L'abstentionnisme électoral au Cameroun a l'ère du retour au multipartisme( Télécharger le fichier original )par Augustin TALA WAKEU Université de Dschang-Cameroun - Master en Science Politique 2012 |
PARAGRAPHE 2 : LA DECREDIBILISATION DU PROCESSUS PRE-ELECTORALLa construction de la démocratie commence par l'établissement des règles de la compétition électorale qui soient acceptées pas tous car, si les règles de jeu ne font pas l'unanimité au sein des acteurs politiques, il est évident que l'ensemble du processus électoral sera régulièrement remis en cause. C'est pour cette raison que M.Takougang souligne qu'« on ne peut pas organiser les élections depuis 20 ans sans consensus sachant que la confiance même se périme »65(*). On comprend alors pourquoi les acteurs politiques passent plus de temps à débattre des règles du jeu au lieu des enjeux de la compétition elle-même. Etant donné que la maîtrise du processus électoral par le parti au pouvoir peut expliquer le découragement de ses adversaires potentiels ou réels, ces derniers exigeront une redéfinition des règles du jeu sans lesquelles les élections ne sont qu'une « pure mascarade » (Nna, 2009 : 343-344). La conséquence est la démotivation des citoyens et la suspicion à l'égard du processus d'inscription sur les listes. Si les règles ne font pas l'objet de consensus au sein des différents acteurs, beaucoup risquent de renoncer au jeu car celui-ci suppose que l'on soit d'accord sur « l'illusio » du jeu qui est le fait d'être pris au jeu, d'être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut la chandelle ou pour dire les choses simplement que ça vaut la peine de jouer (Bourdieu, 1994 : 151). Si tel n'est pas le cas, les comportements de rejet systématique des règles du jeu politique exprimant un haut degré d'insatisfaction (Njoya, 2003 : 90) seront développés par certains acteurs politiques et citoyens qui auront l'impression de se sentir floués. C'est dans cette logique que s'inscrit au Cameroun depuis 1992 dans la compétition électorale les interactions entre le camp de la crédibilisation et celui de la décrédibilisation du processus électoral. Cette lutte conduira dès lors à la création de plusieurs organismes chargés de la gestion du processus électoral au Cameroun qui dès leur genèse connaitront des problèmes de légitimité qui auront des effets dévastateurs dans l'opinion66(*). Ce qui affecte considérablement la fiabilité du processus électoral avec pour conséquence les critiques et les boycotts qui ne cessent de jalonner le processus électoral accentuant la crise de légitimité. En effet, la réalité est que les acteurs politiques n'ont jamais été d'accord sur le processus électoral tel qu'il est géré par les différentes institutions compétentes en matière électorale. Ce désaccord débouche le plus souvent sur la contestation des résultats et construit une interaction entre le camp des « victoires volées » et celui des « victoires méritées ». Or, cette contestation permanente des résultats commence au moment même de la phase pré-électorale qui est marquée essentiellement par les inscriptions sur les listes électorales. C'est une phase déterminante pour la suite du processus électoral parce que la crédibilisation de l'élection commence par la crédibilisation des inscriptions sur les listes étant donné que, la faible inscription sur les listes électorales décrédibilise dans une grande mesure le système électoral. D'où la nécessité de parvenir à un corps électoral correspondant au chiffre de la population67(*). Ce qui n'est pas facile au regard du degré d'apathie des camerounais car la non-inscription semble être perçue par les citoyens, selon Mathias Eric Owona Nguini, comme «... Un acte de défiance clair vis-à-vis du processus électoral proprement dit... 68(*)». En fait, les citoyens en plus du déficit de confiance à l'égard des hommes politiques mettent en doute l'impartialité des organismes chargés du processus électoral et les soupçonnent de faire le jeu du parti au pouvoir. Or, ceci fait suite aux accusations des partis d'opposition contre ces organismes pour des raisons identiques. Pourtant, il est généralement admis que « nos prises de position alarmiste peuvent davantage décourager les citoyens alors que l'enjeu était de mobiliser69(*) ». C'est dans cette optique que, M. Fru Ndi déclare qu'« il est difficile de lutter contre l'apathie des camerounais lorsqu'ils n'ont pas confiance aux règles du jeu. Pourquoi voulez-vous qu'ils perdent leur temps pour quelque chose en laquelle ils n'ont pas confiance ? »70(*). Au regard de cette position et des appréhensions des citoyens par rapport au processus pré-électoral, la « décivilité » électorale s'organise autour de la critique du rôle de l'Etat en matière d'organisation des élections (Sindjoun, 1999 : 311), débouchant sur les accusations des partis politiques d'opposition à l'égard du gouvernement. En effet, d'après ces partis, le gouvernement a « la main mise sur la procédure électorale parce qu'il n'est pas prêt à perdre les élections... » (Sindjoun, 1999 : 285). D'ailleurs, selon Daniel Mbo'o : « C'est le processus d'inscription sur le fichier électoral qui plombe les élections au Cameroun 71(*)». Et ce n'est pas la réintroduction de l'administration dans l'organisation des élections malgré la mise sur pied d'ELECAM72(*) qui va faire taire les critiques et stimuler les inscriptions. Au contraire, cette situation a suscité de vives contestations au sein de l'opposition ; ce qui peut nettement accentuer la méfiance des citoyens à l'égard de cet organe et les décourager davantage par rapport aux inscriptions sur les listes. Tableau n° 8 : LES TAUX D'INSCRIPTION PAR REGION A LA DATE DU 30/O5/2011
