Open data : à la recherche de standards communs pour la réutilisation de l'information publique( Télécharger le fichier original )par Josselin Henno Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) - Master 2 Droit des nouvelles technologies 2011 |
Année universitaire 2011-2012 Université de Versailles
Saint-Quentin-en-Yvelines Mémoire de Master 2 Droit des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication Open Data : à la recherche de standards communs
pour la Réalisé par Josselin Henno Sous la direction de Madame Mélanie Clément-Fontaine 2 TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION 4 TITRE I - LA GENÈSE DE L'OPEN DATA 10 Chapitre 1 - Le champ d'application du régime de réutilisation de l'information publique 11 Section 1 - L'information publique : définition négative 10 I - Les informations expressément exclues du régime de réutilisation 10 A - Les informations dont la communication ne constitue pas droit 11 B - Les informations produites par les administrations dans l'exercice d'une mission de service public à caractère industriel ou commercial 13 C - Les informations sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle 16 II - Un régime dérogatoire pour les informations produites par les établissements et institutions d'enseignement et de recherche et les établissements culturels 19 Section 2 - L'information publique : définition positive 21 I - Le choix du vocable « information » 21 II - Le caractère public de l'information 23 Chapitre 2 - Les modalités de réutilisation de l'information publique 26 Section 1 - La généralisation de la licence de réutilisation 26 Section 2 - Les modalités communes de réutilisation de l'information publique 28 I - Les obligations de l'administration 28 A - Principes de libre réutilisation et de non exclusivité 28 B - La tenue d'un répertoire des informations publiques 29 II - Les droits et obligations du Réutilisateur 30 A - Les droits du réutilisateur 30 B - Les obligations du réutilisateur 30 Section 3 - Le cas particulier de la tarification 32 I - Le mode de calcul de la tarification 32 II - La mise à disposition de licences type 33 3 TITRE II - LA STANDARDISATION DE L'OPEN DATA 35 Chapitre 1 - La « Licence Ouverte » du portail « data.gouv.fr » ou la simplification de la réutilisation de l'information publique 37 Section 1 - La synthèse des droits et obligations du Réutilisateur 38 I - Les droits du Réutilisateur 38 II - Les obligations du Réutilisateur 39 A - La « paternité de l'Information » 39 B - L'intégrité de l'Information 41 Section 2 -La non responsabilité du Producteur : un ferment d'insécurité juridique 41 I - La non responsabilité du Producteur vis-à-vis des Réutilisateurs 41 A - Quant à la qualité de l'Information 41 B - Quant à la fourniture de l'Information 43 II - La non responsabilité du Producteur vis-à-vis des tiers 44 Chapitre 2 - La compatibilité de la Licence Ouverte avec les autres licences de réutilisation 45 Section 1 - La compatibilité expresse de la Licence Ouverte 45 Section 2 - La compatibilité logique de la Licence Ouverte : l'exemple de la licence OdbL- Paris 46 CONCLUSION 48 BIBLIOGRAPHIE 50 ANNEXES 54 4 INTRODUCTIONBien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets. Alfred Sauvy L'information en tant que telle a toujours eu une valeur économique : le meilleur exemple est celui d'une information qui fut payée trente pièces d'argent ; et ainsi l'ère chrétienne commença1. Vittorio Frosini 1 - Open Data -littéralement les données ouvertes- est le concept selon lequel une information peut être librement utilisée, réutilisée et redistribuée par n'importe qui, à la seule condition, tout au plus, d'en mentionner la source et/ou rediffusant l'information, le cas échéant, selon la même licence ou une licence similaire2. Appliquée au secteur public, l'Open Data consiste donc à mettre à la disposition de tous les informations émanant des personnes publiques, afin d'en permettre la réutilisation, y compris dans un but commercial. Cette politique publique d'ouverture des informations, aujourd'hui en pleine expansion, trouve sa raison dans le constat suivant : à l'occasion de leurs activités, les personnes publiques produisent et collectent un grand nombre d'informations diverses et variées (des statistiques économiques, sociales, environnementales aux chiffres officiels de la délinquance, des services hospitaliers et de l'éducation nationale, en passant par des données horaires relatives aux transports publics...). Or ces informations sont susceptibles d'être valorisées par leur intégration dans des services tels que des sites web ou des applications mobiles, que le secteur privé est plus à même de développer. S'inscrivant dans le paradigme informationnel, le mouvement Open Data est animé par des enjeux d'ordre politique et d'ordre économique. 