A- Les ONG face à la valeur stratégique du
pétrole nigérian :
« Le Nigéria est le premier producteur de
pétrole d'Afrique subsaharienne ; c'est aussi l'illustration parfaite du
paradoxe de l'abondance. ». Ces quelques mots par lesquels
commence le bilan de l'industrie pétrolière au Nigéria,
contenu dans un rapport publié par l'ONG Catholic Relief
Service,544 témoignent de la situation économique
et sociale précaire du pays, 50 ans après le début de son
industrie pétrolière. Le Nigéria y est
considéré comme « un exemple à ne pas suivre »
au regard de la gestion qui y est faite de la manne pétrolière.
En effet, l'exploitation du pétrole n'a pas tenu les promesses de
développement que les dirigeants politiques et la population
nigériane avaient formulé à son endroit. La lutte pour la
conquête des positions rentières et la volonté des hommes
d'Etat nigérians de faire du pétrole une arme et un instrument
politiques ont eu raison de la prospérité économique, de
la cohésion
543 - Cf. supra
544 - Ian Gary et Terry Lynn Karl, le fond du Baril. Boom
pétrolier et pauvreté en Afrique, Catholic relief service,
juin 2003, 102 pages. La citation se trouve à la page 25.
Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
Yaoundé II-Soa. Page 126
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
sociale et du bien-être des populations. Aujourd'hui,
malgré le retour à la démocratie, l'exploitation
pétrolière tarde à assurer le redressement du pays le plus
peuplé d'Afrique.
Plusieurs ONG occupent actuellement le terrain de la
dénonciation des réalités de l'exploitation
pétrolière au Nigéria. Toutes s'inscrivent dans la logique
de l'ouverture d'un débat sur les conséquences de l'expansion de
l'industrie pétrolière sur les populations, celles des
régions pétrolières en particulier. Diverses actions sont
menées avec pour objectif de susciter, de la part de l'Etat et des
autres acteurs du secteur pétrolier, un changement radical de
comportement. Quatre organisations non gouvernementales ont
particulièrement attiré notre attention à cause du nombre
important d'actions qu'elles ont menées ; mais aussi de leur stature
internationale et de la relative influence qu'elles ont pu avoir sur les
décisions pétrolières. Il s'agit d'Amnesty
International, des Amis de la terre, de Transparency
International et de Human Rights Watch.
Amnesty international est souvent
présentée « [...] comme une organisation indépendante
et privée, oeuvrant en faveur de la libération de tous les
prisonniers détenus pour des raisons politiques ou religieuses.
».545 Fondée en 1961 par un avocat britannique,
Peter Benenson, elle a pour objectifs généraux de faire
respecter la Déclaration universelle des droits de l'homme ; de
travailler à la libération des prisonniers détenus
abusivement et soumis à des contraintes en raison de leur convictions
politiques ou religieuses, de leur race, de leur sexe ou de leur langue ; de
s'opposer à l'emprisonnement sans procès et à la peine de
mort, etc.546 L'ONG, qui est active dans l'univers pétrolier
nigérian, se donne pour mission de faire respecter, par les acteurs de
celui-ci, le droit pour chaque homme de bénéficier de conditions
de vie décentes et de vivre dans un environnement sain.
Les principaux chantiers dans lesquels Amnesty
International est particulièrement active sont la
dénonciation de l'incurie avec laquelle les compagnies
pétrolières mènent leurs activités au
Nigéria ; la description des conditions de vie miséreuses des
populations des régions pétrolières et de la violence qui
y règne. Elle travaille en collaboration avec certaines ONG locales
comme le Centre for Environment, Human Rights and development (CEHRD)
et publie de nombreux rapports sur l'impact environnemental mais aussi
économique de l'industrie pétrolière au Nigéria
;547 en insistant sur la responsabilité des autorités
politiques et des compagnies pétrolières dans la misère et
la précarité dans le delta du Niger. Amnesty international
exhorte les nigérians à saisir les plus hautes
autorités du pays pour leur demander d'agir pour une industrie plus
propre et respectueuse de leurs moyens de subsistance ; ainsi que pour une
amélioration de leurs conditions de vie. L'ONG n'hésite pas
à exercer elle-même un certain lobbying auprès des
multinationales du pétrole et à les prendre à
545 - « Amnesty International », Microsoft®
Encarta®, 2009 [DVD], Microsoft Corporation, 2008
546 - Idem
547 - Voir Amnesty International et CEHRD, La vraie «
tragédie ». Retards et incapacités à stopper les
fuites de pétrole dans le delta du Niger, Amnesty international,
2011, 50 p. Mais aussi Amnesty international, Pétrole,
pollution et pauvreté dans le delta du Niger,
Amnesty international, Juin 2009.
