V.2.5. La politique du logement : avenement d'une nouvelle
ere urbaine
La révolutionnarisation de tous les secteurs de la
société civile devait inéluctablement passer par une
réorganisation et un remodelage des espaces urbains. Le CNR mit en
oeuvre dès son avènement une politique immobilière
originale dont l'objectif était de permettre aux villes de jouer
efficacement leur rôle de cités révolutionnaires.
320 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 90.
321 Basile GUISSOU, 1995, Burkina Faso : un espoir
en Afrique, Paris, L'Harmattan, page 118.
322 Voir le Rapport de la 1ère
conférence des CDR à la page 81.
Pour mieux cerner la réalité de cette dynamique
urbaine impulsée par la révolution qui apporta à bien de
villes une nouvelle physionomie par rapport au passé, nous consacrons
notre étude fondamentalement sur la ville de Ouagadougou.
Avant la révolution, l'immobilier ouagalais
excepté quelques buildings administratifs, était précaire.
C'était la préexcellence de l'habitat spontané
dépourvu d'eau, d'électricité et d'évacuation des
eaux sales et autres ordures ménagères. La fréquence de ce
type d'habitat était frappante au niveau des périphéries
de la ville.323
Le CNR héritait donc à son avènement
d'une ville embryonnaire et désordonnée qui divulguait
parfaitement selon lui l'atrophie des régimes dits réactionnaires
qui s'étaient succédé après les
indépendances : « ... 2l n y a jamais eu de véritable
politique en matière de développement urbain et d'habitat, hormis
quelques opérations de portée limitée [...]
».324 Effectivement, la configuration du Ouagadougou d'avant la
révolution telle que nous l'avons découverte en haut n'infirme
nullement cette vision du CNR. Près de 50% de l'espace urbain de
Ouagadougou était fait d'habitats spontanés abritant 60% de la
population urbaine qui croissait annuellement d'environ de 7 à
8%.325
Les surfaces loties ne pouvaient alors pas faire face à
cette croissance démographique accrue, surtout qu'il n'était pas
donné à tout le monde de disposer de moyens substantiels pour
s'installer dans ces terrains aménagés. Du coup, les familles
démunies étaient ainsi acculées à ériger
leurs logis dans les zones périurbaines d'où la naissance des
habitations dites spontanées. Ouagadougou était vraisemblablement
à l'image des villes brésiliennes dont les clivages
infrastructurels socio-économiques étaient des plus criards. On
remarquait alors la cité nantie, bien aménagée et embellie
qui fièrement contrastait avec la « ville pourrie » tristement
célèbre par ses installations anarchiques avec une
insalubrité angoissante. La spéculation foncière aggravait
cette crise du logement. Le terrain était considéré comme
une source de richesse326 et l'absence d'une politique dûment
définie en matière de transaction immobilière
cédait la place à l'arbitraire. Il résultait de ce fait
une démission de l'Etat que certains ont incorporée à de
l'irresponsabilité et à de l'incompétence. « En
laissant la situation spéculative prendre de l'ampleur au gré de
l'initiative anarchique des propriétaires fonciers mus par le souci du
plus grand profit possible, l'Etat démissionne de sa
323 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 135.
324 Oumarou PARE, « L'habitat social au
Burkina Faso » in AGENCE DE COOPERATION CULTURELLE ET TECHNIQUE,
1985, Habitat social urbain dans les pays en développement, Ecole
internationale de Bordeaux, page 82.
325 Ibidem.
326 Au Burkina Faso la terre est
considérée de façon globale comme une valeur marchande,
comme la base de la réussite sociale en ville.
