La radiodiffusion au cameroun de 1941 à 1990( Télécharger le fichier original )par Louis Marie ENAMA ATEBA Université de Yaoundé I - Master II en Histoire des Relations Internationales 2011 |
II- DIFFICULTÉS ET DÉFIS D'UNE RADIO NATIONALE AU CAMEROUNA l'instar des autres institutions étatiques du Cameroun post-colonial, la radiodiffusion se caractérisait par son inefficacité. Cela résultait des rapports entre le Cameroun et les nations étrangères, des insuffisances matérielles et financières, des défaillances humaines.
II.1. Les difficultés de la radio nationaleDe 1960 à 1990, la radio nationale du Cameroun avait connu des difficultés non négligeables. Celles-ci avaient trait à l'influence des faits politiques et sociaux, au déficit des équipements techniques adéquats, à la qualification approximative de ses ressources humaines.
II.1.1. L'influence des faits politiques et sociauxLes émissions de la radio publique camerounaise étaient le reflet des tendances du gouvernement. Cela entraînait le mécontentement de ses auditeurs, qui s'adonnaient alors à l'écoute des radios étrangères. Au lendemain de l'indépendance du pays, les Camerounais, dans leur majorité, étaient des non lettrés127(*). Le gouvernement avait alors considéré la radiodiffusion comme le moyen d'information le plus adéquat. En plus, les revenus des populations ne leurs permettaient pas d'avoir accès à la presse écrite. Le gouvernement camerounais avait placé la radio sous sa protection, car « il n'était point question de préparer l'anarchie dans le pays en laissant le premier citoyen venu aller dire ce qu'il pense au micro ». La radio était ainsi devenue non pas une institution véritablement publique, mais un instrument du pouvoir. Cela s'illustre clairement dans les propos d'un agent du P.N., qui asserte : La radio nationale n'était pas une radio de l'État, mais une radio du gouvernement. Car l'État regroupait, entre autres, les opposants politiques, les partisans du socialisme soviétique, stigmatisés par le capitalisme occidental et le régime post-colonial qui lui était favorable. Les dirigeants de la nation livraient alors une lutte acharnée contre la satire, d'autant plus qu'ils étaient en quête des moyens de maintien au pouvoir128(*).
En s'octroyant ce monopole protecteur sur la radio, le gouvernement la privait de l'autonomie nécessaire pour garantir l'objectivité de ses informations. Les services nationaux de radiodiffusion étaient alors contraints d'être « des porte-paroles du gouvernement dans la lutte contre les oppositions éventuelles ». Ainsi, tout irait sans mal, pensent les dirigeants, si l'on était certain d'avoir des gouvernements éternels. Cependant, les services radiophoniques ne pouvaient subsister par leurs propres ressources financières. Les redevances payées de manière irrégulière ne garantissaient pas l'autonomie financière de la radiodiffusion. Même si la radio nationale obtenait, par la publicité, des fonds nécessaires à son fonctionnement, elle ferait faillite, faute de subventions. Ce qui limitait l'indépendance de la radio vis-à-vis du gouvernement.
