3. "Renforcer le cadre institutionnel"
La Commission souhaite renforcer le rôle et les
pouvoirs des autorités chargées de la protection des
données : "le rôle des autorités chargées de la
protection des données (DPA) est essentiel pour le contrôle de
l'application des règles de protection des données. Ces
autorités sont les gardiennes indépendantes des libertés
et des droits fondamentaux des personnes à l'égard du traitement
des données à caractère personnel les concernant. C'est
pourquoi la Commission estime que leur rôle devrait être
renforcé"50. Celles-ci devront pouvoir
bénéficier d'un statut «d'indépendance
complète», et il apparaît crucial qu'elles améliorent
leur coopération et leur coordination.
Dans l'approche globale, la Commission insiste
à nouveau sur l'importance d'une coopération entre Etats membres,
ainsi qu'entre Etats membres et Etats tiers. Celle-ci serait
49 Directive 95/46/CE, Chapitre IV "transfert de
données à caractère personnel vers des pays tiers",
Article 25 "Principes", §1
50 «Une approche globale de la protection des
données à caractère personnel dans l'Union
européenne», p.19
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particulièrement utile dans le cas
précis-des réseaux sociaux : "Cela est tout
particulièrement le cas lorsque des entreprises multinationales sont
établies dans plusieurs États membres et exercent leurs
activités dans chacun de ces États, ou lorsqu'un contrôle
coordonné avec le contrôleur européen de la protection des
données (CEPD) est requis"51. Cela est déjà le
rôle du groupe de travail "article 29", organe consultatif
européen indépendant sur la protection des données et de
la vie privée dont l'organisation et les missions sont définies
par les articles 29 et 30 de la directive 95/46/CE, dont il tire sa
dénomination, ainsi que par l'article 14 de la directive
97/66/CE.
Mais avec la réforme souhaitée par la
Commission, ce groupe devra contribuer également à
l'amélioration de l'action des autorités nationales, en assurant
une application plus cohérente des règles européennes en
matière de protection des données. Une telle coopération
est définie très clairement dans le projet de règlement du
25 janvier 2012, et fait l'objet d'un chapitre complet : "Chapitre VII,
coopération et cohérence".
Ainsi, par ce renforcement du cadre institutionnel en
matière de protection des données personnelles, l'Union
européenne entend répondre aux attentes suscitées par les
récentes évolutions technologiques : "le défi posé
aux législateurs est celui de la mise en place d'un cadre
législatif qui résistera à l'épreuve du temps.
[...] Peu importe la complexité de la situation ou le caractère
sophistiqué de la technologie, il est essentiel que les règles et
les normes applicables, que les autorités nationales doivent faire
appliquer et auxquelles les entreprises et les développeurs de
technologies doivent se conformer, soient définies
clairement"52.
Cependant, si ces avancées sont bienvenues,
elles ne sont pas sans soulever certaines critiques. Cette proposition de
réforme est par exemple remise en cause par la CNIL53,
l'Assemblée Nationale 54et le Sénat
Français55. S'ils estiment nécessaire la
révision du cadre juridique européen existant, concèdent
que celle-ci renforce les droits des citoyens européens en la
matière, et approuvent le renforcement des pouvoirs de sanction des
autorités de protection nationales et l'obligation d'une
coopération accrue au niveau européen, ils contestent toutefois
l'optimalité de cette réforme. La CNIL s'inquiète en
particulier du risque d'éloignement entre les citoyens
51 Ibidem, p.20
52 Ibidem
53 CNIL, "Projet de règlement européen : la
défense de la vie privée s'éloigne du citoyen", janvier
2012
54 CNIL, "Projet de règlement européen : la
CNIL salue l'engagement du Parlement français", février
2012
55 Sénat, "Proposition de résolution au
nom de la commission des lois, en application de l'article 73 quinquies, sur la
proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil
relatif à la protection des personnes physiques à l'égard
du traitement des données à caractère personnel et
à la libre circulation de ces données (E 7055)"
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européens et leurs autorités nationales,
du fait que l'autorité désormais compétente soit celle
où se situe l'établissement principal de l'entreprise, et
"s'oppose donc fermement à un tel critère qui constituera une
véritable régression vis-à-vis des droits des citoyens".
De façon plus générale, l'autorité française
déplore une réforme "anti-démocratique", qui ne ferait que
donner aux autorités de protection des données personnelles la
même image technocrate et distante qu'ont aux yeux des citoyens les
institutions européennes. De la même manière, les
parlementaires français ont exprimé leurs réserves sur la
proposition de règlement de la Commission européenne. A
l'initiative du député UMP et membre de la CNIL Philippe
Gosselin, les membres de la commission des Affaires européennes de
l'Assemblée Nationale ont adopté le 7 février 2012 une
proposition de résolution européenne sur cette question. S'ils
rappellent leur soutien aux objectifs généraux de cette
réforme, les députés s'opposent avec force à
certaines propositions de la Commission européenne, dont celle du
critère de l'établissement principal, préjudiciable pour
les droits des citoyens mais aussi pour l'économie française et
européenne. Ils rejoignent également les inquiétudes
exprimées par la CNIL sur le risque d'éloignement entre les
citoyens et les autorités de protection nationales, et sur la
concentration des pouvoirs par la Commission européenne, au
détriment de ces autorités. Enfin, Le Sénat a
adopté le 6 mars 2012 une proposition de résolution
européenne relative à ce projet. Comme la CNIL et
l'Assemblée Nationale l'ont exprimé, le Sénat
reconnaît la nécessité d'une simplification et
modernisation de la législation européenne, et ne nie pas les
avancées introduites par le texte. Cependant, il a exprimé ses
inquiétudes quant aux conséquences politiques, juridiques et
économiques de cette réforme. En premier lieu, la Commission des
Lois conteste le principe d'harmonisation complète au niveau
européen, car il priverait les États membres de la
possibilité d'adopter des dispositions nationales plus protectrices :
"Rappelant que la Commission européenne défendait le principe
d'une harmonisation complète, sans possibilité de
dérogations plus favorables, [M. Simon Sutour, rapporteur], a
souligné que, s'agissant d'un domaine dans lequel l'atteinte
portée aux droits fondamentaux d'une personne peut être
considérable, l'harmonisation proposée ne doit s'effectuer que
dans le sens d'une meilleure protection des personnes. Elle ne saurait, pour
cette raison, priver les États membres de la possibilité
d'adopter des dispositions nationales plus protectrices". Et en effet, cela
serait contraire au principe de subsidiarité, selon lequel la norme
nationale doit s'appliquer tant que la norme communautaire ne permet pas un
niveau de protection plus efficace. Quant au critère de
l'établissement principal, le Sénat a rejoint la CNIL et
l'Assemblée Nationale : "Il a par ailleurs jugé nécessaire
de s'opposer à tout dispositif qui, comme celui du « guichet unique
», promu par la Commission européenne, aboutirait à moins
bien traiter le
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citoyen que l'entreprise responsable du traitement, en
le privant de la possibilité de voir l'ensemble de ses plaintes
instruites par son autorité de contrôle nationale".
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