprême (le shogun) est à la tête de seigneurs (les
daimyo). Ces seigneurs vivent dans des fiefs et disposent de troupes
armées. Cependant, tous les guerriers professionnels japonais ne sont
pas des samuraï, certains sont aussi des ronin,
c'est-à-dire des samuraï sans maître.
Plusieurs raisons expliquent l'apparition des ronin dans
le paysage traditionnel japonais.
Tout d'abord, le ronin pouvait avoir
été exclu du clan pour faute grave. Il était alors
considéré comme un hors-la-loi (heimon). Cette
dégradation avait lieu lors d'une cérémonie
(monzen-barai) où le samurai se voyait supprimer sa
solde, confisquer ses sabres21, et conduire à la porte du
château dans lequel il avait servi.
Le ronin pouvait également se retrouver dans
cette situation soit parce qu'il ne trouvait plus d'emploi, soit à la
suite de la destruction de la famille de son seigneur (par défaite
militaire ou disgrâce impériale). Alors libéré de
ses engagements, il menait une vie d'errance, se lançant sur les routes
où il pouvait devenir aussi bien un bandit qu'un redresseur de torts au
service des faibles, ou encore un combattant lançant des défis
aux experts en arts martiaux (on parlait alors de musha-shugyo, «
l'errance du samuraï » ou « la quête du guerrier
»22).
20 La féodalité au Japon dura sept
siècles. Elle commença avec l'ère Kamakura en 1185 et se
termina à la fin de l'ère Edo en 1868 avec la restauration
Meiji.
21 Les samurai portaient traditionnellement une
paire de sabres appelée daisho, « grand, petit » : un
sabre long (katana ou o-dachi) associé à un
sabre court (wakizashi ou ko-dachi).
22 Ce fut le cas notamment de Miyamoto Musashi
(1584-1645), célèbre auteur du traité de stratégie
Go rin no sho (Traité des cinq roues).
22
D'autres ronin devinrent également gardes du
corps (yojimbo23), gardiens de temples ou de villages qui,
dans l'insécurité permanente, arrivaient parfois à se
payer leurs services24.
Enfin, le ronin pouvait devenir un mercenaire
(watari-kashi). Ainsi, lorsque Toyotomi Hideyori, fils de Toyotomi
Hideyoshi25, eut à défendre en novembre 1614 son
château d'Osaka, il engagea des dizaines de milliers de ronin
pour renforcer ses troupes.
Pour terminer sur ce sujet, le statut de ronin, qui
pouvait mener parfois à celui de mercenaire, était le plus
souvent le fruit de circonstances indépendantes de la volonté du
samuraï qu'un choix propre. Toutefois, cette situation pouvait
être recherchée par certains car il s'agissait d'une
expérience que tout bon samuraï se devait de vivre au
cours de sa vie, fidèle au proverbe Shichi ten hakki («
tomber sept fois et se relever huit »).
En conclusion, cette première approche historique a
permis de voir que si le mercenariat n'était pas consubstantiel à
la guerre elle-même, il pouvait tout de même se prévaloir de
5 000 ans d'existence. En outre, si l'émergence des Etats-nations
à partir de la fin du XVIIIe siècle a pu faire croire que le
temps des mercenaires appartenait au passé, il faut souligner, à
l'instar de Walter Bruyère-Ostells 26 , que la pratique du
mercenariat ne s'éteint pas après la Révolution. Elle
demeure, mais on préfère parler de « régiments
étrangers » ou de « légions ».
23 Yojimbo (1961) est aussi un film
d'Akira Kurosawa racontant l'histoire d'un ronin (joué par Toshiro
Mifune) arrivant dans une petite ville où deux clans mafieux s'opposent
pour gagner le pouvoir. Le ronin, par sa ruse et ses qualités
de bretteur, parvient à se faire engager par les deux partis, les fait
s'entretuer et ramène finalement la paix dans le village.
24 Sur ce sujet Akira Kurosawa réalisa
également un film : Les Sept Samouraïs (1954), qui
inspirera six ans plus tard Les Sept Mercenaires (1960) de John
Sturges.
25 Toyotomi Hideyoshi (1536-1598) fut le
deuxième des trois unificateurs du Japon durant la période
Sengoku : Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu.
26 BRUYERE-OSTELLS Walter, Histoire des
mercenaires - De 1789 à nos jours, Editions Tallandier, Paris,
2011
23
3 / Le mercenariat à l'époque
contemporaine
« Les petits hommes qui gouvernent, Ils font la pluie et le
beau temps. Ils ont de l'or et des casernes, Mais leur pouvoir n'aura qu'un
temps. N'écoutez pas les tortionnaires Trahir n'est pas dans leur mandat
Vous n'êtes pas des mercenaires, Mais des Français, peuple et
soldats. Gloire au grand jour de la Commune, Peuple et soldats main dans la
main. La République il n'en est qu'une, Celle du peuple souverain.
», Chant de la Commune
Le mercenariat au XIXe siècle se caractérise
surtout par un exil des soldats européens partout dans le monde.
Plusieurs raisons expliquent cette « diaspora ». Tout d'abord, il y a
ceux qui partent servir à l'étranger car ils ne peuvent plus
servir sur le territoire national. Ce fut le cas notamment des Emigrés
qui fuirent la Révolution française27 ou encore des
anciens soldats de la Grande Armée après 1815. Dans d'autres cas,
l'exil pouvait être provoqué par la pauvreté voire la
misère. Par exemple, entre 1815 et 1845, un million d'Irlandais franchit
l'Atlantique. Entre 1845 et 1854, la Grande Famine provoque 2,3 millions de
départs supplémentaires (80% de ces nouveaux émigrants
s'installèrent en Amérique, dont 63% aux Etats-Unis). Ainsi,
durant la guerre de Sécession (1861-1865), on retrouva des Irlandais
dans les deux camps, mais surtout chez les Nordistes. Enfin, il pouvait tout
simplement s'agir d'un exil provoqué par l'appât du gain.
Par ailleurs, et comme nous l'avons mentionné plus
haut, le XIXe siècle fut surtout le temps des révolutions
nationales sur les continents européen et américain. Dans ce
contexte, de nombreux soldats furent appelés pour former et encadrer les
armées en cours de création, voire pour soutenir les mouvements
révolutionnaires eux-mêmes. Par souci de concision, nous nous
intéresserons ici au plus emblématique des mercenaires de
l'époque, celui qui fut appelé le « héros des Deux
Mondes », à savoir Giuseppe Garibaldi (1807-1882).
27 Entre 1789 et 1800, la France voit environ 140 000
personnes quitter le territoire en raison des troubles
révolutionnaires.
24
A) Garibaldi, mercenaire au service de la
liberté
« Je n'offre ni argent, ni maison, ni nourriture ; j'offre
seulement la faim, la soif, les marches forcées, les batailles et la
mort. Que celui qui aime son pays de tout son coeur, et non pas seulement du
bout des lèvres, me
suive. », Giuseppe Garibaldi
Si le cas de Garibaldi est particulièrement
intéressant, c'est avant tout parce qu'il incarne parfaitement la notion
de soldat de fortune. En effet, toute sa vie durant, ce natif de Nice, encore
italienne à l'époque28, fut un combattant inlassable
au service de la liberté et de l'indépendance des peuples.
En mars 1833, Garibaldi rencontra Giuseppe Mazzini, dirigeant
de la Giovine Italia (la Jeune Italie), mouvement républicain
et unitaire. Au début de l'année suivante, les deux hommes
projetèrent de s'emparer de l'arsenal de Gênes. La conspiration
échoua. Condamné à mort, Garibaldi dut fuir et gagna
l'Amérique du Sud, où il mènera une vie d'aventures et de
combats. De 1837 à 1841, il fut au Brésil aux côtés
de l'armée de la jeune république du Rio Grande do Sul, en lutte
pour son indépendance contre l'autorité centrale de l'empereur
brésilien. Il y commanda la « flotte », alors composée
de seulement deux bâtiments ! En 1842, il rejoignit l'Uruguay,
république fondée en 1830 au prix d'une longue guerre
d'indépendance contre l'Argentine. Toutefois, le dictateur argentin
Rosas n'avait pas renoncé à ses prétentions sur ce
territoire. Garibaldi combattit donc sur terre et sur mer les forces
conjuguées de l'Argentine et de l'Angleterre (1841-1846). C'est
d'ailleurs durant la défense de Montevideo en 1843 et en l'absence de
vrais uniformes pour vêtir sa légion de volontaires italiens, que
Garibaldi fit distribuer à ses hommes des tuniques de drap rouge
destinées aux saladeros (ouvriers des abattoirs et saloirs
argentins), faisant ainsi de la chemise rouge le symbole des combattants de la
liberté (les camicie rosse). Toutefois, c'est surtout en 1846,
après la bataille de San Antonio del Salto qui opposa 168 volontaires du
condottiere républicain à une armée argentine forte d'un
millier d'hommes, que Garibaldi bâtit sa propre légende.
Rentré en juin 1848 à Nice à l'annonce
des premiers frémissements révolutionnaires, Garibaldi mit son
épée au service du royaume de Sardaigne (qui deviendra par la
suite le
28 Ce n'est qu'en 1860, avec le traité de
Turin, que Nice fut rattachée au territoire français.
25
royaume d'Italie), non pas parce qu'il avait cessé
d'être républicain, mais parce que la priorité était
de chasser l'envahisseur autrichien. Garibaldi se lança donc dans ce
qu'on appellera plus tard la première guerre d'indépendance
italienne (1848-1849). Celle-ci ne tourna cependant pas à l'avantage du
roi de Sardaigne Charles-Albert (père de Victor-Emmanuel II) qui signa
un armistice avec l'Autriche le 9 août 1848. Garibaldi refusa cependant
de cesser les combats. Il décida de se rendre à Rome avec sa
légion pour défendre la jeune République romaine.
Malheureusement, il ne put l'emporter face aux assauts conjugués des
Autrichiens, des soldats des Bourbons de Naples et du corps
expéditionnaire français du général Oudinot. Il
prit le chemin de l'exil et ce n'est qu'en 1854 qu'il fut autorisé
à rentrer à Nice. A partir de là, il reprit la lutte
durant la deuxième guerre d'indépendance italienne (1859) qui
aboutit à la réunion de la Lombardie au royaume de Sardaigne et
posa les bases de la constitution du royaume d'Italie.
Au final, si la vie de Garibaldi peut être difficilement
résumée en quelques mots, il est toutefois possible de voir dans
son parcours l'illustration d'un combattant engagé, d'un soldat qui mit
ses armes au service d'intérêts supérieurs et non
d'intérêts particuliers. En cela, Garibaldi est le héraut
des mouvements de volontaires internationaux qui verront le jour au XXe
siècle.
B) D'André Malraux à Jacques Doriot : la
figure du volontaire international
« Je vois dans l'Europe une barbarie attentivement
ordonnée, où l'idée de la civilisation et celle de l'ordre
sont chaque jour confondues. », André Malraux, La Tentation de
l'Occident, 1926
a) André Malraux
Si Garibaldi fut le héros du Nouveau Monde et de
l'Ancien, Malraux fut certainement le héros de l'antifascisme et de la
culture. En effet, celui qui obtint le prix Goncourt pour La Condition
humaine en 1933 s'engagea concomitamment dans le mouvement antifasciste.
Et il ne s'agissait pas ici d'une posture que tant d'autres écrivains
ont pu se donner à un moment donné de leur carrière. Pour
citer Cary Grant dans Notorious (1946) d'Alfred Hitchcock :
26
Actions speak louder than words29. Ainsi,
lorsque la guerre d'Espagne éclata en 1936, opposant le camp des
nationalistes à celui des républicains, Malraux organisa et prit
le commandement d'une escadrille internationale appelée
España, jusqu'en février 1937. Il l'a fit équiper
d'une vingtaine de Potez 540 et en prit la tête au rang de colonel. Par
ailleurs, même s'il ne pilota pas, Malraux participa aux combats
aériens et aux bombardements avec un courage incontesté, et
permettra aux républicains espagnols d'attendre l'arrivée des
brigades internationales. Le héros intellectuel était devenu
homme de guerre, et il poursuivra son effort pour la cause républicaine
par la littérature (cf. L'Espoir, 1937), les conférences
et le cinéma. Enfin, la victoire finale de Franco n'ôtera pas
à l'intervention des volontaires français dans la guerre
d'Espagne son caractère emblématique.
b) Jacques Doriot
Parallèlement, un autre Français s'engagea comme
volontaire international, mais du côté du fascisme cette fois-ci.
Il alla même jusqu'à y laisser sa propre vie. Il s'agit de Jacques
Doriot, dont l'histoire a peut-être trop vite oublié le nom, sans
doute parce qu'il était de gauche (comme Marcel Déat
30 d'ailleurs) et que dans l'inconscient collectif français,
les collaborateurs ne pouvaient qu'être de droite, et même
plutôt d'extrême-droite31. Après la
défaite française, l'ancien membre du comité central du
Parti Communiste français se prononça pour la collaboration avec
l'Allemagne et condamna les réticences du gouvernement de Vichy. Intime
de l'ambassadeur allemand en France Otto Abetz, Jacques Doriot fonda avec
Marcel Déat la Légion des volontaires français contre le
bolchevisme (LVF) et partit combattre sous l'uniforme allemand sur le front de
l'Est en septembre 1941. Il servit dix-huit mois au total pour l'Allemagne
nazie et fut décoré de la Croix de fer.
29 « Les actions parlent plus que les mots. »
30 Agrégé de philosophie, auteur du
célèbre article « Mourir pour Dantzig ? » publié
le 4 mai 1939, Marcel Déat devint le fondateur en 1941 du Rassemblement
national populaire, parti collaborationniste se déclarant socialiste et
européen.
31 Il s'agit là d'une opinion commune
partagée par beaucoup. Heureusement pour la vérité
historique, l'Israélien Simon Epstein a montré dans Un
paradoxe français : Antiracistes dans la Collaboration,
antisémites dans la Résistance (2008) que les choses
étaient plus complexes que cela. Par ailleurs, l'autobiographie de
Daniel Cordier (Alias Caracalla, 2009) raconte très bien
comment on pouvait à la fois appartenir à l'Action
française et terminer dans la Résistance comme secrétaire
de Jean Moulin.
27
Au final, les deux exemples cités
précédemment montrent bien que la distinction entre le mercenaire
et le soldat de fortune/volontaire international ne va pas de soi. En effet,
s'il est difficile de voir dans la conduite d'André Malraux celle d'un
mercenaire, il faut alors dire la même chose dans le cas de Jacques
Doriot. C'est pourquoi, il serait très dangereux de voir dans le
volontaire international la figure désintéressée voire
vertueuse du mercenaire.
C) L'après-Seconde Guerre mondiale :
l'apparition du mercenariat entrepreneurial
« Dans les années d'après guerre, les
services avaient largement puisé dans les milieux mercenaires,
même plus, ils les avaient encouragés. Pas un coup d'Etat en
Afrique sans mercenaire français. A l'heure de la décolonisation,
le service s'était créé une main gauche efficace. Ce petit
pool `d'Affreux' exécutera toutes les besognes qui répugnaient
à la main droite. », Frank Hugo et Philippe Lobjois,
Mercenaires de la République, 2009
Comme nous l'avons fait remarquer auparavant, le recours
à des forces armées privées ne date pas de la seconde
moitié du XXe siècle. Toutefois, il faut rappeler le rôle
majeur joué par l'Angleterre et les Etats-Unis dans l'apparition du
mercenariat entrepreneurial.
a) David Stirling et les SAS
Le colonel Sir David Stirling peut être
considéré comme le « père fondateur » des
sociétés militaires privées (SMP). En 1941, il créa
l'unité des forces spéciales britanniques la plus
célèbre du monde : le Special Air Service (SAS). S'il
s'agit là de troupes régulières, le SAS constituera un
véritable vivier pour les futures SMP. Deux d'entre elles furent
d'ailleurs fondées par le colonel Stirling en 1966 : Watchguard
International Limited (sécurité) et Capricorn (transport
aérien). Watchguard s'occupe principalement de former et d'encadrer des
forces spéciales d'autres pays mais intervient également lors
d'opérations contre les rebelles de pays du Moyen-Orient (par exemple au
Yémen), en Afrique, en Amérique latine, etc. Elle reste toutefois
étroitement liée au pouvoir anglais et travaille aussi pour le
compte des services secrets britanniques (MI6).
28
L'exemple du colonel David Stirling amena des anciens des SAS
à faire de même. Ainsi, en 1983, le lieutenant-colonel Ian Crooke,
ancien commandant du 23e Régiment SAS, créa Kilo Alpha
Services (KAS). Deux vétérans des SAS, Arish Turle et Simon
Adams-Dale fondèrent la désormais célèbre Control
Risks. Enfin, comme le rappelle Philippe Chapleau, « Les
sociétés Keenie Meenie Services (KMS) et Saladin Security,
dirigées respectivement par le major David Walker et le Major Andrew
Nightingale, ont installé leurs bureaux à deux pas du QG du
22e régiment du SAS. La société J. Donne
Holdings, lancée par un spécialiste du contre-espionnage, le SAS
Harclerode, a travaillé pour les Libyens. La plus puissante de ces
sociétés, Defense Systems Limited (DSL), a été
fondée, en 1981, par un ancien du SAS, Alastair Morrison. [...] Toutes
ces sociétés étaient bien `privées' mais elles
étaient, en réalité, au service de Sa
Majesté.32 »
b) Claire Chennaut et les Flying Tigers
En 1946, l'officier supérieur Claire Chennaut, ancien
chef des Tigres volants33 fonde une petite société de
transport aérien, la Civilian Air Transport (CAT). Celle-ci a pour
fonction d'alimenter en vivres mais aussi en armes les régions tenues
par les forces du Kuomintang de Tchang Kaï-chek. Beaucoup de pilotes de
cette compagnie sont d'ailleurs d'anciens Tigres volants. En 1950, la CAT passe
sous le contrôle de la CIA, qui, pour maintenir une apparence de
société civile, continue d'assurer des vols réguliers dans
toute l'Asie (Hong Kong, Japon, Corée, Philippines...), tout en
utilisant certains avions de la flotte pour assurer des missions
secrètes. La CAT est également utilisée lors de la guerre
de Corée et lors de la guerre d'Indochine34. En 1959, la CAT
est réorganisée sous le nom d'Air America et assure des
opérations sous couverture durant toute la guerre du Vietnam.
Par ailleurs, l'entreprise CAT n'est pas un cas isolé.
DynCorp, société créée en 1946 et aujourd'hui l'une
des plus importantes SMP, commença par assurer des missions de transport
aérien pour les armées US sous le nom de California Eastern
Airways Inc. (CEA). De plus, la guerre du Vietnam vit se multiplier le nombre
de prestataires privés. A ce titre et comme le
32 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 64.
33 Les Tigres volants (en anglais Flying
Tigers) était le surnom donné à une escadrille de
pilotes volontaires américains. Basée en Chine durant la Seconde
Guerre mondiale, elle participa à la guerre sino-japonaise et à
la campagne de Birmanie avant d'être incorporée à l'United
States Army Air Forces.
34 Deux pilotes de CAT furent d'ailleurs tués
durant la bataille de Dien Bien Phu en mai 1954.
29
rappelle Philippe Chapleau, « PAE (Pacific Architects and
Engineers), société de génie civil fondée en 1955,
a travaillé sur quelque 120 sites vietnamiens et employé
près de 25 000 personnes qui construisaient des camps pour l'US Army et
les entretenaient.35 » Et d'ajouter, « Vinnell (une
filiale de Northrop Grumman, connue pour ses activités de formation de
la Garde nationale d'Arabie saoudite et de la nouvelle armée d'Irak) est
à l'origine une entreprise de travaux publics fondée en 1931 ;
ses liens avec le Pentagone datent des années 1960 et de la guerre au
Vietnam.36 »
En conclusion, l'exemple des sociétés militaires
privées anglo-saxonnes nous apprend que la frontière entre le
monde des entreprises et celui des armées n'est pas étanche. De
multiples coopérations sont possibles. De façon étonnante,
alors que la plupart des spécialistes français du milieu
défense s'accordent pour une externalisation « raisonnée
», c'est-à-dire une externalisation qui ne concerne pas des
domaines jugés stratégiques, il faut constater que les
Anglo-Saxons n'hésitaient pas, dès les années 1940,
à sous-traiter à des sociétés privées des
missions hautement sensibles. Toutefois, il faut concéder que dans le
cas des SMP anglaises et américaines, les dirigeants sont toujours des
vétérans et souvent d'anciens officiers supérieurs. Dans
ces conditions, l'externalisation en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ne doit
pas être vue comme un processus irréfléchi mais
plutôt comme une possibilité d'élargissement des moyens
d'actions en matière de défense et de sécurité
nationale.
Parallèlement, la France a également eu recours
à des mercenaires après la Seconde Guerre mondiale. De
façon étonnante, cet épisode n'a pas
débouché, comme dans le cas de la Grande-Bretagne et des
Etats-Unis, sur l'établissement d'un véritable réseau
d'entreprises privées de sécurité et de défense. Le
futur développement essaiera donc d'établir pourquoi le
modèle français n'a pas suivi la même trajectoire que ses
cousins anglo-saxons.
35 CHAPLEAU Philippe, Sociétés
militaires privées. Enquête sur les soldats sans
armées, Le Rocher, Monaco, 2005, p. 70.
36 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 57-58.
30
c) Bob Denard : le « sultan blanc des Comores37
»
Si les Anglais peuvent se vanter d'avoir eu David Stirling, la
France peut également se glorifier d'avoir eu Bob Denard. Toutefois,
elle ne semble pas particulièrement fière de celui qui se
définissait lui-même comme un « corsaire de la
République 38 », comme s'il représentait à
lui seul un « passé qui ne passe pas 39 ». Or, il
est intéressant de se demander comment on a pu passer d'un Bob Denard
dont les compétences étaient requises dans le cadre de la
politique étrangère française à un Bob Denard dont
le nom ne doit surtout pas être prononcé.
Pour commencer, Bob Denard est à l'origine de
l'organisation en 1979 de la Garde Présidentielle des
Comores40, forte de 600 Comoriens. Comme le rappelle
François-Xavier Sidos41 lors d'une conférence
s'étant tenue le 22 novembre 2012 à Sciences Po Aix, cette
unité militaire est équipée et financée par
l'Afrique du Sud (de 1979 à 1989) sur des budgets militaires (deux tiers
provenant de la South African Defence Force) et diplomatiques (un
tiers provenant du ministère des Affaires étrangères), et
cela en échange d'une station d'écoute42. Cette
opération se fait en total accord avec la France car la
République Fédérale Islamique des Comores permet de
contourner l'embargo international qui pèse sur l'Afrique du Sud. De
plus, la Garde Présidentielle est encadrée par une poignée
d'officiers européens dont d'anciens cadres formés en France (y
compris au Groupe d'Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN)). Au final,
cette organisation est contrôlée par les services français
et sud-africains avec une antenne à Paris, une autre à Pretoria
et une unité opérationnelle à Moroni (capitale des
Comores) à partir de laquelle des opérations clandestines sont
montées.
Toutefois, à partir de 1989, le vent tourne pour Bob
Denard. Cette année-là, le président Ahmed Abdallah est
abattu dans son bureau. Son décès est imputé au mercenaire
qui sera finalement acquitté. Said Mohamed Djohar devient alors
président par intérim jusqu'au 11 mars 1990, date à
laquelle il est élu président dans des élections
contestées face à Mohamed Taki Abdulkarim. Il décide alors
de chasser Bob Denard et ses mercenaires. Cinq années plus
37 Titre d'un documentaire diffusé sur France O
le 9 juin 2012 et réalisé par Laurent Boullard.
38 Denard Bob, Corsaire de la
République, Fixot, Paris, 1999
39 L'expression est également le titre d'un
ouvrage d'Eric Conan et d'Henry Rousso sur la période vichyste.
40 Les Comores sont un ancien protectorat
français.
41 Ancien officier de la Garde Présidentielle
des Comores sous les ordres de Bob Denard.
42 Le Mozambique est alors plongé dans une
guerre civile depuis 1977 et l'Afrique du Sud soutient l'un des deux
belligérants, à savoir la ReNaMo (Résistance nationale du
Mozambique).
31
tard, dans la nuit du 27 au 28 septembre, le « corsaire
de la République » débarque avec une trentaine d'hommes sur
les côtes comoriennes et renverse le président Djohar. A la suite
de quoi, Bob Denard met en place un comité militaire de transition qui
remet le pouvoir à deux membres de l'opposition, Mohamed Taki Abdulkarim
et Saïd-Ali Kemal. Une semaine après et suite aux protestations de
la communauté internationale, la France lance l'opération
militaire Azalée qui s'achève par l'arrestation le 6
octobre de Bob Denard et de son équipe. Curieusement, le
président Djohar est exilé « pour sa sécurité
» à la Réunion. Il ne regagnera jamais la présidence.
En 1996, Mohamed Taki Abdoulkarim est élu président de la
République fédérale islamique des Comores.
Le 20 juin 2006, la 14e chambre du Tribunal
correctionnel de Paris a rendu un jugement concernant vingt-sept
prévenus, dont Bob Denard. Malgré la gravité des faits
reprochés (il s'agit d'un coup d'Etat militaire), il faut
s'étonner que toutes les peines prononcées n'aient
été que des peines avec sursis. Sans doute faut-il y voir
l'incapacité des juges à clairement démontrer la part de
responsabilité de Bob Denard dans cette affaire. Agissait-il de son
propre chef ou était-il un simple exécutant ? La réponse
n'est pas évidente car le jugement fait valoir les faits suivants :
« Il est évident que les services secrets français avait eu
connaissance du projet de coup d'Etat conçu par Robert Denard, de ses
préparatifs et de son exécution ». Et d'ajouter, « Il
est tout aussi manifeste qu'au moins ils n'avaient rien fait pour l'entraver et
qu'ils l'avaient donc laissé arriver à son terme. En
conséquence, c'est que les responsables politiques l'avaient
nécessairement voulu ainsi ».
En conclusion, il faut noter que la collaboration entre les
services français et Bob Denard n'a pas été aussi
fructueuse que dans le cas des pays anglo-saxons. Cet échec est
d'ailleurs sans doute ce qui a durablement occulté le débat
français puisque dès lors qu'on parlait de recours à des
sociétés privées pour assurer la formation de troupes
militaires étrangères, l'association avec les coups d'Etat de Bob
Denard et la « Françafrique » était
systématique. Et même si les mentalités ont
évolué, le poids de cette histoire demeure encore bien
présent. Comme le disait l'un des protagonistes du film Magnolia
(1999) de Paul Thomas Anderson : « Même si nous en avons fini
avec le passé, le passé lui, n'en a pas fini avec nous. »
Pour terminer sur cette approche historique, il convient de
souligner l'hétérogénéité du mercenariat. Si
le terme de « mercenaire » est de nos jours galvaudé, une
brève étude
32
historique démontre que les choses sont plus complexes.
Penser le contraire reviendrait à nier la dimension héroïque
de nombreux mercenaires : Xénophon, Surcouf, Garibaldi, Malraux...
« La vérité pure et simple est rarement pure et jamais
simple » écrivait Oscar Wilde. Par ailleurs, on pense souvent que
le mercenariat a profité de l'inexistence du droit. Cette idée
doit être combattue. En effet, les condottieri étaient liés
par la condotta, les corsaires par la lettre de marque, etc. Par
conséquent, il apparaît plus pertinent de parler d'une
évolution légale allant dans le sens de la condamnation du
mercenariat plutôt que d'une création ex nihilo d'un
cadre juridique répressif.
Chapitre 2 - Le mercenariat : approche
légale
Dans les années d'instabilité qui ont suivi la
décolonisation, le droit international s'est particulièrement
intéressé au mercenariat, considéré comme un
instrument de déstabilisation politique. Au niveau national, les Etats
ont également légiféré. Enfin, les six
dernières années ont vu naître une volonté
internationale de standardisation des pratiques des ESSD à travers
l'adoption de chartes éthiques qui, en l'absence de portée
juridique contraignante, contribuent néanmoins à éloigner
l'accusation de mercenariat qui pèse souvent sur ces
sociétés.
1 / La notion de mercenaire au regard du droit
international
« Considérer toujours autrui comme une fin en soi et
non comme un moyen. », Kant, Fondements de la
métaphysique des moeurs, 1785
Trois conventions internationales ont eu pour objet le
mercenariat. Les deux premières furent adoptées en 1977 et eurent
pour mission de définir la notion de mercenaire afin que celui-ci ne
bénéficiât pas du statut de « combattant » ou
« du prisonnier de guerre ». La troisième convention fut
adoptée en 1989 et fut la première à criminaliser le
mercenariat.
33
A) Le premier protocole additionnel aux Conventions de
Genève du 12 août 1949, 8 juin 1977
Le 8 juin 1977, la Conférence diplomatique sur la
réaffirmation et le développement du droit international
humanitaire applicable dans les conflits armés (Genève 1974-1977)
adoptait deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12
août 1949 relatifs à la protection des victimes de la guerre. Le
premier protocole donne une première définition du «
mercenaire » en droit international. A l'article 47, §2, il
circonscrit le soldat de fortune autour de six critères cumulatifs.
« Le terme `mercenaire' s'entend de toute personne :
a) qui est spécialement recrutée dans le pays
ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé ;
b) qui en fait prend une part directe aux hostilités
;
c) qui prend part aux hostilités essentiellement en
vue d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement
promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une
rémunération matérielle nettement supérieure
à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant
un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette
Partie;
d) qui n'est ni ressortissant d'une Partie au conflit, ni
résident du territoire contrôlé par une Partie au
conflit;
e) qui n'est pas membre des forces armées d'une Partie
au conflit ; et
f) qui n'a pas été envoyée par un Etat
autre qu'une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des
forces armées dudit Etat.43 »
Remarque 1 : l'objectif premier de ce
protocole n'est pas d'incriminer l'activité de mercenaire mais d'exclure
ce dernier des procédures humanitaires prévues pour les personnes
impliquées dans un conflit (article 47, §1 : « Un mercenaire
n'a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre. »). En
d'autres termes, les mercenaires capturés par des forces ennemies
doivent être considérés comme des civils et non comme des
militaires. Dès lors et selon l'article 5 de la Convention de
Genève du 12 août 1949 (appelée aussi «
43 Protocole additionnel aux Conventions de
Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes
des conflits internationaux (Protocole 1), disponible sur le site internet du
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme à l'adresse
suivante :
http://www2.ohchr.org/french/law/protocole1.htm
34
Quatrième convention de Genève »), ces
personnes seront traitées « avec humanité et, en cas de
poursuites, ne seront pas privées de leur droit à un
procès équitable et régulier.44 »
Remarque 2 : le second critère qui
exige que le mercenaire prenne « une part directe aux hostilités
» est assez flou. A partir de quel moment la participation devient-elle
directe ? Quel degré d'implication est nécessaire pour qu'un
individu puisse être considéré comme un mercenaire ? La
question n'est pas tranchée même si des éléments de
réponse ont été apportés par le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR)45.