La radio nationale du Cameroun diffusait des communiqués relatifs au fonctionnement de la République. En effet, les communiqués officiels représentaient l'essentiel des contenus rédactionnels diffusés quotidiennement à la radio. Ils provenaient des institutions de l'État. Ils résumaient les activités des instances de décision, qui surévaluaient les succès et minoraient les échecs. Les communiqués en provenance de la Présidence de la République présentaient les actes du Chef de l'État. Rédigés au secrétariat général de la Présidence de la République, ils étaient déposés à l'antenne, pour diffusion, sans réécriture. L'importance de la place réservée aux communiqués officiels à la radio signifiait la négligence des priorités d'alors (l'analphabétisme, le chômage, etc.). La radio nationale devenait ainsi « un deuxième journal officiel ». Les informations relatives aux actes du gouvernement déplaisaient au public, lorsqu'elles faisaient abstraction des faits d'actualité connus. Parfois, la radio publique accumulait des démentis d'informations annoncées par les médias étrangers. Lesdites informations étaient fondées sur le culte de la personnalité. Elles étaient jugées ennuyeuses. Explicatives et lentes, elles prenaient du recul par rapport aux faits d'actualité, parce qu'elles étaient censurées conjointement par les autorités politiques et les journalistes responsables. Elles étaient destinées à la propagande officielle. Au sein de la radio nationale, les leaders politiques du Cameroun étaient célébrés, leurs talents ventés. Ils bénéficiaient des éloges spéciaux et béatifiantes. La radio faisait fi de leurs défaillances, et mettait l'accent sur leurs succès. Il n'existait pas d'opposition politique légitime. Entre 1960 et 1990, la radio faisait la part belle à des élites gouvernementales. Puisque la radio était le moyen de diffusion d'informations le plus accessible, notamment en raison de son faible coût, le message parfois biaisé du gouvernement parvenait au maximum d'auditeurs. Cela était la matérialisation d'une oeuvre de désinformation poussée, dirigée contre les auditeurs. Les paroles qui composaient le générique de son journal en étaient une parfaite illustration : Ahidjo, nous, camarades de l'U.N.C., en avant pour ta tache de conciliateur, par la volonté de Dieu et la confiance de la nation, jamais jamais tu ne failliras. Va de l'avant, Ahidjo, nous soutenons ton action de paix et de sécurité129(*). Certaines émissions de la radio nationale du Cameroun n'intéressaient pas les auditeurs. Pour ce qui était des émissions agricoles, les commentaires étaient multiples et négatifs. En effet, ces émissions étaient jugées mal élaborées. Elles étaient présentées par des ingénieurs agronomes. Les producteurs étaient coupés de la réalité du terrain, et élaboraient des théories non applicables dans des plantations camerounaises. Ces émissions divulguaient des informations déjà annoncées aux journaux parlés et qui, de ce fait, n'intéressaient plus l'auditoire auquel elles s'adressaient130(*). Le contenu des émissions était inadapté aux besoins de formation technique, aux problèmes de la brousse. Les émissions étaient conçues en fonction des problèmes des villes (les discours des ministres, les réunions). En plus, la forme de ces émissions était peu attrayante. Les émissions étaient produites en français soutenu, inaccessible aux populations des campagnes; les populations rurales camerounaises étant encore analphabètes à cette période, en raison de la lenteur des progrès de l'instruction. Un auditeur l'exprima clairement en ces termes : « Les émissions agricoles intéressent les paysans, mais il n'existe pas de responsables qui les leur expliquent ».
La radio était un instrument politique. Le rôle de la radio nationale du Cameroun ne se limitait pas à la diffusion d'idées. Il s'étendait aussi à l'éducation politique et civique. La radio devait servir de moyen de lutte pour la réalisation des plans quinquennaux, et pour l'accroissement de la productivité. Mais la radio avait été consacrée à stimuler l'action du parti unique, à vulgariser et à propager les idées fausses, les lois et les instructions gouvernementales parmi le public, et à l'inciter à mettre en pratique des mesures prises par les autorités131(*). Il était assez difficile de faire la part entre l'information diffusée à la radio et la propagande politique. L'impact politique des émissions dépendait de l'idée que se faisaient les auditeurs de la situation socio-économique réelle du pays. Les émissions politiques principales étaient diffusées sous deux titres différents: « U.N.C. Information », qui donnait des nouvelles des sections et des sous-sections de toutes les régions du pays; « Union-Vérité-Démocratie », qui propageait les idées-forces de la politique du parti. L'émission apparaissait comme un doublon du journal parlé. Certains affirmaient