SECTION II : L'ETAT FEDERAL ET LA GESTION DE LA
QUESTION DU DELTA DU
NIGER.
Le Delta du Niger, région pétrolière par
excellence du Nigéria, souffre d'un sous-développement
considérable.281 Les politiques inefficaces et
l'activité des compagnies pétrolières, souvent
menées dans l'ignorance des intérêts et des moyens de
subsistance des populations, constituent les principales raisons d'une
atmosphère conflictuelle dans la région. Les habitants, se
sentant oubliés dans la redistribution des bénéfices
tirés de l'exploitation du pétrole, ont tendance à
développer des attitudes de défiances envers les autorités
politiques du pays. Pour remédier à cette situation, l'Etat a
essayé d'accorder une attention particulière aux régions
pétrolières, en prenant des mesures comme l'augmentation des
sommes qui leur sont allouées ou la création d'institutions
censées y apporter le développement. Or, l'émancipation
stratégique du Nigéria apparait comme un préalable
à toute gestion du pétrole qui aurait pour axe prioritaire le
bien être des populations. Elle lui permettrait, par exemple,
d'acquérir l'autonomie nécessaire à la mise sur pied d'un
plan de développement efficace ou la capacité de réduire
les conséquences négatives de l'industrie
pétrolière sur les populations. L'Etat, à cause de son
rôle de défenseur du droit des
278-cf. Amnesty international, Pétrole,
pollution et pauvreté dans le Delta du Niger, Amnesty
international, juin 2009, 8p.
279 - Voir Judith Burdin Asuni, « Blood oil in the Niger
delta «, in Special Report n°229, United states institute of
peace, august 2009, 19 p.
280 - Voir Judith Burdin Asuni, « Blood oil in the Niger
delta «, in Special Report n°229, United states institute of
peace, august 2009, 19 p.
281 -Op.cit.
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Yaoundé II-Soa. Page 63
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
citoyens à des conditions de vie décentes et de
garant de la stabilité du pays, est interpellé par le paradoxe de
l'abondance282dont souffrent en premier les habitants du delta. Or,
la solution à la crise sociale dans la région a été
le plus souvent militaire (Paragraphe 1). En cela, il a joué un
rôle dans la radicalisation du militantisme qui y prévaut.
D'autres solutions comme les manoeuvres politiques, visant à
intégrer les élites des régions pétrolières
dans les hautes sphères de l'administration (Paragraphe 2) ou les
innovations institutionnelles devant servir au développement de la
région du delta du Niger, (Paragraphe 3) n'ont pas résolu, dans
le fond, le problème que connait la région.
Paragraphe 1 : La militarisation de la solution
d'un conflit social. A- Impact de l'industrie pétrolière sur le
delta du Niger :
L'industrie pétrolière a des conséquences
négatives sur la région du Delta du Niger : pollution multiforme,
destruction des moyens de subsistances des habitants, maladies graves,
violences militaires et misère insoutenable.283Ce panorama
désolant d'une des régions les plus riches du pays est une des
causes du grand malaise qui y règne. Au regard des conséquences
de l'industrie pétrolière sus-évoquées, le conflit
dans le delta du Niger est avant tout social. Lorsque les populations
descendent dans la rue, c'est pour manifester contre ce que le PNUD appelle une
« pauvreté abjecte ».284
En effet, le militantisme dans le Delta du Niger trouve son
origine dans les mauvaises conditions de vie de nombre de ses habitants. Pour
des leaders militants comme Kenule SARO WIWA ou Isaac BORO, l'engagement avait
pour principale justification le combat pour les droits économiques,
politiques et humains des populations originaires des régions
pétrolières.285 Même si le militantisme a
souvent brillé par des actes de violence, de délinquance ou de
terrorisme, il est à la base pacifique. Comme le dit Oronto
Douglas, « le peuple du Delta du Niger est un peuple pacifique. Des
53 années de pétrole, 48 ont été marquées
par une agitation pacifique pour la justice. ».286 Or, la
stratégie de résolution du conflit social dans le Delta du Niger
par l'Etat a toujours fait la part belle à la violence. Les cas de
quelques « exécutions extrajudiciaires »287 dont
l'Etat a malheureusement été responsable, au cours de son
histoire, nous rappellent que la question du Delta du Niger demeure encore le
« talon d'Achille » de la gestion du pétrole au
Nigéria.
282 -Op.cit.
283 -Op.cit.
284 -Op.cit.
285 - Voir La brève du golfe de Guinée,
oct. Nov. Déc. 2010.
286 -Idem, p.24
287 - Nous pouvons citer l'exécution du militant Ogoni Ken
SARO WIWA au terme d'un procès expéditif et iné-quitable
ou celles de nombreux militants du MEND lors des descentes «
musclées » de l'armée dans le delta du niger.
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Nigéria.