114 responsabilité. Il laisse se créer des
pouvoirs de fait qui imposent a la collectivité une politique
impopulaire ».327
Cette spéculation foncière transvasait
même sur les prix des loyers dont la hausse était continuelle et
désordonnée. « Investir dans l'immobilier était
dans le passé la meilleure source de revenus. La spéculation sur
les prix des locations avait atteint un niveau éhonté
».328 L'obtention d'un logement convenable était devenue
un luxe pour le commun des Burkinabé si on retient que le loyer
représentait 30 à 50 % du salaire mensuel.329 Cette
situation a été facilitée par le manque d'une
législation dans le domaine : « Depuis 1960 jusqu'en 1983,
aucun texte n'avait été mis en place pour reglementer la question
essentielle des loyers et baux au Burkina Faso. Ceci expliquait les coats
élevés et trts anarchiques des loyers dans nos villes
».330
Avec l'avènement du régime
révolutionnaire, ce fut le début d'une nouvelle dynamique en
matière de logement et d'urbanisation. En s'appuyant sur les structures
populaires révolutionnaires que sont les CDR, le CNR développa
une approche révolutionnaire du développement urbain et de
l'habitat social. On assista ainsi à une modification
spécifiquement révolutionnaire de l'espace urbain dans le but
d'aboutir à une recomposition radicale de la société sous
l'impulsion et le contrôle exclusif de l'Etat.331 De ce fait,
le CNR décida d'abord la nationalisation de la terre par une
réorganisation agraire et foncière à travers l'Ordonnance
N° 84-050/CNR/PRES le 30 septembre 1983 : « Article
ler : Il est créé un Domaine National Foncier (DFN)
constitué par toutes les terres situées dans les limites du
territoire national... ».332
Ensuite, il déclencha une vaste campagne de
lotissement. La Loi bulldozer du 22 février 1984 se mit à
l'assaut des quartiers d'habitat spontané.333 Dès le
24 février 1984, les premiers quartiers sont rasés pour permettre
de nouveaux lotissements. Le pouvoir positionna les CDR comme superviseurs par
excellence de cette opération. Le CNR pensait à la
nécessité de la participation effective du peuple à la
gestion des affaires foncières. L'implication des CDR dans cette gestion
était expressément inscrite dans la loi qui stipulait que les
enquêtes préalables et l'application des plans devaient se faire
obligatoirement avec la collaboration étroite des CDR, et que ces
derniers étaient absolument membres des commissions d'attribution de
327 Oumarou PARE, « L'habitat social au
Burkina Faso » in AGENCE DE COOPERATION CULTURELLE ET TECHNIQUE,
1985, Habitat social urbain dans les pays en développement, Ecole
internationale de Bordeaux, page 83.
328 Bruno JAFFRE, 1989, Burkina Faso : les
années sankara, Paris, L'Harmattan, page 137.
329 Oumarou PARE, op cit, page 84.
330 Ibidem.
331 Alain MARIE, 1989, « Politique urbaine :
une révolution au service de l'Etat » in POLITIQUE AFRICAINE
N° 33, 1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 35
332 Ordonnance N° 85-050/CNR/PRES du 04
août 1984 portant Réorganisation Agraire et Foncière (RAF)
au Burkina Faso in JOURNAL OFFICIEL N°33 du 16 avril 1984, p.p.
806%809.
333 CARREFOUR AFRICAIN N° 820 du 02 mars
1984, page 32.
115 parcelles.334 La présence des CDR au
centre du dispositif garantissait une main-d'oeuvre gratuite ; par exemple ils
assuraient la confection des bornes. En plus, elle permettait l'ouverture de
plusieurs chantiers que les mécanismes de l'urbanisme étaient
incapables d'assurer seuls.335
Tambour battant, le CNR créa des institutions pour
coordonner en collaboration avec les CDR la réalisation de son projet
urbain. A cet effet, fut instituée la Direction Générale
de l'Urbanisme, de la Topographie et du Cadastre (DGUTC), une structure
chargée de la conception de l'exécution et du contrôle des
opérations d'aménagement urbain.336 La DGUTC
élabora en 1984 un Schéma Directeur d'Aménagement Urbain
(SDAU) pour planifier et maîtriser le développement de Ouagadougou
jusqu'à l'horizon 2000, de façon à endiguer l'extension de
l'habitat spontané.337 Il y eut aussi la création de
la Société de Construction et de Gestion Immobilière du
Burkina Faso (SOCOGIB) pour promouvoir des logements sociaux et de standing
accessible au citoyen moyen.338 Il faut citer en ajout la
création de la Banque Populaire de l'Habitat (BPH) pour financer le
logement social.339 Enfin, l'institution de la
Délégation du Peuple au Logement (DPL), une structure
étroitement rattachée au CDR devant lutter contre l'augmentation
anarchique des prix de loyer.340
La combinaison des actions de toutes ces structures octroya
réellement au CNR les moyens de réussir son pari. Dans le domaine
des lotissements, on ne peut pas méjuger les efforts méritants
qui ont été fournis. Ainsi entre 1984 et 1986, 62 000 parcelles
furent attribuées, ce que les régimes antérieurs,
période coloniale y comprise, n'avaient réussi à
réaliser en un siècle (1895-1983).341
Les attributaires bénéficièrent d'un
allègement des taxes de jouissance et purent construire des villas
modernes qui refirent la physionomie urbaine. La construction du logement ne
fut pas exclusivement laissée aux initiatives individuelles. L'Etat
lui-même s'engagea à travers ses institutions d'urbanisation.