que l'émission, loin de vulgariser des idées-forces, ressemblait à un sermon. Au cours d'une édition de « Cameroun-Midi », il avait été annoncé par un présentateur: « le Président de la République vient de signer un décret portant organisation du service civique national de participation au développement ». Très peu de personnes pouvaient comprendre exactement le contenu de cet arrêté. Au Cameroun, les juristes de métier prenaient des lois, des arrêtés, des décrets, des décisions, sans en donner des explications amples. Ce qui entraînait, chez les auditeurs de la radio nationale, une méconnaissance de l'esprit des textes régissant le fonctionnement du pays. Il avait été relevé des détails non négligeables sur certains jeux radiophoniques. En effet, l'usage du téléphone relevait d'un luxe pour les Camerounais, car très peu en disposaient. Certains auditeurs étaient ainsi condamnés à ne pas exercer de communication téléphonique avec les présentateurs de ces émissions. En plus, le standard de Radio-Cameroun ne pouvait recevoir qu'un nombre d'appels limité. Seules des personnes financièrement aisées pouvaient y participer. Bien que l'émission « Le jeu de mille francs » ne nécessitait pas l'usage du téléphone, et que tout auditeur pouvait y envoyer des questions ou des réponses, elle avait un caractère urgent. En effet, elle était diffusée à la deuxième chaîne de radio, qui ne pouvait être captée que par des auditeurs de Yaoundé. De plus, la présentation de cette émission était jugée fantaisiste, ennuyeuse. La lecture des questions était hésitante, parfois hachée et rapide. En outre, le présentateur faisait de la morale aux auditeurs, employant des expressions déplaisantes à leur égard. Le décret 72/425 du 28 août 1972 précise, dans son article 23, alinéa 5 : « Le service d'action civique et éducative est chargé du contrôle, de l'exploitation de la publicité dans l'ensemble du réseau ». Il n'était pas exceptionnel qu'une chanson appréciée des auditeurs soit interrompue par un flash publicitaire. En outre, certaines publicités diffusées à Radio-Cameroun étaient dangereuses. Les publicités des boissons alcooliques étaient nocives à la société: elles encourageaient l'alcoolisme, dont le Ministère de la santé présentait des effets néfastes sur l'organisme humain. Même le cigare faisait l'objet de publicité à Radio-Cameroun. Il existait des inégalités sociales, qui se manifestaient, notamment, par l'incapacité de la majorité de Camerounais d'acheter un récepteur radio. L'acquisition d'un appareil de télégraphie sans fil n'était pas à la portée de la bourse du commun des citoyens. Les personnes résidant dans des centres urbains écoutaient la radio, contrairement aux habitants des régions rurales, dont la majorité ne disposait pas d'un poste récepteur132(*). La plupart des auditeurs se trouvant dans des villes, décision avait été prise en leur faveur, au grand dam des auditeurs de la brousse. En plus, il n'existait qu'un seul émetteur pour toutes les régions recevant les programmes de la radio nationale. La tendance à « faire de la radio qui ressemble à de la radio » se manifestait. Les auditeurs n'étaient pas disposés à écouter des conseils d'hygiène. Dès lors, la radio s'éloignait des personnes les plus nécessiteuses.
Le plus souvent, les semi-analphabètes étaient lésés. Ils regroupaient des personnes qui, après avoir appris à lire et à écrire, avaient interrompu leurs études. Les émissions destinées aux élites intellectuelles dépassaient leur capacité de compréhension. Celles s'adressant aux illettrés leur étaient accessibles. Des auditeurs intellectuellement aguerris doutaient de la formation acquise par les journalistes. D'aucuns les qualifiaient d'analphabètes. Ils déniaient à la radio la capacité de transmission des connaissances. Interrogé par M. Tjadé Eonè, un enseignant déclara, en 1981, concernant les journalistes : « ils ont tendance à confondre culture et football ». Par ailleurs, la radio nationale du Cameroun faisait face à l'influence des rumeurs. L'influence des rumeurs était d'autant plus grande au Cameroun qu'elle s'inscrivait dans un contexte socio-culturel dominé par l'oralité. La rumeur avait un impact public qui défiait celui de la radio nationale. Cette influence de la rumeur pouvait s'expliquer par la relation très étroite qui existait entre la rumeur et l'information officielle, l'une divulguant ce que cachait l'autre. En effet, la radio nationale diffusait des informations essentiellement pro-gouvernementales. Les informations qui tendaient à remettre en question l'efficacité de l'action de l'État étaient censurées par la rédaction de l'institution. Un tel contexte de déficit d'informations donnait libre-cours à la propagation de la rumeur. La densité des messages et leur degré de crédibilité étaient le résultat de la quantité d'informations reçues par la radio, le canal officiel.
