A- Historique et rôle des IFI dans le domaine
pétrolier :
Les institutions financières internationales
(IFI) sont des acteurs importants dans les économies des pays
sous-développés. Arrivées en Afrique dans les
années 1980, à la suite de la crise du surendettement, elles y
sont toujours 30 années plus tard. Les plus actives sur le continent
sont le Fonds Monétaire International et Le Groupe de la
Banque Mondiale. L'objectif de ces institutions est de permettre, par
l'application de politiques d'austérité, un redressement de la
situation économique des pays en crise. Elles mettent alors sur pied des
initiatives dénommées Programme d'Ajustement Structurels (PAS)
destinées à ramener progressivement les Etats à une
situation économique équilibrée. Des pratiques comme la
privatisation des sociétés d'état ; la
libéralisation de l'économie ; la diminution des effectifs de la
fonction publique ; la lutte contre les déficits budgétaires et
de la balance de paiement sont alors proposées (ou imposées) aux
Etats contre une réduction ou une annulation de leur dette.
Le Nigéria est un des nombreux pays africains ayant
été contraints par la tutelle financière des IFI. Les
politiques de développement adoptées par les dirigeants
nigérians dès les premières années de
l'indépendance, caractérisées par une volonté
d'industrialisation par l'apport de capitaux extérieurs, ont
provoqué un surendettement du pays.531Les Agences de
Crédit à l'Exportation (ACE) apparaissent à cet effet
comme les véritables responsables, avec les autorités politiques
nigérianes, de
530 - Le pays est, avec le Cameroun, au coeur du Golfe de
Guinée. Cf. annexe n°
531 - Cf. supra
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dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
l'important endettement qui a conduit à la perte de
l'indépendance économique et financière du Nigéria.
En effet, celles-ci détenaient en l'an 2000, 71% de l'endettement
extérieur du Nigéria.532 Incapable de tenir ses
engagements financiers, auprès des bailleurs de fonds internationaux, le
pays a été mis sous ajustement structurel comme la plupart des
pays pétroliers du Golfe de Guinée.
Le rôle des institutions financières
internationales dans le financement des projets pétroliers est
important. Elles accordent généralement des prêts aux pays
pétroliers assorties de conditionnalités les engageant à
se servir de l'argent du pétrole pour lutter contre la pauvreté.
Le Groupe de la Banque Mondiale, par exemple, finance directement les projets
pétroliers ; offre une assurance contre le risque politique, ainsi que
d'autres garanties, et encourage l'évolution de l'environnement
politique et légal des pays pour les rendre plus attractifs aux pays
étrangers.533Quelques organismes du Groupe de la Banque
mondiale sont particulièrement actifs au Nigéria comme,
d'ailleurs, dans la plupart des pays pétroliers d'Afrique : la
Banque Internationale pour la Reconstruction et le
Développement (BIRD, encore appelée « Banque Mondiale
»), l'Association Internationale pour le Développement
(AID) et la Société Financière Internationale
(SFI). Alors que les prêts de la BIRD sont assortis de taux
d'intérêts proches de ceux du marché, l'AID accorde ses
prêts aux pays pauvres et à des taux
préférentiels.534La Société
Financière Internationale est, quant à elle, « la plus
importance source d'investissement multilatéral ou bilatéral pour
le secteur privé en Afrique, et notamment pour les projets de
l'industrie pétrolière. ».535 En 2001, par
exemple, le financement de projets pétroliers et gaziers,
essentiellement offshores, en Afrique subsaharienne représentait 40% des
sommes investies par la SFI dans l'amont pétrolier536soit 336
millions de dollars. Le Nigéria figure parmi les derniers
bénéficiaires des investissements pétroliers de la SFI en
Afrique pétrolière.537
Les investissements dans le secteur extractif constituent une
aubaine financière pour les institutions financières
internationales. Ils A titre illustratif, les prêts dans le secteur
pétrolier sont par exemple les plus rentables du portefeuille de la
SFI.538Au-delà de l'aspect purement financier, l'engagement
des IFI dans un projet quelconque représente un avantage symbolique,
financièrement rentable, pour les pays. En effet, il sert de «
caution morale » aux banques et aux investisseurs privés
désireux de s'engager dans ce projet.539 Les pays
pétroliers se font alors un devoir de faire appel à ces
institutions dans le but qu'elles fassent affluer chez eux les investisseurs
pusillanimes. La présence de conditionnalités sociales ou
écologiques540dans les prêts accordés par les
IFI aux pays pétroliers peut sembler avantageuse pour leurs popula-
532 - Voir Ian Gary et Terry Lynn Karl, le fond du Baril.
Boom pétrolier et pauvreté en Afrique, Catholic relief
service, juin 2003, p.16
533 - Idem, p.15
534 -Ibid.
535 -Ibid.
536 -Ibid.
537 -Ibid., p.16
538 -Idem
539 -Ibid.
540 - Elles concernent généralement la lutte contre
la pauvreté ou la préservation de l'environnement.