Remarque 3 : le troisième
critère selon lequel le mercenaire recherche « un avantage
personnel ou une rémunération personnelle nettement
supérieure » à celle des combattants réguliers peut
laisser dubitatif, et cela pour deux raisons.
Tout d'abord, c'est considérer que l'appât du
gain est ce qui motive le mercenaire. Comme nous l'avons vu auparavant, les
motivations des individus sont trop complexes pour pouvoir être
appréhendées de manière aussi rigide. Pour citer
Jean-Christophe Couvenhes, maître de conférences à
l'université Paris IV-Sorbonne : « Dans l'Athènes classique
déjà, il [le mercenaire] lui était possible de vivre du
modeste misthos qui lui était versé pour participer
à des expéditions. L'appât du butin et la propension au
pillage ne constituaient pas un critère de distinction si pertinent
qu'on a voulu le voir. En réalité, mercenaires et
soldats-citoyens s'adonnaient pareillement au pillage dont la pratique
était déjà présentée comme normale chez
Homère. De même, Aristote théorisa le butin comme un `mode
naturel d'acquisition'46 » et non comme un trait propre aux
mercenaires.
Ensuite, ce troisième critère n'interdit pas
qu'un pays riche fasse appel à des soldats de fortune issus de pays en
voie de développement pour aller guerroyer dans une contrée
lointaine. En effet, ces hommes ne seront jamais qualifiés de
mercenaires car leur rémunération personnelle sera toujours
largement inférieure à celle des militaires réguliers de
l'Etat qui les a engagés.
44 Convention (IV) de Genève relative
à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août
1949,
disponible sur le site Internet du CICR à l'adresse
suivante :
http://www.icrc.org/dih.nsf/FULL/380?OpenDocument
45 Selon le CICR, il est nécessaire qu'il y
ait « un lien de cause à effet entre l'activité
exercée et les coups qui sont portés à l'ennemi, au moment
où cette activité s'exerce et là où elle s'exerce
», SANDOZ Yves, SWINARSKI Christophe, ZIMMERMANN Bruno, Commentaire
des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du
12 août 1948, CICR, Genève, 1986, p. 522.
46 COUVENHES Jean-Christophe, Armées
privées, armées d'Etat : Mercenaires et auxiliaires d'hier et
d'aujourd'hui, « Mercenaires et soldats-citoyens dans le monde grec
à l'époque hellénistique », IRSEM, Paris, 2008, p.
18.
35
Remarque 4 : la nécessité de ne
pas être « ressortissant d'une Partie au conflit, ni résident
du territoire contrôlé par une Partie au conflit », ni «
membre des forces armées d'une Partie au conflit » évite
certes de considérer les légionnaires comme des mercenaires mais
peut être contournée facilement. De façon anachronique, il
faut se souvenir que l'Américain Frederick Townsend Ward prit la
nationalité chinoise et se maria avec l'une des filles de l'Empire
Céleste. De même, l'Allemand Rolf Steiner obtint la
nationalité biafraise en 1968. Par ailleurs, de 1960 à 1963, Bob
Denard fut membre de l'Armée katangaise (alors appelée «
Gendarmerie katangaise ») de Moïse Tshombe et, de 1965 à 1967,
il fit partie de l'Armée nationale congolaise du général
Mobutu. Dans ces trois cas, l'article 47 du Premier protocole additionnel aux
Conventions de Genève n'aurait pas trouvé à
s'appliquer.
Remarque 5 : de nombreux pays, les Etats-Unis en
tête, ont refusé d'adopter ce texte.
En conclusion, Il est possible de constater que si cette
première définition issue du droit international public permet
d'affiner la définition du mercenaire, elle n'en demeure pas moins
insatisfaisante et cela pour deux raisons. D'une part, pour être reconnu
comme mercenaire, il faut répondre à l'ensemble des six
critères, ce qui reste exceptionnel. D'autre part, ces critères
pris individuellement restent largement discutables.
36
B) La Convention sur l'élimination du
mercenariat d'Afrique, 3 juillet 1977
Adoptée par l'Organisation de l'unité africaine
(OUA) et entrée en application à partir du 22 avril 1985, la
portée de cette convention demeure toutefois symbolique.
« Le terme `mercenaire' s'entend de toute personne :
a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou
à l'étranger pour combattre dans un conflit armé ;
b) qui en fait prend une part directe aux hostilités ;
c) qui prend part aux hostilités en vue d'obtenir un
avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une
Partie au conflit ou en son nom, une rémunération
matérielle ;
d) qui n'est ni ressortissant d'une Partie au conflit, ni
résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit
;
e) qui n'est pas membre des forces armées d'une Partie
au conflit ; et
f) qui n'a pas été envoyée par un Etat
autre qu'une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des
forces armées dudit Etat.47 »
Nous ne nous attarderons pas sur cette convention car elle
reprend mot pour mot le premier protocole additionnel aux conventions de
Genève. Une seule différence toutefois, la Convention de l'OUA
n'exige pas que la rémunération matérielle du mercenaire
soit « nettement supérieure à celle qui est promise ou
payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues
dans les forces armées » d'une des parties au conflit. Ce
deuxième texte est par conséquent un peu plus exigeant que son
grand frère.
C) La Convention internationale contre le recrutement,
l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, 4
décembre 1989
Adoptée par la résolution 44/34 de
l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies
(ONU) et entrée en vigueur le 20 octobre 2001, il s'agit du premier
instrument juridique
47Convention de l'OUA sur l'élimination du
mercenariat en Afrique, disponible sur le site internet de l'Union
africaine à l'adresse suivante : www.africa-
union.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/Convention%20sur%20l%20elimination%20du%20mer
cernariat.pdf
37
international criminalisant les activités mercenaires.
Pourquoi un tel changement ? L'étude du contexte historique nous apprend
que le 26 novembre 1989, soit une semaine environ avant l'adoption de cette
résolution, Ahmed Abdallah, président de la République
fédérale islamique des Comores meurt dans son bureau d'une rafale
de pistolet-mitrailleur. Bob Denard est présent sur la scène du
crime mais les circonstances exactes de la mort du président Abdallah
demeurent encore aujourd'hui un mystère.
L'objectif est donc clair. Il s'agit de préserver
« l'égalité souveraine, l'indépendance politique et
l'intégrité territoriale des Etats ainsi que
l'autodétermination des peuples ». Les mercenaires sont ouvertement
montrés du doigt comme facteur d'instabilité internationale.
Enfin, il faut noter que seulement 32 Etats ont ratifié
le texte dont cinq pays européens (la Belgique, Chypre, la Croatie,
l'Italie et l'Ukraine). De plus, les Etats-Unis n'étaient pas partie
prenante à cette Convention. Enfin, la plupart des Etats en question
appartenaient en grande majorité aux pays du Sud d'alors (pays
d'Amérique latine, d'Afrique et du Moyen-Orient)48.
Revenons au contenu de cette convention. D'après l'article
1er, « le terme `mercenaire' s'entend de toute personne :
a) Qui est spécialement recrutée dans le pays
ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé ;
b) Qui prend part aux hostilités essentiellement en vue
d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise,
par une partie au conflit ou en son nom, une rémunération
matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou
payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues
dans les forces armées de cette partie ;
c) Qui n'est ni ressortissante d'une partie au conflit, ni
résidente du territoire contrôlé par une partie au conflit
;
d) Qui n'est pas membre des forces armées d'une partie au
conflit ; et
e) Qui n'a pas été envoyée par un Etat
autre qu'une partie au conflit en mission officielle en tant que membre des
forces armées dudit Etat. »
48 Etaient parties à cette Convention les
États suivants: l'Arabie Saoudite, l'Azerbaïdjan, la Barbade, le
Belarus, la Belgique, le Cameroun, Chypre, le Costa Rica, la Croatie, Cuba, la
Géorgie, la Guinée, le Honduras, l'Italie, la Jamahiriya arabe
libyenne, le Libéria, les Maldives, le Mali, la Mauritanie, Moldova, la
Nouvelle-Zélande, l'Ouzbékistan, le Pérou, le Qatar, le
Sénégal, les Seychelles, le Suriname, la République arabe
syrienne, le Togo, le Turkménistan, l'Ukraine et l'Uruguay.
38
Nous pouvons constater que la première partie de l'article
1er reprend la définition donnée par le Premier
protocole additionnel de 1977 (hormis le fait que la participation du
mercenaire aux hostilités n'a plus à être une participation
« directe »).
Cependant, la seconde partie du texte fait apparaître une
nouveauté en spécifiant que « le terme `mercenaire' s'entend
également, dans toute autre situation, de toute personne :
a) Qui est spécialement recrutée dans le pays ou
à l'étranger pour prendre part à un acte concerté
de violence visant à :
i) Renverser un gouvernement ou, de quelque autre
manière, porter atteinte à l'ordre constitutionnel d'un Etat ;
ou
ii) Porter atteinte à l'intégrité
territoriale d'un Etat ;
b) Qui prend part à un tel acte essentiellement en vue
d'obtenir un avantage personnel significatif et est poussée à
agir par la promesse ou par le paiement d'une rémunération
matérielle ;
c) Qui n'est ni ressortissante ni résidente de l'Etat
contre lequel un tel acte est dirigé ;
d) Qui n'a pas été envoyée par un Etat en
mission officielle ; et
e) Qui n'est pas membre des forces armées de l'Etat sur
le territoire duquel l'acte a eu lieu.49 »
Ainsi, cette dernière partie s'intéresse avant
toute chose à mettre en avant le côté
déstabilisateur du mercenaire. Au final, la résolution 44/34 de
l'Assemblée générale de l'ONU fait du mercenaire un
criminel non pas pour sa prétendue cupidité mais parce qu'il
représente un véritable facteur d'instabilité
étatique.
N.B. : la France n'a pas souhaité ratifier cette
convention en raison de l'incrimination potentielle qu'aurait pu subir la
Légion étrangère.
49 Convention internationale contre le recrutement,
l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, 4
décembre 1989, disponible sur le site Internet du CICR
à l'adresse suivante :
http://www.icrc.org/dih.nsf/FULL/530
39
2 / La notion de mercenaire au regard des
législations nationales
« L'utilisation de mercenaires dans des conflits
armés ou des situations troublées est un phénomène
qui aggrave la violence, déstabilise les États et se traduit par
des atteintes aux droits de l'homme. La France entend lutter contre de tels
phénomènes. », Texte n° 287 (2001-2002) de M. Alain
RICHARD, ministre de la Défense, déposé au Sénat le
4 avril 2002
Il s'agit ici de faire le distinguo entre les Etats qui
pénalisent les activités mercenaires et ceux qui ne font
qu'interdire, sur leur territoire national, l'enrôlement d'individus
auprès de forces armées étrangères. En effet, les
premiers 50 ont une véritable politique de criminalisation
tandis que les seconds51 veulent éviter qu'on porte atteinte
à leur statut d'Etat neutre.
A) L'Afrique du Sud
Après avoir vu naître en son sein l'une des SMP
les plus célèbres sur laquelle nous reviendrons plus tard
(Executive Outcomes), l'Afrique du Sud a clairement marqué sa
volonté d'interdire le mercenariat. Ainsi, le 14 mai 1998 le parlement
sud-africain adoptait le « Foreign Military Assistance Act »
(FMAA)52.
Cette loi se veut extrêmement stricte. Dans son article
2, il est interdit à toute personne (physique ou morale) de «
recruter, d'entraîner des personnes en vue d'activités mercenaires
ou de financer ces activités » au sein de la République
d'Afrique du Sud et partout ailleurs dans le monde. Le FMAA s'arroge donc le
droit de juger et de condamner des citoyens sud-africains, quand bien
même l'activité mercenaire aurait eu lieu en dehors du territoire
national.
50 Il s'agit notamment de l'Afrique du Sud, de la
Namibie, de la France, de la Belgique et de la Nouvelle-Zélande.
51 On retrouve parmi ces pays la Grande-Bretagne, les
Etats-Unis, le Canada, l'Australie ou encore la Suisse.
52 Regulation of Foreign Military Assistance Act,
1998, disponible sur le site Internet du Haut-Commissariat aux
droits de l'homme à l'adresse suivante :
www.ohchr.org/Documents/Issues/Mercenaries/WG/LW/SouthAfrica6.pdf
40
D'autre part, l'article 3 (b) interdit également toute
assistance militaire en territoire étranger, qu'il s'agisse d'un Etat,
d'un organe étatique, d'un groupe de personnes ou de toute autre
entité. Le terme d' « assistance militaire »,
précisé à l'article 1, englobe de nombreuses
activités : le conseil et l'entraînement de troupes, l'aide
financière, et logistique, le renseignement, le recrutement de
personnel, l'assistance médicale et paramédicale, la fourniture
de matériel... Cependant, le FMAA exclut de son champ l'aide humanitaire
et les activités civiles ayant pour but de soulager les civils
affectés par un conflit armé.
Toutefois, il existe un régime dérogatoire
précisé aux articles 4 et 5 du FMAA. Dans ce cadre, la
société souhaitant fournir les services
précédemment énumérés doit obtenir une
« habilitation » du gouvernement sud-africain. Dans un second temps,
elle doit demander l'autorisation de conclure le contrat auprès du
Comité National de Contrôle des Armes
Conventionnelles53. Se fondant sur l'article 7 de la loi, celui-ci
se prononce alors sur la compatibilité de l'opération commerciale
avec les intérêts de la République d'Afrique du Sud. A ce
titre, l'autorisation ne sera pas délivrée si l'opération
enfreint les droits de l'homme, si elle encourage le terrorisme, si elle
contribue à une augmentation des conflits régionaux, etc.
En 2006, le FMAA a été abrogé et
remplacé par le Prohibition of Mercenary Activities and Prohibition
and Regulation of Certain Activities in Areas of Armed Conflict
Bill54. En effet, malgré la loi de 1998, d'anciens
militaires et policiers sud-africains (jusqu'à 4 000 selon les
études) étaient partis travailler comme gardes de
sécurité en Irak lors de l'intervention américaine. Cette
nouvelle loi concerne tout citoyen sud-africain, qui, quel que soit son pays de
résidence, « prend part à un conflit armé contre une
rémunération » ou « directement ou indirectement,
recrute, utilise, entraîne, soutient ou finance un combattant dans le
cadre d'un conflit armé, pour en tirer un gain personnel ». Le
domaine d'application de la loi ayant été jugé trop large,
autant par les experts sud-africains que par la communauté
internationale, celle-ci n'a pas encore été appliquée. En
effet, comme le note Philippe Chapleau, la loi de 2006 « criminalisait les
activités légales de certaines sociétés dont les
personnels pouvaient travailler dans des pays en crise (RDC, Soudan, Ouganda,
Burundi, par exemple)55 ».
53 Le National Conventional Arms Control
Committee a été créé par une décision
du 18 août 1995.
54 Prohibition of Mercenary Activities and
Prohibition and Regulation of Certain Activities in Areas of Armed Conflict
Bill, 2006, disponible sur le site Internet du Haut-Commissariat aux
droits de l'homme à l'adresse suivante :
http://www.ohchr.org/Documents/Issues/Mercenaries/WG/Law/SouthAfrica2.pdf
55 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 49.
41
B) La France
C'est par la loi n° 2003-340 du 14 avril 2003 que la
France criminalise l'activité de mercenaire. L'article 436-1 du Code
pénal énumère les six critères cumulatifs :
- 1) être une personne « spécialement
recrutée pour combattre dans un conflit armé » ;
- 2) ne pas être ressortissant « d'un Etat partie au
dit conflit armé » ;
- 3) ne pas être « membre des forces armées
» de cet Etat ;
- 4) ne pas être envoyé « en mission par un
Etat autre que l'un de ceux parties au conflit en tant que membre des forces
armées dudit Etat » ;
- 5) « prendre ou tenter de prendre une part directe aux
hostilités » ;
- 6) « en vue d'obtenir un avantage personnel ou une
rémunération nettement supérieure à celle qui est
payée ou promise à des combattants ayant un rang et des fonctions
analogues dans les forces armées de la partie pour laquelle elle doit
combattre ».
La loi cite également les actes concertés de
violence « visant à renverser les institutions ou porter atteinte
à l'intégrité territoriale d'un Etat ». Il s'agit ici
d'une précision ayant pour objectif la condamnation de tout acte de
déstabilisation.
Par ailleurs, cette définition de l'activité de
mercenaire est complétée par deux autres articles. L'article
436-2 du Code pénal précise que « Le fait de diriger ou
d'organiser un groupement ayant pour objet le recrutement, l'emploi, la
rémunération, l'équipement ou l'instruction militaire
d'une personne définie à l'article 436-1 est puni de sept ans
d'emprisonnement et de 100 000 EUR d'amende ». Enfin, l'article 436-3
étend la portée de l'article 431-6 en dehors du territoire
français. Ainsi, même en l'absence de plainte dans le pays
étranger concerné, un ressortissant français tombe sous le
coup de la juridiction française.
Si la loi du 14 avril 2003 a le mérite de
préciser la position française sur le mercenariat, elle n'a
qu'une portée symbolique. En effet, même un Bob Denard ne peut
être qualifié juridiquement de mercenaire puisqu'il ne remplit pas
les six critères. D'ailleurs, à ce jour, aucun ressortissant
français n'a été inquiété par la justice.
Comme le note Jean-Marie Vignolles, « la loi française autorise de
facto tout ce qu'elle n'interdit pas » (De Carthage à Bagdad,
le nouvel âge d'or des mercenaires, Editions des Riaux, Paris,
2006). Et Philippe
42
Chapleau d'ajouter : « Si l'on définit le
mercenaire, comme le fait la loi de 2003, au travers d'activités de type
`coup d'Etat', inductrices de déstabilisation, les dirigeants et
employés de Sociétés Militaires Privées
dûment enregistrées, engagées dans des activités
officielles (soutien, formation, renseignement, protection, etc.) au profit
d'Etats, dans le cadre de contrats en règle, n'ont, en fait, rien
à craindre de la justice française. D'ailleurs, ces
sociétés n'auraient rien à gagner, et très gros
à perdre, autant pour des raisons économiques que pénales,
en allant à l'encontre des intérêts de leur nation
d'origine et en se lançant de leur propre initiative ou au profit
d'intérêts privés, dans des aventures `barbouzardes' pour
destituer un régime en place, aussi discutable
fût-il.56 »
En conclusion, la loi du 14 avril 2003 ne présente pas
d'intérêt majeur par rapport aux apports du droit international.
Il s'agit plus pour la France de faire amende honorable auprès des pays
africains dans lesquels elle a agi de manière plus ou moins officielle
que de véritablement condamner l'activité de mercenaire.
Toutefois, la loi du 14 avril 2003 semble avoir envoyé un signal fort
quant à « la volonté de l'Etat français de
préserver son monopole de la violence légitime en dissuadant les
acteurs du marché d'investir son domaine. Ce faisant, l'Etat
français a écarté les entreprises nationales de ce secteur
d'activité à la croissance exponentielle tout en limitant les
capacités d'internationalisation des sociétés ayant
développé des compétences spécifiques à la
faveur de Partenariats Public-Privé (PPP) en les privant de
l'indispensable capacité de se protéger
elles-mêmes.57 »
C) La Grande-Bretagne
La Grande-Bretagne est l'un des premiers pays à avoir
adopté une législation relative au mercenariat. Il s'agit du
Foreign Enlistment Act (« Loi sur l'enrôlement à
l'étranger ») adopté en 1870. Il rend illégal pour
les sujets de la Couronne le fait de rejoindre les forces armées d'un
pays en guerre contre un pays en paix avec la Grande-Bretagne. Toutefois, comme
le rappelle Aymeric Philipon (Le Mercenaire et le droit), du fait du
contexte historique (guerre franco-prussienne), « l'objectif principal de
cette loi reste la protection de la neutralité de la Grande-Bretagne
».
56 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 47.
57 Collectif (sous la direction de Jean-Jacques
Roche), Des gardes suisses à Blackwater, mercenaires et auxiliaires
d'hier et d'aujourd'hui, IRSEM, Paris, Mai 2010, p. 59.
43
S'agissant cette fois-ci des SMP britanniques et non des
mercenaires, aucun texte ne régit leur activité hormis ceux
relatifs au droit des sociétés. Cependant, les SMP ne devraient
pas être encadrées par le même droit que les autres
sociétés car elles peuvent faire plus facilement l'objet d'une
instrumentalisation à des fins illégales. Par exemple, en 1998,
la société Sandline passa un contrat de fourniture d'armes avec
Ahmad Tejan Kabbah, président de la Sierra Leone contraint à
l'exil le 25 mai 1997 suite au coup d'Etat de Johnny Paul Koroma, chef de
l'Armed Forces Revolutionary Council (AFRC). Or, il existait à
l'époque un embargo sur les armes en Sierra Leone58. Une
commission parlementaire fut donc mise en place pour enquêter sur cette
violation de l'embargo par la société Sandline. En février
1999, l'enquête fut rendue publique et il s'avéra que
l'opération avait reçu le soutien du Foreign Office et du
MI659. Ainsi, comme dans le cas français du coup d'Etat aux
Comores en 1995, il est rare que les services secrets ne soient pas
impliqués de façon plus ou moins directe dans les
activités de ces sociétés.
Enfin, il faut noter qu'un Livre blanc publié en
février 2002 a proposé de réguler les activités de
ces sociétés militaires privées en instaurant une
procédure d'autorisation pour leur exercice60.
D) Les Etats-Unis
S'agissant de la législation américaine, il
faut, comme dans le cas britannique, distinguer le mercenariat traditionnel de
l'assistance militaire privée.
Le mercenariat traditionnel est régi par la Section 959
du Titre 18 du United States Code (USC) qui affirme : « (a)
Quiconque, sur le territoire des Etats-Unis, s'enrôle ou s'engage, ou
invite autrui à s'enrôler ou à s'engager, ou à se
soustraire à la juridiction des Etats-Unis avec
58 En octobre 1997, le Conseil de
sécurité des Nations Unies adopta la résolution 1132 qui
établissait un embargo sur les armes en Sierra Leone. En juin 1998, la
résolution 1171 leva cet embargo mais en imposa un autre qui ne
s'appliquait pas cette fois-ci au gouvernement sierra-léonais mais aux
forces contrôlées par le Revolutionary United Front
(RUF). Au final, ce n'est qu'en septembre 2010, soit 13 ans plus tard, que
la résolution 1940 leva cet embargo.
59 DANIEL Jean-Philippe, La politique militaire
de la France au sud du Sahara, du discours de la Baule à
l'opération Hadès : du désengagement à la
privatisation ?, mémoire de DEA, Université de Paris I,
2000.
60 Voir le rapport du 12 février 2002
intitulé Private Military Companies : Options for Regulation
(2002). Ce rapport fut établi par le Foreign and Commowealth Office
à la demande de la Chambre des Communes.
44
l'intention d'être enrôlé ou engagé
au service d'un quelconque prince, Etat, colonie, région ou peuple
étranger (...) se verra puni d'une amende ou emprisonné pour une
durée maximum de trois ans, ou les deux.
(b) Cette section ne s'applique pas aux citoyens ou sujets
d'un Etat en guerre avec un pays contre lequel les Etats Unis sont
eux-mêmes en guerre, à moins que ces citoyens ou sujets invitent
ou sollicitent un citoyen américain à s'engager ou à se
soustraire à la juridiction des Etats-Unis dans le but de s'engager ou
d'entrer au service d'un pays étranger (...).61 » En
d'autres termes, l'US Code interdit le mercenariat sauf si les
mercenaires interviennent contre un pays en guerre avec les Etats-Unis. Il y a
donc une volonté de criminaliser le mercenariat tout en autorisant ce
qu'on pourrait appeler le « volontariat international ».
En matière d'assistance militaire privée, la
section 8 de l'article 1er de la Constitution américaine du
17 septembre 1787 mentionne : « Le Congrès aura le pouvoir (...) de
déclarer la guerre, d'accorder des lettres de marque et de
représailles, et d'établir les règlements concernant les
prises sur terre et sur mer.62 » Bien évidemment, cette
clause sur les lettres de marque et de représailles doit être
restituée dans son contexte historique. En effet, il s'agissait pour le
Congrès d'avoir la possibilité d'autoriser des armateurs à
armer des flottes privées afin d'attaquer les navires de commerce
ennemis (notamment ceux battant pavillon anglais). Autrement dit, il s'agissait
de régir la guerre de course. A ce titre, certains juristes comme
Matthew J. Gau 63 ont vu dans cette disposition constitutionnelle la
base des textes réglementant les activités des SMP.
De manière plus contemporaine, la loi qui concerne
les Private Military Companies (PMCs) se trouve au chapitre 39 du
titre 22 de l'US Code64. Il s'agit de la loi sur le contrôle
des exportations d'armes. Comme le précise Aymeric Philipon, le Arms
Export Control Act concerne aussi bien les matériels de guerre que
les services. Dans un premier temps, la SMP désirant fournir un service
militaire doit se faire enregistrer auprès du State's Office of
Defense Trade Controls (ODTC) en tant que société
exportatrice. La SMP peut alors négocier avec le client,
c'est-à-dire le gouvernement étranger. Dans un deuxième
temps, le contrat final doit être soumis à l'approbation de
l'ODTC. Pour prendre sa décision, il consulte le ministère
61 18 USC § 959 - Enlistment in foreign
service.
62 U.S. Constitution - Article 1 - The Legislative
Branch, Section 8 - Powers of Congress.
63 GAUL Matthew J., « Regulating the new
privateers : private military service contracting and the modern marque and
reprisal clause », Loyola of Los Angeles Law Review, juin
1998, pp. 1489 et suivantes.
64 22 USC Chapter 39 - ARMS EXPORT
CONTROL.
45
de la Défense et la représentation
américaine dans le pays du client potentiel. Finalement, comme
l'écrit Olivier Hubac, « les rapports qui lient l'Etat
américain à ces sociétés prennent la forme d'une
délégation de service public.65 »
Il faut toutefois noter que dans le cadre d'un contrat de plus
de 5 millions de dollars, l'autorisation du Congrès est obligatoire. Or,
il arrive assez souvent que les SMP multiplient les contrats afin de «
court-circuiter » ce vote parlementaire. Au final, le recours à des
SMP relève principalement du Departement of State66,
c'est-à-dire du pouvoir exécutif et non du pouvoir
législatif comme on pourrait s'y attendre. Cette situation qui perdure
encore aujourd'hui fait débat. Jan Schakowsky, membre du parti
démocrate et représentante du neuvième district de
l'Illinois à la Chambre des représentants soulève la
question suivante : « Est-ce que l'armée américaine
privatise ses missions pour éviter toute contestation ou critique en
soustrayant les cadavres au regard de l'opinion publique67 ? ».
S'il est vrai que le caractère démocratique du processus
peut-être remis en cause, il constitue en tout cas un formidable outil en
termes de politique étrangère.
E) Conclusion
La disparité des différentes législations
nationales n'empêchent pas de trouver un consensus autour de la
condamnation du mercenariat traditionnel. En règle
générale, les Etats s'inspirent directement du droit
international.
Concernant les sociétés agissant dans le domaine
de la sécurité, du conseil et de l'assistance militaires, leur
contrôle est plus ou moins strict. Ainsi, la législation africaine
est aussi répressive que la législation britannique est
permissive. Il n'y a donc pas à l'heure actuelle d'accord international
sur les modalités de contrôle de ces sociétés.
65 HUBAC Olivier, Puissances et influences
2002, Editions Descartes, Paris, mai 2002.
66 Le Department of State, souvent
abrégé en State Department ou DoS est
l'équivalent d'un ministère des Affaires
étrangères.
67 Georges-Henri des Vallons parlait à ce
titre de « nécropole fantôme » (Irak, terre
mercenaire : les armées privées remplacent les troupes
américaines, Editions Favre, Lausanne, 2009).
46
3 / Chartes éthiques et codes de déontologie
: vers une standardisation internationale
« Gouverner, c'est prévoir. », Emile de
Girardin
Face à la disparité des législations
nationales, il existe depuis cinq ans une volonté de standardisation
internationale dont témoigne l'adoption de plusieurs documents visant
à promouvoir le respect de bonnes pratiques au sein du secteur de la
sécurité privée.
A) Le Document de Montreux
Le Document de Montreux de 2008 est le fruit d'un processus
international initié par le gouvernement suisse et le Comité
International de la Croix Rouge. S'il n'a pas de portée juridique
contraignante, ce document permet toutefois de promouvoir un ensemble
d'obligations juridiques internationales et de bonnes pratiques liées
aux opérations des entreprises militaires et de sécurité
privées pendant les conflits armés.
Au final, ce sont actuellement 43 pays, dont la France, qui
ont adopté le Document de Montreux. A noter que des organisations
internationales peuvent également apporter leur soutien à ce
texte. C'est d'ailleurs le cas de l'Union Européenne depuis le 27
juillet 2012.
B) L'International Code of Conduct (ICoC)
Le Code de conduite international68 a
été adopté à Genève et promu le 9 novembre
2010. Particularité, il ne s'adresse pas aux Etats mais aux entreprises.
S'inspirant du Document de Montreux, il résulte d'une initiative des
entreprises anglo-saxonnes et vise à organiser le secteur de la
sécurité privée à l'échelle internationale.
Plus précisément, le Code de conduite est un « label
qualité » que l'on pourrait comparer à une charte
éthique à laquelle les entreprises décident
d'adhérer ou non. Si la France a participé aux travaux
préparatoires, elle est restée en marge du processus. En effet,
lors de la signature de l'ICoC, aucun représentant
68 International Code of Conduct For Private
Security Service Providers, également appelé ICoC.
47
des autorités françaises (militaires ou civiles)
n'était présent, contrairement aux Britanniques qui avaient
envoyé une demi-douzaine de représentants de leur Ministry of
Defence (MoD).
Par ailleurs, si seulement 58 sociétés ont
initialement participé à sa signature, elles étaient en
revanche 554 à l'avoir signé au 1er décembre
2012. On trouve parmi elles onze entreprises françaises69.
C'est très peu, car cela représente un peu moins de 2% du total.