Les recherches menées par les spécialistes des sciences sociales laissent penser que la transmission d'une rumeur reflète les tensions intérieures ressenties par l'individu qui la communique. Celui-ci y projette ses propres élans émotionnels, ses angoisses, ses fantasmes. La rumeur est en effet « une affirmation générale, présentée comme vraie, sans qu'il existe de données concrètes attestant de son exactitude »133(*). Les élans émotionnels finissent par altérer le fait original.
Après l'indépendance, les problèmes de développement du Cameroun étaient énormes. La radio nationale, l'unique institution de diffusion de l'information électronique, se voulait un moyen de consolidation des acquis du Cameroun, et de concrétisation de ses enjeux politiques, économiques et sociaux. Cela supposait que la radio ne devait pas se réduire à être un simple outil de divertissement des auditeurs. Elle devait contribuer à leur instruction. Cependant, très peu d'auditeurs s'intéressaient à l'activité intellectuelle. Un observateur neutre du fonctionnement des institutions du Cameroun l'énonce clairement en ces termes: « les Camerounais n'écoutaient pas véritablement la radio. Ce qui les intéressait, c'était le sensationnel. L'auditeur le plus banal cherchait, non pas l'information, mais sa qualité sonore»134(*). Les émissions de divertissement étaient contrebalancées par l'influence du roman, accessible exclusivement aux lettrés. En effet, les auditeurs jugeaient plus digestes les actions d'évasion. Or, la radio produisait uniquement des éléments sonores. Voilà pourquoi Thierry Mbarga avait pensé que la radio ne divertissait pas assez. Elle diffusait certes la musique, mais en journée. Dans la soirée, les personnes lettrées se plaisaient à lire des romans135(*). La radio nationale était confrontée à l'insuffisance qualitative et quantitative de son personnel. Les insuffisances en matière de qualification étaient liées au manque de cadres spécialisés. Cela avait conduit les autorités à y engager des personnes non formées. Il existait des centres de formation professionnelle dans les anciennes métropoles, et plus tard au sein du pays, mais les candidats n'y étaient pas admis objectivement. Considération était prise du contexte politique des pays dont étaient issus les candidats, des rôles que ceux-ci avaient joué dans des mouvements plus ou moins subversifs. Parfois, les recommandations d'une personnalité permettaient à certains candidats de braver le concours d'entrée au centre de formation professionnelle. Une telle situation ne permettait pas la formation des cadres talentueux et compétents. En outre, certains candidats étaient recrutés comme cadres à la radio nationale, en raison de leurs capacités oratoires. Pourtant, pour exercer un métier aussi délicat que les autres, il est nécessaire d'acquérir un background consistant. Cela rejoint la pensée de Michel Tjade Eonè, qui affirme:
Certes, la radio est un art, et pour exercer ce métier artistique, il peut suffire d'avoir certains dons qui ne tiennent pas forcément compte du degré de l'instruction amassée dans les écoles au cours des ans. Mais les qualités des professionnels de la radio doivent comporter, outre ces dons, un certain niveau intellectuel qui puisse élever l'animateur de programmes de son stade de meneur de jeu et excellent bavard à celui de véritable spécialiste connaissant non seulement la technique de son métier, mais aussi les réactions, les goûts et surtout les besoins de l'auditoire auquel il s'adresse136(*).