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Yaoundé II-Soa. Page 127
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dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
partie dans des rapports ou lors de campagnes de
sensibilisation particulièrement originales. C'est ainsi qu'au cours de
l'une d'entre elles, des militants d'Amnesty In-ternational ont
nettoyé symboliquement une station service de la compagnie
pétrolière Shell, afin de la mettre face à ses
responsabilités dans la pollution dont elle est responsable au
Nigéria.548 Même si les compagnies
pétrolières et les agences gouvernementales du secteur
pétrolier opposent généralement une fin de non recevoir
aux sollicitations de l'ONG,549 celle-ci a réussi, tout de
même, à susciter le débat sur le bilan de cinquante
années d'exploitation pétrolière dans le pays.
L'organisation non gouvernementale les Amis de la terre
est, elle aussi, active sur le terrain de la protection de
l'environnement. Comme son nom le laisse deviner, elle oeuvre dans de nombreux
pays pour favoriser l'adoption, par les dirigeants politiques et les acteurs
économiques, de politiques de développement durable. Elle pense
ainsi pouvoir lutter efficacement contre les changements climatiques et
préserver l'environnement. L'action des Amis de la terre au
Nigéria consiste à décrier les méthodes de certains
acteurs de l'industrie pétrolière, jugées polluantes.
C'est ainsi qu'une campagne contre la destruction, par torchage,550
du gaz produit au cours de l'extraction du pétrole a été
menée au cours de l'année 2011. En effet, d'importantes
quantités de gaz sont souvent libérées dans
l'atmosphère lors de la production du pétrole. La majorité
des compagnies pétrolières présentes au Nigéria
(Shell, Exxon-Mobil et Chevron en particulier)551 brulent ce gaz
pour « réduire » leurs frais. Les quantités de dioxyde
de carbone produites au cours de cette action, qui est communément
appelée « torchage de gaz », correspondraient aux
émissions produites par deux millions de ménages nord
européens.552La campagne de l'ONG a abouti à une
fiche, produite avec le soutien financier de l'Union Européenne, qui
décrit les conséquences environnementales, mais aussi
économiques de cette activité polluante et dangereuse pour la
santé des populations des régions pétrolières ; et
sur une vive interpellation des compagnies pétrolières
incriminées à adopter des méthodes plus
écologiques.
Les plus importantes actions de Tansparency International
et Human Rights Watch ont été recensées dans
le domaine de la lutte contre les crimes financiers. Il s'agit
généralement pour ces organisations non gouvernementales de
dénoncer, à travers des rapports, l'accaparement des revenus
pétroliers par l'élite politique nigériane. Elles
considèrent en effet, que la lutte pour une gestion transparente de la
rente pétrolière participe de l'amélioration des
conditions de vie des nigérians et donc à la sauvegarde de leur
droit à des conditions de vie décentes. Les efforts de
transparence et de bonne gouvernance pétrolière, entrepris par
les autorités politiques
548 - Voir Amnesty International, Industries extractives
et droits humains : vers la responsabilité des multinationales ?
Amnesty International, 2011.
549 - Cf. Amnesty International et CEHRD, La vraie «
tragédie ». Retards et incapacités à stopper les
fuites de pétrole dans le delta du Niger, Amnesty international,
2011, pp. 21 et 30.
550 - Cf. annexe n°
551 - les Amis de la terre Europe, les Amis de la terre
Pays-Bas, les Amis de la terre France et CEE Bankwatch, Torchage de gaz au
Nigéria. Les perdants : l'environnement, le développement, la
vie, Fiche publiée grâce au soutien financier de l'Union
Européenne, Février 2011.
552 - Idem
Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
Yaoundé II-Soa. Page 128
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
depuis le retour de la démocratie, ont suscité
des avis favorables de ces ONG souvent jugées très
sévères vis-à-vis des pays africains.553
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