Or, il est fort probable que l'adhésion à l'ICoC devienne un
prérequis obligatoire dans la signature de futurs contrats impliquant
des services de sécurité et de défense. Comme le note
également les députés Christian Ménard et
Jean-Claude Viollet, l'ICoC « pourrait devenir incontournable dans les
faits, un nombre important d'acteurs étant certainement conduit à
l'exiger dans les appels d'offres. On pense notamment aux Gouvernements
anglo-saxons, grands pourvoyeurs de contrats pour les ESSD, mais
également à des organisations internationales, et notamment
l'ONU, ou encore aux grandes ONG.70 »
C) ASIS International ou la certification du secteur de
la sécurité aux Etats-Unis
Si le Document de Montreux et l'ICoC ont été
développées dans un cadre international, cela n'a pas
empêché les Etats-Unis d'entreprendre l'élaboration de leur
propre standard de qualité. En effet, au début de l'année
2011, le DoD à confier à ASIS International la rédaction
d'un document de certification destiné aux Private Security
Companies (PSCs) mais pas aux Private Military Companies
(PMCs).
ASIS International est une organisation fondée en 1955
et dont l'objectif est d'améliorer l'efficacité des
professionnels de la sécurité. La société compte 38
000 membres dans le monde, dont une centaine de membres actifs en France. De
manière étonnante, la régulation du milieu des PSC a
été confiée au secteur privé et non au gouvernement
américain lui-même. Pour Philippe Chapleau, cette
autorégulation permet « difficilement d'éviter des conflits
d'intérêts ou des connivences entre entreprises, ce que
l'administration Obama découvre peu
69 Amarante International, ANTICIP S.A.S., ERYS
Group, Gallice Security, GEOS, Groupe OROPEX, LPN Group, Prorisk International,
RISK&CO, RISKSGROUP, SURTYMAR.
70 Rapport d'information n° 4350, Sur les
sociétés militaires privées, Christian
Ménard et Jean-Claude Viollet, 14 février 2012, p.
48.
48
à peu.71 » Et d'ajouter : « Il y
aurait donc tout intérêt à ce que ce soit l'Etat (à
la fois client des PMC/PSC et puissance souveraine) qui certifie les
entreprises et supervise leurs activités.72 »
S'agissant du standard mis en place par ASIS, il s'appuie sur
le Document de Montreux ainsi que sur l'ICOC et s'articule autour de deux
normes qui ont été approuvées par l'American National
Standards Institute (ANSI). La première norme concerne
l'encadrement des activités des PSC et vise à assurer
légitimité et transparence du secteur privé de la
sécurité. Elle s'appelle Management system for quality of
private security company operations - Requirement for guidance (ANSI/ASIS
PSC.1-2012). S'agissant de la seconde norme, elle fixe les conditions des
audits internes des entreprises amenées à travailler dans ce
domaine. Elle porte le nom de Conformity assessment and auditing management
systems for quality of private security company operations (ANSI/ASIS
PSC.2-2012).
Récemment, ASIS a annoncé qu'elle comptait faire
de la norme ANSI/ASIS PSC.1-2012 une norme internationale (norme
ISO73) dont la mise en place est prévue pour la fin de
l'année 2013. Concernant son champ d'application, la norme concerna
seulement les PSC (à l'exception des entreprises qui proposent des
prestations maritimes) mais pas les PMC qui travaillent dans le cadre militaire
et fournissent des prestations tactiques74.
Finalement, les Etats-Unis, déjà leader avec la
Grande-Bretagne sur le marché de la sécurité
privée, semble avoir pris une nouvelle longueur d'avance.
71 CHAPLEAU Philippe, « Vers un standard de
qualité pour les entreprises militaires et de sécurité
privées », 18 mars 2011, disponible sur le site
www.lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr,
consulté le 15 juin 2012
72 Op. cit.
73 L'ISO est l'Organisation internationale de
normalisation. Fin 2011, elle comptait environ 19 500 normes actives.
74 CHAPLEAU Philippe, « Une norme ISO pour les
société de sécurité : un standard `international'
à l'américaine en 2013 », 9 octobre 2012, disponible sur le
site
www.lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr,
consulté le 9 octobre 2012
49
DEUXIEME PARTIE - L'EXTERNALISATION DE LA
DEFENSE
Chapitre 1 - L'externalisation de la Défense :
approche théorique
Pour comprendre l'externalisation d'un point de vue
théorique, il convient d'en préciser la définition et d'en
connaître la genèse politique. Ces réponses données,
les questions n'en demeurent pas moins, notamment en ce qui concerne la
souveraineté étatique.
1 / Définition
« Pénétrer jusqu'au fond des choses,
séparer la connaissance vraie de l'apparence et de l'erreur, telle
était pour l'homme socratique la plus noble des vocations, et
même la seule qui fût véritablement humaine. »,
Nietzsche,
La Naissance de la tragédie, 1872
La notion d'externalisation doit être
précisée car elle est trop souvent confondue avec d'autres
notions.
A) Externalisation et privatisation
Par externalisation, il faut entendre le processus par lequel
une entreprise ou une administration décide de confier la prestation
d'un service à une firme indépendante spécialisée
dans ce type de tâches. En d'autres termes, il s'agit de faire
réaliser une activité par autrui. A contrario, la privatisation
est le transfert complet de services ou de biens du secteur public au secteur
privé.
Dans ces conditions, la différence entre externalisation
et privatisation est double.
Tout d'abord, en privatisant, on transfère le
contrôle complet d'un service à un autre organisme, tandis qu'en
externalisant, on transfère la prestation d'un service, mais non son
50
contrôle. Ainsi, l'entité qui externalise
conserve la maîtrise de l'établissement des politiques tandis que
l'entité qui privatise n'a plus voix au chapitre.
Ensuite, l'externalisation consiste à confier la
réalisation d'un service à une entreprise « non-militaire
», ce qui ne veut pas dire qu'elle ne peut pas être publique. En
effet, la société DCI International75 est une «
entreprise de taille intermédiaire (ETI) de services dont l'Etat est
actionnaire de référence » et l'Economat des
Armées76 est un EPIC77 (donc 100% public).
Autrement dit, les sociétés bénéficiant des
processus d'externalisation ne sont pas toutes des sociétés
privées, même s'il est vrai que la majorité l'est.
Par ailleurs, la définition donnée
précédemment de l'externalisation est celle adoptée par le
Secrétariat général pour l'administration (SGA) qui, dans
un document de 2007, y voit une « opération contractuelle
impliquant un partenariat plus ou moins étroit, par lequel un organisme
décide de confier ou de transférer avec obligation de
résultats à une structure externe, une fonction, un service ou
une activité qu'il assurait antérieurement.78
»
En conclusion, il est tout à fait légitime de
parler d'externalisation dans les forces armées françaises mais
totalement abusif et erroné de recourir au vocable de privatisation.
B) Externalisation et obligations contractuelles
Il est intéressant de noter que selon le SGA, la
société bénéficiant de l'externalisation d'un
service du ministère de la Défense a une obligation de
résultats (article 1147 du Code civil) et non une obligation de moyens
(article 1137 du Code civil). En d'autres termes, l'Etat peut engager la
responsabilité de ladite société sur la simple
constatation que le résultat promis n'a pas été atteint.
Et d'ailleurs, il n'a pas besoin de prouver une faute de cette dernière.
Cette
75 Défense Conseil International est un
partenaire des forces armées françaises dans le cadre de contrats
de prestations de services. DCI propose également, au profit des pays
étrangers, des prestations de services externalisés dans le
conseil et l'assistance sur la totalité du cycle de vie des programmes
de défense et de sécurité, mais aussi dans
l'ingénierie de formation, dans les domaines académique,
opérationnel et technique.
76 L'Economat des Armées (EdA) est une
centrale d'achat et un prestataire de services dédié au soutien
des formations administratives de la Défense, sous-tutelle de
l'Etat-major des Armées, au sein du ministère de la
Défense.
77 Un Etablissement public à
caractère industriel et commercial (EPIC) est une personne morale de
droit public ayant pour but la gestion d'une activité de service public.
Par exemple, la RATP, la SNCF et l'Opéra de Paris sont des EPIC.
78 Secrétariat Général pour
l'Administration et institut Esprit Service, Externalisation. Principes et
méthodes, 2007, p. 50.
51
précision est d'importance car elle est une garantie
majeure du bon accomplissement des prestations externalisées.
C) Externalisation et sous-traitance
Il arrive parfois de confondre les processus d'externalisation
et les processus de sous-traitance. Or, il existe une différence
subtile.
Dans le cas de la sous-traitance, il s'agit de confier
à une entreprise extérieure une tâche simple que le donneur
d'ordre ne peut ou ne veut effectuer lui-même. Dans le cas de
l'externalisation, il s'agit d'une sous-traitance « globale » dans la
mesure où le donneur d'ordre confie à l'entreprise
extérieure, non pas une tâche simple mais tout un pan
d'activité, voire « des fonctions autrefois jugées
indispensables », ce qui impliquerait l'embauche de personnel
spécifique et l'acquisition d'équipements appropriés par
la société partenaire, ce qui suppose un engagement plus long
qu'une simple activité de sous-traitance, définie comme
réversible à tout moment79.
Ainsi, et comme le rappelle le député Michel
Dasseux, « l'externalisation, connue aux Etats-Unis sous l'appellation
d'outsourcing, serait en quelque sorte le prolongement logique, voire
l'aboutissement d'une sous-traitance qui aurait servi de coup
d'essai.80 ».
2 / L'externalisation de la Défense : un processus
en deux temps
« La politique et les intérêts
économiques sont des choses trop liées pour être
traitées séparément. », Paul
Deschanel
L'idée d'externalisation était déjà
en germe à partir du moment où l'Etat, soumis à des
contraintes budgétaires de plus en plus fortes, s'est interrogé
sur les moyens de continuer à
79 Rapport d'information n° 3595, Sur
l'externalisation de certaines tâches relevant du ministère de la
Défense, Michel Dasseux, 12 février 2002, p. 11.
80 Op. cit., ibid.
52
assurer ses missions de service public à un moindre
coût. En cela, le processus de décentralisation territoriale
débuté à l'aube des années 1980 peut être vu
comme un prélude à l'externalisation. Une fois cette
dernière engagée, il ne restait plus qu'à l'étendre
au domaine de la défense.
A) La décentralisation comme prélude à
l'externalisation
Les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 ainsi que
le « tournant de la rigueur » en 1983 ont montré, et cela
indépendamment de la couleur politique du parti au pouvoir, que l'Etat
français n'était pas omnipotent. Passée cette prise de
conscience, les premières tentatives de réorganisation des
pouvoirs publics sont apparues. Ainsi, l'acte I de la décentralisation
date de 198281. Cette réforme de l'Etat est une
véritable remise en cause directe du modèle jacobin
hérité de la Révolution de 1789. Fondée sur
l'intérêt local, la décentralisation territoriale donne
naissance à des collectivités publiques distinctes de l'Etat
(région, département, commune) auxquels ce dernier confie un
pouvoir de décision et de gestion, sous le contrôle de la
loi82.
Il ne s'agit pas ici, bien évidemment, de mettre sur
le même plan la décentralisation et l'externalisation. Cependant,
il est possible de voir dans la première un prélude à la
seconde. En effet, ces processus sont tous les deux le fruit d'une même
logique de la pensée. Dans les deux cas, l'Etat s'interroge s'il peut
réaliser ses missions de service public avec une meilleure
efficacité, un moindre coût et une plus grande qualité.
Dans les deux cas, l'Etat souhaite confier à une autre entité des
compétences qui lui appartenaient autrefois en propre. Les approches qui
ont guidé la décentralisation ont donc de nombreux points communs
avec celles qui guident actuellement l'externalisation.
B) L'extension de l'externalisation au domaine de la
Défense
Une fois le processus d'externalisation engagé dans la
fonction publique, il ne restait plus qu'à l'étendre aux forces
armées. En effet, la mise en oeuvre, à partir du 10 juillet 2007,
de la
81 Loi n°82-213 dite loi « Defferre »
promulguée le 2 mars 1982 par le gouvernement de Pierre Mauroy.
82 Contrôle de simple légalité
assuré par les tribunaux administratifs et les chambres
régionales des comptes.
53
révision générale des politiques
publiques (RGPP) ne pouvait pas exiger de la part des ministères des
réformes structurelles (baisse des dépenses publiques et
amélioration des politiques publiques) sans que le ministère de
la Défense n'y prît part.
Si l'on étudie les différents rapports RGPP, la
partie consacrée au ministère de la Défense souligne que
« le Livre Blanc sur la défense et la sécurité
nationale et la Révision générale des politiques publiques
ont conduit à réformer profondément les politiques
conduites par le ministère, avec 10 objectifs principaux :
- 1) Améliorer la gouvernance du ministère ;
- 2) Renforcer le pilotage des investissements de défense
;
- 3) Adapter les capacités opérationnelles aux
nouveaux conflits ;
- 4) Accroître l'efficacité du soutien de toutes
les entités opérationnelles du ministère en mutualisant le
soutien par zone géographique ;
- 5) Renforcer l'efficacité du soutien aux
opérations ;
- 6) Favoriser une gestion optimale des ressources humaines
;
- 7) Contribuer à la maîtrise du coût de
fonctionnement ;
- 8) Renforcer l'efficacité du soutien commun ;
- 9) Mobiliser efficacement toute une classe d'âge sur
la défense et la citoyenneté ;
- 10) Simplifier les démarches des usagers. »
De façon plus concrète, la question de
l'externalisation est maintes fois abordée. Dans les différents
rapports RGPP, ses modalités d'application sont
précisées.
Dans le 4e rapport RGPP de juin 2010, le recours
à l'externalisation est envisagé dans le cadre de
l'accomplissement de trois objectifs (soit presqu'un tiers du total, ce qui est
loin d'être négligeable). Ainsi, le cinquième objectif
visant à « Renforcer l'efficacité du soutien aux
opérations » invite au « recentrage des armées sur leur
coeur de métier » et fait directement référence
à un « recours ad hoc aux externalisations 83
». Le septième objectif ayant pour finalité de «
contribuer à la maîtrise du coût de fonctionnement »
rappelle que « la rationalisation des fonctions relatives à la
restauration, l'hôtellerie et les loisirs se poursuivra et sera
complétée par des externalisations qui seront mises en oeuvre
à partir d'octobre
83 4e rapport RGPP : partie défense, juin 2010, p. 3.
54
201084 ». Enfin, le huitième objectif
(« renforcer l'efficacité du soutien commun ») prévoit
que la maintenance des infrastructures pourrait être assurée par
des sociétés privées.
Dans le 5e rapport RGPP publié en mars 2011,
il est rappelé que les principales opérations d'externalisation
ont eu lieu en matière de restauration (« huit sites ont
été externalisés et 11 restaurants sont exploités
par un prestataire privé depuis le 10 janvier 201185 »),
ce qui permettrait de réaliser une économie d'exploitation de
18%. Toutefois, l'état d'avancement des mesures prises dans le cadre de
la RGPP n'est pas toujours optimal et le Conseil de modernisation des
politiques publiques insiste sur la nécessité de «
moderniser la fonction habillement au sein des forces
armées86 ».
Enfin, dans le 6e et dernier rapport RGPP
publié en décembre 2011, le cinquième objectif («
Renforcer l'efficacité du soutien aux opérations ») prend
forme avec l'externalisation du maintien en condition opérationnelle
(MCO) d'une partie du matériel aéronautique. En effet, c'est
aujourd'hui la société Cassidian Aviation Training Services
(CATS), filiale d'EADS implantée à Cognac, qui assure les «
services de réparation, d'entretien et services connexes relatifs »
aux 41 Xingu présents sur les bases d'Avord, de Lann-Bihoué et de
Hyères.
3 / Délégation ou perte de
souveraineté ?
« Le roi promet aussi de conserver la
souveraineté, les droits et noblesses de la couronne de France, sans
les aliéner ou transporter à personne. », Bossuet,
Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte,
1709
(posthume)
A) L'Etat comme décideur ultime
Comme l'a démontré le sociologue allemand
Norbert Elias dans son ouvrage intitulé Sur le processus de
civilisation (1939), l'Etat moderne est le fruit d'un processus de
monopolisation de la violence physique, d'abord entamé par les princes
pour leur profit personnel et
84 Op. cit., p. 4
85 5e rapport RGPP : partie défense, mars 2011, p. 7.
86 Op. cit., ibid.
55
parachevé par la puissance publique. En d'autres
termes, la sociogenèse de l'Etat est liée au renforcement des
grandes monarchies, qui désarment les seigneurs féodaux en
obtenant le monopole de la violence légitime avec le contrôle de
l'armée et de la justice.
Max Weber ne dit pas autre chose lorsqu'il définit
l'Etat comme le détenteur du « monopole de la violence physique
légitime » (Le Savant et le politique, 1919). Cependant,
Weber reconnaît que l'Etat peut exercer lui-même ce monopole ou le
déléguer. Il s'agit là d'une précision
extrêmement importante puisqu'elle autorise l'Etat à ne pas faire
« tout par lui-même ».
Dans ces conditions, il apparaît difficile de voir dans
l'externalisation une tentative de déconstruction de la
souveraineté étatique. En effet, l'Etat n'est pas remis en cause
dans sa capacité décisionnelle. Comme le dit Philippe Chapleau,
il « reste le décisionnaire / décideur ultime. 87 » De
même, pour Eric Delbecque, actuel directeur du département
sécurité économique de l'Institut National des Hautes
Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), «
refaire l'Etat », c'est redéfinir « les modalités et
non l'essence de la souveraineté » et c'est accepter que « la
puissance souveraine (puisse) choisir de déléguer, plus ou moins
temporairement, un pouvoir, c'est-à-dire une capacité
particulière.88 »
B) Le risque de la perte de souveraineté
Cependant, le discours précédent est fortement
critiquable car l'externalisation n'est pas un processus uniforme. Soit
l'externalisation est un processus additionnel, soit elle est un processus
substitutionnel.
Dans le cas où elle est un processus additionnel,
l'externalisation est un moyen pour un organisme d'acquérir des
capacités qu'il ne possède pas. Il s'agit d'ajouter des
capacités externes aux capacités internes. Dès lors,
aucune perte de souveraineté ne peut être déplorée.
Dans le cas où elle est un processus substitutionnel, l'externalisation
est un moyen pour un
87 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux
entrepreneurs de la guerre : des mercenaires aux sociétés
militaires privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 36.
88 DELBECQUE Eric, L'Europe puissance ou le
rêve français, Editions des Syrtes, Paris, 2006
56
organisme de faire effectuer par une structure externe une
fonction qu'il assurait antérieurement. Il s'agit de substituer des
capacités externes aux capacités internes.
Dès lors, il y a risque de perte de
souveraineté. En effet, en déléguant à une
structure externe une certaine fonction, l'organisme court le risque de ne plus
être capable de se la réapproprier lorsque le besoin s'en fera
sentir (nous reviendrons plus tard sur cette question de la
ré-internalisation). Par conséquent, si sur le plan
théorique l'Etat reste le décideur ultime, en pratique, il se
pourrait bien qu'il n'eût pas toujours le choix.
Après avoir défini ce qu'était
l'externalisation, étudié sa genèse et
précisé ce qu'elle qu'impliquait en termes de souveraineté
étatique, il convient maintenant de s'attacher à la dimension
concrète qu'elle revêt.
57
Chapitre 2 - L'externalisation de la Défense :
approche empirique
L'externalisation est souvent vue comme la solution aux
contractions budgétaires dans le milieu de la Défense. Les ESSD
offrent également des services dans tous les domaines susceptibles
d'intéresser les forces armées. Dans ces conditions, il est
facile de comprendre l'intérêt que la France porte depuis peu
à ce processus que ses alliés anglo-saxons ont déjà
largement adopté.
1 / Le budget de la Défense en France
« Les chiffres sont des petits êtres fragiles qui,
à force d'être torturés, finissent par avouer tout ce qu'on
veut leur
faire dire. », Alfred Sauvy
Pour comprendre le recours de plus en plus fréquent par
l'Etat à des sociétés privées pour accomplir des
prestations qui étaient autrefois dévolues aux forces
armées, il importe de se pencher sur les dépenses de
défense et sur leur évolution.
A) La révolution « lolfienne » : la
mission comme unité de vote du budget
Le vote du budget de l'Etat a subi une profonde transformation
au cours des années 2000. En effet, depuis 2001, le vote du budget de
l'Etat en France est régi par la Loi Organique relative aux Lois de
Finances, aussi appelée LOLF89.
Jusqu'en 2005, le budget de l'Etat était voté
ministère par ministère. En pratique, 95% des crédits
étaient reconduits sans débat en un seul vote formel et peu
justifié. En d'autres termes, seuls 5% des crédits faisaient
l'objet de véritables débats lors du vote du budget.
89 Bien qu'ayant été votée en
200189, la LOLF n'a trouvé à s'appliquer pour la
première fois qu'en 2006.
58
Le vote de la LOLF a donc eu pour objectif d « assainir
» les finances publiques en améliorant la « performance
publique ». Désormais, le budget de l'Etat se décline en
missions, programmes et actions. Par exemple, le projet de loi de
finances90 pour 2012 comptait 32 missions.
Figure 1 : L'architecture du budget de l'Etat depuis la
LOLF
Source :
http://www.sud-recherche.org
Par conséquent, un ministère peut se voir
attribuer plusieurs missions. C'est notamment le cas du ministère de la
Défense qui est concerné par trois missions : la mission «
Défense » proprement dite, la mission « Anciens combattants,
mémoire et liens armée-Nation » correspondant au
périmètre du budget des anciens combattants, auxquelles s'ajoute
le programme « Recherche duale (civile et militaire) » qui
s'intègre dans la mission interministérielle « Recherche et
enseignement supérieur ».
B) Les crédits budgétaires :
autorisations d'engagement et crédits de paiement
La LOLF, dans son article 8, dédouble l'autorisation
parlementaire en matière de crédits avec d'un côté
les autorisations d'engagement (AE) et de l'autre les crédits de
paiement (CP).
Les autorisations d'engagement constituent « la limite
supérieure des dépenses pouvant être engagées »
et matérialisent la naissance de l'obligation de l'Etat, de laquelle il
résultera une dépense. En d'autres termes, les AE sont le support
de l'engagement juridique de l'Etat.
90 Il ne faut pas confondre Projet de loi de
finances (PLF) et Loi de finances initiale (LFI). En effet, la LFI correspond
au Projet de loi de finances, une fois examiné et voté par le
Parlement. Pour l'anecdote, la Loi de finances initiale est également
appelée « vert budgétaire » (du fait de la couleur du
dossier).
59
Les crédits de paiement, quant à eux,
constituent « la limite supérieure des dépenses pouvant
être ordonnancées ou payées pendant l'année pour la
couverture des engagements contractés dans le cadre des autorisations
d'engagement. » Autrement dit, les CP sont le support du paiement dans la
limite des dépenses préalablement engagées.
Théoriquement donc, les autorisations d'engagement
devraient être égales aux crédits de paiement. Or, ce n'est
pas le cas en réalité. Les crédits programmés ne
sont pas égaux aux crédits exécutés. Par exemple,
la Loi de finances initiale (LFI) pour l'année 2012 a
arrêté le budget du ministère de la Défense et des
Anciens combattants à 41,23 milliards d'euros en crédits de
paiement et 43,20 milliards d'euros en autorisations d'engagement. Il y a donc,
sur un seul exercice budgétaire, une différence non
négligeable de 2 milliards d'euros entre les AE et les CP. C'est
pourquoi, d'aucuns considèrent que les autorisations d'engagement
correspondent à de la monnaie de singe.
C) Budget de la Défense et pensions
Il existe plusieurs manières d'aborder la question du
budget de la Défense en France. Soit il s'agit du budget de la
Défense hors pensions, soit avec pensions. Ainsi en 2011, le budget de
la Défense en France était de 31,2 milliards d'euros hors
pensions. Par conséquent, il faut prêté attention aux
chiffres communiqués. Ainsi, lorsque le professeur de sciences
politiques Martial Foucault précise que le budget annuel de la
Défense est de 40 milliards d'euros, il y inclut les
pensions91.
D) Budget de la Défense et PIB
Si l'on effectue des recherches pour connaître le
pourcentage que représente le budget de la Défense
français dans le Produit Intérieur Brut (PIB), les chiffres sont
très variables. Il est tout à fait possible d'avoir pour un
même pays et un même exercice budgétaire une
différence
91 FOUCAULT Martial, « Les budgets de
défense en France, entre déni et déclin », Focus
stratégique, n°36, avril 2012, p. 9.
60
de 0,7%92. Or, de tels écarts, s'ils peuvent
paraître à première vue anodins, sont considérables
puisqu'ils représentent des milliards d'euros de différence.
A partir de ce constat, certains pourraient penser que les
chiffres donnés sont fantaisistes. Pourtant, tous sont vrais. Le
problème réside dans les critères utilisés pour
calculer la part des dépenses militaires dans le PIB. Comme il a
été précisé précédemment, certains
instituts vont inclure les pensions alors que d'autres s'en passeront. Certains
organismes vont également intégrer au budget de la Défense
le budget des Anciens combattants alors que dans le cas français les
crédits attribués à la mission « Défense
» sont distincts des crédits attribués à la mission
« Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Enfin, certains instituts vont également inclure les dépenses
liées à la Gendarmerie nationale.
C'est pourquoi, pour parler du budget de la Défense,
nous avons décidé de nous référer à la norme
OTAN V2 qui permet de calculer les dépenses de Défense hors
pensions, hors Anciens combattants et hors Gendarmerie nationale. Dans ce
cadre, le budget de la défense concernant l'exercice 2011 atteint 31,2
milliards d'euros, soit 1,56% du PIB93. Or, dans un rapport
rédigé dans le cadre du sommet de l'OTAN, l'ancienne
Secrétaire d'Etat américaine rappelait qu'il l'existence d'un
seuil critique de 2% du PIB en-dessous duquel le maintien de la
sécurité collective ne peut être assuré
correctement94. Etonnamment, la France ne respecte plus ce
critère des 2% depuis 1997. Au regard des critères
dégagés par l'OTAN, cela fait donc quinze ans que le maintien de
la sécurité collective en France n'est plus jugé
crédible.
E) L'évolution des dépenses militaires en
France : 1980 - 2010
Nous reprenons ici certaines analyses faites par Martial
Foucault dans le cadre de son étude sur les budgets de Défense en
France95. Pour le chercheur français, trois périodes
doivent être
92 Preuve de ces écarts
considérables, la Banque mondiale indique que le budget de la
Défense français pour l'année 2011 est égal
à 2,2% du PIB. Pour le SIPRI (Stockholm International Peace Research
Institute), le chiffre est de 2,3%. Et selon la norme OTAN V2, le budget de la
Défense est égal à 1,56% du PIB.
93 Sources : Otan - Memorandum statistique de mars
2012 (retraitement DAF).
94 Rapport stratégique de l'OTAN, NATO
2020: assured security; dynamic engagement, Mai 2010, disponible à
l'adresse suivante :
http://www.nato.int/strategic-
concept/strategic-concept-report.html, consulté le 18 novembre
2012.
95 Op. cit.
distinguées : (1) la décennie 1980-1990 ; (2) la
période des « dividendes de la paix96 » entre
1990-2002 et (3) le réinvestissement de l défense entre 202 et
2010.
tae e r consant Tri érds nces ati es
trente dernières années d'engagement
budgétaies de la France pour s
poltique de défense : (1)
la décennie 1980-90 (2)
Figure 2 : Evolution des dépenses de
défense en France, 1980-2010
(M. d'euros constants 2000)
38 000
36 000 34 000 32 000 30
000 28 000 26 000
|
|
61
Source : ministère de la Défense, DAF,
OED.
Source: ministère de
la
D'après ce graphique, il est possible de constater un
lien de corrélation entre la perception des menaces internationales et
les dépenses militaires. C'est parce que la France a eu
l'impression que le monde post-guerre froide
serait plus sûr qu'elle a décidé de moins investir
dans sa défense. On constate en effet une baisse
moyenne annuelle de l'effort de défense de 1,8% sur la période
1990-2001. Pourtant, les années 1990 n'ont pas été
particulièrement
avares en conflits : guerre du Golfe
(1990-1991), éclatement de la Yougoslavie,
guerre civile et ethnique en Sierra Leone (1991-2001),
génocide au Rwanda (1994), guerre civile au Congo
(1997-1999), guerret civile en Guinée-Bissau
(1998-1999), début de la deuxième guerre de
Tchétchénie (1999), Deuxième Intifada
entre Israël et la Palestine (2000)... Par ailleurs, on dénombrait
18 opérations de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU entre
1948 et 1990,
51 entre 1990 et 2011...
Toutefois, il faut reconnaître que la perception
française de l'environnement international et de son niveau de «
dangerosité » a été globalement partagée par
l'ensemble des démocraties développées. Dans ce contexte
de baisse des budgets de Défense mais d'augmentation des crises et des
menaces à l'échelle mondiale (Etats faillis, guerres civiles,
terrorisme, prolifération nucléaire...), le recours à des
prestataires privés est apparu comme la meilleure
96 Les « dividendes de la paix »
correspondent à la période ayant succédé à
la chute du Mur de Berlin (9 novembre 1989) et à la
désagrégation du bloc soviétique.
62
solution. Cependant, la baisse globale du budget de la
Défense en France (« l'Etat français accord la même
priorité budgétaire à sa défense en 2010 qu'en
199897 ») n'est pas le seul facteur économique à
l'origine des processus d'externalisation.
F) Le coût de la modernisation technologique : la
loi d'Augustine
Dans les années 1970 aux Etats-Unis, le directeur de
Lockheed Martin fit part de ses inquiétudes quant à
l'augmentation incontrôlée du coût d'acquisition des
systèmes d'armes : « le coût unitaire des produits
aéronautiques militaires a crû à un rythme étonnant
et intenable tout au long de l'histoire. Considérons l'exemple des
avions tactiques. Comparant l'évolution du coût unitaire par
rapport au temps, [...] nous observons que le coût d'un avion tactique a
été multiplié en moyenne par 4 tous les dix ans. En
extrapolant le budget de la défense selon les tendances de ce
siècle, on découvre qu'en 2054 la courbe du coût d'un avion
rejoindra celle du budget. Ainsi, au rythme actuel, le budget de la
défense entier ne permettra d'acheter [en 2054] qu'un seul avion
tactique98 ».
Si l'on prend au sérieux la loi d'Augustine,
l'équilibre qualité/quantité risque d'être rompu
à l'avenir. Les armées disposeront d'un équipement de plus
en plus sophistiqué mais aussi de plus en plus rare. Les débats
ont d'ailleurs déjà commencé, que ce soit en France avec
la question du coût du Rafale ou aux Etats-Unis avec la question du
coût du F-35. Or, il apparaît que si la modernisation technologique
représente un coût qui ne peut être maîtrisé,
il est toutefois toujours possible de « jouer » sur la variable
humaine. Cela implique forcément une réduction des effectifs.
D'ailleurs, le Livre blanc de 2008 prévoyait déjà une
réduction de 54 000 personnels de la Défense99 et
l'annonce par le gouvernement Ayrault de la suppression en 2013 de 7 200 postes
n'a fait que confirmer cette volonté de maîtriser les coûts
en diminuant les dépenses de fonctionnement.