Au début des années 1970, naquit l'E.S.I.J.Y. Y étaient formés, entres autres, des cadres habilités à exercer au sein de la radio nationale. Les enseignements dispensés au sein de cette école n'étaient pas adaptés aux réalités nationales137(*). Mais les techniciens et les animateurs de programmes, qui étaient des cadres moyens de la radiodiffusion, étaient formés en Europe, rarement en Amérique. De plus en plus, les États-Unis accordaient des bourses de formation radiophonique à des ressortissants du Cameroun. Mais les principaux centres de formation se trouvaient en Angleterre et en France. Outre la formation sur place et les stages en Grande-Bretagne, le Cameroun demandait à la B.B.C. le soutien des moniteurs itinérants. Ces moniteurs étaient des experts en matière de radiodiffusion. Ils assuraient l'enseignement des cours de radiodiffusion aux Camerounais. Le personnel de la radio nationale était complété par des agents recrutés sur place, mais non formés au préalable. Les anciens élèves du studio-école de la R.F.O.M., après un temps de service au sein de la radio nationale, suivaient des cours de perfectionnement, devenaient des cadres supérieurs de la radio. Mais les Camerounais recrutés au studio-école, ayant une culture générale limitée par rapport aux Français, étaient voués à n'occuper que des postes secondaires à la radio nationale, station dont la direction était confiée à des anciens élèves instruis. Cela créait des malentendus entre les membres du personnel de la station. Les agents chargés de la production des programmes en langues camerounaises n'avaient pour seule compétence que celles qu'ils devaient à leur appartenance naturelle à l'ethnie locutrice de l'idiome choisi. Cette appartenance ethnique constituait le seul critère de leur recrutement. En effet, ils étaient pour la plupart incompétents en matière de production des programmes de qualité dans leurs langues maternelles. D'ailleurs, ils ne les maîtrisaient qu'approximativement. Ainsi, les émissions en langues nationale faisaient parfois de la figuration dans la grille des programmes de la radio publique. Le niveau de formation de certains journalistes laissait à désirer. Il n'était pas exceptionnel de rencontrer à la radio nationale des journalistes ayant un niveau d'étude inférieur à celui du Baccalauréat. L'inexistence de recyclages continus les rendait incompétents et improductifs. Les meilleurs journalistes de la radio avaient été sollicités par les services de la télévision dès 1985. Cela a porté un coup fatal à la radio qui accusait ainsi un déficit criant de ressources humaines qualifiées et compétents. Médium d'État, la radio nationale ne pouvait diffuser une information contre-gouvernementale avant l'avènement de la démocratie en 1990. Ses journalistes ne pouvaient alors réaliser un traitement objectif de l'information, conforme à la déontologie universelle. Or, la première qualité d'un journaliste, pense Joseph Pullitzer, c'est son indépendance. Les journalistes camerounais étaient emprisonnés dans une logique qui consistait à relayer les messages du régime au public. De ce fait, il ne pouvait avoir de journalistes suffisamment dévoués dans un contexte marqué par la médiocrité de l'action politique. Le phénomène des détournements des fonds courant dans toutes les administrations était réel au sein de la radio nationale. Ainsi, peu d'annonces et communiqués passées à la radio nationale et payés entre 5 000 et 10 000 FCFA étaient enregistrés dans le carnet des recettes de l'institution. Il arrivait parfois qu'avec la complicité du responsable des droits d'auteur ou de certains responsables du service commercial, il ne soit enregistré que la moitié du nombre total de diffusion d'un élément publicitaire. Dans sa thèse de doctorat du 3è cycle, Michel Tjadé Eone asserte : « la collecte de l'information, au sens où nous l'entendons, peut se faire par une agence d'information, et par le reportage qui implique la présence de journalistes à divers lieux des événements ». Selon Éonè, cette collecte peut recourir à d'autres procédés tels que l'écoute d'autres radios, la lecture de journaux qui permettraient aux journalistes de la rédaction de rassembler suffisamment d'éléments que l'on s'emploiera ensuite à mettre en forme rédactionnelle selon les critères de sélection et de traitement de l'information mis en place. La collecte de l'information au Cameroun incombait à la SO.PE.CAM. Aux termes du contrat du 1er juillet 1963, la radiodiffusion du Cameroun dépendait de l'A.N.P., dans l'accès à l'information internationale et nationale. Mais il existait, au Cameroun, plusieurs agences nationales d'information, depuis la loi du 18 juillet 1977, portant dissolution de l'A.CA.P. Dès lors, les activités de l'A.CA.P. avaient été confiées à la SO.PE.CAM., qui était placée sous la tutelle du MIN.I.CULT. La collecte de l'information nationale à l'intérieur du pays s'avérait difficile, à cause du manque de continuité, accentué par la dissolution en 1977 de l'A.CA.P., qui en avait jeté les bases. À cela s'ajoutait le caractère étatique de la radio nationale.