2 - Un mouvement politique. L'ouverture des informations publiques permet une plus grande transparence et une plus grande efficacité de l'action publique. Comme le disait le sociologue Dominique Cardon, « accéder aux données, c'est donner [aux citoyens] la possibilité de coproduire la décision avec l'exécutif ». Fort de ce constat, le président Obama a annoncé, dès son investiture en janvier 2009, la mise en oeuvre d'une politique publique dite Open Government 1 V. Frosini, Law and Liberty in the Computer Age. Ici, l'auteur se réfère implicitement au prix payé par les grands prêtres à Judas Iscariote pour la trahison de Jésus : voir Evangile selon Matthieu, XXVI, 14-16 2 Traduction libre de la définition posée par l'Open Knowledge Foundation ; http://opendefinition.org 5 Initiative, visant à « créer un niveau d'ouverture du gouvernement sans précédent », dans le but de « renforcer la démocratie et promouvoir son efficacité au sein du gouvernement »3. Cette initiative s'est traduite par la mise en ligne d'un portail4 rassemblant et mettant à disposition des informations publiques (environ 400 000 jeux de données)5 aussi diverses que l'évolution de la dette publique, la liste des brevets en cours, le nombre et la nature des infractions commises sur une année, les taux de pollution ou encore les subventions publiques versées au secteur culturel. Ce volontarisme des Etats-Unis en matière d'ouverture des informations publiques a suscité un engouement mondial, qui s'est manifesté par des initiatives Open Data tant à l'échelon local6 que national, dans une perspective de transparence et de gouvernance participative. L'intérêt manifesté par la société civile s'est traduit par le développement de services dont la matière première est l'information. La vie politique a ainsi vu émerger en son sein des observateurs d'un nouveau genre, permettant de vérifier les choix budgétaires (l'application Where does my Money Go au Royaume-Uni), l'activité des parlementaires (les sites NosDéputés.fr et NosSénateurs.fr créés par le collectif « Regards Citoyens » en France), l'évolution des travaux des bâtiments publics (l'application bePart en Allemagne), les résultats de chaque école avec les moyennes municipales, régionales et nationale (le site comparatuescuela.org au Mexique), ou encore les itinéraires conseillés pour les personnes à mobilité réduite (l'application Handimap à Rennes). Le gain démocratique et l'optimisation des services publics ont conféré au mouvement Open Data une légitimité incontestée. 3 - Un mouvement économique. Les services de l'information constituent un marché colossal7 dont il faut permettre le développement dans une perspective de croissance. La volonté de diffuser les informations publiques afin d'en extraire la richesse économique a été manifestée par les instances européennes dès la fin des années 808. Le coeur de cette stratégie de diffusion est le principe de disponibilité des informations publiques, posé à plusieurs reprises, notamment dans le Livre vert sur l'information émanant du secteur public dans la société de l'information9. Cette dynamique a achoppé sur des questions pratiques liées à la nature des informations publiques. 6 Au 1er juin 2012, quatorze communes françaises s'étaient engagées dans une démarche d'Open Data, parmi lesquelles Nantes, Rennes, Bordeaux, Montpellier, Toulouse et Paris. 