D'autres possibilités peuvent être
également envisagées pour maintenir le niveau
d'équipements au sein des forces armées françaises. La
mutualisation des forces en fait partie.
97 FOUCAULT Martial, « Les budgets de
défense en France, entre déni et déclin », Focus
stratégique, n°36, avril 2012, p. 14.
98 Voir l'article d'Augustine sur l'industrie
aéronatique américaine intitulé « Unhappy Birthday :
America's Aerospace Industry at 100 », Aerospace America,
February 1997.
99 Cette réduction des effectifs permettrait
de dégager 2,7 milliards d'euros de crédit, sans augmentation du
budget.
63
Par exemple, les trois corps de commissaires de l'armée
de Terre, de la Marine et de l'Armée de l'air ont été
regroupés le 1er janvier 2013 pour donner naissance au corps
unique des commissaires des armées. Toutefois, qu'il s'agisse de
l'externalisation ou de la mutualisation, il est fort possible que cela ne soit
pas suffisant pour faire face au coût de la modernisation technologique.
Si l'on prend le cas de l'Australie, on constate que malgré le recours
à des externalisations massives dans les fonctions administratives, le
soutien logistique et le soutien médical, le coût d'acquisition du
F-35 leur semble encore trop élevé100. C'est pourquoi,
si l'externalisation peut apparaître comme une réponse à la
question budgétaire, elle ne doit certainement pas être
considérée comme la panacée et ne doit pas empêcher
de réfléchir plus en profondeur sur les moyens d'affronter les
futurs défis économiques en matière de défense.
2 / Les domaines susceptibles d'externalisation
« La politique, c'est l'art du vocabulaire. »,
Benjamin Constant
L'externalisation peut s'appliquer à tous les domaines,
sauf ceux qui impliquent une agression armée. Ainsi, l'offre de services
proposée par les Entreprises de Services de Sécurité et de
Défense s'avère très large.
A) Typologie des ESSD par missions
Nous reprenons ici la typologie effectuée par
Georges-Henri Bricet des Vallons dans son ouvrage sur l'Irak101. Il
y distingue 4 types d'ESSD bien qu'il les nomme sociétés
militaires privées (SMP). Oublions un instant la terminologie pour se
concentrer sur la distinction opérée par Bricet des Vallons. Pour
ce dernier, le marché de la sécurité privée est
composé de sociétés militaires privées «
combattantes », de sociétés militaires « de soutien
», de sociétés militaires « de consultance » et de
sociétés militaires « de logistique ».
100 CHAPLEAU Philippe, « L'Australie juge la facture du
F-35 salée. Envoyons des marines ! », 19 novembre 2011, disponible
sur le site
www.lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr,
consulté le 20 novembre 2012
101 BRICET DES VALLONS Georges-Henri, Irak, terre
mercenaire, Editions Favre, Lausanne, 2009, p. 89-90.
64
Si cette classification mérite qu'on s'y attarde, il
convient de considérer que seules les sociétés fournissant
un service de combat peuvent être appelées SMP. Dans ce cadre,
seule la première catégorie dégagée par Bricet des
Vallons mérite le terme de SMP. Notre choix prête le flanc
à la critique puisque toutes les sociétés dont il est
question proposent des services qui incombaient autrefois aux forces
armées. En cela, il s'agit de sociétés militaires
privées. Cependant, il est plus juste de parler d'ESSD pour toutes les
sociétés non-combattantes. Par exemple, la fonction habillement
va être externalisée prochainement au sein du ministère de
la Défense. Parmi les entreprises retenues, la société
bretonne Armor Lux. Si jamais cette firme bénéficiait finalement
de la fonction habillement, serait-il juste de voir en elle une
société militaire privée ?
Par ailleurs, si la typologie que nous allons dresser permet
de mieux saisir la manière dont s'organise le marché privé
de la défense, elle n'en est pas moins imparfaite. En effet, les
sociétés dont il est question sont rarement des
sociétés spécialisées dans un seul domaine. En
général, les services qu'elles proposent sont très
variés. C'est pourquoi, la frontière qui existe entre chaque
catégorie n'est pas une frontière étanche. Ainsi, si
certaines sociétés sont citées pour illustrer un certain
type de missions, cela ne veut pas dire qu'elles ne font que ça. En
effet, il faut bien comprendre qu'une firme proposant divers services
s'avère moins exposée aux risques économiques qu'une firme
n'offrant qu'un seul type de prestations.
a) Les sociétés militaires
privées
« La [fin de la] Guerre Froide a laissé un vide
béant et j'ai vu qu'une niche venait de se créer sur le
marché [de la guerre]. », Eeben Barlow (cité dans Peter
Singer, Corporate Warriors : The Rise of the Privatized Military
Industry, Cornell University Press, New York, 2008, p.
101)
Cette première catégorie est à la fois un
anachronisme et une aberration eu égard au droit international public.
Anachronisme puisque ces sociétés n'existent plus aujourd'hui et
aberration puisqu'elles sont des sociétés mercenaires. Il s'agit
pour ces sociétés, souvent créées et
composées par d'anciens militaires des forces spéciales, de mener
des opérations offensives en territoire hostile. En d'autres termes, ces
sociétés font la guerre à la place des Etats.
65
On compte parmi ces sociétés Executive Outcomes
ou Sandline. Créée en 1989 par Eeben Barlow (ancien membre du
32e Bataillon des Forces spéciales de l'Armée
sud-africaine), Executive Outcomes s'est illustrée en Sierra Leone, au
Liberia et en Angola dans les années 1990 avant d'être dissoute en
1998. Quant à Sandline, elle fut créée en 1994 par un
ancien lieutenant-colonel de l'armée de Terre britannique, Tim Spicer,
avant d'être dissoute également en 2004.
b) Les entreprises « de soutien »
Ces firmes offrent une assistance en matière
opérationnelle et de renseignement, qui s'étend du domaine du
déminage (Ronco102, Sterling Global Operations, Zapata
Engineering) à celui de la sécurité privée (Aegis,
Academi (ex-Blackwater), DynCorp103, Triple Canopy). Si leurs
employés sont bien armés, ceux-ci se cantonnent
théoriquement à une posture défensive.
Par ailleurs, parmi ces entreprises « de soutien »,
certaines assurent des missions de surveillance et de reconnaissance
aériennes mais aussi des missions de largage de troupes
aéroportées. C'est notamment le cas de la firme luxembourgeoise
CAE Aviation dont la flotte comprend 3 Merlin III, 2 Casa
212, 5 Cessna Caravan, 1 Skyvan et 1 Islander.
Il faut noter que l'Union Européenne (UE) fait déjà appel
à cette société dans le cadre de la mission Atalante.
C'est également le cas du ministère de la Défense
français qui compte la firme parmi ses fournisseurs officiels.
c) Les entreprises « de consultance »
Les entreprises « de consultance » (CACI, L3-Titan,
Vinnell, MPRI, etc.) proposent traditionnellement des services de formation et
de conseil. Ainsi, la société américaine Military
Professional Resources Inc. (MPRI) a été chargée par le
Pentagone de former l'armée bosniaque durant la guerre de
Bosnie-Herzégovine (1992-1995). A ce titre, MPRI a non seulement agi en
tant que société de consultance mais aussi en tant que
société de soutien
102 Ronco Consulting Corporation est une firme américaine
ayant été créée en 1974.
103 Dyncorp fut créée en 1946 sous le nom de
California Eastern Airways.
66
puisque sa mission a impliqué l'envoi de chars,
d'avions et de camions. Par ailleurs, MPRI a été accusée
d'avoir joué un rôle significatif aux côtés des
forces croates à la bataille de la Krajina en 1995104, mais
ces allégations n'ont toujours pas été
prouvées105. Enfin et plus récemment, MPRI a
été retenue en Afghanistan, non seulement pour participer
à la formation de l'Armée nationale afghane (ANA) dans le cadre
d'un contrat de 1,2 milliard d'euros, mais aussi pour élaborer la
doctrine de cette dernière en échange d'une enveloppe de 140
millions d'euros.
d) Les entreprises « de logistique »
Les sociétés comme Kellogg Brown & Root
(KBR)106, Fluor, Agility Group, Serco-Sodexho Defence entrent
typiquement dans ce champ. Les services proposés sont très divers
: castramétation (fait d'ériger un camp ou une base), gestion des
stocks d'armes et de munitions, restauration, habillement...
En outre, les entreprises « de logistique » peuvent
également être spécialisées dans le transport
aérien. Ce fut notamment le cas de la société DynCorp
lorsqu'elle s'appelait encore California Eastern Airways. Elle était
alors spécialisée dans le transport de fret. De nos jours, il est
possible de citer les sociétés Volga-Dnepr Airline et Antonov
Design Bureau qui mettent à disposition leurs avions cargo Antonov 124
et Iliouchine II-76 pour du transport de matériel. La France a
d'ailleurs recours aux Antonov de cette société pour projeter des
équipements lourds sur des théâtres
éloignés.
B) Typologie des ESSD par position sur le champ de
bataille
Le chercheur américain Peter Warren Singer
préfère classer les ESSD en fonction de leur position sur le
champ de bataille plutôt qu'en fonction de leurs
missions107.
104 AVANT Deborah, The Market for Force : The Consequences
of Privatizing Security, Cambridge University Press, 2005, p. 103.
105 ADAMS Thomas K., « The New Mercenaries and the
Privatization of Conflict », Parameters, 1999, pp. 103116.
106 La firme américaine KBR est une filiale du groupe
multinational Halliburton.
107 SINGER Peter Warren, Corporate Warriors. The Rise of
Privatized Military Industry, Cornell University Press, New York, 2008, p.
93.
67
Dans ce cadre, Singer utilise l'image de la lance et de son
fer (tip of the spear) pour hiérarchiser les prestations des
ESSD. Ainsi, il distingue trois niveaux, du plus proche de la ligne de combat
au plus éloigné : les military provider firms (le fer),
les military consultant firms (le haut du manche) et les military
support firms (la partie basse).
a) Les military provider firms
Il s'agit de prestataires de services liés à
l'action combattante. Pour être plus précis, les « military
provider firms » sont toutes ces sociétés dont les
activités impliquent le combat et le soutien opérationnel.
b) Les military consultant firms
« Nous comptons plus de généraux par
mètre carré ici qu'au pentagone » Harry E. Soyster,
Général retraité et
exécutif auprès de MPRI108.
Ces sociétés sont spécialisées
dans la fourniture de conseils et autres services analogues : analyses
stratégiques, opérationnelles, organisationnelles... Ces firmes
s'occupent également de la formation et de l'entraînement
d'armées nationales. Comme nous l'avons mentionné plus haut, ce
fut le cas de MPRI dans le cas de la guerre de Bosnie-Herzégovine mais
aussi dans le cas du conflit afghan.
Au final, les military consultant firms se
distinguent des military provider firms dans le fait qu'elles
n'exécutent pas les opérations qu'elles planifient. Elles se
chargent de tout (éléments de doctrine, entraînement,
planification) sauf de la mise en oeuvre. Ces firmes ont donc un poids
militaire et politique extrêmement important puisqu'elles permettent
à des Etats de soutenir des mouvements insurrectionnels sans que cela
soit avoué officiellement.
108 Op. cit., p. 119.
68
c) Les military support firms
Cette troisième et dernière catégorie
recoupe l'ensemble des sociétés offrant des services logistiques,
du soutien technique, du ravitaillement et du transport. L'une de ces
sociétés, KBR, a joué un rôle non négligeable
durant la guerre en ex-Yougoslavie en fournissant à la Kosovo Force
(KFOR) de nombreuses prestations dans des domaines aussi variés que la
castramétation, le courrier, la restauration, l'entretien des
bâtiments, la blanchisserie... Dernièrement, la firme
américaine a conclu avec le Pentagone un contrat de 24 millions de
dollars pour rénover et agrandir les taxiways du Camp Lemonnier à
Djibouti109.
C) Conclusion
Les deux typologies étudiées
précédemment permettent de couvrir la quasi-totalité des
services offerts par les ESSD. Toutefois, il importe de rappeler que ces
sociétés, du fait de la multitude de services qu'elles proposent,
sont difficilement catégorisables.
Par ailleurs, le critère de non-participation directe
au combat utilisé dans ce travail pour distinguer les SMP des ESSD peut
être discuté. En effet, une firme chargée de faire de
l'escorte de personnels civils ou militaires en territoire hostile ou bien une
société dont les hommes sont recrutés pour assurer la
sécurité d'une ambassade ou d'une entreprise peuvent être
impliqués dans des combats si les personnes ou les biens qu'elles
protègent sont attaqués. Cependant, il faut bien retenir que ces
entreprises ont été engagées en premier lieu dans un but
défensif et non offensif. Toutefois, la sagesse imposerait que les
hommes travaillant pour ces sociétés évoluassent dans un
environnement où le risque d'agression fût faible. Dans le cas
contraire, il semblerait justifié que ce fût des militaires qui
s'occupassent de ce genre d'activités.
109 CHAPLEAU Philippe, « KBR va rénover et
agrandir les taxiways de Camp Lemmonier », 20 août 2012, disponible
sur le site
www.lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr,
consulté le 24 août 2012
69
3 / L'externalisation en France
« Nous sommes les artisans de ce qui nous arrive :
vainqueurs ou victimes, nous avons à l'avance donné notre
consentement. », Georges Gusdorf, La Vertu de
force, 1956
Lorsque l'on souhaite étudier la réalité
de l'externalisation, il faut bien différencier d'un côté
les ESSD françaises et de l'autre les entreprises travaillant dans le
cadre de contrats conclus avec le ministère de la Défense.
A) Les ESSD françaises
Les ESSD françaises pèsent très peu sur
le marché international des services de sécurité et de
défense, marché d'ailleurs largement dominé par les ESSD
anglo-saxonnes. Au total, sur environ 1 500 sociétés de
sécurité privée à travers le monde, la France
compte entre 30 et 40 ESSD avec un chiffre d'affaires moyen de trois millions
d'euros. Parmi celles-ci, nous en étudierons quatre : GEOS, RISK&CO,
Gallice Security et Surtymar.
a) GEOS
GEOS est sans doute l'ESSD la plus importante en France.
Fondée en 1997 par Stéphane Gérardin (ancien du service
Action de la DGSE) et Thierry Laulom (spécialiste dans la protection des
chefs d'Etats), GEOS emploie aujourd'hui 480 agents dans plus de 80 pays :
France, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Suisse, Italie, Algérie,
Nigéria, Afrique du Sud, Irak, Afghanistan, Nouvelle Calédonie,
Mexique, Haïti, Venezuela, Colombie, Brésil, Argentine, Chili...
Par ailleurs, la plupart de ces agents sont des contractuels intervenant dans
le cadre de missions ponctuelles de conseil ou d'expertise.
En 2008, le chiffre d'affaires de GEOS était de 34
millions d'euros. En 2011, il passait à 37 millions d'euros, soit une
augmentation de près de 9% en trois ans. En outre, la
société française propose cinq types de services
destinés aux entreprises ou aux institutions étatiques
70
et supra-étatiques (OTAN, ONU, Commission
Européenne) : SURMAR (sûreté maritime), SUR
(Sûreté), HSE (Hygiène Sécurité
Environnement), AT (Assistance Technique) et IE (Intelligence
économique).
De façon plus concrète, GEOS « conduit des
missions de sécurisation sur terre et sur mer (protection non
armée des navires). Elle a par exemple assuré la protection de
journalistes français lors de la coupe de monde de football en Afrique
du Sud grâce au tracking, procédé de suivi des
déplacements au moyen des téléphones portables. Il s'y
ajoute des activités de conseil et de recommandations, ainsi que la mise
en place de veilles stratégiques. Le groupe a également
développé des capacités d'assistance technique dans des
zones difficiles. Elle a par exemple envoyé une centaine
d'ingénieurs en télécommunication en
Afghanistan.110 » Enfin, GEOS peut assurer des transferts de
valeurs dans le cadre de son programme IE.
b) RISK&CO
La société créée par Bruno
Delamotte (auteur de l'ouvrage intitulé Les secrets de
l'intelligence économique, 2009) est l'un des « poids lourds
» du secteur français avec un chiffre d'affaires revendiqué
de 20 millions d'euros en 2010111. De plus, la société
emploie 120 personnes « dont plus de 50% sont déployés hors
de France avec une présence permanente dans plus de 25 pays du
monde112 ».
S'agissant des services proposés, RISK&CO couvre
deux domaines : le management de l'information stratégique (ex. : veille
et intelligence économique, risques pays et analyse
géo-sécuritaire, etc.) et la sûreté et le management
des risques opérationnels (ex. : protection des biens et des personnes,
sécurité des sites et des infrastructures, sûreté
maritime on shore et off shore, etc.). A ce titre, une
trentaine d'entreprises du CAC 40 fait appel à l'expertise de
RISK&CO. On trouve aussi bien des groupes automobiles (Renault) que des
groupes spécialisés en Banque et Assurance (Crédit
Agricole, Société Générale, Le Crédit
110 Rapport d'information n°4350, Sur les
sociétés militaires privées, Christian Ménard
et Jean-Claude Viollet, 14 février 2012, p. 39.
111 GUIBERT Nathalie, « Vers un rôle accru du
privé dans la défense française », Le Monde,
15 février 2012
112 Citation extraite du site Internet du groupe RISK&CO,
disponible à l'adresse suivante ;
http://www.riskeco.com/main/index.php.html
71
Lyonnais...). Enfin, la société est
également intervenue en Egypte, suite au Printemps arabe
(janvier-février 2011), pour rapatrier des employés
français113.
c) Gallice Security
Parmi les autres leaders nationaux se trouve le groupe Gallice
qui, en 2011, a réalisé un chiffre d'affaires de 5,7 millions
d'euros. En 2012, il est prévu que celui-ci soit de 12 millions d'euros,
soit une augmentation de plus de 110% ! Peu de sociétés
françaises peuvent se vanter d'une telle croissance.
Créé en 2007 à l'initiative de quatre
anciens hauts cadres du service Action de la DGSE et du GIGN, le groupe Gallice
appartient aujourd'hui à une holding française, Centaure France,
dont les succursales couvrent « tous les domaines propres à la
sécurité des biens, des personnes et des affaires et de
l'innovation technologique de matériel. 114 ». Le
chiffre d'affaires de Centaure France était de 13 millions d'euros en
2011 et il est prévu qu'il atteigne 19,3 millions d'euros en 2012, soit
une hausse de 48%.
Les domaines d'action du groupe Gallice sont très
divers. La société intervient dans le cadre de partenariat avec
les pouvoirs publics (Gallice Developments), dans la sûreté
aérienne (Hyleos), dans la sécurité et l'intelligence
économique (BS3I), dans le transport et la protection de valeurs et
produits de luxe (L&V Protection) et dans la protection des personnes
(Gallice Protection). Plus concrètement, « les principaux pays
où agit GALLICE sont : le Gabon, la Mauritanie, ou encore Madagascar.
Compte tenu de l'importance des investissements français en Irak, cette
ESSD a également décidé de s'y implanter,
développant ainsi l'une des rares offres non anglo-saxonnes sur place.
Ce groupe réalise 45% de son activité auprès d'Etats (le
reste provenant essentiellement d'entreprises du CAC 40). Il a notamment
formé des unités d'élite au profit du Gabon, pays
où il a également assuré une
113 SILLY Grégoire, « Béatrice Bacconnet,
directrice générale de Risk&CO, veille sur les expat' du CAC
40 », Capital, 22 mars 2011, disponible sur
www.capital.fr
114 Citation extraite du site Internet du groupe Centaure
France, disponible à l'adresse suivante :
http://www.groupecentaurefrance.fr/
72
mission de deux ans pour la sécurité de la coupe
d'Afrique des Nations : accompagnement en amont de l'appareil
sécuritaire gabonais, conseil et formation, puis appui
opérationnel.115 »
d) Surtymar
Si la société Surtymar est moins connue que les
trois précédentes, elle s'avère néanmoins
numéro 1 en France et au Maroc dans le domaine de la sûreté
maritime et portuaire. En 2011, son chiffre d'affaires s'élevait
à 2,6 millions d'euros.
Créée en 2004 par Pierre Marionnet, ancien
officier des fusiliers marins et des commandos de la Marine nationale, Surtymar
assure, entre autres, des missions de sûreté des zones maritimes
et portuaires. Dans ce cadre, elle fait appel à d'anciens militaires
issus essentiellement de la Marine nationale et de la Légion
étrangère. Ceux-ci reçoivent une formation initiale de
Port Facility Security Officer (PFSO) et de Ship Security
Officer (SSO) afin de maîtriser le Code international pour la
sûreté des navires et des installations portuaires, plus connu
sous le nom d'ISPS116. Par la suite, les employés de Surtymar
peuvent être utilisés soit comme personnels de sûreté
de patrouilleurs et vedettes, soit comme personnels de sûreté
d'installations portuaires, ou soit comme personnels de sûreté
embarqués.
Par ailleurs, les clients qui font appel à Surtymar
sont très nombreux, plus de 280 au total. Il s'agit aussi bien de
personnes morales publiques (conseils régionaux, chambres de commerces
et d'industrie, Gendarmerie maritime, Gendarmerie nationale...), que de
personnes morales privées (Total, Lafarge, ARCELORMITTAL, etc.). On
trouve également des clients marocains et même des clients
japonais ou yéménites.
Finalement, avec le développement de la piraterie
maritime, il est fort probable que l'expertise d'ESSD comme Surtymar soit de
plus en plus sollicitée à l'avenir.
115 Rapport d'information n°4350, Sur les
sociétés militaires privées, Christian Ménard
et Jean-Claude Viollet, 14 février 2012, p. 39-40.
116 L'International Ship and Port Security (ISPS) a
été adopté le 12 décembre 2002 à la suite
des attentats du 11 septembre 2001. Il s'agissait en effet d'établir une
procédure internationale sur la sûreté des installations
portuaires et des navires afin d'éviter que ces derniers ne fussent la
cible d'attaques terroristes.
73
B) L'externalisation dans les forces armées
françaises
Si Gérard Longuet a pu dire, lorsqu'il était
ministre de la Défense et des Anciens combattants (février 2011 -
mai 2012), qu'il n'y avait pas et qu'il ne devait pas exister de
sociétés militaires privées en France117, sans
doute voulait-il faire valoir que l'Hexagone ne verrait pas naître sur
son territoire des sociétés à la réputation
sulfureuses telles que Blackwater ou DynCorp. En tout cas, l'externalisation
dans le domaine de la défense est une réalité que l'on ne
peut pas nier et qui connaît une progression constante depuis une dizaine
d'années, comme l'illustre le tableau suivant, établi à
parti des chiffres du Secrétariat Général pour
l'Administration (SGA)118.
Tableau 1 : Dépenses d'externalisation en France
(2001-2009)
Année
|
Montant en millions d'euros
|
Pourcentage du budget de
la Défense
|
2001
|
592
|
2
|
2002
|
670
|
2
|
2003
|
685
|
2
|
2004
|
831
|
3
|
2005
|
868
|
3
|
2006
|
963
|
3
|
2007
|
1451
|
4
|
2008
|
1695
|
4
|
2009
|
1676
|
5
|
(1) à compter de 2009, les chiffres n'incluent pas la
Gendarmerie.
Les dépenses d'externalisation en France
représentent par conséquent environ 5 % du budget de la
Défense. A titre de comparaison, la Défense en Grande-Bretagne
est externalisée à hauteur de 25 %, soit cinq fois plus qu'en
France119. C'est pourquoi, le ministère de la Défense
préfère parler d'« expérimentations ». Autrement
dit, s'il n'y a pas de véritable politique d'externalisation
actuellement en France, on assiste cependant dans chaque armée
à
117 COUSSEAU Cédric, « Le ministère de la
Défense nie l'existence de sociétés militaires
privées en France », 20 juin 2011, disponible sur le site
www.tempsreel.nouvelobs.com,
consulté le 14 avril 2012
118 Rapport d'information n° 3624, En conclusion des
travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur les
externalisations dans le domaine de la défense, Louis Giscard
d'Estaing et Bernard Cazeneuve, 5 juillet 2011, p. 11.
119 En Allemagne, en revanche, les montants
externalisés (1,6 milliards d'euros, soit 5% du budget de la Bundeswehr)
sont comparables à ceux enregistrés en France.
74
des transformations successives et à une augmentation
des partenariats en dehors de la sphère militaire.
a) L'armée de Terre
S'agissant de l'armée de Terre, l'externalisation est
intervenue principalement dans le cadre du renouvellement du parc
d'hélicoptères de l'Ecole d'Application de l'ALAT (EA-ALAT). Au
début des années 2000, les Gazelle sont jugées
vieillissantes. Or, l'achat d'un parc neuf ou le leasing sont
considérés comme des options trop coûteuses. En janvier
2008, le ministère de la Défense décide de louer des
hélicoptères à une société privée. Le
choix porte sur 36 EC-120 Colibri également connus sous le nom de NHE
(Nouvel Hélicoptère Ecole). En avril 2008, le contrat est conclu
avec la société Hélidax, une filiale du groupe DCI, dans
le cadre d'un PPP qui porte sur une durée de 22 ans et qui concerne une
vingtaine de milliers d'heures de vol par an.
S'agissant de la rentabilité de l'opération, la
Cour des comptes, dans sa communication du début 2011 à la
Commission des finances, de l'économie générale et du
contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale, estime «
que les gains économiques attendus sont assez faibles et demanderont
à être confirmés dans les prochaines
années120 » et que « le gain probable à
attendre de l'externalisation est assez faible : au maximum 4,5 % sur le
périmètre complet, 8,4 % sur le seul périmètre
externalisé. Compte tenu des interrogations soulevées au regard
de certaines hypothèses, le gain attendu est fragile.121
»
b) La Marine nationale
Pour la Marine, l'externalisation concerne notamment les
domaines de la guerre électronique et de la lutte antiaérienne,
avec les sociétés Aviation Defense Service (AvDef) et Apache
Aviation. Cette dernière, dans le cadre d'un contrat de 4 ans avec la
Marine nationale, met à
120 Cour des comptes, Communication à la Commission
des finances, de l'économie générale du contrôle
budgétaire de l'Assemblée nationale, « Le coût et
les bénéfices attendus de l'externalisation au sein du
ministère de la défense », 2011, p. 110.
121 Op. cit., p. 103.
75
disposition des plastrons rapides (3 chasseurs Hawker Hunter)
chargés de simuler des attaques antinavires.
L'externalisation concerne également les plastrons de
surface. Ainsi, en janvier 2011, le groupement français V.Navy-V. Ships
a remporté l'appel d'offres lancé par la Marine nationale six
mois plus tôt. Ce contrat, d'une valeur de 1,4 millions d'euros et d'une
durée d'un an reconductible dans la limite de 5 ans, prévoit la
fourniture de deux navires hauturiers basés à Brest et Toulon.
Ces bâtiments seront ainsi mobilisés dans le cadre
d'entraînements spécifiques et serviront aussi bien aux forces
navales de surface, aux sous-marins, aux commandos de marine et à
l'aéronavale.
Concernant, les coûts et les bénéfices
attendus de cette externalisation, ils restent encore impossibles à
établir en raison du caractère récent du processus.
Toutefois, les sociétés citées ont été
employées très rapidement par la Marine nationale. En effet,
dès mars 2011, Apache Aviation et V-Navy ont participé au
maintien en condition opérationnelle de l'aviso LV Le
Hénaff122.
c) L'Armée de l'air
S'agissant de l'Armée de l'air, nous avions
déjà brièvement évoqué la
société CATS. En effet, la filiale d'EADS assure depuis 2006 le
soutien des outils de formation de l'Ecole de pilotage de l'Armée de
l'air (EPAA) de la base aérienne 709 de Cognac. Le contrat
d'externalisation porte sur une flotte de 18 Grob 120 et de 35 TB-30
Epsilon.
En septembre 2011, CATS a décroché un
deuxième contrat. Il s'agit cette fois-ci d'assurer les « services
de réparation, d'entretien et services connexes relatifs » des 31
Xingu de l'Ecole de l'aviation de transport de la base aérienne 702
d'Avord.
Enfin, en août 2012, CATS a remporté un
troisième contrat avec l'Armée de l'air (DCI était
également sur les rangs). Il concerne la fourniture d'une vingtaine de
Cirrus SR20 venus remplacer, dès janvier 2013, les TB-10 Tobago de la
base aérienne 701 de Salon-de-Provence.
122 CHAPLEAU Philippe, « Apache Aviation et V-Navy pour
entraîner l'aviso LV Le Hénaff », 28 mars 2011
disponible sur le site
www.lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr,
consulté le 12 février 2012
76
Les gains économiques liés aux deux derniers
contrats sont difficilement chiffrables à l'heure actuelle. Toutefois,
il apparaît que dans le cadre du dossier de Cognac, le coût du
service externalisé permettrait un gain d'environ 5,17 millions
d'euros123. Toutefois, les magistrats de la rue Cambon rappellent
que « la comparaison est faite avec une situation en régie initiale
qui était très défavorable et aurait pu être
améliorée très nettement. Le périmètre a
été profondément modifié à l'occasion de
l'externalisation (réduction importante et rajeunissement des flottes,
diminution du besoin) et améliore nécessairement le
résultat post-externalisation sans que l'on puisse dire
l'économie générée par le passage au secteur
privé.124 »
En conclusion, il convient de retenir que nous n'avons
étudié ici que quelques exemples d'externalisation au sein des
forces armées françaises. En effet, la RGPP a identifié
une quinzaine de projets qui concernent potentiellement environ 16 000 emplois,
principalement dans les domaines de la restauration-hôtellerie-loisirs
(en Afghanistan, la restauration sur les FOB a été confiée
à partir de l'autonome 2009 à Sodexo), des infrastructures, de la
bureautique-communication, de l'habillement et du multiservices.
123 Cour des comptes, Communication à la Commission
des finances, de l'économie générale du contrôle
budgétaire de l'Assemblée nationale, « Le coût et
les bénéfices attendus de l'externalisation au sein du
ministère de la défense », 2011, p. 64.
124 Op. cit., p. 6.
77
C) Coûts et bénéfices attendus de
l'externalisation
a) Approche économique
La Cour des comptes a passé au crible six dossiers en
2011 (voir tableau 2). Cinq dossiers sur six présentent des gains
économiques.