Ainsi, on assista à
334 Décret N° 85-317/CNR/PRES/EQUIP du
07 juin 1985 portant création de structures et fixant les conditions de
réalisation des opérations d'aménagement urbain in
JOURNAL OFFICIEL N° 27 du 04 juillet 1985, p.p. 676-678.
335 Sylvy JAGLIN, 1995, Gestion urbaine partagée
à Ouagadougou : pouvoirs et périphéries, Paris,
Karthala, page 250.
336 Décret N°83-317/CNR /PRES/EQUIP du
07 juin 1985 portant création de structures et fixant les conditions de
réalisation des opérations et d'aménagement urbain, in
JOURNAL OFFICIEL N° 27 du 04 juin 1985, p.p. 676 - 678.
337 Alain MARIE, « Politique urbaine : une
revolution au service de l'Etat » in POLITIQUE AFRICAINE N° 33,
1989, Retour au Burkina, Paris, Karthala, page 29.
338 Décret N° 83-317/CNR/PRES/EQUIP du
07 juin 1985 portant création de structures et fixant les conditions de
réalisation des opérations d'aménagement urbain in
JOURNAL OFFICIEL N° 27 du 04 juillet 1985, p.p. 676-678.
339 Ibidem.
340 Ibidem.
341 Ludo MARTENS, 1989, op cit à la page 217 et
Basile GUISSOU, 1995, op.cit. à la page 120.
116 la construction de plusieurs maisons modernes qui
conféra à Ouagadougou une renaissance urbaine,
réalité que notre étude analyse en sa troisième
partie.
L'expression de cette nouvelle approche en matière
d'urbanisme et de logement à l'instar des autres entreprises du CNR
concourait à des fins d'affirmation et de légitimation politique.
La ville devait alors devenir le miroir d'une révolution bienfaisante,
agissante pour l'épanouissement du peuple.
En effet, au-delà de sa volonté de
démocratiser le logement et de promouvoir le bien-être des
populations urbaines, l'action du CNR était éminemment politique
dans la mesure où elle avait entamé la
désagrégation de la base économique de ses ennemis en vue
de les liquider. Dans la ligne de mire, il y avait premièrement la
chefferie traditionnelle et secondairement la bourgeoisie : « Le droit
foncier et agraire du Burkina Faso était marqué du sceau
bourgeois et féodal et donc utilisé contre les masses
laborieuses ».342 Par la nationalisation des terres, le
CNR procédait à la suppression du droit coutumier et de tous les
titres fonciers et à l'institution d'un simple titre de jouissance sur
les terrains. En 1984, le pouvoir décida la réduction des prix de
loyers et déclara en 1985 la gratuité du logement sur toute
l'étendue du territoire. Il chargea la DPL de faire respecter toutes ces
dispositions avec le soutien des CDR : « Nous faisons confiance aux
CDR... Sans eux, nonobstant toutes les structures qu'on aurait pu créer,
cette mesure serait difficilement appliquée. Aujourd'hui nous
bénéficions de la contribution des CDR qui sont un appui trts
important : ce sont les bras de la DPL ».343 Grâce
à ces mesures les spéculations devinrent rares et l'Etat put
décroître ses dépenses d'indemnisation pour les
fonctionnaires. Le loyer fut rétabli en 1986 mais les
propriétaires furent obligés de payer une taxe qui remonte
à 50% des loyers qui leur étaient versés par les
locataires. Les CDR veillaient au respect de toutes ces décisions.
Grâce à l'assistance de ces derniers, l'Etat confortait en amont
le contrôle social sur les populations, et en aval, il
récupérait une partie des revenus fonciers dont il avait
nationalisé les prélèvements. Cette rente lui permettait
de financer ainsi son programme de développement.
Le triomphalisme du CNR suscité par les
résultats et les statistiques dans le secteur de l'urbanisation et du
logement des CDR cachait pas mal de déviations qui
découlèrent d'un empressement excessif de la part des CDR.
L'unilatéralisation d'une violence multiforme orchestrée par ces
derniers dans l'application de cette politique urbaine participa inexorablement
au mécontentement populaire qui a précédé la
chute
342 Oumarou PARE, « L'habitat social au
Burkina Faso » in AGENCE DE COOPERATION CULTURELLE ET TECHNIQUE,
1985, Habitat social urbain dans les pays en développement, Ecole
internationale de Bordeaux, page 87.
343 Lieutenant Daouda TRAORE interviewé par
Jean Claude MEDA, « Dans cinq mois, le branlebas de combat contre les
fraudeurs » in CARREFOUR AFRICAIN N°888 du 21 juin
1985, page 26.
117 du CNR. Nous nous penchons sur ces conséquences
néfastes dans la troisième partie de notre étude.
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