B- La violence comme solution aux problèmes des
populations des régions pétro-
lières :
Dans les années 1990, Ken SARO WIWA, fils de
chef traditionnel et écrivain émérite, et d'autres
ressortissants du peuple Ogoni fondent le MOSOP
(Mouvement Pour la Survie du Peuple Ogoni). Cette organisation
militante a pour principal objectif d'attirer l'attention de la
communauté internationale sur les violations des droits humains, et la
dégradation de l'environnement que subit le peuple
Ogoni.288 Des causes telles que l'autonomisation
financière de ce peuple, un juste partage des revenus du pétrole
et la réparation des dommages environnementaux causés aux
territoires Ogoni, constituent l'essentiel des revendications
portées par le MOSOP. Les principales actions de revendications
du Mouvement Pour la Survie du Peuple Ogoni seront dirigées
contre la multinationale Shell. En 1993, une marche de protestation
contre les activités de la compagnie pétrolière,
organisée par l'association, réunie près de 300 000
personnes.289 Quelques jours plus tard, l'armée occupe la
région. En effet, à cause de l'hostilité des populations
envers ses activités, Shell a fait appel à
l'armée pour sécuriser ses travaux de construction d'un
oléoduc. Elle lui fourni un appui logistique et financier.290
Les exactions de l'armée dans la région sont alors nombreuses. En
1994, Ken SARO WIWA est inculpé avec d'autres militants puis
emprisonné pour avoir organisé une manifestation au cours de
laquelle 4 chefs Ogo-ni ont été tués.291 Ils
sont jugés par un tribunal d'exception composé de trois
personnes, puis condamnés à la peine capitale sans
possibilité d'appel. Le 10 novembre 1995, soit 4 jours après leur
condamnation, ils meurent pendus.292
D'autres évènements témoignent de la
brutalité avec laquelle les autorités fédérales
sont prêtes à régler la contestation dans le Delta du
Niger. Le 04 févier 2005, des personnes originaires d'Ugborodo,
une communauté Itsékiri installée
près du terminal pétrolier de Chevron à
Escravos sur la côte ouest du Delta du Niger, décident de
manifester. Leurs griefs : Le non respect des promesses de la compagnie
pétrolière en matière d'emploi de la jeunesse locale et le
manque de réalisation de projets de développement. L'armée
présente sur les lieux, tire dans la foule. Bilan : un mort et une
trentaine de blessés.293 Les autorités arguent, pour
justifier l'usage de balles réelles, que les manifestants étaient
armés. Cependant, aucune enquête ne confirme la présence
d'armes chez les manifestants. Quinze jours plus tard, soit le 19
février, un raid de l'armée s'abat sur la communauté
Ijaw d'Idioma, dans l'Etat de Bayelsa. Cette
opération, qui a pour but de mettre la main sur des membres d'un groupe
d'autodéfense financé par un sous-traitant d'une filiale de Shell
au Nigéria soupçonnés d'avoir tué une douzaine de
personnes (dont quatre conseillers munici-
288 - Voir La brève du golfe de Guinée,
oct. Nov. Déc. 2010
289 -Idem.
290 -Ibid.
291 -Ibid.
292 -Ibid.
293 -Voir EFAI, Nigéria, pétrole,
pauvreté et violence, Les éditions francophones d'Amnesty
international-Efai, aout 2006.
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dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
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paux), fait de nombreuses victimes collatérales :17
morts dont des personnes brûlées vives et d'autres abattues, ainsi
que 80% des maisons détruites.294
La violence a, très souvent, été
préconisée par l'Etat fédéral dans la
résolution de la question du Delta du Niger. Qu'on observe le
régime dictatorial de Sani ABA-CHA, qui mit fin aux jours du
militant Ken SARO WIWA, ou la présidence d'OLOSEGUN OBASANJO,
au moment du retour à la démocratie, on est saisi par la
promptitude avec laquelle l'Etat use de la violence pour faire taire des
revendications sociales. Pour ORONTO Douglas, c'est cette réponse
violente à une demande pacifique qui provoque le « chaos »
actuellement observable dans les régions
pétro-lières.295 L'Etat se plait à manier,
à la fois, la carotte et le bâton, puisqu'il engage des
réformes démocratiques tout en privilégiant, la plupart du
temps, la solution militaire en cas de conflit. La violence semble d'ailleurs
incontournable pour les autorités politiques, dans la gestion de la
question du delta du Niger, comme le démontrent les
évènements qui ont eu lieu à partir du 13 mai
2009.296En effet, des opérations des forces armées ont
été menées à partir de cette date, dans le delta du
Niger, dans le but de porter un coup fatal au MEND. Des bombardements
aériens intensifs, ainsi que des opérations terrestres contre des
bases de l'organisation militante ont obligé les militants à se
réfugier dans la mangrove d'où ils ont pu orchestrer des attaques
ciblées contre des pipelines. Après plusieurs jours
d'affrontement, l'Etat proclame une amnistie à l'endroit de tous les
combattants qui acceptent de déposer les armes et libère un des
leaders présumés du mouvement Henry OKAH, détenu depuis
2007. Malgré cette main tendue de l'Etat, les affrontements et les actes
de piraterie n'ont pas vraiment cessé dans le Delta du Niger.
L'Etat est un des grands artisans de la violence dans le Delta
du Niger. Par son recours excessif à la solution
militaire,297 il évite de régler la crise sociale qui
y prévaut. Il participe ainsi à la radicalisation dans le Delta
du Niger, et fragilise encore un peu plus la stabilité du pays. Or, la
question du Delta du Niger ne pourrait être résolue par l'action
militaire. Encore moins par des manoeuvres politiciennes.
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