Tableau 2 : Etude de six dossiers
d'externalisation
Nom du dossier
|
Coût initial en régie
|
Coût théorique en
régie optimisée
|
Coût du service externalisé
|
Gain
économique
|
Varennes sur Allier
|
5,1 M€ / an (valeur 2009à
|
Non connu
|
Env. 3 M€ / an (valeur 2009)
|
2,1 M€ / an (gain de 41%)
|
Cognac
|
22,6 M€ (valeur 2006) / an
|
Non connu
|
17,43 M€ (valeur 2006) / an
|
5,17 M€ / an (gain d'environ
22%)
|
Dax
|
Non connu
|
985 M€ actualisés TTC sur 22 ans
|
977 M€ actualisés TTC sur 22 ans
|
8 M€ actualisés sur 22 ans (gain de 0,9%)
|
Véhicules de
la gamme commerciale
|
84,7 M€ / an (valeur 2003)
|
Non connu
|
Environ 65,2 M€ (montant max. : 79 M€)
|
19,1 M€ / an, soit un gain de 22%
|
Sécurité des 5 bases
aériennes
|
9,93 M€ / an (valeur 2009)
|
Non connu
|
Entre 3,66 et 4,39 M€ / an (valeur
2009)
|
Entre 5,5 et 6 ,3 M€ / an (gain de 56% à
63%)
|
LOA des A 340
|
Sans objet (changement de type d'appareil)
|
18,5 € (valeur 2005) actualisés TTC /
siège / heure de vol
|
28,15 € TTC / siège / heure de vol
|
Ecart défavorable de 9,65 € / siège / heure
de vol (+52 %)
|
Source : Cour des comptes.
Toutefois, comme il est justement rappelé, « les
insuffisances méthodologiques et le manque de données ne
permettent pas à ce jour de conclure définitivement et de
façon globale sur l'intérêt économique des
externalisations. Les quelques dossiers qui ont donné lieu à des
analyses un peu plus avancées incitent à la plus grande prudence
et appellent à des analyses plus poussées, au cas par cas, pour
s'assurer que l'externalisation apporte des gains véritables
78
et substantiels.125 » En d'autres termes, il
n'est pas encore possible de juger de l'intérêt économique
global des processus d'externalisation. Il faudra donc attendre quelques
années encore pour savoir si ces « expérimentations »
du ministère de la Défense s'avère « payante »,
dans tous les sens du terme.
b) Approche sociale
En dehors de l'approche économique, il faut
également étudier l'impact humain lié au fait de confier
à des sociétés privées des tâches qui
étaient autrefois accomplies en interne. D'après la Cour des
comptes, « la plupart des externalisations (ou considérées
comme telles par les statistiques du ministère) mises en oeuvre n'ont
pas eu d'impact social important, qu'elles aient en fait compensé la
disparition des appelés, qu'elles soient liées à des
externalisations de capacité, ou qu'elles soient des
externalisations/sous-traitance dans le cadre de la maintenance. 126 »
Concrètement, dans le cas de l'externalisation de la maintenance
aéronautique à Cognac, 219 personnels ont été
touchés, tous militaires. « 154 (70%) ont été
mutés au sein de l'armée de l'air, 54 (24%) ont été
repris par les prestataires, 7 ont pris leur retraite et 4 contrats de
militaires du rang n'ont pas été renouvelés
(5%)127 ». Dans le cadre de l'externalisation de la maintenance
aéronautique à Dax, l'impact a été plus important.
En effet, 31% des personnels concernés ont été admis
à la retraite parmi lesquels 46 sous-officiers.
c) Conclusion
Chaque dossier étant unique, l'impact économique
et l'impact humain des processus d'externalisation doivent être
traités de façon particulière et ne doivent surtout pas
être pensés dans un cadre général.
125 Op. cit., p. 65.
126 Op. cit., p. 51.
127 Op. cit., p. 51.
79
Préconisation n°1 : tout projet
d'externalisation doit faire l'objet d'une étude comparative
approfondie. Celle-ci devra mettre en balance les gains économiques
escomptés dans le cadre de l'externalisation du service concerné,
ceux attendus dans le cadre d'une politique de «
mutualisation-interarmisation » et ceux prévus dans le cadre d'une
politique de « rationalisation-civilianisation » (remplacement des
militaires par des fonctionnaires civils).
Préconisation n° 2 : il convient
d'organiser l'évaluation et le contrôle de chaque service
externalisé à l'aide d'un tableau de bord. Véritable outil
de pilotage à la disposition du ministère de la Défense,
ces tableaux de bord seraient constitués de plusieurs indicateurs de
performance propres à chaque service.
4 / L'externalisation dans les pays anglo-saxons
« Donnez-moi la guerre, vous dis-je. Elle l'emporte sur la
paix autant que le jour sur la nuit. Elle est vive, vigilante, sonore, pleine
de lumière. », Shakespeare, Coriolan, 1607
Si « comparaison n'est pas raison », il n'est jamais
inutile de regarder ce qui se fait chez nos voisins anglo-saxons en
matière d'externalisation, notamment parce qu'ils disposent d'une
expérience vieille de plus de cinquante ans dans ce domaine.
A) L'externalisation en Grande-Bretagne
Depuis 1983 et sous l'influence de John Nott (ministre de la
Défense de 1981 à 1983) et de Michael Heseltine (ministre de la
Défense de 1983 à 1986), le MoD pratique l'externalisation. Cette
politique thatchérienne avait originellement pour objectif d'associer le
secteur privé, et donc de lui en faire partager les coûts,
à la politique de défense du royaume. Dans ce cadre, les
fonctions de support furent assurées par le secteur privé
à moins qu'il y eût une nécessité
opérationnelle ou que cela fût plus économique de conserver
ces fonctions in-house (Cmnd
80
675-1, 1989, p. 35128). En 1991, le MoD fit appel
à des prestataires privés dans de nombreux domaines comme la
restauration, l'entretien des locaux, le nettoyage des tenues militaires, la
sécurité et la maintenance. Certaines inquiétudes
naquirent quant au recours à des sociétés privées
dans le cadre de missions de guerre (le MoD parle de CONDO pour contractors
on deployed operations). Toutefois des économies de l'ordre de 20
à 30% furent réalisées dans certaines
unités129. En 1992, le MoD mit en place un programme qui
incitait les services des armées à faire des offres concurrentes
à celles des prestataires privés dans le cadre des contrats de
défense. Tout ceci dans le but « d'améliorer l'efficience et
la qualité du soutien aux lignes de front » (Cmnd 2800, 1995, p.
100).
Le MoD franchit un nouveau cap en matière
d'externalisation en lançant successivement les PFI (Private Finance
Initiative) en 1992 puis les PPP (Public Private Partnerships) en
1997. Pour être plus précis, la PFI consiste à faire
financer par des partenaires privés l'achat de matériels et
d'équipements publics. « Sans les charges d'achat et/ou de
maintenance et grâce à l'étalement budgétaire que
permet la PFI, la puissance publique encadre mieux ses budgets et
contrôle plus facilement le dépassement. L'entreprise qui finance
l'équipement public loue ensuite son utilisation à
l'Etat.130 » Le PPP est quant à lui un terme
générique qui est souvent utilisé de façon
interchangeable avec la PFI. En effet, à la fin des années 1990,
le terme de PFI avait mauvaise presse et il fut remplacé par celui de
PPP, notamment parce que ce dernier vocable véhiculait à la fois
les notions de « public » et de « partenariat ». Par
ailleurs, dans le cadre des PFI/PPP, les sociétés privées
financent et gèrent des services qui étaient autrefois du ressort
du secteur public. Le recours aux PFI/PPP vise notamment à engranger des
économies et à assurer une plus grande transparence dans le cadre
des appels d'offres.
S'agissant du bilan de l'externalisation en Grande-Bretagne,
il est possible de dire que les Britanniques ont été dans
certains cas un peu trop loin. En atteste le célèbre fiasco du
ravitaillement en vol. En 2002, le MoD annonça qu'il comptait
externaliser cette fonction en évoquant des économies de l'ordre
de 40%. En 2008, un contrat d'une durée de 27 ans et d'une valeur de 12
milliards de livres sterling fut signé avec AirTanker, consortium
privé créé
128 Cmnd est l'abréviation pour Command paper,
c'est-à-dire un document émis par le gouvernement britannique et
présenté au Parlement. Les white papers, green
papers, traités et rapports des Royal Commissions peuvent
tous être publiés en tant que command papers.
129 Pr. HARTHLEY Keith, Military outsourcing : UK
experience,Centre for Defence Economics, University of York, 2002
130 LAMBERT Eric, « Des bienfaits et conséquences
de l'externalisation dans les forces armées », 25 septembre 2012,
disponible sur
www.vanguard-intelligence.com/fr/blog/,
consulté le 25 septembre 2012
81
pour l'occasion. Il s'agissait en l'espèce d'assurer la
capacité opérationnelle de ravitaillement aérien et de
transport aérien de la Royal Air Force (RAF), ce service comprenant
l'entretien, la réparation et la formation des équipages. Pour
améliorer la rentabilité de l'opération, il était
prévu « qu'une partie de la flotte de ravitailleurs fasse l'objet
de location à des compagnies aériennes de transport à la
demande131 » puisque « seule une partie de ces appareils,
environ un tiers, est nécessaire en temps ordinaire, lorsque le pays
n'est pas impliqué dans une opération
extérieure.132 »
Cependant, quatre aléas sont venus rendre ce contrat
moins intéressant qu'il n'y paraissait au premier abord.
En premier lieu, la RAF a réduit drastiquement sa
flotte d'avions de combats (environ un tiers), d'où une diminution du
besoin relatif en ravitaillement en vol. Or, le caractère strict du
contrat ne permet pas de renégocier le nombre de ravitaillements
effectués.
En deuxième lieu, comme tous les aéronefs
sophistiqués, les avions ravitailleurs auront besoin de subir des
améliorations liées à l'évolution des techniques.
Or, les avions n'appartiennent pas à la RAF et il lui sera donc
difficile de réaliser les modifications nécessaires.
En troisième lieu, « le matériel de
ravitaillement en vol, fourni par des constructeurs américains, est
considéré comme sensible par le Pentagone qui l'a placé
sous le régime ITAR (International Traffic in Arms
Regulations), ce qui ne permet pas de louer ces avions à des
compagnies privées pour les rentabiliser lorsque les militaires n'ont en
pas l'usage.133 » Ainsi, l'intérêt
économique du contrat perd toute sa valeur.
En quatrième lieu, AirTanker fournit les
équipages des ravitailleurs (il s'agit de salariés civils). Or,
le « contrat prévoit que pour les missions susceptibles de
comporter un danger de nature militaire, notamment en Opex, des
équipages militaires remplacent les civils à bord des
appareils.134 », ce qui constitue « une lourdeur qui
oblige la Royal Air Force à conserver et à entraîner des
équipages opérationnels supposés ne pas voler en temps de
paix.135 »
131 Rapport d'information n° 3624, En conclusion des
travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur les
externalisations dans le domaine de la défense, Louis Giscard
d'Estaing et Bernard Cazeneuve, 5 juillet 2011, p. 64.
132 Op. cit., p. 63.
133 Op. cit., p. 65.
134 Op. cit., ibid.
135 Op. cit., ibid.
82
Toutefois, le bilan de l'externalisation en Grande-Bretagne ne
peut se résumer au seul cas du ravitaillement en vol. Comme le rappelle
Philippe Chapleau, les « résultats sont mitigés, certains
PPP et PFI étant à l'équilibre, d'autres marginalement
profitables ; en revanche, confier la maintenance des Tornado à
BAE a permis au MoD d'économiser 1,3 milliard de livres. Alors que les
analystes tablent sur une baisse de 20% du budget de la Défense à
partir de 2015, la Defense Support Review de 2009 préconise
d'accroître l'externalisation ; selon ses rédacteurs, sur dix ans,
le Royaume-Uni pourrait économiser 2,9 milliards de
livres.136 »
B) L'externalisation aux Etats-Unis
D'après les statistiques du début de
l'année 2009137, entre 197 000 et 200 000 contractors
travaillaient pour le gouvernement des Etats-Unis. Parmi ceux-ci, 160 000
à 170 000 étaient employés en Irak pour le compte
d'environ 630 entreprises. A titre de comparaison, il y avait, au mois de
décembre 2009, 112 000 soldats américains sur le sol irakien. En
d'autres termes, le ratio était de 1 militaire pour 1,5 civils. Par
ailleurs, 80% des missions externalisées concernaient la logistique et
20% les missions de sécurité proprement dites.
L'externalisation est donc un phénomène
largement répandu aux Etats-Unis. A ce titre, le tropisme des agences
gouvernementales pour ces sociétés fait que ces dernières
sont parmi les plus importantes du monde. Par exemple, une entreprise comme
DynCorp employait 17 000 personnes en 2010 pour un chiffre d'affaires de 2
milliards d'euros.
Toutefois, y a-t-il un intérêt pour l'Etat
américain à recourir à ces SMP ? En octobre 2005, le
Congressional Budget Office (CBO)138 fit paraître une
étude qui comparait respectivement le coût d'utilisation des
personnels militaires, celui des fonctionnaires civils et celui des
contractors dans le cadre de missions de soutien logistique en dehors
du territoire américain139. L'étude concluait que, sur
une durée de 20 ans, le recours à des unités militaires
coûterait approximativement 90% plus que l'utilisation de
contractors.
136 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de la
guerre - Des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Editions Vuibert, Paris, 2011, p. 121.
137 BRICET DES VALLONS Georges-Henri, Irak, terre
mercenaire, Editions Favre, Lausanne, 2009, p. 91. 138Le Bureau
du Budget du Congrès américain est une agence
fédérale américaine créée en 1974 sous la
présidence de Richard Nixon.
139 CBO, Logistics Support for Deployed Military Forces,
October 2005
83
Toutefois, en août 2008, le CBO fit une comparaison
entre les contractors et l'armée s'agissant du coût des
services de sécurité en Irak140. Le rapport
établissait que sur une durée d'un an (du 11 juin 2004 au 11 juin
2005), le coût d'une unité de contractors ne
différait pas grandement du coût d'une unité militaire
accomplissant les mêmes tâches.
Enfin, en mars 2010, le Government Accountability Office
(GAO)141 rédigeait un rapport comparant le coût
d'utilisation des employés du DoS par rapport à celui des
contractors en Irak142 dans le cadre de missions de protection
de personnes et de bâtiments. S'agissant de quatre dossiers sur cinq, le
recours à des employés du DoS coûterait davantage que le
recours à des contractors (voir tableau 3).
140 CBO, Contractors' Support of U.S. Operations in
Iraq, August 2008
141 Le GAO est l'organisme d'audit, d'évaluation et
d'investigation du Congrès en charge du contrôle des comptes
publics.
142 GAO, Warfighter Support : A Cost Comparison of Using
State Department Employees versus Contractors for Security Services in
Iraq, March 2010
84
Tableau 3 : DoS Vs SMP : comparaison des coûts (en
millions de $)
Contract : task orders
|
Number of contractor personnel
|
Contractor annual cost
|
State Department annual estimated cost (in fiscal
year 2008 dollars)
|
Cost
difference
|
|
|
|
Deployed
|
Stateside
|
Total
|
|
Baghdad Embassy Static Security
|
1,982
|
$77.6
|
$681.9
|
$176.5
|
$858.4
|
(+$785.1)
|
Baghdad Region Personal Protective Task Order
|
553
|
$380.4
|
$190.3
|
$49.2
|
$239.5
|
(-$140.9)
|
Basrah Region Personal Protective Services Task Order
|
243
|
$61.6
|
$83.6
|
$21.6
|
$105.2
|
(+$43.7)
|
Al-Hillah Region Personal Protective Task Order
|
259
|
$71.9
|
$89.1
|
$23.1
|
$112.2
|
(+$40.3)
|
Erbil Region Personal Protective Services Task Order
|
128
|
$52.1
|
$44.0
|
$11.4
|
$55.4
|
(+$3.3)
|
Source : GAO analysis of State Department data.
Si l'on compare les coûts totaux de ces cinq dossiers,
l'on constate que le recours à des ESSD revient deux fois moins cher que
le recours à des personnels du DoS (1,3706 milliards de dollars pour le
DoS contre 643,6 millions de dollars pour les contractors). Les
économies réalisées sont donc substantielles dans le cadre
de processus d'externalisation. Elles s'expliquent notamment par le recours
intensif à des employés irakiens (local nationals) ou
à des employés issus des pays en voie de développement
(third-country nationals). Par
85
exemple, dans le cas du premier dossier relatif à la
sécurité de l'ambassade US à Bagdad, 89% des
employés ne sont pas citoyens américains (82% de
third-country nationals et 7% de local nationals). Par ailleurs,
le seul dossier qui montre qu'il est moins intéressant
économiquement de recourir à des contractors
plutôt qu'à des employés du DoS est celui dans lequel la
société militaire privée n'a fait appel qu'à des
citoyens américains et non à des étrangers. En d'autres
termes, l'externalisation ne présente un intérêt
économique que lorsqu'il y a un recours massif à de la
main-d'oeuvre étrangère. Dans un pays aussi libéral que
les Etats-Unis, cela ne semble pas poser de problèmes dans l'opinion
publique. En revanche, dans un pays comme la France, qui essaie, tant bien que
mal, d'associer la doctrine libérale à la doctrine sociale, il
n'est pas sûr que cette manière de fonctionner soit
acceptée aussi facilement.
Enfin, comme le rappelle le GAO, l'étude porte
seulement sur les coûts et non sur la qualité des services
fournis, ce qui représente un biais majeur. De plus, ce rapport ne
concerne que le DoS et non le DoD. Le GAO explique cette absence par
l'incapacité du DoD à fournir les renseignements
nécessaires pour établir une comparaison complète des
coûts (le DoD était incapable de dire le nombre et le rang des
personnels militaires nécessaires dans le cadre des dossiers
susmentionnés, incapable également d'estimer le coût de
l'entraînement des personnels devant accomplir des fonctions liées
à la sécurité).
C) L'externalisation en Australie
Le cas australien est intéressant à plus d'un
titre car l'Australie n'est pas considérée comme un acteur majeur
des relations internationales ou une nation dont les forces armées la
mettraient au premier plan143. Toutefois, elle a su projeter des
troupes au Timor Oriental, en Afghanistan et en Irak. De même,
l'Australian Defense Force (ADF) intervient
régulièrement dans le cadre d'opérations de maintien de la
paix en Océanie et dans le sud-est asiatique.
Cette capacité de projection est due principalement
à la réforme structurelle initiée par l'Etat-major
australien dans les années 1990. En externalisant massivement les
fonctions administratives et le soutien logistique, l'ADF a pu s'équiper
de matériels militaires de
143 L'Australie comptait environ 71 000 militaires (51 000
permanents et 20 000 réservistes) en 2007.
86
qualité sans que le budget de la Défense ne
dépassât 2% du PIB144. Cet équipement comprend
notamment des chars M1A1 Abrams, des avions de combat F-35
Lightning II (livraison prévue à partir de 2013), des
hélicoptères de transport MRH-90, 12 nouveaux sous-marins
à propulsion classique 145 , etc. L'Etat-major australien a
également externalisé le soutien médical (depuis 2003, la
firme Aspen Medical assure la fourniture de services médicaux dans les
zones à risques) et la surveillance aéroportée des
approches maritimes (depuis 1995, la firme britannique Cobham assure
cette mission).
Toutefois, l'augmentation des processus d'externalisation au
sein de l'ADF n'a été possible que grâce à
l'existence d'entreprises capables de fournir des équipements et des
services militaires en quantité et en qualités suffisantes. Les
sociétés comme Spotless Group, Sodexho Defense ou Aspen Medical
en sont des exemples concrets. A ce titre, cette dernière
société « a été nommée, en
février 2009, à la première place du palmarès
annuel de l'Australian Defence Magazine, dans la catégorie PME.
Elle se classait alors 24e dans la liste des Top 40 Defence
contractors.146 »
En d'autres termes, le cas australien nous apprend que le
recours à des prestataires privés n'est réussi qu'à
condition qu'ils aient une véritable « visibilité
commerciale », c'est-à-dire d'une part, que les entreprises aient
atteint une certaine taille critique, et d'autre part, que le ministère
de la Défense leur fasse suffisamment confiance pour entreprendre des
partenariats avec eux.
Préconisation n°3 : l'Etat doit
définir une stratégie globale en termes d'externalisation afin de
permettre aux sociétés françaises
spécialisées dans ce domaine de s'organiser. Une telle
structuration favoriserait l'émergence de « géants nationaux
» propres à rivaliser avec leurs homologues
anglo-saxons.
Préconisation n°4 : les moyens de
veille stratégique doivent être consolidés afin de
surveiller les coûts et les bénéfices de l'externalisation
dans les pays étrangers qui mènent ce genre de
politiques.
144 Le budget de la Défense australien est aujourd'hui
de 26 milliards de dollars, soit environ 20 milliards d'euros.
145 Ils remplaceront les six sous-marins de classe
Collins.
146 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de la
guerre - Des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Editions Vuibert, Paris, 2011, p. 151.
87
TROISIEME PARTIE : L'EXTERNALISATION DE LA DEFENSE,
UN PROCESSUS AMBIVALENT
L'étude comparative précédente a
démontré que le recours à des prestataires privés
pouvait être aussi bien un échec (cas du ravitaillement en vol en
Grande-Bretagne) qu'une réussite (cas du soutien médical en
Australie). Dès lors, il convient de s'intéresser aux causes qui
feront de l'externalisation un avantage ou une limite pour celui qui y
recourra.
Chapitre 1 - Les avantages de l'externalisation
La fin de la Guerre froide a entraîné une
diminution majeure de la taille des armées occidentales. Dans ce cadre,
les ESSD sont apparues comme un complément nécessaire aux troupes
régulières. D'autre part, l'expertise dont elles font commerce
n'est plus aujourd'hui à démentir. Last but not least,
à l'heure où un « coup de rabot » budgétaire est
annoncé en France147, le recours à des prestataires
privés laissent entrevoir des gains économiques substantiels.
1 / Un complément nécessaire aux
armées régulières
« L'Etat ne peut pas tout. », Lionel Jospin
Les ESSD sont aujourd'hui une alternative efficace aux
armées régulières. Elles proposent non seulement de
protéger les personnes et les biens en zone instable, mais aussi
d'intervenir au sein d'organisations intergouvernementales comme l'Organisation
des Nations unies (ONU) ou l'Union européenne (UE).
147 PONS Frédéric, « Budget : alerte rouge
pour nos armées », 14 mars 2013, disponible sur le site
www.valeursactuelles.com,
consulté le 15 mars 2013
A) La protection des personnes et des biens en zone
instable
88
Les services de protection offerts par le ESSD concernent
aussi bien les entreprises multinationales que les organisations non
gouvernementales (ONG) à vocation humanitaire.
a) La protection des entreprises multinationales
S'il est vrai que depuis l'intervention au Mali, les forces
spéciales françaises sont chargées de protéger les
mines d'uranium d'Areva au Niger148, cette immixtion de l'Etat pour
protéger des intérêts privés s'avère
plutôt rare. Dans ces conditions, les grandes entreprises multinationales
développant des activités économiques en zone instable
n'ont pas d'autre choix que de recourir à des ESSD. La
sécurité de leurs personnels et de leurs infrastructures en
dépend. L'enlèvement de sept salariés français
d'Areva et de Vinci en septembre 2010 ainsi que l'enlèvement au mois de
novembre de la même année de deux français travaillant sur
une plateforme pétrolière au Nigéria atteste de la
réalité de la menace.
Cette nécessité de protéger les
entreprises agissant en zone instable avait d'ailleurs déjà
été affirmée il y a plus de dix ans par le
général Jean Heinrich (alors président du Comité de
surveillance de GEOS) : « En France, on confond le mercenariat et la
sûreté. Or la sûreté est une nécessité
économique, une activité indispensable à nos entreprises
qui s'exportent. Les zones grises, de forte insécurité, se
développent. Il serait ridicule de se replier économiquement sur
le monde `sûr', de refuser d'y travailler. Il faut juste y travailler
autrement, être accompagné. Les entreprises ne peuvent envoyer des
gens dans des zones à risques sans protection. C'est même une
question de responsabilité juridique.149 »
148 GUISNEL Jean, « Niger : les forces spéciales
protègeront les mines d'uranium d'Areva », 29 janvier 2013,
disponible sur
www.lepoint.fr
149 Le Figaro, 2 avril 2002.
89
b) La protection des organisations non gouvernementales
humanitaires
Parallèlement aux entreprises multinationales, les
organisations non gouvernementales sont également demandeuses de
prestations de services de sécurité, et plus
particulièrement celles qui interviennent sur le terrain de l'aide
humanitaire.
Dès 1999, une étude co-rédigée par
l'association humanitaire CARE International et le DOMP (Département des
opérations de maintien de la paix de l'ONU) faisait état de cette
nouvelle donne : « Les ONG devraient considérer la privatisation de
la sécurité pour des objectifs humanitaires. 150 » En 2000,
lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le responsable du
DOMP, Sergio Vieira de Mello151, renchérira en
déclarant que « le recours à des compagnies privées
pour protéger les travailleurs humanitaires est une formule qu'il faut
explorer.152 » Depuis, nombreuses sont les ONG à avoir
eu recours aux services d'ESSD. S'agissant des firmes britanniques, des gardes
du corps d'Armor Group et de Defense Systems Limited ont assuré la
protection de personnel d'ONG comme CARE ou CARITAS. Plus étonnant, des
ONG étrangères au monde anglo-saxon ont également fait
appel à des services de sécurité privée. Ainsi,
Médecins Sans Frontières - Belgique a reconnu avoir
déjà employé des gardes privés pour
sécuriser ses activités en Somalie.
Au final, les ESSD permettent à des ONG de remplir des
missions d'aide humanitaire auprès de victimes sinistrées ou
confrontées à des conflits armés. Sans elles, ces
organisations n'interviendraient tout simplement pas ou interviendraient de
façon beaucoup plus limitée.
B) Une alternative face au désengagement des
Etats dans le cadre des organisations intergouvernementales
Il n'est pas surprenant que la faible implication des Etats
dans le cadre des missions accomplies par des organisations
intergouvernementales ait eu pour pendant l'émergence
150 Cité par BRICET DES VALLONS Georges-Henri,
Irak, terre mercenaire, Editions Favre, Lausanne, 2009, p. 45.
151 Siergo Vieira de Mello sera tué le 19 août
2003 en Irak lors de l'attentat de l'Hôtel Canal contre la mission de
l'ONU qui s'était installée à Bagdad cinq jours
auparavant. L'explosion qui provoqua la mort de 22 fonctionnaires de l'ONU
entraîna le départ immédiat de l'organisation du pays.
152 Cité par BRICET DES VALLONS Georges-Henri,
Irak, terre mercenaire, Editions Favre, Lausanne, 2009, p. 45-46.
90
d'une offre privée. L'Organisation des Nations unies et
l'Union européenne en sont d'ailleurs les témoins les plus
manifestes.
a) L'Organisation des Nations unies et les
opérations de maintien de la paix
Le 19 juin 1998, Kofi Annan déclara lors d'une
conférence : « Lorsque nous avons eu besoin de soldats
compétents pour séparer combattants et réfugiés
dans les camps de Goma au Rwanda, j'avais envisagé la possibilité
d'engager une firme privée. Mais le monde n'est peut-être pas
prêt à privatiser la paix. » Cette remarque venant de l'un
des secrétaires généraux les plus charismatiques des
Nations unies ne doit pas être prise à la légère. En
effet, le recours à des ESSD est aujourd'hui sérieusement
envisagé dans le cadre des opérations de maintien de la paix
(OMP) et cela pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, « de 40 000 soldats déployés
en Afrique en 1993, l'armée d'interposition onusienne ne compte plus que
1 600 hommes en 1999.153 » Autrement dit et depuis
bientôt quinze ans, l'ONU n'a plus les moyens de ses ambitions.
Ensuite, le caractère professionnel des Casques bleus a
souvent été mis en cause, notamment lors de la Mission de
l'Organisation des Nations unies en République démocratique du
Congo (MONUC) s'étant déroulée de 1999 à 2010. Pour
citer Pierre Cherruau : « Chaque année, la MONUC coûte plus
d'un milliard de dollars aux Nations Unies, sans parvenir à mettre un
terme aux conflits armés qui ont fait près de 4 millions de
victimes au cours des dernières années.154 »
Enfin, la réputation de l'ONU est aujourd'hui
sévèrement entachée à cause de scandales
liés à des abus sexuels. Dans un ouvrage où il retrace son
expérience de contractor en Irak, John Geddes dénonce
les exactions commises par des soldats et des fonctionnaires des Nations Unies
sur la population congolaise : « Retour en 2005. Deux officiels des
Nations Unies inspectent le camp de réfugiés de Bunia, au Congo,
à la recherche d'indices susceptibles de confirmer les
allégations de violences sexuelles commises par des soldats de l'ONU sur
les femmes, les filles ou les garçons qu'ils ont pour mission de
protéger. [...] Les soldats marocains semblent avoir initié ces
abus. Des femmes et des enfants manquant de nourriture,
153 BRICET DES VALLONS Georges-Henri, Irak, terre
mercenaire, Editions Favre, Lausanne, 2009, p. 45.
154 CHERRUAU Pierre, « Kinshasa, capitale d'un grand
corps malade », 26 mars 2009, disponible sur
www.slateafrique.com
91
de toit et de protection se sont retrouvés à
devoir payer pour ces droits basiques dans une monnaie que les experts
internationaux et les membres de l'ONU appellent le `sexe de
survie'.155 » L'ONU essaiera d'enterrer l'affaire en renvoyant
deux fonctionnaires, mais l'accumulation des plaintes contraindra la MONUC
à « ouvrir une nouvelle enquête après avoir appris
l'existence d'un important réseau de prostitution impliquant des
mineures à proximité d'une forte concentration de militaires
congolais et de Casques bleus156 ».
Au final, l'ONU ne fait toujours pas appel à des ESSD
dans le cadre de ses opérations de maintien de la paix. Elle
reconnaît toutefois y avoir recours dans le cadre de contrats de conseil
ou de déminage. Les députés Ménard et Viollet
citent d'ailleurs l'exemple du contrat passé entre l'organisation
onusienne et Armor Group pour le déminage de certaines zones à
risques au Sud-Soudan pour un coût estimé à 5,6 millions de
dollars en 2007157. Comme le remarque Philippe Chapleau : «
l'absence de participations privées aux OMP n'implique pas une absence
de relations entre SMP et OMP ».
b) L'Union européenne et la politique de
sécurité et de défense commune
Dans le cadre de la politique de sécurité et de
défense commune (PSDC) mise en oeuvre au sein de l'Union
européenne, le recours à des ESSD est vu comme un moyen d'assurer
des fonctions que les Etats membres ne veulent pas ou ne peuvent pas remplir.
Concrètement, on assiste à une généralisation de
l'externalisation, notamment dans le domaine des missions civiles.