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dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
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tions. Or, la situation de grande pauvreté et la
pollution multiforme que connaissent de nombreux nigérians aujourd'hui
apparait comme un démenti cinglant de l'engagement social des
institutions financières internationales.
B- L'échec des institutions financières
internationales dans le processus de développement du Nigéria
:
Il est difficile de voir les bénéfices, pour les
nigérians, de la présence des IFI dans le secteur
pétrolier de leur pays trente ans après leur arrivée. La
pauvreté est toujours importante dans le pays et de nombreux
nigérians n'ont pas encore accès à des besoins
élémentaires comme l'eau, l'électricité, les soins
de santé ou même à une éducation de
qualité.541 Dans le delta du Niger, les populations vivent
dans une précarité que viennent aggraver les conséquences
écologiques et économiques de la pollution
pétrolière. Le coût humain de l'activité
pétrolière au Nigéria traduit le peu d'importance
accordée au sort des populations. Ici, comme dans de nombreux autres
pays pétroliers du Golfe de Guinée, les bénéfices
financiers de l'industrie passent avant le bonheur des populations. Les
institutions financières internationales, en leur qualité de
premiers partenaires multilatéraux ou bilatéraux du secteur
pétrolier nigérian, ont une grande responsabilité dans la
situation économique et sociale précaire du premier producteur de
pétrole d'Afrique. Elles sont les complices du développement,
dans le pays, d'une industrie pétrolière prédominante et
surtout incapable de régler le problème du
sous-développement.
Les institutions financières internationales,
censées oeuvrer pour le redressement des économies des pays en
difficultés, se sont montrées incapables d'atteindre leurs
objectifs en Afrique comme ailleurs.542 Au Nigéria, elles
n'ont pas pu contraindre les autorités politiques et les autres acteurs
du secteur pétrolier à assurer le bonheur des populations.
Ceux-ci ont fait peu de cas des conditionnalités environnementales ou de
développement humain, de ces partenaires financiers, dans la conduite de
leurs activités. Les compagnies pétrolières par exemple
n'ont pas, ou peu, réalisé leurs promesses d'investissements dans
des technologies plus respectueuses de l'environnement ou dans des projets
capables d'améliorer significativement les conditions de vie des
populations des régions pétrolières. De même, les
stratégies de lutte contre la pauvreté mises sur pied par les
dirigeants du pays se sont révélées inefficaces depuis
plusieurs années. La création de la Commission de
Développement du Delta du Niger, censée conduire des projets
de développement dans la principale région
pétrolière du pays, n'y a pas encore permis une réelle
amélioration des conditions de vie des habitants. Malgré cela,
les institutions financières internationales continuent d'investir dans
l'amont pétrolier, se rendant ainsi complices de l'action des
multinationales et des hommes politiques nigérians. Au Nigéria,
elles ont privilégié, comme leurs consoeurs les agences de
crédit à l'exportation, leurs profits au détriment de
l'aspect social et humanitaire de leur activité.
541 -Cf. supra
542 - L'incapacité dont elles font preuve dans la
résolution de la crise de la dette en Grèce, en Espagne, au
Portugal ou en Italie témoigne de leur inadaptation aux
évolutions actuelles du monde et du caractère irréaliste
et improductif de leurs missions.
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Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
La solution à l'échec de l'action des
institutions financières internationales au Nigéria réside
dans un changement radical de leurs priorités. Elles devraient se monter
plus fermes face aux autorités politiques et aux compagnies
pétrolières internationales et n'entretenir des relations
économiques et financières qu'avec les « bons
élèves ». Elles pourraient par exemple les obliger à
faire des efforts supplémentaires en matière de transparence dans
les transactions financières. Le suivi des recommandations de la
NEITI543 doit constituer, à cet effet, la base de leur
engagement avec un quelconque partenaire pétrolier. L'intensification de
la lutte contre la pauvreté et les détournements de fonds doit
être une des conditionnalités de leurs prêts. Les IFI ont
l'obligation, pour la réussite de leur mission, de demander aux
autorités politiques des gages de leur engagement plus ferme à
lutter contre les crimes économiques. Le renforcement des
capacités des organismes de lutte contre la corruption et de la
société civile doit être recommandé et
encouragé à cet effet. En outre, les institutions
financières internationales ne peuvent réaliser leur objectif de
lutte contre la pauvreté qu'en exigeant de leurs partenaires un plus
grand investissent dans des projets de développement. Les missions de
contrôle de l'application des promesses des acteurs du secteur
pétrolier nigérian, en matière de développement,
doivent se faire plus régulières et surtout appliquer des
sanctions fermes à l'endroit des contrevenants. Les institutions
financières internationales pourront alors prouver, par leur engagement
à l'amélioration des conditions de vie des nigérians,
l'utilité de leur présence dans le pays et leur capacité
à y promouvoir bonne gouvernance et transparence. L'oeuvre de
dénonciation qu'effectuent les organisations non gouvernementales
mérite également d'être améliorée.
Paragraphe 3 : Le rôle des Organisations
non gouvernementales dans la défense des populations
locales.
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