L'audience de la radio nationale avait commencé à s'affaiblir avec l'avènement de la télévision au Cameroun en 1985. Les personnes disposant d'un poste et qui recevaient le signal de la télévision nationale affichaient alors un désenchantement certain dans l'écoute de la radio. Elles estimaient que la radio nationale diffusait des mêmes informations que la télévision d'État. Les informations télévisées semblaient être crédibles pour elles, car en dehors du son, elles laissaient apparaître des images. Les intellectuels s'intéressaient particulièrement à la presse écrite. Selon eux, l'information la plus plausible était fournie par la presse écrite. Comme l'affirmait une pensée européenne, les paroles s'envolent, les écrits restent. Une information diffusée à la radio pouvait être quelque peu oubliée. Cela dépendait de son importance et de son impact socio-économique. Une information publiée à la presse écrite était indélébile. Cette influence de la presse écrite sur la radio était davantage expliquée par des approximations relatives à la préservation des archives sonores au Cameroun. Les archives ayant trait aux informations dites subversives ne pouvaient échapper aux censures qui entrainaient leur destruction, parce que dites non fondées. Au cours de notre enquête, il nous a été donné de constater que beaucoup d'informations dites subversives ou tendant à remettre en cause le système en place n'étaient pas disponibles à la maison de la radio. En milieu rural, les populations avaient fait montre de beaucoup de confiance en la télévision, parce qu'intéressées par les images. Cette préférence pour la télévision par rapport à la radio est allée crescendo, en fonction des niveaux de baisse des coûts des postes qui variaient selon les années. Car disposer d'un poste téléviseur pour des couches sociales financièrement dépourvues comme les populations rurales relevait d'un luxe à cette période. Ainsi, il n'était pas exceptionnel de voir les personnes parcourir des dizaines de kilomètres pour pouvoir visionner, surtout quand était prévu un match de football impliquant l'équipe nationale du Cameroun. De plus en plus, la radio devenait un moyen de divertissement des populations villageoises. L'influence de la presse écrite n'était pas marquée dans les milieux ruraux, en raison de l'enclavement. En effet, le mauvais état des routes dans le pays, et de l'ensemble des infrastructures de communication, surtout en zone anglophone, constituait un handicap pour l'évolution de la commercialisation des journaux. En l'absence d'un vol quotidien reliant le Sud et le Nord, ces régions ne pouvaient être pourvues en journaux écrits que 24 h après la publication. En saison pluvieuse, Akwaya et Mundemba dans le Sud-Ouest étaient privés de journaux des semaines durant, après distribution à Limbé. Selon une enquête menée par Marcomer, R.F.I. était la radio la plus suivie au sein de la ville de Douala. L'audience des radios étrangères au Cameroun était forte, et les scores atteints à Douala et à Yaoundé étaient significatifs. En effet, R.F.I. avait réalisé les meilleurs scores dans ces deux villes, soit 41 %, suivie de la V.O.A. (40%), la B.B.C. (16%), la D.W. (15%)138(*). R.F.I. entretenait avec le Cameroun des relations relevant des accords de coopération culturelle, conclus après l'indépendance. Les informations dites de coopération recouvraient les programmes culturels (des émissions culturelles, des émissions de contact et de variétés culturelles, des archives historiques); des émissions de service ou de monitoring; des duplexes; ainsi qu'une abondante production écrite et sonore. Certaines de ces émissions de coopération étaient intégrées dans des programmes de Radio-Cameroun, à l'exemple d' « Anthologie du mystère » ; « Mémoire d'un continent ». L'objectif de cette coopération radiophonique était de « contribuer à la collecte des ressources culturelles camerounaises et à la valorisation de l'usage du français et de la culture française au Cameroun ».