Ainsi, en 2008 et 2009, dans le cadre de EUPOL RD Congo, la
firme britannique G4S fut chargée de la protection des
quartiers-généraux de la mission ainsi que de celle d'autres
sites vitaux. De plus, en 2009, dans les territoires palestiniens, la mission
EUPOL COPPS a fait appel à la société britannique Page
Protective Services pour assurer des prestations de garde statique et
dynamique. D'autres sociétés privées furent
également engagées dans le domaine des
télécommunications. Enfin, la mission EULEX au Kosovo a
utilisé des ESSD pour
155 GEDDES John, Autoroute vers l'enfer, Nimrod,
Paris, 2006, p. 206 cité par BRICET DES VALLONS Georges-Henri, Irak,
terre mercenaire, Editions Favre, Lausanne, 2009, p. 48-49.
156 Op. cit., p. 207
157 Rapport d'information n° 4350, Sur les
sociétés militaires privées, Christian Ménard
et Jean-Claude Viollet, 14 février 2012, p. 18.
92
protéger ses emprises. Un contrat fut d'ailleurs
attribué en octobre 2010 à la société Henderson
Risk Limited d'une valeur annuelle de 2 350 000 euros.
Ce recours à des prestataires privés s'explique
largement par le désengagement des Etats membres. Par exemple, la
force protection (protection de la force)158 et le soutien
médical sont souvent deux domaines dans lesquels aucun pays ne souhaite
s'investir. Ce manque d'entrain est particulièrement visible lors des
conférences de « génération de forces ». A ce
titre, pour lancer l'opération EUFOR Tchad/RCA en janvier 2008, il aura
fallu plus de quatre conférences de generation force. Plus
récemment, le lancement de la mission européenne de formation des
forces armées maliennes (EUTM Mali) était retardé car il
manquait des hélicoptères d'évacuation médicale. La
piste de l'externalisation a été évoquée (il
s'agissait de recourir à deux hélicoptères
médicalisés B0-105 de la firme Eurocopter) avant que la Belgique
n'acceptât de réaffecter ses hélicoptères AB 109
stationnés à Sévaré dans le cadre de
l'opération française Serval à Bamako au titre de la
mission militaire EUTM Mali.
2/ Une expertise reconnue
« La bonne application par les navires des bonnes pratiques
comme la présence de gardes armés (militaires ou gardes
privés) participe également de la limitation des prises par les
pirates. », Nicolas Gros-Verheyde, « Accalmie notable sur le front de
la piraterie somalienne début 2012 », 10 juin 2012, disponible sur
www.bruxelles2.eu,
consulté le 20 décembre 2012
Le mythe de l'amateurisme des ESSD a souvent été
colporté. Pourtant, leur rôle a été salué
dans de nombreux domaines et leur recours représente un véritable
gage de réactivité et de flexibilité.
158 La force protection a essentiellement pour
mission la garde d'infrastructures militaires (par exemple, le
quartier-général), la sécurité des séances
d'entraînement à l'extérieur des camps (combat,
séances de tirs, manoeuvre en véhicules, etc.) et les escortes
lors de déplacements.
93
A) Un rôle salué dans de nombreux domaines
La participation d'ESSD dans le domaine de la lutte contre la
piraterie mais aussi dans des domaines où les compétences sont
rares représente un véritable avantage qui n'est plus aujourd'hui
démenti.
a) La lutte contre la piraterie
L'efficacité des ESSD dans le cadre de la protection
des navires civils a été prouvée récemment par la
baisse du nombre d'attaques de pirates. En effet, d'après le rapport du
Bureau maritime international (BMI), les attaques de navires à l'est de
l'Afrique et à proximité de la Somalie sont passées de 237
en 2011 à 75 en 2012 et seulement 14 bateaux ont été
détournés, moitié moins que l'année
précédente159. A ce sujet, même si le rôle
des Best Management Practices (BMP)160 n'est pas à
négliger, le BMI a clairement indiqué que les déploiements
de navires de guerre ainsi que la présence d'équipes
armées sur les navires de commerce jouaient un rôle dissuasif
vis-à-vis des pirates.
Les députés français Christian
Ménard et Jean-Claude Viollet s'avèrent d'ailleurs favorables
à un changement de la législation sur la question des ESSD en
matière de lutte contre la piraterie : « La demande de protection
privée existe et l'offre française doit s'organiser, faute de
quoi le rang de la France comme puissance maritime mondiale pourrait être
menacé. Les évolutions doivent intervenir rapidement, afin
d'accompagner les réflexions en cours dans l'Union européenne. Il
s'agit à la fois de plaider pour l'adoption d'exigences minimales
vis-à-vis du secteur, tout en veillant à ce que les États
gardent la main sur la gestion et le contrôle de leur pavillon. Cette
situation invite à étudier l'état du droit français
ainsi que l'offre en présence dans notre pays.161 »
159 Anonyme, « Fret : Nouvelle baisse de la piraterie en
2012 », 17 janvier 2013, disponible sur
www.zonebourse.com,
consulté le 17 janvier 2013
160 Les BMP sont des pratiques éditées par le QG
anti-piraterie d'EUNAVFOR Atalanta et les industriels du milieu maritime. Elles
visent à retarder l'arrivée des pirates à bord des
navires. Concrètement, il s'agit pour les armateurs d'équiper
leurs bâtiments de façon à compliquer les abordages (par
exemple, mettre en place des barrières physiques comme des
barbelés, utiliser des canons à eaux ou à mousse,
etc.).
161 Rapport d'information n° 4350, Sur les
sociétés militaires privées, Christian Ménard
et Jean-Claude Viollet, 14 février 2012, p. 28.
94
Préconisation n°5 : l'Etat n'ayant
plus les moyens nécessaires à la protection contre la piraterie
maritime des navires battant pavillon français, il convient, soit
d'accroître les capacités des armées et notamment le nombre
d'équipes de protection embarquées de la Marine nationale, soit
d'autoriser la présence de gardes armés privés à
bord des bâtiments transitant dans les zones jugées sensibles.
Dans ce dernier cas, seules les armes non létales seraient
autorisées à bord comme les canons à sons
(déjà présents sur les navires de guerre
américains), les canons à ondes, les armes anti-émeute,
etc.
b) Les domaines hyper-spécialisés
Certaines ESSD peuvent proposer non seulement la fourniture de
personnels aux compétences rares mais aussi du matériel sans
cesse actualisé, « ce qui dispense les Etats d'engager des
personnels ou de mobiliser des infrastructures pour des besoins
ponctuels.162 » Cette offre dans des domaines
hyper-spécialisés représente par conséquent un
formidable levier d'intervention pour l'Etat qui décide d'y recourir.
Cette assertion est particulièrement vraie dans le
domaine des systèmes d'information et de communication (SIC). Dans ce
cadre, le recours à un prestataire privé permet de toujours
disposer de matériels récents. A ce titre, le groupe
français Thalès a obtenu le marché de la gestion des
réseaux de communication de l'OTAN en Afghanistan.
Mais l'offre des ESSD ne se limite pas qu'aux nouvelles
technologies de l'information et de la communication. Pour citer les
députés Ménard et Viollet, « En France, la
société Amarante fournit au MAE les services d'un expert en
explosifs pour les audits de sécurité des postes diplomatiques
(90 000 euros). Cette même société lui assure
également une prestation d'audit de sécurité pour les
logements d'agents de l'Etat en Afrique du Sud.163 »
Enfin, le déminage fait également partie des
domaines où le recours à une ESSD permet de recourir à des
compétences rares, avec un coût maîtrisé car
limité dans le temps. Par exemple, en Lybie, les Etats-Unis ont su
« mobiliser d'importants moyens privés pour la recherche des
162 Op. cit., p. 14.
163 Op. cit., ibid.
95
explosifs et leur destruction à l'appui d'un contrat
global de cinq ans liant le Département d'Etat à la
société Stirling.164 » Ce contrat permet ainsi
à la puissance américaine « de mobiliser des
capacités privées lorsqu'un besoin se fait sentir, partout dans
le monde, pour la destruction d'armes conventionnelles et le déminage
humanitaire. Le contractant a indiqué par avance quels seraient les
personnes et les moyens employés pour tous les scénarios
possibles. Selon les besoins, le Département d'État passe ainsi
des contrats supplémentaires par théâtre, en organisant un
contrôle sur place des travaux effectués.165 »
B) Réactivité et flexibilité
En fonction des législations nationales, le
déploiement de forces dans un pays en crise peut prendre plus ou moins
de temps, en particulier lorsqu'un vote parlementaire est nécessaire.
Dès lors, le recours à une firme privée améliore
les capacités de réaction car elle permet d'éviter cette
procédure parfois jugée trop lourde. Pour rappel, les contrats
entre le Pentagone et une ESSD ne sont soumis à l'examen du
Congrès que lorsqu'ils dépassent les 5 millions de dollars.
D'autre part, le GAO témoigne dans un rapport de mars
2010 comparant le coût d'utilisation des employés du DoS par
rapport à celui des contractors en Irak et que nous avons
déjà cité précédemment166, que la
main-d'oeuvre privée est disponible quasi-instantanément alors
que dans certains cas, le DoS doit recruter et entraîner les personnels
correspondants. En outre, ce rapport ajoute que le DoS est parfois dans
l'incapacité de fournir des individus ayant les compétences
requises. Il s'agit notamment des gardes, des screeners167,
des maîtres-chiens spécialisés dans la détection
d'équipements militaires et des armuriers. Il faudrait alors
développer de nouveaux programmes d'entraînement pour chacune de
ces spécialités et construire les infrastructures
adéquates, ce qui augmenterait considérablement les
coûts168.
164 Op. cit., p. 14
165 Op. cit., p. 15
166 GAO, Warfighter Support : A Cost Comparison of Using
State Department Employees versus Contractors for Security Services in
Iraq (March 2010).
167 Un screener est un opérateur de
sûreté qui effectue le contrôle des passagers et de leurs
bagages dans les gares et aéroports.
168 Op. cit., p.11.
96
Par ailleurs, le recours à une ESSD présente un
autre avantage décisif sur le plan de la flexibilité. Alors qu'en
temps de paix, un militaire percevra sa solde, le contractor ne
représentera un coût pour son employeur que lorsqu'il sera
effectivement utilisé. Toutefois, il faut reconnaître que les
armées ont de plus en plus recours à des personnels sous contrat.
Dans le cas de la France, le personnel militaire d'active se compose en 2011 de
63% de militaires sous contrat169 et de 37% de militaires de
carrière170 (cf. figure 3).
Figure 3 : Répartition entre militaires de
carrière et militaires sous contrat par catégorie en
2011
|
|
Source : Secrétariat Général pour
l'Administration.
|
|
Cependant, l'importance des chiffres mentionnés
auparavant doit être nuancée par deux paramètres. Tout
d'abord, s'agissant des militaires sous contrat, la durée de leur
engagement ne pourra jamais rivaliser, en termes de flexibilité, avec
celle des contractors. En effet, alors que le contrat du militaire se
compte toujours en années, celui du contractor peut se calculer
en mois ou en semaines, voire même en jours (au même titre que
n'importe quel travailleur
169 Les contrats vont de 3 à 10 ans et sont renouvelables
sous conditions et dans une limite de durée.
170 Secrétariat Général pour
l'Administration, Bilan social 2011, Chapitre 1 - Le personnel de la
Défense.
97
intérimaire). Ensuite, s'agissant des militaires de
carrière, leur état ne cesse que lorsqu'ils sont radiés
des cadres (article L4139-12 du Code de la défense)171.
Dans ces conditions, le recours à une ESSD
représente un avantage de taille pour celui qui veut disposer d'une
main-d'oeuvre déjà formée pendant un laps de temps ne
l'engageant pas au-delà de ses besoins. Comme convenu par contrat, la
fin de la mission entraînera la fin de l'engagement du
contractor.
3 / La possibilité de gains économiques
« Ce qui gêne, voire irrite, certains citoyens, c'est
de voir l'Etat reconnaître que la sécurité est un bien
marchand, qu'elle s'inscrit, elle aussi dans la logique du marché,
qu'elle peut générer des bénéfices, alors qu'elle a
longtemps été présentée comme un dû à
chaque citoyen et un devoir des gouvernants envers leurs administrés.
», Philippe Chapleau, Les nouveaux entrepreneurs de la guerre : des
mercenaires aux sociétés militaires privées, Vuibert,
Paris, 2011, p. 104.
La promesse de gains économiques n'est pas une
chimère lorsqu'on recourt à des ESSD. Cependant, elle ne demeure
vraie que lorsque certaines conditions sont remplies. En premier lieu, il faut
qu'il y ait, selon la formule pléonastique, une « concurrence libre
et non faussée ». En second lieu, l'intérêt
économique de l'externalisation est avant tout pertinent dans le cas des
missions ponctuelles.
A) La nécessité d'une « concurrence
libre et non faussée »
Le mécanisme de la mise en concurrence permet
indéniablement de faire baisser le prix des contrats. Toutefois, cela
demeure vrai à condition d'éviter deux écueils.
Premièrement, il faut qu'il y ait une vraie concurrence et non pas des
situations oligopolistiques voire monopolistiques. Deuxièmement, les
Etats ne doivent pas céder à la paresse en renouvelant
automatiquement les contrats des prestataires avec lesquels ils sont
engagés. A titre
171 L'article L4139-12 du Code de la défense dispose
que « L'état militaire cesse, pour le militaire de carrière,
lorsque l'intéressé est radié des cadres ».
98
d'exemple, le renouvellement automatique depuis 1975 par le
gouvernement américain du contrat la liant à Vinnell Corps et
concernant la formation et l'entraînement des forces de la garde
nationale d'Arabie Saoudite illustre parfaitement le piège dans lequel
il ne faut pas tomber.
En outre, les prestations des sociétés
privées offrent bien souvent des solutions avantageuses car la taille de
ces dernières leur permet de réaliser des économies
d'échelle. C'est le cas par exemple de la société Global X
créée en 2011 et dont l'objectif est de développer des
prestations de soutien aux OMP. Global X réunit un groupement
d'entreprises françaises (Thalès, Geodis 172 , Sodexo)
et le GTE Access. C'est également le cas de l'entreprise britannique
G4S, qui, avec plus de 620 000 employés et un chiffre d'affaires de 7,5
milliards de livres en 2011, fait partie des plus importantes
sociétés au monde. On assiste donc à l'émergence de
« poids lourds » mondiaux dont l'offre de services ne fait que
croître et dont le coût des prestations est de plus en plus
intéressant.
B) Le cas des missions ponctuelles : les ESSD comme
« intérimaires » de l'Etat
Le recours à des ESSD peut présenter un
intérêt économique « lorsqu'il s'agit de confier au
secteur privé des missions de courte durée exigeant des
compétences techniques très pointues ou très rarement
utilisées en temps de paix.173 » Pour illustrer ces
économies potentiellement réalisables, nous pouvons citer
Jean-Marie Vignolles qui écrivait en 2006 : « le contrat
passé entre la Sierre Leone et Executive Outcomes, en 1995, a certes
coûté 35 millions de dollars au gouvernement de Freetown pour huit
mois d'intervention, c'est-à-dire jusqu'à ce que les rebelles du
RUF rentrent dans le rang, mais cette somme semble bien dérisoire quand
on la compare aux 247 millions que le déploiement
précédent et finalement inefficace d'observateurs de l'ONU avait
coûté, pour une mission d'une durée totale de vingt et un
mois.174 » Si l'on rapporte ces deux opérations à
une durée équivalente, on constate que le recours à un
prestataire privé a presque été 3 fois moins
onéreux.
172 Geodis est une filiale de la SNCF
spécialisée dans la logistique, la messagerie, l'express, le
transport routier en charges complètes et lots partiels et le commerce
transitaire.
173 ROSI Jean-Didier, Privatisation de la violence - Des
mercenaires aux sociétés militaires privées, Editions
L'Harmattan, Paris, 2009, p. 160.
174 VIGNOLLES Jean-Marie, De Carthage à Bagdad, le
nouvel âge d'or des mercenaires, Editions des Riaux, 2006, Paris, p.
88.
99
De façon plus récente, le Congrès
américain a mis également en évidence
l'intérêt de recourir aux services d'une société
privée dans le cadre d'une courte période. Pour citer Bertrand
Lemennicier (Docteur d'Etat en Sciences Economiques et Professeur
agrégé de sciences économiques) : « en 2007, une
garde rapprochée chez Blackwater (Xe aujourd'hui) ou DynCorp
coûte, par garde du corps utilisé, 1 222 dollars la journée
soit 445 300 dollars l'année, alors qu'un sergent de l'armée
régulière coûte disons 180 dollars par jour charges
comprises, soit à l'année 65 700 dollars. Mais le calcul est
inapproprié, car les 1 220 dollars ne courent pas sur 365 jours, mais
sur les jours d'utilisation de cette garde rapprochée. Si celle-ci est
utilisée 50 jours par an, cela coûte moins cher de faire appel
à DynCorp ou Xe qu'à un soldat de l'armée
régulière.175 » Autant dire que les gouvernements
ne peuvent pas être insensibles à l'intérêt
économique que représente l'utilisation d'ESSD.
175 Collectif (sous la direction de Jean-Jacques Roche),
Des gardes suisses à Blackwater, mercenaires et auxiliaires d'hier
et d'aujourd'hui, IRSEM, Paris, Mai 2010, p. 93.
100
Chapitre 2 - Les limites de l'externalisation
Les limites liées au processus d'externalisation sont
nombreuses. Elles touchent aussi bien à la question de la
souveraineté nationale, aux domaines économique et social
qu'à la culture française.
1 / Limites liées à la souveraineté
nationale
« La paix et la sécurité se
conquièrent et ne s'implorent pas. On n'a de droits que ceux qu'on sait
défendre. Tout individu qui se sait menacé prend ses dispositions
en conséquence, et, ces dispositions prises, vaque à ses
affaires, à la fois tranquillement et sur le qui-vive. Tout peuple
menacé fait de même. S'il ne le fait pas, par
lâcheté, et est écrasé demain, qu'il ne s'en prenne
qu'à lui. », Henry de Montherlant, L'Equinoxe de
septembre, 1938
A) La question de la perte de compétences
a) La réversibilité
Si on laisse de côté l'externalisation
définie comme un processus additionnel et que l'on prend
l'externalisation sous l'angle de la substitution, c'est-à-dire comme un
processus qui consiste à faire effectuer une tâche autrefois
accomplie en interne par un prestataire privé, alors la question de la
réversibilité se pose. En effet, l'acte par lequel on
délègue une compétence porte en lui le risque de perte de
cette compétence. C'est notamment le cas lorsque celle-ci
nécessite un savoir-faire rare. Ainsi, plus la fonction ou le service
externalisé s'avère technique, plus sa
réversibilité est faible. Tout l'enjeu de l'externalisation
consiste donc pour l'Etat à circonscrire les domaines où la
réversibilité est la plus forte possible.
Par ailleurs, cette question de la réversibilité
pose également problème aux prestataires privés. En effet,
les ESSD recrutent bien souvent d'anciens militaires en raison de leurs
compétences et de leur savoir-faire. Or, si l'on externalise
complètement certains services, alors même le secteur privé
ne pourra plus répondre aux besoins du ministère de la
Défense.
101
Autrement dit, les prestataires privés n'ont aucun
intérêt à ce que l'armée perde des
compétences puisque cela reviendrait à « tuer la poule aux
oeufs d'or ». Un exemple souvent cité est celui du déminage.
Comme le note Philippe Chapleau : la formation initiale et continue d'un
spécialiste NEDEX (Neutralisation Enlèvement et Destruction
d'Explosifs) est exigeante, longue, coûteuse... Les nombreuses
sociétés spécialisées ont tout intérêt
à ce que cette formation reste dispensée au sein de
l'Institution. C'est pour elles l'assurance de recrutements de qualité
et d'économies sur la formation en interne. 176 » Toutefois, ce
problème de la réversibilité ne se pose pas si la
société privée en question décide de faire appel
à de la main-d'oeuvre étrangère...
b) Le coût de la ré-internalisation
Dans le cadre d'une démarche d'externalisation
réversible, il importe également de se demander si le coût
de la ré-internalisation de la fonction externalisée n'est pas
dissuasif. Le coût de la ré-internalisation n'est d'ailleurs pas
qu'un coût économique. En effet, dans le cadre de la
récupération en interne de fonctions externalisées, il
faut prendre en considération la formation du personnel, les structures,
l'équipement et le matériel... Comme le note l'ancien
député PS Michel Dasseux, « rebâtir un service qui
aurait été externalisé pendant dix ou vingt ans
représenterait une gageure, une mission quasiment
impossible.177 »
D'autre part, la question de la ré-internalisation se
révèle compliquée dans les domaines exigeant un haut
degré de technicité : transmissions, soutien médical,
ravitaillement en vol, informatique, maintenance des avions et des
systèmes radars... Comme nous l'avons mentionné auparavant,
l'externalisation du ravitaillement en vol en Grande-Bretagne a
été un fiasco. A l'opposé, l'externalisation du soutien
médical en Australie semble bien fonctionner. Le problème de la
ré-internalisation se pose donc sous la forme de la question suivante :
est-il raisonnable d'externaliser une fonction qu'il sera presque impossible de
ré-internaliser en raison de son degré de technicité ?
176 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de la
guerre - Des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Editions Vuibert, Paris, 2011, p. 155.
177 Rapport d'information n° 3595, Sur
l'externalisation de certaines tâches relevant du ministère de la
Défense, Michel Dasseux, 12 février 2002, p. 32.
102
Préconisation n°6 : les comparaisons
économiques doivent faire apparaître les coûts de
ré-internalisation du service concerné.
Préconisation n°7 : l'externalisation
au sein des forces armées ne doit pas être guidée par
l'urgence économique et la réalisation de gains financiers
immédiats. C'est pourquoi, il importe de se demander si ce qui est
intéressant à court terme présente un intérêt
sur le long terme. La véritable question à se poser n'est donc
pas : est-il judicieux d'externaliser aujourd'hui eu égard aux
conditions environnementales actuelles ? Mais plutôt : sera-t-il toujours
judicieux dans X années d'avoir externalisé aujourd'hui eu
égard aux conditions environnementales de demain ?
Préconisation n°8 : les contrats
d'externalisation doivent être suffisamment précis concernant la
possibilité d'une ré-internalisation. Cette
nécessité passe notamment par l'insertion de clauses facilitant
la ré-internalisation telles que les clauses de propriété
intellectuelle (propriété industrielle et propriété
littéraire & artistique).
B) L'illusion du « coeur de métier
»
Il est d'usage d'entendre souvent l'injonction suivante :
« l'armée doit se recentrer sur son coeur de métier ».
Or, personne aujourd'hui n'a défini précisément ce
qu'était le « coeur de métier ». En
général, il s'agit de l'ensemble des fonctions en lien direct
avec les missions opérationnelles. Toutefois, pour un militaire, le
soutien aux opérations est aussi essentiel que les opérations
elles-mêmes. Dans ce cadre, la notion de « coeur de métier
» ne pourrait bien être qu'une illusion destinée à
faciliter de manière aveugle l'externalisation de la Défense.
a) L'existence de fonctions hybrides
Il apparaît délicat de différencier
clairement ce qui serait du monopole de l'Etat et ce qui ne le serait pas. A
cet égard, une étude récente d'un capitaine de l'US Air
Force178 concernant le domaine des drones illustre cette
difficulté. Pour cet officier américain, seules les
opérations
178 CLANAHAN Keric, « Drone-Sourcing ? United States Air
Force Unmanned Aircraft Systems, Inherently Governmental Functions, and the
Role of Contractors », Federal Circuit Bar Journal, 2012
103
de frappe appartiennent par essence au domaine régalien
tandis que la maintenance et l'analyse du renseignement peuvent être
externalisés sans inquiétude. En dehors de cela, il y aurait une
zone hybride de fonctions pas complètement étatiques mais pas
tout à fait « externalisables », comme l'illustre la figure
suivante :
Figure 4 : Categorizing the Governmental Nature of
UAS Activities
Source :
www.lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr
b) Un paradoxe : la fragilisation du « coeur de
métier »
Quand bien même certaines fonctions pourraient
être clairement définies comme appartenant au domaine
régalien, cela veut-il dire qu'il faudrait externaliser les fonctions en
périphérie ? Plus précisément, ce qui contribue au
« coeur de métier » ne serait-il pas aussi essentiel que le
« coeur de métier » lui-même ?
Pour y répondre, étudions le cas de la
restauration. Prenons l'exemple d'un pays A, faisant appel à la
société privée B pour fournir des repas dans un territoire
hostile nommé C. D'un
104
point de vue économique, il s'avère que pour que
cette externalisation soit intéressante, la société B ne
peut se permettre de recruter des employés du pays A (les
expatriés travaillant dans des pays dangereux bénéficient
toujours de primes de risques pouvant aller jusqu'à 50% de leur
rémunération initiale). Elle préfèrera donc
recourir à des employés du pays C car ils reviendront moins cher
et permettront de diminuer le coût de la prestation. Or, d'un point de
vue sécuritaire, ce procédé est éminemment
dangereux. Qui peut garantir qu'un partisan ennemi ne sera pas recruté
comme cuisinier et ne tentera pas d'empoisonner les forces armées du
pays A ?
On pourra ici objecter que cet exemple est caricatural.
Pourtant, il n'en est rien. En effet, le vendredi 20 janvier 2012 à
Kaboul (Afghanistan), douze soldats de l'Armée nationale afghane (ANA)
dont plusieurs officiers sont morts après avoir mangé de la
nourriture empoisonnée dans un centre de formation militaire
situé dans le district de Poli Charkh (province de Kaboul). Des
centaines d'autres soldats ont souffert d'une intoxication alimentaire et ont
dû être transférés à
l'hôpital179. Il n'est donc pas improbable que ce genre de
danger frappe les forces des pays membres de la Force internationale
d'assistance et de sécurité (FIAS).
Au plan national, d'autres risques sécuritaires ont
été mis en valeur par la MEC : « il apparaît que le
gardiennage des sous-marins nucléaires, à Cherbourg par une
société privée n'a pas donné satisfaction, ce qui
est particulièrement regrettable s'agissant de la dissuasion,
activité indissociable du coeur de métier ; de la même
manière, le ministre a reconnu le manque de fiabilité de la
société chargée du gardiennage de l'îlot
Saint-Germain, coeur du ministère de la Défense.180
»
c) Conclusion
Dire que tout ce qui n'appartient pas à la
sphère du « coeur de métier » doit être
externalisé semble inopportun. Tout d'abord, il existe un ensemble de
fonctions hybrides ne pouvant être rangées ni dans une
catégorie ni dans l'autre. Ensuite, le fait d'externaliser des fonctions
de
179 LECLERC, « Afghanistan : 12 soldats meurent
empoisonnés », 21 janvier 2012, disponible sur
www.archives-lepost.huffingtonpost.fr
180 Rapport d'information n° 3624, En conclusion des
travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur les
externalisations dans le domaine de la défense, Louis Giscard
d'Estaing et Bernard Cazeneuve, 5 juillet 2011, p. 21.
105
soutien ou de logistique pour se concentrer sur les fonctions
du « coeur de métier » a parfois pour conséquence de
fragiliser ce même « coeur de métier ». C'est pourquoi,
il n'apparaît pas forcément approprié de penser
perpétuellement l'externalisation à travers le prisme de la
notion de « coeur de métier ».
Préconisation n°9 : nous pensons que
la question de l'externalisation ne trouvera pas de réponse
appropriée tant que nous n'aurons pas pris conscience de la
spécificité de l'outil militaire. Du fait de la
particularité des missions dévolues au ministère de la
Défense, celui-ci ne peut se voir appliquer le paradigme
économique et managérial régissant n'importe quelle
entreprise. Ainsi, le fait d'externaliser les fonctions secondaires pour mieux
se concentrer sur les fonctions appartenant au coeur de métier n'est pas
toujours pertinent dans la mesure où certaines fonctions secondaires
sont directement liées au coeur de métier. Par conséquent,
il s'agit pour le ministère de la Défense de recenser toutes les
fonctions secondaires jugées vitales afin qu'elles ne soient surtout pas
externalisées.
2 / Limites économiques et sociales
« C'est la concurrence qui met un prix juste aux
marchandises, et qui établit les vrais rapports. », Montesquieu,
L'Esprit des lois, 1748
A) La nécessité d'une véritable
concurrence
Lorsqu'un pays décide d'externaliser certaines
fonctions, il doit auparavant vérifier que le marché n'est pas
aux mains d'oligopoles. S'il ne le fait pas, il encoure trois risques. Tout
d'abord, il risque de ne pas pouvoir discuter le coût de la prestation.
Ensuite, il peut être victime, une fois le contrat signé,
d'augmentations décidées unilatéralement et parfois
injustifiées. Enfin, il encourt le risque de se retrouver bloqué
si le titulaire du contrat vient à défaillir.
Dans le cas français, à cause du retard dans la
livraison de l'A400M (elle devait avoir lieu le 31 octobre 2009) et du
vieillissement des C-160 Transall, l'Armée de l'air n'a assuré en
2010
106
que 46% du total du transport de fret nécessaire aux
opérations en Afghanistan181. Par conséquent, elle a
dû faire assurer plus de la moitié du ravitaillement des forces en
campagne (4000 hommes en tout) par des Antonov russes (Volga-Dnepr Airline) et
ukrainiens (Antonov Design Bureau). Cette externalisation a lieu dans le cadre
d'un consortium multinational dénommé SALIS (Solution
intérimaire pour le transport aérien stratégique) qui
réunit seize pays de l'OTAN182 et deux pays
partenaires183. Or, la co-entreprise de droit allemand Ruslan Salis
(qui regroupe Volga-Dnepr Airline et Antonov Design Bureau) a porté
unilatéralement le prix de l'heure de vol à 30 200 euros, soit
une majoration d'environ 20% et le volume d'heures de vol a été
fortement réduit.
A travers cet exemple, il s'agit de mettre en garde les forces
armées contre deux dangers avérés. Tout d'abord,
l'externalisation doit être choisie et non subie. Elle ne doit pas
être le fruit de l'urgence de la situation. Or, le retard du programme
A400M a contraint le ministère de la Défense à augmenter
sa commande d'heures de vol d'Antonov 124. Ensuite, il importe que la France
conserve « un socle minimal de capacités patrimoniales »,
comme le préconise d'ailleurs la Mission d'évaluation et de
contrôle (MEC) sur les externalisations dans le domaine de la
Défense.
Préconisation n°10 : à l'instar de
ce qui a été fait dans le cadre des compagnies aériennes,
il appartient au ministère de la Défense d'établir une
liste noire (blacklist) des ESSD jugées peu sûres (soit en raison
de dérives éthiques, de sous-performances, de
surfacturations...). Cette liste serait régulièrement
actualisée.