7 Le rapport MEPSIR (Measuring European Public Sector Information Resources) datant de 2006, financé par la Commission européenne, estimait le marché européen lié à la réutilisation des informations publiques à 27 milliards d'euros par an. Dans un rapport de août 2011 (Review of recent studies on PSI re-use and related market developments), ce marché était évalué à 32 milliards d'euros pour l'année 2010, soit une augmentation de 7% par an. 8 Décision du conseil des Ministres, 26 juillet 1988 9 Livre vert sur l'information émanant du secteur public dans la société de l'information - L'information émanant du secteur public : une ressource clef pour l'Europe, 1998 6 Celles-ci sont en effet susceptibles de contenir des droits de propriété intellectuelle, ce qui a fait glisser le débat sur la question de la politique tarifaire à mettre en oeuvre pour atteindre l'objectif d'accomplissement du marché de l'information, tout en préservant les intérêts des ayants droit. Par ailleurs, les opérateurs publics diffusant des données ont pu se voir reprocher des ententes ou des abus de position dominante. Il était donc nécessaire de clarifier ces points pour que la politique de réutilisation mise en oeuvre soit pérenne. Le cadre juridique de la réutilisation des informations publiques en Europe a ainsi été posé par la directive du 17 novembre 200310, qui a énoncé des principes juridiques pour la résolution de ces questions. Néanmoins, la directive laisse une entière marge de manoeuvre aux États membres sur la politique de diffusion à mettre en oeuvre, qui relève in fine de la souveraineté nationale11. 4 - Au plan théorique, les principes de l'Open Data ont été posés notamment par l'Open Knowledge Foundation12, organisme de droit anglais qui promeut la connaissance ouverte dans toutes ses formes. Selon cet organisme, l'Open Data n'est qu'une composante d'un mouvement plus large d'ouverture (Openness), comprenant aussi les contenus ouverts (Open Content) et les services ouverts (Open Service). Ainsi l'ouverture se définit par la possibilité pour tout un chacun de librement utiliser, réutiliser et redistribuer un contenu (au sens d'oeuvre de l'esprit) ou une information, subordonnée tout au plus à la mention de la paternité et/ou à une clause de partage à l'identique. Autrement dit, le principe « d'ouverture de la connaissance » s'oppose à l'exclusivité conférée par les droits de propriété intellectuelle (droits d'auteur et droits voisins, droit sui generis des bases de données, marques, brevets, etc.). Par ailleurs en 2007, le groupe de travail « Open Government Data »13 définissait les huit qualités requises pour qu'une information publique soit considérée ouverte : complète, primaire, opportune, accessible, exploitable, non discriminatoire, non propriétaire et libre de droits. Les licences libres14 se sont naturellement imposées comme l'instrument juridique de cette liberté. Développées initialement pour le partage d'oeuvres logicielles dans les années 80, les licences libres se sont peu à peu propagées à tous les champs de la 10 Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public 11 Directive du 17 novembre 2003, considérant (9) 12 L'Open Knowledge Foundation est une association à but non lucratif promouvant la culture libre dans des domaines aussi variés que l'éducation, la science ou tout autre secteur d'activités produisant des données ouvertes. Elle a été fondée en 2004 à Cambridge au Royaume-Uni. 13 Le groupe de travail « Open Government Data » est un groupe d'une trentaine d'activistes et de praticiens de l'open government qui s'est réuni près d'un an avant l'entrée en fonction de Barack Obama. 14 « Les licences libres peuvent être définies comme des licences par lesquelles l'auteur autorise la copie, la modification et la diffusion de l'oeuvre modifiée ou non, de façon non exclusive, sans transférer les droits d'auteur qui y sont attachés et sans que l'utilisateur ne puisse réduire ces libertés tant à l'égard de l'oeuvre originelle que de ses dériviés. Les oeuvres ainsi diffusées sont qualifiées de libres ». M. Clément-Fontaine, L'oeuvre libre, JurisClasseur PLA, fascicule 1975 7 connaissance. Affûtées pour encadrer la réutilisation des informations publiques, elles synthétisent par la voie du contrat les droits et obligations du licencié. 