R.F.I. avait connu une audience forte au Cameroun, grâce à l'installation au Gabon d'une de ses stations commerciales, sur ondes tropicales, et de quatre émetteurs en ondes courtes, de 500 kW chacun. Cette réalisation de la France au Cameroun donna à R.F.I. l'occasion « d'agresser plus sévèrement la radio nationale à partir du sol camerounais ». Africa N°1 émettait durant 18 heures par jour en français. Elle était aussi écoutée au Cameroun. Ses ondes courtes étaient utilisées par R.F.I. Elle servait ainsi de relais, durant six heures par jour. Cela représentait une présence culturelle étrangère jugée dangereuse pour le Cameroun, car elle était de nature à « éclipser le rayonnement de la radio nationale »139(*). Une enquête menée par Michel Tjade Eonè révèle des observations des plus intéressantes sur l'influence des radios étrangères au Cameroun après l'indépendance. La une des éditions de journaux variait d'une station à l'autre. Durant la semaine du 14 au 30 mars 1983, la R.D.C. s'est intéressée à la politique intérieure. Africa N°1 et R.F.I. se sont intéressées à une information à dominante africaine. La V.O.A. a privilégié les problèmes mondiaux les plus préoccupants. À chaque station correspondait une perception assez originale de l'actualité, en harmonie avec sa préoccupation particulière. Les thèmes d'actualité traités à la une par ces trois radios étrangères changeaient d'un jour à l'autre, d'une édition à l'autre. En six jours, la V.O.A. et la R.F.I. ont traité six thèmes différents chacune. Africa N°1 a changé cinq fois de sujets en sept jours. À l'inverse, l'information de la R.D.C. était plus figée et plus monotone. En sept jours, seuls trois sujets ont été traités à la une : le sport, la réunion du Comité central de l'U.N.C., la visite du Chef de l'État à l'Ouest du pays. Ce dernier sujet est revenu à la une pendant six jours successifs. Cela était l'indicateur d'une information essentiellement institutionnelle. Le clivage entre la R.D.C. et les radios étrangères se creusait davantage sur leurs capacités respectives à recourir aux témoignages des correspondants permanents. Le traitement de l'actualité africaine et internationale par les radios étrangères s'est enrichi tout au long de la semaine du 14 au 20 mars 1983. Les correspondants d'Africa N°1 ont effectué 20 témoignages. Ceux de la V.O.A. en ont effectué 20. Les correspondants de la R.F.I. ont réalisé 11 témoignages. Ces trois stations ont réussi à rapporter de vive voix des faits vécus à travers le monde. Ceci par le biais de correspondants permanents. Les auditeurs avaient tendance à minimiser la portée des faits qui se produisaient loin d'eux, parce qu'ils les ressentaient mal, faute de preuves et d'intérêt. L'aptitude à fournir des preuves sur la véracité des informations concernant notamment la politique étrangère faisait défaut à la R.D.C. Durant la semaine considérée par Michel Tjade Éonè, ses informations internationales et africaines n'ont reposé sur aucun témoignage, sur aucune analyse de spécialiste. La R.D.C. présentait un manque criant d'émissions de vulgarisation. Par exemple, les auditeurs avait relevé l'absence d'analyse sur les retombées des dévaluations successives du franc français sur les économies africaines. La dernière de ces dévaluations avait eu lieu à Bruxelles en Belgique le 22 mars 1983. Le traitement, la présentation et la diffusion de cet événement a connu des sorts différents dans les rédactions de la R.D.C., de la R.F.I. et d'Africa N°1. Expédié en 30 secondes en fin de journal à la R.D.C., qui ne lui avait consacré qu'un titre lacunaire, il occupait la une d'Africa N°1 qui lui avait consacré quatre dossiers explicatifs en 23 minutes. R.F.I. avait consacré 12 minutes au même événement et développé deux dossiers. L'importance accordée à cette évaluation par les rédactions de ces deux radios étrangères se mesurait par l'étendue des dossiers et par la pertinence des questions posées qui tourmentaient les auditeurs africains: Que signifie la dévaluation ? En quoi intéresse-t-elle les économies africaines et que peut-elle changer dans la vie de tous les jours ? Pourquoi les dirigeants africains ne sont-ils pas consultés ? Les questions posées, le recours à des témoins et à des spécialistes pour élucider des aspects d'une actualité parfois complexe et dense, attestaient du professionnalisme des unes en même temps qu'ils montraient la carence des autres. Ils constituaient l'illustration des deux manières de réagir aux fait d'actualité: un journalisme de vulgarisation et de témoignages doté de moyens de son ambition; un journalisme institutionnel et de transmission qui, volontairement ou non, s'en tient au discours officiel et à des dépêches d'agences.