B) Un intérêt économique encore
incertain
a) Les incertitudes de la Cour des comptes
Comme nous l'avons vu précédemment, la Cour des
comptes pointe du doigt l'impossibilité d'établir un lien de
corrélation direct entre gains économiques et processus
d'externalisation,
181 Rapport d'information n° 3624, En conclusion des
travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur les
externalisations dans le domaine de la défense, Louis Giscard
d'Estaing et Bernard Cazeneuve, p. 39, 5 juillet 2011.
182 Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, France,
Grèce, Hongrie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal,
République-Tchèque, Slovaquie, Slovénie et Royaume-Uni.
183 Finlande et Suède.
107
faisant même valoir que ces gains pourraient être
liés davantage à la réorganisation et à la
réduction des prestations qu'à l'externalisation elle-même.
Ainsi, dans le cas du dossier de l'école de Cognac et du dossier des
véhicules de la gamme commerciale, les juges de la rue Cambon font
l'affirmation suivante : « les gains économiques importants qui
apparaissent [...] sont en grande partie liés à la transformation
importante des périmètres184 ». En d'autres
termes, la solution économique la plus viable résiderait dans une
rationalisation interne au ministère de la Défense.
b) L'absence de comparaisons objectives
Plusieurs paramètres ne sont jamais pris en compte pour
établir la preuve rationnelle de l'intérêt
économique de l'externalisation. Ces paramètres sont au nombre de
quatre.
Premièrement, d'après l'article 1er
du décret n°2010-1109 du 21 septembre 2010 : les agents civils ou
militaires, « lorsqu'ils exercent une activité du ministère
de la défense confiée, par contrat, à un organisme de
droit privé, ou à une filiale d'une société
nationale, peuvent [...] être mis à la disposition de cet
organisme ou de cette société ». Dans ce cadre, une
compensation financière est versée par l'administration à
l'entreprise. Elle correspond à la différence entre le
traitement/la solde de l'agent civil/militaire et le salaire que lui verse
l'entreprise. Quel est donc ici l'intérêt économique de
l'externalisation ?
Deuxièmement, le calcul des coûts des processus
d'externalisation n'inclut pas le coût des mesures sociales
d'accompagnement du personnel civil d'un établissement
restructuré. En effet, dès lors qu'il y a externalisation ou
rationalisation d'un service réalisé en régie, les
personnels civils remerciés peuvent bénéficier du Plan
d'accompagnement aux restructurations (PAR), destiné à faciliter
leur reconversion. En termes de chiffres, le coût du PAR (hors
surcoût chômage) sur la période 2008-2015
s'élève à 1,1 milliards d'euros.
Troisièmement, tout service externalisé se voit
soumis à la TVA, alors que ce n'est pas le cas pour les services
réalisés en régie.
184 Cour des comptes, Communication à la Commission
des finances, de l'économie générale du contrôle
budgétaire de l'Assemblée nationale, « Le coût et
les bénéfices attendus de l'externalisation au sein du
ministère de la défense », p. 24.
108
Quatrièmement, le prestataire privé doit
s'assurer quant aux risques dont il pourrait être rendu responsable, ce
qui n'est pas le cas de l'Etat qui est son propre assureur. Dans ces
conditions, le coût de l'assurance sera forcément
répercuté sur le coût final du contrat
d'externalisation.
Au final, l'externalisation ne doit pas être vue comme
une solution économique forcément avantageuse, notamment parce
qu'aucune étude à ce jour n'a été capable
d'englober tous les coûts mentionnés
précédemment.
C) Limites statutaires
Lorsqu'on décide d'externaliser un service ou une
fonction, il faut garder en mémoire le fait que le salarié
dépend du Code du travail alors que le militaire dépend du Code
de la défense.
a) La notion de sacrifice
S'agissant du statut général des militaires,
l'article L4111-1 du Code de la défense dispose que « l'état
militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller
jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme
et neutralité ». Le salarié, quant à lui, a «
seulement » une « obligation de loyauté à
l'égard de son employeur. » (article L1222-5 du Code du travail).
Cette différence concernant le degré d'engagement entre le
militaire et le salarié ne doit pas être prise à la
légère. En effet, on ne pourra jamais exiger du salarié
qu'il fasse preuve d'esprit de sacrifice. Or, le mode de fonctionnement de
l'armée l'impose, notamment parce que le militaire intervient en
situation d'urgence et de danger.
D'autre part, le civil déployé sur un
théâtre d'opération non pacifié devra accepter la
possibilité d'être tué. Or, « Comment faire cohabiter
dans ces conditions des personnels dont le statut prévoit explicitement
la nécessité de faire preuve d'esprit de sacrifice et des
salariés civils bénéficiant des 35 heures et du droit de
retrait en cas de danger grave et imminent ?185 »
185 Rapport d'information n° 3595, Sur
l'externalisation de certaines tâches relevant du ministère de la
Défense, Michel Dasseux, 12 février 2002, p. 37.
b) La question de la mobilité
109
La question de la mobilité doit également
être prise en compte. L'article L4121-5 du Code de la défense
précise que « les militaires peuvent être appelés
à servir en tout temps et en tout lieu. » A ce titre, on comptait
18 800 militaires déployés hors métropole en mai 2012,
dont 7 000 en OPEX186. Au total, environ 8,2 % des forces
armées françaises étaient stationnées en dehors de
l'Hexagone en 2012. Toutefois, ce pourcentage est supérieur si l'on
retire le nombre de militaires n'étant pas projetables. Dans tous les
cas, les interrogations de Michel Dasseux s'avèrent pertinentes : «
que se passerait-il en cas de refus de la part de civils de se rendre en
opération extérieure aux côtés des militaires ?
Quelles seraient les conséquences d'une grève, qui demeurerait
licite, de la part des employés civils ? Que devient, dans ces
conditions, le droit de retrait, ce droit individuel pour tout salarié
confronté à un péril immédiat de se retirer de son
lieu de travail ? Pourrait-on envisager une restriction, nécessairement
législative, des droits habituellement considérés comme
fondamentaux pour les employés des sociétés travaillant
pour la défense ? Une modification en ce sens de notre droit du travail
est difficilement imaginable.187 »
Les questions précédentes ne sont pas purement
théoriques. En effet, lors de la guerre du Kosovo (1999), des avions
ravitailleurs américains stationnés sur la base de Mont-de-Marsan
décollaient tous les matins très tôt. Dans ce cadre, les
pilotes devaient prendre leur petit-déjeuner vers une heure du matin.
Or, la société privée à laquelle l'Armée de
l'air avait décidé de confier la restauration fit valoir qu'un
tel horaire n'était pas prévu dans le contrat initial. Il y eut
donc une renégociation qui s'acheva par une surfacturation
particulièrement élevée de la prestation.
186 Ministère de la Défense, Les chiffres
clés de la défense, 2012
187 Rapport d'information n° 3595, Sur
l'externalisation de certaines tâches relevant du ministère de la
Défense, Michel Dasseux, 12 février 2002, p. 37.
110
Préconisation n° 11 : il faut
différencier le recours à des ESSD dans le cadre du
fonctionnement courant des armées de celui effectué dans le cadre
d'opérations militaires exécutées depuis la
Métropole ou un théâtre extérieur. Dans le dernier
cas, le ministère de la Défense ne peut se permettre aucune
défaillance. Or, les ESSD, aussi professionnelles soient-elles, ne
présenteront jamais le même niveau de garanties que les forces
armées et cela pour deux raisons principales : tout d'abord, toute
entreprise privée peut faire faillite, ce qui n'est pas le cas d'un Etat
; ensuite, les ESSD françaises sont régies par les principes du
Code du travail ( droit de retrait, droit de grève, semaine de 35
heures...) et non par ceux du Code de la défense (« esprit de
sacrifice », disponibilité « en tout temps et en tout lieu
»...). C'est pourquoi, il nous apparaît essentiel que les forces
armées françaises conservent les capacités humaines et
matérielles nécessaires à l'accomplissement autonome de
missions opérationnelles relevant de la souveraineté nationale.
Compte tenu des contraintes budgétaires pesant sur le ministère
de la Défense, cette autonomie ne pourra pas dépasser quelques
mois, durée à partir de laquelle il sera possible de recourir
à des prestataires privés.
3 / Limites culturelles
« Le caractère le plus profond du mythe, c'est le
pouvoir qu'il prend sur nous, généralement à notre insu.
»,
Denis de Rougemont, L'Amour et L'Occident, 1939
L'externalisation de la Défense en France est largement
moins développée que dans les pays anglo-saxons. Ce faible
recours à des prestataires privés s'explique certes par
l'amalgame fait avec les activités de mercenariat ou les scandales
liés à certaines sociétés américaines, mais
il ne s'agit pas là de l'unique raison. La culture française a
également un poids considérable. En effet, l'inconscient
collectif entretient un rapport spécifique à la res militaris
et à l'argent. Pour beaucoup, la mission d'intérêt
général dévolue aux militaires apparaît comme
irréconciliable avec l'absence de valeurs morales
institutionnalisées188 et la logique de profit qui
caractérisent le secteur privée. Or, il est intéressant de
noter que cette théorie (au sens littéral de « vision du
monde ») ne s'est pas construite ex nihilo mais résulte
d'un héritage empruntant ses racines à l'histoire mais aussi
à la philosophie et à la religion.
188 Esprit de sacrifice, altruisme,
désintéressement, etc.
111
A) La sacralisation de la fonction militaire
« Si j'avance, suivez-moi, si je recule, tuez-moi, si je
meurs, vengez-moi. », Henri du Vergier, comte de la
Rochejaquelein
La fonction militaire, qu'elle ait été
exercée par de « simples » citoyens ou par des nobles,
revêt une dimension sacrée qui s'incarne notamment pour les
premiers dans l'amour de la patrie et pour les seconds dans le mépris de
toute activité commerçante.
a) Soldat-citoyen et mercenaire
Il est traditionnel d'opposer le soldat qui se bat pour sa
patrie à celui qui se bat simplement pour de l'argent. Cette
moralisation de la condition militaire est encore partagée de nos jours.
On l'a doit, entre autres, à Machiavel, dont la figure du soldat-citoyen
continue de façonner les esprits.
La pensée machiavélienne : l'ardeur
citoyenne contre la loyauté intéressée
Dans Le Prince, Machiavel loue la
supériorité du soldat-citoyen sur le mercenaire, car son
engagement va au-delà d'un simple travail rétribué.
Il met d'ailleurs en garde les cités italiennes contre
le recours à des soldats privés : « Qui tient son Etat
fondé sur les troupes mercenaires n'aura jamais stabilité, ni
sécurité car elles sont sans unité, ambitieuses,
indisciplinées, infidèles, vaillantes avec les amis ; avec les
ennemis, lâches [...] La raison en est qu'ils [les mercenaires] n'ont
d'autre amour ni d'autre
112
raison qui les retiennent au camp qu'un peu de solde, ce qui
n'est pas suffisant à faire qu'ils veuillent mourir pour
toi.189 »
La solution pour Machiavel réside dans une armée
de sujets au service du prince : « aucun Etat n'est sûr s'il ne
dispose d'une armée qui lui soit propre [...] Une armée qui te
soit propre est composée de tes sujets, de tes concitoyens, ou de gens
qui soient tes créatures : toutes les autres sont mercenaires ou
auxiliaires.190 »
En d'autres termes, Machiavel reproche aux mercenaires deux
choses. Tout d'abord, de ne pas faire la guerre, ou bien de la faire mais de
façon très lâche, c'est-à-dire de n'être au
final qu'une « armée de papier » (Démosthène).
Ensuite, il critique leur loyauté, car étant simplement
attaché à leur employeur par un lien matériel, ils n'ont
pas en eux ce qu'on appellera plus tard l' « ardeur nationaliste »,
sentiment qui pousse à donner plus que ce que l'on a reçu.
b) Les bellatores ou la noblesse
d'épée
Selon Georges Dumézil, la Révolution de 1789 a
entraîné « la ruine du système trifonctionnel »
fondé sur la distinction entre oratores (ceux qui prient -
clergé), bellatores (ceux qui combattent - la noblesse) et
laboratores (ceux qui travaillent - le Tiers état). Toutefois,
l'inconscient collectif attache encore aujourd'hui l'idée de noblesse au
métier des armes, comme si l'armée n'avait jamais cessé de
revêtir une spécificité particulière.
La structure tripartite des sociétés
indo-européennes
Dans son ouvrage le plus célèbre
(L'Idéologie tripartie des Indo-Européens, 1958),
Georges Dumézil montre que l'ensemble des sociétés
indo-européennes a adopté une conception commune de la structure
sociale fondée sur la hiérarchisation de trois fonctions. La
classification indienne sert de base, on distingue donc : une première
fonction, confiée aux
189 MACHIAVEL Nicolas, Le Prince, Chapitre XII,
« Combien de sortes d'armées il y a, et des soldats mercenaires
», Editions Garnier-Flammarion, Paris, 1980, pp. 141 et suivantes.
190 Op. cit., Chapitre XII, « Des troupes auxiliaires, des
troupes mixtes, des troupes propres au prince »
113
brahmanes (prêtres) ; une deuxième
fonction, exercée par les kshatriya (guerriers) ; une
troisième fonction, qui est celle des vaishya
(commerçants et artisans). Cette trifonctionnalité «
renvoie à une dimension `idéologique' qui organise toutes les
nuances des différentes applications sur la distinction entre le
sacré, la force physique et la fécondité.191
»
L'exercice du métier des armes sous l'Ancien
Régime : privilège de la noblesse
Dans l'Ancien Régime, seule la classe des
bellatores est constituée uniquement de nobles. A ce titre, il
leur est interdit « de se livrer au commerce - le maniement de l'argent
est avilissant - d'exercer un métier manuel, particulièrement un
métier mécanique, réputé ignoble. [...] Une
ordonnance de 1560 fait défense `à tous gentilshommes ou
officiers de justice le fait et trafic de marchandises, et de prendre ou de
tenir ferme, par eux ou personne interposée, à peine [...]
d'être privés des privilèges de noblesse et imposés
à la taille'. Et c'est là la menace la plus grave pour un
gentilhomme : être inscrit sur les rôles de la taille est la marque
même de la roture.192 »
Par comparaison, il est intéressant de voir que cette
pratique de la dérogeance imposant aux nobles d'observer un genre de vie
sous peine de perdre leur qualité n'a pas eu lieu outre-Manche. En
effet, « l'Angleterre n'a connu ni préjugés ni
règlements quant au genre de vie de l'aristocratie193 ».
C'est pourquoi, la noblesse française reste encore aujourd'hui
étroitement associée au maniement de l'épée.
L'étude du pourcentage d'admis aux concours194 de l'ESM
Saint-Cyr présentant un nom à particule195 suffit
à s'en convaincre. Alors qu'il y avait en 2002, selon Régis
Valette196, 100 000 personnes d'origine noble (soit 0,2% de la
population française), 8,5% d'admis aux concours 2010 de l'ESM Saint-Cyr
portaient un nom à particule.
191 LETONTURIER Eric, « L'Idéologie tripartie des
Indo-Européens », Encyclopaedia Universalis 2011, 2011
192 MARIN Solange, « Dérogeance »,
Encyclopaedia Universalis 2011, 2011
193 Op. cit.
194 Nous nous sommes intéressés aux quatre
concours suivants (année 2010) : Concours Bac+3, Concours ESM
Scientifique, Concours ESM Sciences-Eco et Concours ESM Lettres.
195 Remarque importante, la particule n'est pas la marque
d'une ascendance noble. D'ailleurs, la plupart des noms à particule ne
sont pas nobles, même si 90% des nobles portent une particule. Ainsi,
selon Régis Valette, 0,4% de la population française en 2002
porte un nom à particule pour moins de 0,2% de familles
françaises d'origine authentiquement noble.
196 VALETTE Régis, Catalogue de la noblesse
française au XXIe siècle, Editions Robert Laffont, Paris,
2002
114
B) Philosophie et catholicisme romain : la critique du
profit
« Comment ne rougis-tu pas de mettre tes soins à
amasser le plus d'argent possible et à rechercher la réputation
et les honneurs, tandis que de ta raison, de la vérité, de ton
âme qu'il faudrait perfectionner sans cesse, tu ne daignes pas en prendre
aucun soin ni souci ? », Apologie de Socrate, Platon
Aussi bien chez Aristote dans l'Antiquité que chez Marx
au XIXe siècle, la logique du profit est dénoncée, soit
parce qu'elle serait contraire à la nature, soit parce qu'elle
participerait à une déconstruction du lien social.
a) La critique philosophique : chrématistique
aristotélicienne et réification marxiste
La critique aristotélicienne : la
chrématistique comme processus contraire à la nature
Aristote est le premier philosophe grec (macédonien
pour être tout à fait exact) à avoir opéré
une critique de la logique du profit. Il distingue la valeur d'usage et la
valeur d'échange de l'argent. La première s'applique aux biens
destinés à la consommation du producteur, la seconde aux biens
destinés à l'échange. D'où deux formes
d'acquisition de la richesse : « l'une par les travaux et
l'économie rustiques, l'autre par le commerce ; la première est
indispensable et mérite des éloges, la deuxième par contre
[...] ne tient rien de la nature, mais tout de la convention. »
(Politique, livre I, 10).
Aristote dénonce ainsi le commerce dans la mesure
où il permet d'échanger des marchandises à un prix sans
rapport avec leur usage premier. Pour le philosophe, de telles transactions
sont contraires à la nature. En effet, l'argent n'étant pas une
chose vivante, il ne peut donner naissance à d'autre argent : l'argent
ne fait pas de petits, affirme-t-il.
Des siècles plus tard, Karl Marx reprend la distinction
opérée par Aristote mais y introduit une dimension historique et
une dimension sociale.
115
La critique marxiste : l'échange comme entreprise
de déconstruction du lien social
Dans une perspective historique, Marx dénonce le
processus qui a abouti au « fétichisme de la
marchandise197 ». Il faut entendre par là le mouvement
de transformation des produits du travail en marchandises. Parallèlement
à ce processus apparaît un déclin de la valeur d'usage
(utilité) au profit de la valeur d'échange (valeur marchande).
Pour citer Jacques Leenhardt, « La constitution de la marchandise en tant
que telle va donc de pair avec la prédominance de la valeur
d'échange sur la valeur d'usage ; elle implique, d'autre part,
l'élaboration de l'équivalent général, la forme
`argent'.198 »
Dans une perspective sociale, Marx affirme que « Par
l'échange, les hommes se rapportent les uns aux autres comme
propriétaires privés de choses aliénables.199
» Ils se reconnaissent ainsi comme individus libres,
débarrassés des liens de dépendance qu'impose la
communauté primitive ou les formations sociales qui en
découlent.
Au final, dès lors que la forme marchande domine, les
rapports sociaux entre les gens se réduisent à des rapports
sociaux entre les choses. Il y a ainsi une réification des rapports
sociaux et une personnification des choses.
Conclusion
Même si Aristote et Karl Marx ne représentent
qu'une partie de la philosophie, leur pensée a été assez
puissante pour exercer une influence majeure sur les esprits de notre temps. A
ce titre, le domaine de la défense est considéré en France
comme un bien insusceptible d'aliénation. Or, l'externalisation en fait
un bien comme un autre, c'est-à-dire un bien susceptible de
marchandisation. En d'autres termes, l'externalisation opère une «
désacralisation » de la défense, elle est une
négation de la verticalité. Pour reprendre la distinction
marxiste, il s'avère que dans le cadre des armées nationales, la
valeur de la défense est une valeur d'usage, tandis que dans le cadre de
l'externalisation, elle est une valeur d'échange.
197 MARX Karl, Le Capital, Livre I,
1ère section, Chapitre I, IV.
198 LEENHARDT Jacques, « La réification »,
Encyclopaedia Universalis 2011, 2011
199 MARX Karl, Le Capital, Livre I,
1ère section, Chapitre II.
116
b) La critique catholique : la condamnation de
l'usure
Depuis l'origine, la religion catholique n'a cessé de
condamner l'usure, notion qui englobe à la fois l'usure et le prêt
à intérêt. Elle ne fait aucune différence entre une
prise d'intérêt supérieure au taux légal ou aux
usages commerciaux et une « simple » prise d'intérêt.
Cette position s'appuie à la fois sur la Bible et les écrits
papaux.
Dans l'Ancien Testament, plusieurs textes s'attaquent
clairement au prêt à intérêt : Deutéronome
23.19200, Exode 22.25201, Lévitique
25.35-37202, Ezéchiel 18.8-9203 et
22.12204. Dans le Nouveau Testament, les Evangiles reprennent cette
critique lors d'un épisode particulièrement significatif,
à savoir celui durant lequel Jésus chasse les marchands du Temple
avec un fouet et renverse leur table (Jean 2.13-16, Luc 19.45-46, Matthieu
21.1213205 et Marc 11.15-17).
S'agissant des vicaires de Rome, leur condamnation de l'usure
est une constante à travers les siècles. En 1311 au Concile de
Vienne, le pape Clément V (1260 - 1314) déclare nulle et vaine
toute la législation civile qui autorise l'usure. Il affirme que «
si quelqu'un tombe dans cette erreur d'oser audacieusement affirmer que ce
n'est pas un péché que de faire l'usure, nous
décrétons qu'il sera puni comme hérétique et nous
ordonnons à tous les ordinaires et inquisiteurs de procéder
vigoureusement contre tous ceux qui seront soupçonnés de cette
hérésie ». Cette critique du prêt à
intérêt sera redoublée au XIXe siècle,
période qui voit triompher la bourgeoisie au détriment de
l'aristocratie. En 1836, le pape Grégoire XVI (1765-
200 « Tu n'exigeras de ton frère aucun
intérêt ni pour argent, ni pour vivres, ni pour rien de ce qui se
prête à intérêt. »
201 « Si tu prêtes de l'argent à mon peuple,
au pauvre qui est avec toi, tu ne seras point à son égard comme
un créancier, tu n'exigeras de lui point d'intérêt.
»
202 « Si ton frère devient pauvre, et que sa main
fléchisse près de toi, tu le soutiendras; tu feras de même
pour celui qui est étranger et qui demeure dans le pays, afin qu'il vive
avec toi. Tu ne tireras de lui ni intérêt ni usure, tu craindras
ton Dieu, et ton frère vivra avec toi. Tu ne lui prêteras point
ton argent à intérêt, et tu ne lui prêteras point tes
vivres à usure. »
203 « qui ne prête pas à
intérêt et ne tire point d'usure, qui détourne sa main de
l'iniquité et juge selon la vérité entre un homme et un
autre, qui suit mes lois et observe mes ordonnances en agissant avec
fidélité, celui-là est juste, il vivra, dit le Seigneur,
l'Éternel. »
204 « Chez toi, l'on reçoit des présents
pour répandre le sang: tu exiges un intérêt et une usure,
tu dépouilles ton prochain par la violence, et moi, tu m'oublies, dit le
Seigneur, l'Éternel. »
205 « Jésus entra dans le temple de Dieu. Il
chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa
les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons. Et il
leur dit: Il est écrit: Ma maison sera appelée une maison de
prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. »
117
1846) étend l'encyclique Vix Pervenit
206 du pape Benoît XIV (1675-1758) à l'Eglise
universelle. Il y est écrit : « L'espèce de
péché qu'on appelle usure, et qui réside dans le contrat
de prêt, consiste en ce qu'une personne, s'autorisant du prêt
même, qui par sa nature demande qu'on rende seulement autant qu'on a
reçu, exige qu'on lui rende plus qu'on a reçu et soutient
conséquemment qu'il lui est dû, en plus du capital, quelque
profit, en considération du prêt même. C'est pour cette
raison que tout profit de cette sorte qui excède le capital est illicite
et usuraire. » En 1891, c'est au tour du pape Léon XIII (1810-1903)
d'inscrire dans la célèbre encyclique Rerum Novarum les
mots suivants : « Une usure dévorante est venue ajouter encore au
mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de
l'Église, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une
autre forme par des hommes avides de gain, et d'une insatiable
cupidité... ».
Au final, qu'il s'agisse des paroles christiques ou des
écrits ultérieurs de l'Eglise catholique romaine, la condamnation
de la logique de profit, dont l'usure n'est qu'un symptôme parmi
d'autres, est sans appel.
Par ailleurs, les pays où l'externalisation de la
Défense est la plus développée sont des pays où la
tradition catholique n'est pas majoritaire. En Angleterre et au Pays de Galles,
si 59,4% de la population est chrétienne207, la
majorité appartient aux Eglises protestantes (anglicans, baptistes,
piétistes, luthériens, méthodistes, pentecôtistes,
presbytériens...). Aux Etats-Unis, on compte 51,3% de protestants contre
23,9% de catholiques romains208. Dans ces conditions, il
apparaît intéressant d'étudier également les
rapports que le protestantisme entretient à l'argent.
206 Encyclique Vix Pervenit : sur l'usure et autres profits
malhonnêtes, 1745.
207 Office for National Statistics, 2011 Census, Key
Statistics for Local Authorities in England and Wales, 11 December
2012.
208 Pew Research Center, Major Religious Traditions in the
US, 2007.
118
C) Le protestantisme : la doctrine de la
prédestination comme déculpabilisation de la richesse
« Celui qui sait que son salut est dans les mains de
Dieu, renonce à ses propres forces, ne choisit plus ses propres moyens,
mais attend l'action de Dieu en lui. », Luther, Du serf arbitre,
1525
Selon la doctrine de la prédestination, Dieu
décide seul de notre salut ou de notre perte, indépendamment de
nous-mêmes et de nos actions. Dans ces conditions, même si
l'individu prédestiné n'a aucun moyen de savoir si Dieu l'a
choisi ou non, des preuves matérielles peuvent signifier qu'il sera
sauvé. Ainsi, la réussite sociale dans le protestantisme doit
être vue comme une promesse d'élection. Contrairement au
catholicisme où l'accumulation des richesses constitue un obstacle au
salut209, celle-ci s'avère ici positive puisqu'elle
témoigne de l'amour de Dieu et du salut à venir.
a) Luther et la lutte contre les indulgences
Dans le protestantisme, la prédestination a pour
origine la lutte contre les indulgences. Dans l'Antiquité, l'indulgence
désignait la suppression d'une pénitence publique imposée
par l'Eglise aux grands pécheurs. En effet, pour l'Eglise, tout
péché, même pardonné, entraîne un devoir de
réparation appelé pénitence. En outre, à partir du
VIIe siècle, des tarifs d'amendes ont été
élaborés en fonction des péchés commis. On parle
alors de « pénitences tarifée ». D'où
l'idée que le pécheur peut, dès ici-bas, se racheter des
peines de l'au-delà par un effort financier (aumône) ou physique
(pèlerinage ou croisade), au risque, dénoncé à la
fin du Moyen Age, d'une fausse assurance de son salut.
Les papes Jules II en 1507, puis Léon X en 1511,
publièrent des indulgences dont le revenu fut affecté à la
reconstruction de la basilique Saint-Pierre de Rome. La moitié des
sommes rassemblées en Allemagne servit en fait à payer la taxe
due au Saint-Siège pour l'élection d'Albert de Brandebourg comme
archevêque de Mayence. Ce fut le scandale dénoncé par
Luther en 1517 sous le nom d' « affaire des indulgences ». Pour le
Réformateur, les
209 « Il sera plus facile à un chameau de passer
par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des
cieux. » (Matthieu, 19.24).
119
indulgences sont infâmantes car le salut ne peut pas
s'acheter. Il n'y a pas de commerce entre Dieu et les hommes. Dieu choisit les
élus et les damnés, sans possibilité d'intervention
humaine dans le salut personnel de chacun.
b) La réussite sociale comme signe
d'élection
S'il n'est plus possible d'acheter son salut par les
indulgences et si Dieu a déjà choisi ceux qu'il sauverait et ceux
qu'il condamnerait, alors la vie peut apparaître pour le protestant comme
bien triste car déterminée à l'avance. Cependant, le
croyant peut chercher des preuves ici-bas de son élection à
travers la réussite sociale. Sa vie peut-être le reflet du salut
qui l'attend. Dès lors, l'enrichissement terrestre et l'activité
de profit se transforment positivement en profession, prise au sens honorable
de vocation (Beruf). Le protestantisme opère donc un
renversement paradigmatique, car comme le note Max Weber : « Le gain est
devenu la fin que l'homme se propose, il ne lui est plus subordonné
comme moyen de satisfaire ses besoins.210 »
Toutefois, le protestant doit se garder des jouissances de la
vie. Investissement professionnel total et ascétisme sont donc les deux
faces d'une même pièce au sein du protestantisme et plus
particulièrement du calvinisme. Etudiant les écrits
théologiques de Richard Baxter, Weber constate que « la
dénonciation de l'avidité, de la jouissance liée à
la possession et de la consommation, la bénédiction divine
à l'aspiration au gain, l'encouragement à
l'honnêteté et l'apologie du travail `sans relâche, continu,
systématique dans une profession séculière211 '
que ces textes expriment, sont autant d'éléments incitant
à la `formation du capital par l'épargne forcée de
l'ascèse212 ' 213 ».
Au final, même si la thèse
wébérienne expliquant le développement du capitalisme
à partir du développement de l'ethos protestant a
essuyé maintes critiques, il faut néanmoins retenir que la
Réforme est parvenue à déculpabiliser la richesse, «
inversant à bien des égards le discours du Christ lui-même.
Car que lit-on sur l'argent dans les Evangiles ? Pour l'essentiel
210 WEBER Max, L'Ethique protestante et l'esprit du
capitalisme, 1905, trad. J. Chavy, Plon, 1964.
211 Op. cit., p. 236.
212 Op. cit., ibid.
213 LETONTURIER Eric, « L'Ethique protestante et l'esprit du
capitalisme », Universalis 2011.
ceci : qu'il est un moyen, certes légitime en soit,
mais cependant dangereux, car la logique qui conduit à l'accumuler
tourne toujours à l'idolâtrie.214 »
120
214 FERRY Luc, « Sur la religion catholique et l'argent
», Le Figaro, 22 août 2008.
121
LISTE DES PRECONISATIONS
Préconisation n°1 : tout projet
d'externalisation doit faire l'objet d'une étude comparative
approfondie. Celle-ci devra mettre en balance les gains économiques
escomptés dans le cadre de l'externalisation du service concerné,
ceux attendus dans le cadre d'une politique de «
mutualisation-interarmisation » et ceux prévus dans le cadre d'une
politique de « rationalisation-civilianisation » (remplacement des
militaires par des fonctionnaires civils).
Préconisation n° 2 : il convient
d'organiser l'évaluation et le contrôle de chaque service
externalisé à l'aide d'un tableau de bord. Véritable outil
de pilotage à la disposition du ministère de la Défense,
ces tableaux de bord seraient constitués de plusieurs indicateurs de
performance propres à chaque service.