5 - Si l'évolution du rôle assigné à l'information dans la société peut être résumée en trois âges : le secret, la transparence et le marché15, la question de son statut juridique est quant à elle beaucoup plus problématique. A l'ère de l'informatique et de la communication, l'information s'est détachée de son support, se démarquant ainsi par son « immatérialité radicale »16 : l'information est un bien qui a une valeur intrinsèque, indépendamment de son support de diffusion. L'avènement de l'information réifiée ne permet pas pour autant d'appréhender son statut, sa polymorphie empêchant de la classer dans telle ou telle catégorie juridique existante. Entre bien commun et propriété17, l'information n'est pas une idée (de libre parcours) mais un bien sur lequel peuvent être assis des droits de propriété intellectuelle. Ainsi, une information peut être totalement ou partiellement protégée par le droit sui generis des bases de données, un brevet ou un droit d'auteur. Le recours aux licences libres pour encadrer les conditions de réutilisation des informations publiques souligne cette ambivalence de l'information publique. Traditionnellement utilisées pour encadrer le partage des oeuvres de l'esprit, les licences libres se révèlent être des instruments juridiques efficaces pour régler le sort des droits de propriété intellectuelle qui peuvent être attachés aux informations publiques, tout en permettant à ces dernières d'être diffusées et réutilisées le plus largement possible. Au niveau du negotium, les licences libres encadrant la réutilisation d'informations publiques se distinguent des licences libres classiques par leur terminologie : il n'y est plus fait référence à la notion d'oeuvre mais à celle « d'information ». Autrement dit, par souci de simplicité, l'information est assimilée, par métonymie, aux oeuvres qu'elle est susceptible de comporter18. 6 - En France, le régime de réutilisation des informations publiques a été introduit par la directive du 17 novembre 2003, transposée par l'ordonnance du 6 juin 200519. Le choix du législateur a été d'ancrer le régime de réutilisation des informations publiques dans la loi du 17 juillet 1978, qui consacre le droit d'accès aux documents administratifs. Si l'accès et la réutilisation 15 H. Burkert, From the commercialization of public information to administration information law, Colloque Informatique et droit, Montréal, 1992. 16 E. Daragon, Etude sur le statut juridique de l'information, D., chr., 1998, p.65 17 P. Aigrain, Cause commune : l'information entre bien commun et propriété, Fayard, 2005 18 La licence OGL pour la réutilisation des informations publiques est plus explicite que la Licence Ouverte française sur ce point. Le terme « information » y est employé comme un synonyme « d'oeuvre protégée » ; « Information means information protected by copyright or by database right (for example, literary and artistic works, content, data and source code) offered for use under the terms of this licence » 19 Ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques 8 entretiennent des liens forts, ces deux régimes ne doivent pas pour autant être confondus, ce qui a fait regretter cet ancrage à certains auteurs20. Néanmoins, ce choix permet d'unifier dans un seul et même texte les règles essentielles relatives aux informations publiques. 7 - A la suite de la mise en oeuvre du régime de réutilisation des informations publiques, la question de leur mise à disposition s'est posée avec de plus en plus d'acuité, de manière à optimiser cette stratégie politique. A la recherche de standards communs pour simplifier la réutilisation des informations publiques et en maximiser le potentiel, l'Open Data s'est doté de principes et de normes pour permettre son épanouissement. 8 - Nous étudierons dans un premier temps la genèse de l'Open Data en France, caractérisée par l'instauration d'un régime de réutilisation des informations publiques (Titre I) puis nous nous pencherons sur la mise en oeuvre du portail « data.gouv.fr » et de la Licence Ouverte, inscrivant le mouvement Open Data dans un processus de standardisation (Titre II). 20 J.-M. Bruguière, Données publiques : la confusion des genres de l'ordonnance du 6 juin 2005, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 46, 17 novembre 2005, 1625 9 |
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