Source : www.Elecam.cm Les faibles taux d'inscriptions démontrent que les Camerounais dans leur majorité ont une certaine méfiance à l'égard du processus électoral tel qu'il est géré. Et cela s'exprime par le peu d'engouement qu'ils développent pour les inscriptions. Cette réalité est visible principalement dans 04 régions si on prend en compte le tableau suscité à savoir : le Centre, l'Extrême-Nord, le Littoral et le Nord qui constituent les plus grands viviers électoraux du pays en termes de potentiels électoraux. Ce qui explique certainement pourquoi le taux d'inscription sur les listes électorales est faible (48%) dans l'ensemble du pays. Cette méfiance peut se justifier par la conscience qu'ils ont du fait que les organes en charges du processus électoral n'ont aucun rôle déterminant ni aucune autonomie dans la gestion du processus électoral (Pokam, 2007 : 80). La situation de ces organes est assimilée par l'opposition à celle de l'administration territoriale qui en son temps était inféodée au parti au pouvoir et décidait de toutes les modalités d'inscription sur les listes électorales en dépit des dispositions légales (Kamga, 1999 : 102). Dans le même esprit, M. Titi Nwel trouve que l'administration est bonne pour autre chose mais pas pour les élections car le retour de l'Administration va créer la suspicion sur ELECAM73(*). La réalité est que le président de la République qui est aussi chef du parti au pouvoir a toujours été le seul compétent pour nommer tous les membres des organismes chargés de la gestion du processus électoral. Ainsi, du ministre de l'administration territoriale aux responsables de l'ONEL et d'ELECAM, tous ont été nommés par le président de la République (Pokam, 2007 : 81). Ce qui ne constitue pas un gage de neutralité aux yeux des électeurs. Une telle suspicion ne manque donc pas de briser l'enthousiasme de certains citoyens qui finissent par se dire que leur voix ne compte pas (Nna, 2009 : 346) car, comme l'affirme M. Pokam (2007 : 79), les dirigeants africains déploient des stratégies visant à monopoliser le processus de création des commissions électorales en donnant une fausse impression d'innovation et en masquant le conformisme. C'est la raison pour laquelle M. Albert Ndzongang qualifie ELECAM de « Machin » parce que certains membres estiment selon lui, qu'ils ont rang et prérogatives de ministre et par conséquent qu'ils ne sont pas libres74(*).On peut donc admettre avec Mathurin Nna (2009 : 344) que : « La contestation des règles du jeu favorise l'abstentionnisme... » à travers la non-inscription sur les listes électorales. En définitive, la non-inscription volontaire peut manifester ainsi un degré élevé de politisation des citoyens (Nna, 2009 : 344-345). Par ailleurs, que pouvons-nous dire de la non-inscription involontaire ? * 65 M.TAKOUGANG est membre du SDF ces Propos ont été tenus lors d'un débat portant sur « ELECAM » à l'émission tous à l'antenne sur canal2, le 08/02/2011. * 66 Balla (B), « Elections législatives et municipales de 2002 », in cameroon.info.net. Consulté le 12/06/2010. * 67 Lire le à ce sujet le Rapport Général de l'ONEL., 2002, op. cit., p. 14. * 68 Analyse faite dans le cameroon tribune n°8918/5117, du 23/08/2004, il est enseignant de science politique à l'université de YaoundéII-Soa p. 11. * 69 Ces propos du responsable de l'ONG « Horizon femme » ont été tenus lors d'un débat portant sur « ELECAM » à l'émission « tous à l'antenne » sur canal2, le 08/02/2011. * 70 Déclaration faite lors de notre entretien avec lui à son domicile de Bamenda, le 28/11/2010. * 71 Daniel MBO'O, est président du parti « des fourmis » il a fait cette déclaration au journal, le messager n°3194 du 30/09/2010, p. 5. * 72 Voir, la loi n°2010/005 du 13/04/2010, modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2006/011 la 29/12/2006 portante création, organisation et fonctionnement d'Elections Cameroon. * 73 Propos tenu lors d'un débat portant sur « ELECAM » à l'émission « Tous à l'antenne » sur Canal2, le 08/02/2011. * 74 Albert NDZONGANG, est le président du parti la « dynamique », il a fait cette déclaration au journal, le messager n°3299 du 08/03/2011, p. 7. |
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