Préconisation n°3 : l'Etat doit
définir une stratégie globale en termes d'externalisation afin de
permettre aux sociétés françaises
spécialisées dans ce domaine de s'organiser. Une telle
structuration favoriserait l'émergence de « géants nationaux
» propres à rivaliser avec leurs homologues
anglo-saxons.
Préconisation n°4 : les moyens de
veille stratégique doivent être consolidés afin de
surveiller les coûts et les bénéfices de l'externalisation
dans les pays étrangers qui mènent ce genre de
politiques.
Préconisation n°5 : l'Etat n'ayant
plus les moyens nécessaires à la protection contre la piraterie
maritime des navires battant pavillon français, il convient, soit
d'accroître les capacités des armées et notamment le nombre
d'équipes de protection embarquées de la Marine nationale, soit
d'autoriser la présence de gardes armés privés à
bord des bâtiments transitant dans les zones jugées sensibles.
Dans ce dernier cas, seules les armes non létales seraient
autorisées à bord comme les canons à sons
(déjà présents sur les navires de guerre
américains), les canons à ondes, les armes anti-émeute,
etc.
122
Préconisation n°6 : les comparaisons
économiques doivent faire apparaître les coûts de
ré-internalisation du service concerné.
Préconisation n°7 : l'externalisation
au sein des forces armées ne doit pas être guidée par
l'urgence économique et la réalisation de gains financiers
immédiats. C'est pourquoi, il importe de se demander si ce qui est
intéressant à court terme présente un intérêt
sur le long terme. La véritable question à se poser n'est donc
pas : est-il judicieux d'externaliser aujourd'hui eu égard aux
conditions environnementales actuelles ? Mais plutôt : sera-t-il toujours
judicieux dans X années d'avoir externalisé aujourd'hui eu
égard aux conditions environnementales de demain ?
Préconisation n°8 : les contrats
d'externalisation doivent être suffisamment précis concernant la
possibilité d'une ré-internalisation. Cette
nécessité passe notamment par l'insertion de clauses facilitant
la ré-internalisation telles que les clauses de propriété
intellectuelle (propriété industrielle et propriété
littéraire & artistique).
Préconisation n°9 : nous pensons que
la question de l'externalisation ne trouvera pas de réponse
appropriée tant que nous n'aurons pas pris conscience de la
spécificité de l'outil militaire. Du fait de la
particularité des missions dévolues au ministère de la
Défense, celui-ci ne peut se voir appliquer le paradigme
économique et managérial régissant n'importe quelle
entreprise. Ainsi, le fait d'externaliser les fonctions secondaires pour mieux
se concentrer sur les fonctions appartenant au coeur de métier n'est pas
toujours pertinent dans la mesure où certaines fonctions secondaires
sont directement liées au coeur de métier. Par conséquent,
il s'agit pour le ministère de la Défense de recenser toutes les
fonctions secondaires jugées vitales afin qu'elles ne soient surtout pas
externalisées.
Préconisation n°10 : à l'instar de
ce qui a été fait dans le cadre des compagnies aériennes,
il appartient au ministère de la Défense d'établir une
liste noire (blacklist) des ESSD jugées peu sûres (soit en raison
de dérives éthiques, de sous-performances, de
surfacturations...). Cette liste serait régulièrement
actualisée.
123
Préconisation n° 11 : il faut
différencier le recours à des ESSD dans le cadre du
fonctionnement courant des armées de celui effectué dans le cadre
d'opérations militaires exécutées depuis la
Métropole ou un théâtre extérieur. Dans le dernier
cas, le ministère de la Défense ne peut se permettre aucune
défaillance. Or, les ESSD, aussi professionnelles soient-elles, ne
présenteront jamais le même niveau de garanties que les forces
armées et cela pour deux raisons principales : tout d'abord, toute
entreprise privée peut faire faillite, ce qui n'est pas le cas d'un Etat
; ensuite, les ESSD françaises sont régies par les principes du
Code du travail ( droit de retrait, droit de grève, semaine de 35
heures...) et non par ceux du Code de la défense (« esprit de
sacrifice », disponibilité « en tout temps et en tout lieu
»...). C'est pourquoi, il nous apparaît essentiel que les forces
armées françaises conservent les capacités humaines et
matérielles nécessaires à l'accomplissement autonome de
missions opérationnelles relevant de la souveraineté nationale.
Compte tenu des contraintes budgétaires pesant sur le ministère
de la Défense, cette autonomie ne pourra pas dépasser quelques
mois, durée à partir de laquelle il sera possible de recourir
à des prestataires privés.
124
CONCLUSION
« L'homme à l'esprit clair est celui qui regarde la
vie en face, et se rend compte que tout en elle est problématique, et se
sent perdu. Vivre, c'est se sentir perdu (...) et celui qui l'accepte a
déjà commencé à se retrouver, à aborder sur
un terrain ferme. Instinctivement, de même que le naufragé, il
cherchera quelque chose où s'accrocher, et ce regard tragique,
absolument véridique, car il s'agit de se sauver, lui fera ordonner le
chaos de sa vie. (...) Celui qui ne se sent pas vraiment perdu se perd
inexorablement ; c'est-à-dire ne se trouve jamais, ne touche jamais de
ses doigts la réalité propre. » José Ortega y Gasset,
La Révolte des masses, 1929
Parvenu au terme de ce mémoire, il convient de rappeler
les limites auxquelles nous nous sommes confronté avant de proposer une
synthèse qui retracera les aspects principaux du sujet.
Limites
La rédaction de ce mémoire s'est heurtée
à différentes difficultés. Elles sont principalement au
nombre de quatre.
Premièrement, la partie expérimentale
(enquête de terrain réalisée de mai à juin 2012) a
précédé la partie théorique effectuée de
juillet 2012 à mars 2013. Or, il aurait été plus pertinent
d'acquérir une solide base de connaissances sur le sujet avant de
procéder aux entretiens, de manière à se focaliser sur les
points les plus importants. Fort heureusement, cette limite a pu être
corrigée de deux façons. Tout d'abord, nous avons pu recontacter
certaines personnes afin qu'elles nous apportassent des précisions sur
les points restés abscons. Ensuite, le stage effectué au
début de l'année 2013 à la Représentation militaire
française auprès de l'Union européenne a été
l'occasion d'affiner notre compréhension du sujet et de ses enjeux
à travers la rencontre d'experts du milieu de la sécurité
et de la défense privées.
Deuxièmement, il ne nous a pas été
possible de rencontrer des contractors ou des armed
contractors. Cela aurait été l'occasion de les questionner
sur leurs motivations et la réalité de leur métier. Il
aurait fallu également étudier les critères suivants :
sexe, âge, situation maritale, nombre d'enfants, métier
précédemment occupé (si militaire, quel armée
d'appartenance et
125
quelle arme/spécialité ?), durée du
contrat, revenu mensuel dans l'emploi précédemment occupé,
revenu mensuel actuel, etc. A partir des résultats obtenus, il aurait
été possible d'établir une « sociologie des
contractors ». Une telle étude pourrait par exemple permettre
au ministère de la Défense de revaloriser la condition de
certains militaires dont la formation s'avère onéreuse et dont le
départ apparaît préjudiciable en termes de perte de
compétences (les spécialistes parlent d'ailleurs de soldier
drain pour qualifier cette fuite des militaires vers le secteur
privé).
Troisièmement, nous avons parlé en introduction
de « myopie stratégique » pour qualifier la position de la
France. Le pays se trouve actuellement au milieu du gué. En effet,
l'externalisation des forces armées, si elle déjà
amorcée, ne résulte pas d'une stratégie ferme et
définitive. Cependant, cette critique sera sans doute à nuancer
lors de la sortie du Livre blanc sur la Défense. Pour l'instant, ce
mémoire est limité par ce qui sera la stratégie
française en 2013. Il faudra du courage au ministère de la
Défense pour décider soit de revenir sur ses pas, soit de
renforcer le processus d'externalisation. Le seul mauvais choix, c'est toujours
l'absence de choix.
Quatrièmement, l'auteur de ce mémoire
n'étant encore qu'un élève en école d'officiers, sa
connaissance du sujet demeure davantage théorique que pratique. Or, nous
sommes persuadé que la véritable compréhension des choses
résulte toujours d'un va-et-vient entre la sphère du concept et
celle du réel.
Synthèse
Il nous semblait important de rappeler au début de
cette étude la longue histoire du mercenariat. Vieux d'environ 5 000
ans, celui-ci n'a jamais cessé d'accompagner les guerres, eussent-elles
lieu dans des contrées aussi éloignées que la Chine ou le
Japon. En outre, l'émergence des Etats-nations à partir de la fin
du XVIIIe siècle n'a pas sonné le glas du mercenariat. On a alors
préféré parler de « régiments étrangers
» ou de « légions » mais la réalité est
restée la même. Le XXe siècle a également
été marqué par ce phénomène à travers
deux personnages : celui du volontaire international dont André Malraux
représente la figure la plus emblématique et celui du «
chien de guerre » dont Bob Denard reste l'incarnation la plus
célèbre.
126
Par ailleurs, ce mémoire a également voulu
montrer que le mercenaire était fréquemment associé
à des stéréotypes romanesques : tantôt homme libre
consacrant sa vie à combattre les injustices sur tous les continents,
tantôt voyou sans foi ni loi uniquement attiré par l'appât
du gain et l'ivresse du pouvoir. La vérité se trouve probablement
entre les deux extrêmes, plus près de l'un ou de l'autre selon les
hommes et les situations.
Cependant, les excès attribués à tort ou
à raison au mercenariat ont amené le droit international à
en faire un crime, non pas parce la moralité du mercenaire était
plus ou moins douteuse, mais parce qu'il représentait un
véritable facteur de déstabilisation politique.
Au niveau national, les législations se sont
également emparées du sujet. Certains Etats comme l'Afrique du
Sud ou la France ont une véritable politique de criminalisation du
mercenariat tandis que d'autres Etats comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis
ou l'Australie souhaitent simplement éviter qu'on porte atteinte
à leur statut d'Etat neutre en interdisant, sur leur territoire
national, l'enrôlement d'individus auprès de forces armées
étrangères.
En outre, mêmes si les législations
diffèrent d'un pays à l'autre, on constate depuis environ six ans
une volonté internationale de standardisation des pratiques des ESSD
à travers l'adoption de chartes éthiques et de codes de bonne
conduite. Et même si ces textes ne présentent pas de portée
juridique contraignante, ils contribuent néanmoins à
éloigner l'accusation de mercenariat qui pèse souvent sur ces
sociétés.
D'autre part, ce mémoire avait également pour
but de mettre en avant la spécificité de l'externalisation par
rapport à des notions proches bien que différentes comme la
privatisation et la sous-traitance. Ainsi, l'externalisation se distingue de la
privatisation car elle permet à celui qui y a recours de conserver la
maîtrise de l'établissement des politiques. L'externalisation
diffère également de la sous-traitance car elle consiste à
confier à un prestataire externe une capacité particulière
et non une simple tâche.
De plus, à l'instar de la décentralisation,
l'externalisation est considérée par l'Etat comme un autre moyen
de poursuivre ses missions de service public à un moindre coût et
avec une plus grande efficacité. Il apparaît difficile d'y voir
une tentative de déconstruction de la souveraineté
étatique dans la mesure où l'Etat reste le décideur
ultime. Toutefois, si cela demeure vrai lorsque le processus d'externalisation
s'inscrit dans une démarche d'addition
127
capacitaire, il l'est moins dans le cadre d'une
démarche de substitution capacitaire. En effet, en
déléguant à une structure externe une certaine fonction,
l'Etat court le risque de ne plus pouvoir se la réapproprier lorsque le
besoin s'en fera sentir. Par conséquent, si sur le plan théorique
l'Etat semble conserver l'essence de la souveraineté, il se pourrait
bien qu'il n'eût pas toujours le choix.
Par ailleurs, il faut rappeler que l'externalisation est
souvent considérée comme la solution aux contractions
budgétaires subies par les armées, d'autant plus que les services
proposés par les ESSD couvrent toute la gamme des besoins en
matière de sécurité et de défense. Ainsi, on trouve
aussi bien des sociétés de soutien spécialisées en
matière opérationnelle et de renseignement que des
sociétés de logistique (castramétation, restauration,
habillement...) en passant par les sociétés de consultance
(formation et conseil).
Pourtant, les sociétés françaises
pèsent très peu sur le marché international des services
de sécurité et de défense, marché que se partagent
largement les ESSD anglo-saxonnes. Au total, sur environ 1 500
sociétés de sécurité privée à travers
le monde, la France en compte seulement entre 30 et 40. Parallèlement,
les dépenses d'externalisation sont également moindres en France.
A titre de comparaison, la Défense en Grande-Bretagne est
externalisée à hauteur de 25 %, soit cinq fois plus qu'en
France.
Toutefois, ce « retard » de la France ne doit pas
être forcément vue comme une lacune. En effet, les rapports de la
Cour des comptes font valoir que la rationalisation d'un service en «
régie optimisée » pourrait s'avérer plus
économique que son externalisation.
Les magistrats de la rue Cambon mettent ainsi le doigt sur le
coeur du problème, à savoir que le recours à des
prestataires privés n'est pas toujours synonyme de pari gagnant pour
l'Etat qui y a recours. Il peut être aussi bien un échec (cas du
ravitaillement en vol en Grande-Bretagne) qu'une réussite (cas du
soutien médical en Australie). C'est pourquoi, la France doit faire
preuve de prudence dans sa stratégie d'externalisation et bien soupeser
les avantages et les inconvénients propres au fait de confier tel ou tel
service à un prestataire extérieur.
Il est également utile de rappeler que la diminution de
la taille des armées occidentales a été une cause majeure
dans l'émergence des ESSD. Celles-ci sont alors apparues comme un
complément nécessaire aux troupes régulières.
Aujourd'hui, la diversité des services qu'elles
128
proposent en fait un atout considérable. De plus, ces
sociétés sont aussi bien capables de protéger des
personnes et des infrastructures en zone instable que d'intervenir dans le
cadre de missions lancées par des organisations intergouvernementales
telles que l'ONU ou l'UE. Le mythe de l'amateurisme des ESSD n'a donc plus lieu
d'être. En effet, leur intervention a été saluée
dans de nombreux domaines. La lutte contre la piraterie en constitue l'un des
exemples les plus manifestes.
Le recours à des prestataires privés dispense
également les Etats d'engager des personnels ou de mobiliser des
infrastructures pour des besoins ponctuels. Il s'agit d'ailleurs d'un
véritable avantage stratégique en termes de
réactivité car la main-d'oeuvre privée est disponible
quasi-instantanément et évite aux autorités publiques de
recruter et d'entraîner les personnels correspondants. L'externalisation
est également une commodité en termes de flexibilité dans
la mesure où l'Etat n'est pas engagé au-delà de ses
besoins : comme convenu par contrat, la fin de la mission entraînera la
fin de l'engagement du contractor.
Par ailleurs, la promesse de gains économiques n'est
pas une chimère lorsqu'on recourt à des ESSD. Cependant, elle ne
demeure vraie que lorsque certaines conditions sont remplies. En premier lieu,
il faut qu'il y ait une « concurrence libre et non faussée ».
En second lieu, l'intérêt économique de l'externalisation
est avant tout pertinent dans le cas des missions ponctuelles.
Néanmoins, si les avantages sont nombreux et
variés, les limites le sont aussi.
En premier lieu, elles touchent à la question de la
souveraineté nationale et à la possibilité pour
l'armée d'être en mesure de ré-internaliser un service en
cas de besoin. Dans ce cadre, il apparaît que penser l'externalisation
à l'aune du concept de « coeur de métier » (concept
emprunté au monde de l'entreprise) n'est pas toujours pertinent car cela
reviendrait à faire fi des spécificités
opérationnelles propres à l'institution militaire. En effet,
certaines fonctions secondaires sont directement liées au coeur de
métier. Externaliser ces fonctions périphériques
reviendrait alors à diminuer dangereusement la capacité de la
France à conduire des missions de souveraineté nationale.
Dans un second temps, l'externalisation est trop souvent le
fruit de l'urgence de la situation. Or, il doit s'agir d'un processus choisi et
non subi. De plus, l'externalisation doit s'inscrire
129
dans une démarche durable afin que ce qui est
profitable aujourd'hui le soit également demain.
Troisièmement, les limites à l'externalisation
sont aussi d'ordre économique et social. A ce titre, les incertitudes de
la Cour des comptes et l'impossibilité d'établir un lien de
corrélation direct entre gains économiques et processus
d'externalisation doivent être pris très au sérieux.
L'absence de comparaisons objectives est également un problème
auquel il faudra remédier. D'autre part, il importe de prendre
conscience que si les ESSD sont de plus en plus professionnelles, elles ne
pourront jamais présenter le même niveau de garanties que les
forces armées car elles sont limitées par deux facteurs. Tout
d'abord, appartenant pour la plupart au secteur privé concurrentiel,
elles peuvent faire faillite, ce qui n'est pas le cas d'un Etat. Ensuite, les
ESSD françaises sont réglementées par les principes du
Code du travail (droit de retrait, droit de grève, semaine de 35
heures...) et non par ceux du Code de la défense (« esprit de
sacrifice », disponibilité « en tout temps et en tout lieu
»...). Dès lors, il importerait de prévoir un droit du
travail spécifique aux ESSD, ce qui apparaît toutefois peu
probable. On imagine également que les sociétés
privées françaises ne s'embarrasseront pas d'employés
français et auront plutôt tendance à recourir à de
la main-d'oeuvre issue de pays où les règles du droit du travail
sont moins contraignantes.
Dernièrement, les freins à l'externalisation en
France sont aussi d'ordre culturel. L'inconscient collectif entretient un
rapport spécifique à la res militaris et à
l'argent. Pour beaucoup, la mission d'intérêt
général dévolue aux militaires et la noblesse
traditionnellement attachée au métier des armes (noblesse des
personnes mais aussi des valeurs) semblent irréconciliables avec la
logique de profit propre au secteur privée. De plus, il apparaît
que ces réticences sont également d'ordre plus
général, dans la mesure où la culture
helléno-chrétienne voit davantage dans l'accumulation des
richesses une perversion plutôt qu'une perfection morale.
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Bruxelles, 25 janvier 2013 ;
Yannick PRATI, Lieutenant-colonel (Gendarmerie)
- Officier de liaison au ministère de la Défense, 24 mai 2012,
Paris ;
142
Bernard RAMBAUD, Colonel (Terre) - Head of
the EU AMANI Africa Planning Team - European External Action service,
Bruxelles, 30 janvier 2013 ;
Virginie SANDROCK, Directrice de GEOS EUIR,
Bruxelles, 21 janvier 2013 ; Jean-Philippe SCHERER,
Lieutenant-colonel (Air) - Chef de la cellule de planification des
opérations à l'European Union Operations Centre (EEAS),
Bruxelles, 9 janvier 2013.
143
ENTRETIENS TELEPHONIQUES
Peer de JONG, Colonel (Terre), fondateur de
Strike Global Services et de Sovereign Global Solutions, 12 juin 2012 ;
Emeric LHUISSET, Artiste, Enseignant à
l'IEP de Paris, 22 juin 2012 ;
Christian MENARD, Ancien Député du
Finistère (UMP), ancien Secrétaire de la Commission de la
Défense nationale et des Forces armées, 4 juin 2012.
144
ANNEXE I : QUESTIONNAIRE SEMI-DIRECTIF UTILISE LORS
DE L'ENQUETE DE TERRAIN
1) Est-ce que tout le monde s'accorde sur la définition
contemporaine du mercenaire ?
2) L'externalisation de la Défense doit-elle être
combattue ou encouragée ?
3) Jusqu'où faut-il laisser intervenir la
sécurité et la défense privées ? Existe-t-il des
domaines insusceptibles d'externalisation ?
4) Le fait d'externaliser entraîne-t-il un risque de perte
irrémédiable des compétences ?
5) Le critère économique est-il le seul à
même d'expliquer le recours aux sociétés privées
?
6) Le postulat selon lequel avoir recours à des
sociétés privées plutôt qu'aux armées
permettrait une réduction des dépenses budgétaires a-t-il
été démontré ?
7) Pourquoi la France, contrairement à la Grande-Bretagne
ou aux Etats-Unis, ne soutient pas le développement de ces
sociétés ?
8) A l'échelle internationale, pensez-vous que le cadre
juridique encadrant les ESSD soit suffisant ?
9) L'utilisation par ces sociétés privées
d'anciens militaires est-elle une garantie de leur bon fonctionnement ?
10) Le passé révolutionnaire français (la
conscription, l'armée citoyenne, la bataille de Valmy en 1792...)
peut-il expliquer les raisons de la défiance des pouvoirs publics
à l'égard des ESSD ?
145
ANNEXE II : TABLE DES FIGURES ET ILLUSTRATIONS
Figure 1 : L'architecture du budget de l'Etat
depuis la LOLF, p. 58.
Figure 2 : Evolution des dépenses de
défense en France, 1980-2010, p. 61.
Figure 3 : Répartition entre militaires
de carrière et militaires sous contrat par catégorie en
2011, p. 96.
Figure 4 : Categorizing the Governmental
Nature of UAS Activities, p. 103.
Tableau 1 : Dépenses d'externalisation en
France (2001-2009), p. 73. Tableau 2 : Etude de six dossiers
d'externalisation, p. 77
Tableau 3 : DoS Vs SMP : comparaison des
coûts (en millions de $), p. 84.
146
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION....1 METHODOLOGIE...7
PREMIERE PARTIE - LE MERCENARIAT...8
Chapitre 1 - Le mercenariat : approche historique......8
1 / Définition 8
Etude étymologique 9
Mercenaire et soldat de fortune 9
Acception contemporaine...10
2 / Le mercenariat : de l'Antiquité à
l'époque moderne 11
A) L'Egypte antique : berceau historique du mercenariat 12
B) La Grèce, Rome et Carthage 13
La Grèce 13
Rome 14
Carthage 15
C) Féodalité et mercenariat 16
D) La Renaissance italienne : la figure du condottiere 17
E) Le service étranger suisse 18
F) Les corsaires 19
G) Le mercenariat : un phénomène «
transgéographique » 21
3 / Le mercenariat à l'époque contemporaine
.23
A) Garibaldi, mercenaire au service de la liberté 24
B) D'André Malraux à Jacques Doriot, la figure du
volontaire international 25
André Malraux 25
Jacques Doriot 26
C) L'après-Seconde Guerre mondiale : l'apparition du
mercenariat entrepreneurial 27
David Stirling et les SAS 27
Claire Chennaut et les Flying Tigers 28
Bob Denard : le « sultan blanc des Comores »
30
Chapitre 2 - Le mercenariat : approche légale 32
1 / La notion de mercenaire au regard du droit
international ...32
Le premier protocole aux Conventions de Genève du 12
août 1949, 8 juin 1977.....33
La Convention sur l'élimination du mercenariat d'Afrique,
8 juin 1977 ..36
La Convention internationale contre le recrutement,
l'utilisation, le financement et
l'instruction de mercenaires, 4 décembre 1989
|
.36
|
2 / La notion de mercenaire au regard des
législations nationales
|
39
|
A) L'Afrique du Sud
|
39
|
B) La France
|
41
|
C) La Grande-Bretagne
|
42
|
D) Les Etats-Unis
|
43
|
E) Conclusion
|
45
|
3 / Chartes éthiques et codes de
déontologie : vers une standardisation internationale
Le Document de Montreux
46
|
|
L'International Code of Conduct (ICoC)
|
46
|
ASIS International ou la certification du secteur de la
sécurité aux Etats-Unis
|
47
|
DEUXIEME PARTIE - L'EXTERNALISATION DE LA DEFENSE
|
..49
|
Chapitre 1 - L'externalisation de la Défense : approche
théorique
|
49
|
1 / Définition
|
49
|
Externalisation et privatisation
|
49
|
Externalisation et obligations contractuelles
|
50
|
Externalisation et sous-traitance
|
51
|
2 / L'externalisation de la Défense : un processus
en deux temps
|
.51
|
La décentralisation comme prélude à
l'externalisation
|
..52
|
L'extension de l'externalisation au domaine de la Défense
|
52
|
3 / Délégation ou perte de
souveraineté ?
|
54
|
L'Etat comme décideur ultime
|
54
|
Le risque de la perte de souveraineté
|
..55
|
|
147
|
Chapitre 2 - L'externalisation de la Défense : approche
empirique
|
.57
|
1 / Le budget de la Défense en France
|
..57
|
La révolution « lolfienne » : la mission comme
unité de vote du budget
|
...57
|
Les crédits budgétaires : autorisations
d'engagement et crédits de paiement
|
.58
|
C) Budget de la Défense et pensions
|
59
|
D) Budget de la Défense et PIB
|
...59
|
E) L'évolution des dépenses militaires en France :
1980 - 2010
|
60
|
F) Le coût de la modernisation technologique : la loi
d'Augustine
|
62
|
2 / Les domaines susceptibles d'externalisation
|
.....63
|
A) Typologie des ESSD par missions
|
..63
|
Les sociétés militaires privées
64
Les entreprises « de soutien » 65
Les entreprises « de consultance » 65
Les entreprises « de logistique » 66
B) Typologie des ESSD par position sur le champ de bataille 66
Les military provider
firms..................................................................
67
Les military consultant firms 67
Les military support firms 68
C) Conclusion ..68
3 / L'externalisation en France .69
A) Les ESSD françaises 69
GEOS 69
RISK&CO.......................................................................................
70
Gallice Security 71
Surtyman 72
B) L'externalisation dans les forces armées
françaises 73
L'armée de Terre 74
La Marine nationale 74
L'Armée de l'air 75
C) Coûts et bénéfices attendus de
l'externalisation .77
Approche
économique........................................................................
77
Approche
sociale..............................................................................
78
Conclusion.............................................................................................78
4 / L'externalisation dans les pays anglo-saxons
|
.79
|
L'externalisation en Grande-Bretagne
|
..79
|
L'externalisation aux Etats-Unis
|
82
|
|
148
|
149
C) L'externalisation en Australie 84
TROISIEME PARTIE - L'EXTERNALISATION DE LA DEFENSE, UN
PROCESSUS
AMBIVALENT 87
Chapitre 1 - Les avantages de l'externalisation .87
1 / Un complément nécessaire aux
armées régulières .87
A) La protection des personnes et des biens en zone instable
88
La protection des entreprises
multinationales...............................................88
La protection des organisations non gouvernementales
humanitaires...............89
B) Une alternative face au désengagement des Etats dans le
cadre des organisations
intergouvernementales 89
L'Organisation des Nations unies et les opérations de
maintien de la paix... 90
L'Union européenne et la politique de
sécurité et de défense commune.............91
2 / Une expertise
reconnue .92
A) Un rôle salué dans de nombreux domaines .93
La lutte contre la piraterie 93
|
Les domaines
hyper-spécialisés............................................................
|
94
|
B) Réactivité et flexibilité
|
95
|
3 / La possibilité de gains économiques
|
97
|
La nécessité d'une « concurrence libre et non
faussée »
|
97
|
Le cas des missions ponctuelles : les ESSD comme «
intérimaires » de l'Etat
|
..98
|
Chapitre 2 - Les limites de l'externalisation 100
1 / Limites liées à la souveraineté
nationale 100
A) La question de la perte de compétences 100
La réversibilité 100
Le coût de la ré-internalisation 101
B) L'illusion du « coeur de métier » 102
L'existence de fonctions hybrides 102
Un paradoxe : la fragilisation du « coeur de
métier » 103
Conclusion 104
150
2 / Limites économiques et sociales
.105
A) La nécessité d'une véritable concurrence
105
B) Un intérêt économique encore incertain
..106
Les incertitudes de la Cour des
comptes....................................................106
L'absence de comparaisons
objectives.....................................................107
C) Limites statutaires 108
La notion de sacrifice 108
La question de la mobilité 109
3 / Limites culturelles 110
A) La sacralisation de la fonction militaire 111
Soldat-citoyen et mercenaire 111
Les bellatores ou la noblesse d'épée
112
B) Philosophie et catholicisme romain : la critique du profit
114
La critique philosophique : chrématistique
aristotélicienne et réification
marxiste..........................................................................................
114
La critique catholique : la condamnation de l'usure
116
C) Le protestantisme : la doctrine de la prédestination
comme déculpabilisation de la
richesse ..118
Luther et la lutte contre les
indulgences.....................................................118
La réussite sociale comme signe
d'élection................................................119
LISTE DES PRECONISATIONS 121
CONCLUSION 124
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE 130
EMISSIONS RADIOPHONIQUES 139
FILMOGRAPHIE 140
ENTRETIENS DIRECTS 141
ENTRETIENS TELEPHONIQUES... 143
ANNEXES... 144
TABLE DES MATIERES 146
EXECUTIVE SUMMARY 151
151
EXECUTIVE SUMMARY
VERSION FRANCAISE
L'objectif de ce mémoire est d'expliquer toute la
complexité de l'externalisation afin de pouvoir répondre à
la question de la stratégie française dans ce domaine.
Tout d'abord, en établissant la genèse de
l'externalisation, le mercenaire d'hier n'étant que la figure
prémonitoire du contractor contemporain.
Ensuite, en faisant valoir que le droit international
criminalise le mercenaire et non pas le contractor car le premier
participe à la déstabilisation d'Etats souverain contrairement au
second.
Par ailleurs, en montrant que l'intérêt de
recourir à des prestataires privés varie selon les domaines
concernés et que par conséquent il vaut mieux étudier la
pertinence de l'externalisation secteur par secteur plutôt que de
manière globale.
Enfin, en démontrant que les incitations ou les
barrières à l'externalisation sont aussi bien
déterminées par des facteurs d'ordre rationnel
(l'économie, le droit...) que par des facteurs d'ordre culturel.
MOTS CLES : MERCENARIAT - EXTERNALISATION -
PRIVATISATION - SECURITE - DEFENSE - ETAT - SOUVERAINETE - ONTRACTUEL -
ESSD.
VERSION ANGLAISE
This essay aims at explaining the intricacy of outsourcing in
order to answer the issue of the French strategy in this area.
At first, by developing the genesis of outsourcing. In this
context, mercenary activities are only the heralding sign of contemporary
private military companies (PMC).
Then, by revealing that international law criminalizes
mercenary activities and not private military services for the first, unlike
the second, aim at overthrowing a Government or undermining the territorial
integrity of a State.
Furthermore, by showing that the interest of using private
security service providers depends on the areas in which they are involved.
Therefore, it is better to analyze the relevance of outsourcing sector by
sector rather than globally.
Finally, by demonstrating that incentives or obstacles to
outsourcing are both determined by rational (economics, law...) and cultural
order factors.
KEY WORDS : MERCENARY ACTIVITIES -
OUTSOURCING - PRIVATIZATION - SECURITY - DEFENSE - STATE - SOVEREIGNTY -
CONTRACTOR - PMC.
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