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Le pouvoir de Standard and Poor's, illustration de la raison néolibérale

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par Elise Fraysse
Université Lumière Lyon 2 -  2012
  

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B) La reprise du Code par les entités publiques : la marche vers un « Etat de droit économique »203(*)

La crise économique et financière que nous traversons actuellement a mis les agences de notation, et notamment Standard and Poor's, sur le devant de la scène. Elles ont fait l'objet de nombreuses critiques, souvent justifiées, notamment de la part d'entités que l'on pensait « complices », comme le FMI, la Banque mondiale ou l'Union européenne. On leur a reproché de ne pas avoir alerté le marché sur la santé financière parfois chaotique de certains acteurs du marché. Ainsi, par un règlement en date du 16 septembre 2009 élaboré conjointement par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne204(*), les agences de notation ont fait l'objet d'un encadrement. Beaucoup y ont vu un signe annonciateur de la chute du néolibéralisme, en ce que ces sentinelles des marchés financiers allaient enfin être réglementées. Si c'est en effet cette constatation qui nous apparait en première vue, il semblerait en réalité que ce soit tout le contraire.

Le néolibéralisme n'est pas synonyme de recul de l'Etat. On l'a dit, l'Etat n'intervient pas moins, il intervient autrement. Ainsi, l'intervention publique n'est pas nécessairement le signe d'un déclin du paradigme néolibéral. Pour les auteurs Colson et Idoux, les agences de notation suivent le principe de co-régulation, qui repose sur « la recherche d'un partage optimisé du savoir-faire et de la légitimité de chacune de parties prenantes »205(*), publiques et privées.MM. Dardot et Laval, quant à eux, parlent de « coproduction publique-privée des normes internationales »206(*). En effet, par le règlement européen susvisé, le Parlement européen et le Conseil n'ont pour la majeure partie fait que reprendre les principes qui avaient été énoncées par l'OICV 6 ans plus tôt. Il pose ainsi le principe d'impartialité des analystes, reprend les règles concernant la prévention des conflits d'intérêts (article 6), la compétence des membres (article 7), la qualité et la transparence de la notation (articles 8 et 10)...

Selon ce règlement, les agences de notation doivent également faire l'objet d'une certification et d'un enregistrement pour exercer leurs activités au sein de l'Union européenne. Au-delà du fait que cette nouvelle contrainte - si c'en est une - n'aura pas de grande incidence sur les plus grandes agences telles que Standard and Poor's, il faut remarquer que l'activité même de celles-ci n'est absolument pas concernée par le règlement. La question de la pertinence des critères mis en oeuvre n'est par exemple jamais évoquée. Ainsi, ce que le règlement de l'Union européenne fait, c'est de fixer un cadre pour que les acteurs de la finance exercent leurs fonctions ; elle ne fait que donner les règles du jeu207(*).

Cette hybridation des règles internationales montre bien que les règles édictées par l'Etat, c'est-à-dire publiques, ne sont plus l'expression d'une volonté transcendante et politique, puisqu'une entité privée peut être à leur origine. Si l'Union européenne n'a fait que reprendre le Code de conduite de Standard and Poor's, entre autres, il s'agissait peut être de leur donner plus de force, mais leur contenu est resté le même : les professionnels eux-mêmes sont mieux placés pour édicter les règles qui les concernent, qui seront les plus efficaces et porteuses du moins d'externalités négatives possibles. Ainsi, l'Etat suit le marché et la première victime, c'est la politique.On assiste ainsi à une certaine dépolitisation du droit208(*). Le droit ne doit plus être l'expression d'une volonté ou être à la recherche d'une certaine finalité ; il doit laisser les acteurs « jouer » au sein du cadre qu'il a contribué à dessiner. L'Etat est donc réduit à un rôle d'incitateur, qui « organise l'auto-organisation de la société »209(*).

En adoptant de telles règles, l'Union européenne n'a pas fait de Standard and Poor's son ennemie ; elle l'a plutôt confortée à sa place. Elle a intégré à un échelon de légitimité supérieure - quoique pas optimal - les règles que Standard and Poor's avait elle-même édicté, avec l'OICV. Le règlement du 16 septembre 2009 est donc un exemple d'une réglementation néolibérale, qui associe public et privé afin d'amenuiser les conflits potentiels et qui annihile ainsi le rôle de la politique. Fondamentalement, c'est donc l'Etat qui se transforme ; on parle, avec Foucault, d'« Etat de droit économique »210(*), ce qui signifie que l'intervention de l'Etat dans l'ordre économique n'est permise que si celle-ci « prend la forme de l'introduction de principes formels »211(*). La loi formelle, qui présuppose que l'Etat doit être aveugle à tout processus économique, n'est pas une « décision qui est prise par quelqu'un pour quelqu'un d'autre »212(*). Il semble qu'il n'y ait pas de mots plus justes pour décrire, comprendre et théoriser le règlement de l'Union européenne susvisé : l'Union européenne, groupement d'Etats, s'est fait le relai de règles édictées par Standard and Poor's, règles qui s'appliqueront aux mêmes Etats et qui, vides de substance, se contentent de dessiner un cadre dans lequel les acteurs du marché obligataire seront plus libres d'interagir. L'Etat souverain et politique devient donc un Etat de droit économique.

* 203Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 177

* 204 PE et Cons. UE, règl. (CE) n°1060/2009,16 septembre 2009, sur les agences de notation de crédit : JOUE n°L.302, 17 nov. 2009.

* 205Colson (Jean-Philippe) et Idoux (Pascale), Droit public économique, Lextenso éditions, L.G.D.J., 5ème ed., 2010, p. 644

* 206Dardot (P.), La nouvelle raison du monde, op. cit., p. 359

* 207Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 179

* 208Valentin (V.), Les conceptions néolibérales du droit, op. cit., p. 240

* 209Ibid., p. 249

* 210 Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 177

* 211Idem.

* 212 Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 178

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