La longévité et la puissance d'un régime
ne sont pas un fait du hasard. Elles résident dans son unité, sa
capacité d'adaptation au système social, et dans sa force de
persuasion et de dissuasion qui fonde sa popularité et sa
légitimité au niveau de la société dans laquelle il
exerce son autorité.
A ce titre, nous pouvons affirmer que les écueils du
régime éphémère du CSP résidaient dans ses
dissensions idéologiques, son rejet et sa faiblesse de
séduction
21 Adama TOURE, 2001, Une vie de militant,
Ouagadougou, Hammaria, page 99.
22 Jean Baptiste OUEDRAOGO, « Contribution a
propos de trois dates historiques » in Burkina Faso, cent ans
d'histoire, 1895 - 1995, Ouagadougou, Karthala - PUO, page 283.
23 Babou Paulin BAMOUNI, 1986, Burkina Faso,
processus de la révolution, Paris, L'Harmattan, pages 89 et 90.
24 Proclamation radiodiffusée du CNR le 04
août 1983.
à l'endroit du peuple. Dans l'optique d'éviter
d'être basculé un jour dans une telle situation inconfortable qui
lui serait aussi fatale, le CNR pensa à la création des CDR,
structures qui devaient garantir sa protection : « Peuple de
Haute-Volta, le Conseil National de la Revolution appelle chaque
Voltaïque, homme ou femme, jeune ou vieux a se mobiliser dans la vigilance
pour lui apporter son soutien actif. Le Conseil National de la Revolution
invite le peuple voltaïque a constituer partout des Comités de
Defense de la Revolution pour participer a la grande lutte patriotique du
Conseil National de la Revolution et pour empêcher les ennemis
intérieurs et extérieurs de nuire a notre peuple
».25
L'idée de créer les CDR germa avant la prise du
pouvoir, au moment de la conception du CNR.26 Les propos de Adama
TOURE que nous avons cités plus haut confirment cette
réalité. Mais, il fait comprendre lors d'un
entretien27 que la création des CDR répondait plus
à une préoccupation des leaders militaires qui étaient
orphelins politiquement parce que ne disposant pas d'organisation politique
propre à eux. Ceci étant, ils ne voulaient pas être
prisonniers des organisations qui travaillaient au triomphe de la
révolution. Ce fut pour cette raison qu'ils pensèrent à
créer des structures qui dépendraient uniquement d'eux. Dans ces
circonstances donc, naquit l'initiative de la création des CDR,
idée qui avait été avalisée par les autres leaders
des organisations de gauche.
La création de ces structures découlait d'une
inspiration des leaders révolutionnaires à partir de
l'expérience de Cuba, un pays d'obédience communiste qui
influençait fortement les acteurs du nouveau contexte politique. Telle a
été la révélation des acteurs comme Valère
SOME,28 Ernest Nongma OUEDRAOGO29 et Adama TOURE lors de
nos entretiens avec eux.
Une analyse poussée de cette invite définit une
quête de légitimité vis à vis du peuple qui devait
assurer au CNR un vrai soutien par le biais des CDR. On comprend
aisément à partir de cette réalité que le CNR
comptait dès lors fonder son autorité sur une certaine assise
populaire, et c'était les CDR qui devaient en être les
dépositaires.
A travers la proclamation, le CNR établissait
déjà clairement la mission du peuple dans le nouveau contexte
sociopolitique : participer au pouvoir du CNR en défendant la
révolution dans des cadres de défense qui devaient se
concrétiser par la
25 Voir la proclamation radiodiffusée du 04
août 1983.
26 Adama TOURE, Une vie de militant,
Ouagadougou, Hammaria, page 99.
27 Adama TOURE : entretien réalisé le 03
août 2005 au Lycée de la Jeunesse.
28 Valère SOME était le responsable de
l'ULCR. Il fut ministre des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la
Recherche Scientifique en 1987. Entretien fait le 06 juin à l'INSS.
29 Nongma Ernest OUEDRAOGO fut ministre de
l'Administration Territoriale et la Sécurité sous le CNR, du 26
aout 1983 au 15 octobre 1987.
constitution des CDR. Ce fut d'ailleurs dans cette
démarche que le CNR conceptualisa sa Révolution
Démocratique et Populaire (RDP).30
La proclamation-appel du CNR provoqua une explosion de joie
populaire qui jeta le peuple dans la rue.31 Les organisations qui
favorisèrent l'avènement de la révolution
mobilisèrent effectivement les gens pour la soutenir au lendemain du 04
août 1983. Certes, l'adhésion ne fut pas totale à cause de
l'abstention des personnes, des organisations politiques et syndicales proches
de la droite qui ne voulurent pas de la révolution. Toutefois,
l'important ici est de retenir que même en dépit de cette
réserve des milieux antirévolutionnaires, même s'il est
difficile de donner une estimation à valeur scientifique probante, les
mobilisations aux lendemains du 04 août ont rassemblé
effectivement une grande partie de la population. Tous « ceux qui
avaient été envoutés par le phénomène
SANKARA avaient réagi avec enthousiasme et rnérne
spontanéité ».32
Dans cet élan d'effervescence d'une population acquise
dans sa majorité à la cause révolutionnaire, furent
constitués dès le 05 août 1983, les tout premiers
CDR.33 Le 06 août, onze représentants de six quartiers
de Ouagadougou se réunissaient à Kiedpalgo34 pour
donner le top départ officiel de la constitution des CDR;35
ils sont encouragés par la présence du président du CNR,
Thomas SANKARA. Quelques temps après cette concertation, toutes les
autres localités créèrent leurs CDR.
Cependant, l'ambiguïté sur la durée de
l'activité des CDR fit croire à l'opinion dès les premiers
moments qu'il s'agissait de structures temporaires visant à
empêcher toute tentative de contre-révolution dans
l'immédiat.36 De ce fait, les CDR ne furent pas perçus
à leurs premières constitutions comme une institution
fondamentale du CNR. Malgré la nomination du Commandant Abdoul Salam
KABORE à la tête des CDR comme président, l'absence
d'organigramme et de directives précises justifiait cette perception.
Cette équivoque est levée lors du prononcé du Discours
d'Orientation Politique (DOP) le 02 octobre 1983.
30 CNR, 1983, Discours d'Orientation Politique
: « Le caractere et la portée de la révolution
d'Aoit », page 20.
31 CARREFOUR AFRICAIN N° 790-791 du 12
août 1983 « Une explosion de joie populaire », pages
18 et 19.
32 Entretien avec Edouard OUEDRAOGO, directeur de
L'OBSERVATEUR le 09 août 2005.
33 Amado NANA, « Comités de
défense, la révolution vigilante » in CARREFOUR
AFRICAIN N° 790- 791 du 12 août 1983, page 21.
34 Ancien quartier du centre de Ouagadougou.
35 Babou Paulin BAMOUNI, 1986, Burkina Faso,
processus de la révolution, Paris, L'Harmattan, page 141.
36 Pierre ENGLEBERT, 1986, La révolution
burkinabè, Paris, L'Harmattan, page 103.
Figure 1:Les armoiries du Burkina Faso sous le CNR.
Source : site Internet :
http://thomassankara.net