L'audience des radios étrangères était insuffisante, parce qu'elle se limitait aux centres urbains, sans grande incidence sur la périphérie rurale. La conquête de ces marchés ne pouvait connaître du succès qu'au cas où il était élaboré des programmes originaux et des journaux parlés de qualité meilleure, fonction des contraintes politico-institutionnelles. Le Cameroun connaissait un foisonnement réel des langues et dialectes. Leur utilisation à la radio posait des problèmes de choix. À défaut d'un cadre de référence juridiquement établi, seule prévalait la volonté des hommes placés à des positions de pouvoir et de conception des politiques nationales de communication. Leurs choix étaient déterminés beaucoup plus par des desseins particuliers que par l'intérêt général. Ainsi, il était difficile de savoir avec précision le nombre exact de langues nationales utilisées par la radio. Les changements et les choix successifs opérés par les divers décideurs complexifiaient davantage la situation. D'une station à l'autre, le nombre de langues nationales pouvait varier. Des substitutions et des permutations pouvaient être opérées sans véritables mobiles objectifs. L'ensemble des stations provinciales s'en tenait à une moyenne de quatre langues chacune. Mais la station de Buea présentait une pléthore d'émissions en langues locales, soit une trentaine pour seulement 9 heures de programmes par semaine. Il en résultait une anarchie, qui entrainait la diffusion des programmes médiocres. * 127 Entretien avec Augustin Ondoa Ondoa, Enseignant retraité, 71 ans, Yaoundé, 11 janvier 2010. * 128 Entretien avec André Ewodo, 66 ans, membre de l'équipe de la console technique de la radio nationale, Okola, 25 décembre 2010. * 129 Les paroles de ce générique avaient été composées par Marie Archangelo, artiste-musicien camerounais. * 130Albert Mbida, « L'audience de..., » p. 32. * 131 Michel TJadé Eonè, Radio, publics et, p.61. * 132 Entretien avec Louis-Marie Enama, Ancien Vérificateur, 66 ans, Okola, 2 janvier 2010. * 133 Allport et Postman, « The Basic Psychology of Rumor », Traduction française, in Levy, Textes fondamentaux de psychologie sociale, Paris, Dunod, 1968, p.16. * 134 Longin Franck Onana Belibi, La trentaine révolue, Observateur neutre du fonctionnement des institutions du Cameroun, Yaoundé, 26 août 2010. * 135 Thierry Mbarga, 33 ans, Enseignant d'histoire et géographie, Yaoundé, 27 aout 2010. * 136 M. Tjadé Eonè, Radio, publics et, p.63. * 137 Les enseignements dispensés à l'ESIJY étaient conformes aux canons occidentaux. L'accent, le style et la forme du papier journalistique, tels qu'enseignés à l'ESIJY, respectaient les normes françaises. Ce qui n'était pas du goût des auditeurs de la radio nationale qui souhaitaient qu'on leur propose des émissions à la camerounaise. Et les sujets traités lors des cours magistraux étaient relatifs à l'actualité internationale, n'abordant que quelques aspects de l'actualité nationale. Ainsi, les diplômés de l'ESIJY, recrutés comme cadres à Radio-Cameroun, étaient détournés des objectifs de développement national assignés à ladite radio. * 138 Enquête menée en 1983 par M. Tjade Éonè. * 1 Radio-Africa n°1 avait en effet été mise en service le 7 février 1981, lors de l'inauguration des émetteurs de Moyabi. Les studios avaient été installés à Brazzaville, au Congo. |
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