CHAPITRE 7 les représentations et luttes des
pères
7.1. Une
représentation des rôles parentaux à la fois traditionnelle
et égalitaire
La plupart des pères qui s'adressent à ces
associations se sont investis au quotidien auprès de leurs enfants et
témoignent ainsi sur ce registre de l'évolution égalitaire
des rôles parentaux, dans la répartition des tâches
domestiques. Ils font part néanmoins de représentations selon le
schéma d'une répartition traditionnelle des places de chacun,
tout en évoquant la réalité de l'évolution des
moeurs et de l'éducation comparée à celle de leurs
parents. Il faut préciser à ce titre, que le paramètre
psychologique du parcours de ces parents, celui des pères et celui
supposé des mères, même s'il n'a pas été
traité dans cette étude, est indéniablement significatif
et vient se surajouter à la problématique de ces pères. Un
vécu qu'on imagine parfois douloureux, à travers
l'évocation de leur vie de couple très conflictuelle, mais aussi
qui demeure lié au souvenir de leur enfance, donc de leur
représentation parentale :
« Au niveau de la répartition des
tâches au quotidien, c'est par rapport au vécu d'un père,
alors le mien, ma jeunesse n'a pas voulu que j'ai mes deux parents en
permanence, j'ai eu un père à l'écart de ma vie, et la
société n'a pas fait non plus des démarches pour imposer
un père, d'être là pour son enfant..Mon père a
été élevé dans un milieu de femmes, et quand il a
été dans la vie sociale, une épouse, il a eu du mal
à faire un chemin de père, et il s'est toujours tenu à
l'écart : « c'est ton enfant, tu t'en occupe, moi je
suis là pour assurer les finances, point barre. » Et
aujourd'hui, moi, non. Je veux assurer les finances, je veux assurer sa
scolarité, je veux assurer son bien-être, je veux assurer le
pouponnage. » (Pierre)
Tout en restant attaché en effet à une
distinction des rôles entre l'homme et la femme au foyer, ils font part
en même temps de fonctions parentales qui peuvent être
attribuées indifféremment au père ou à la
mère, dans une demande d'être un parent à part
entière. Cette ambivalence exprimée viendrait témoigner
d'une évolution laissant place à une certaine
égalité parentale dans la mesure où la barrière
entre les fonctions d'un père et d'une mère est devenue plus
floue. Une indifférenciation des fonctions qui n'aurait rien à
voir cependant avec une féminisation des pères ; il ne
s'agirait pas pour eux, comme l'exprime Martin, de « singer les
mères », mais d'accorder une importance à la place de
chacun. Ceci au nom de l `évolution sociale ayant permis aux femmes
de s'émanciper et acquérir ainsi les mêmes droits que les
hommes sur la scène publique, notamment par l'accès au travail et
donc à l'argent :
« Moi, je pense, comme m'avait dit maitre C, ne
maternez pas, ne singez pas les mères, jamais je n'ai oublié
ça. Je ne suis qu'un père, c'est tout, moi je
respecte la place de la maman, quand il faut prendre des décisions je
concerte, je pose des questions. »(Martin)
« Le père dirige certaines choses, la
mère aussi .La mère, c'est elle qui est plus proche, enfin je ne
sais pas. Plus déterminée, si, parce que dans l'éducation
de tous les jours, c'est elle qui gère plus ça, mais le
père manque, il faut que le père soit là,
le père est prépondérant et la mère
aussi, il faut les deux, c'est indispensable. » (Jacques)
« Je vois le père et la mère avec
deux places identiques et deux places différentes. Identiques dans les
responsabilités, les activités. Ma
vision idéale, c'est que sur les tâches ménagères la
société a évolué, les femmes travaillent, les
hommes aussi, donc elles sont exposées aux mêmes contraintes du
monde du travail, des emplois du temps chargés, des problèmes de
transport, enfin tous les problèmes de la vie quotidienne, et la
responsabilité des enfants, de les amener à l'école etc.,
il y a à mon avis un partage d'égal à égal qui se
fait, qui existe, qui est en place dans beaucoup de familles.»
(Michel)
Ainsi les qualificatifs employés pour définir le
rôle du père sont le plus souvent l'autorité, tout en
reconnaissant cette fonction attribuée à la mère, mais
aussi des qualités de protecteur face au monde extérieur, ou
aussi comme pour Lucien, vis à vis à la fois de l'enfant et de sa
mère, dans une vision d' « êtres »
difficilement dissociables. Une vision troublée qui reflète une
recherche de positionnement, pouvant être attribuée au regard de
sa situation particulière d'homme futur parent, séparé de
sa femme enceinte :
« Pour moi, la place du père, c'est la
protection quand même vis-à-vis de l'enfant, pas forcément
l'autorité, parce que la mère exerce aussi une
autorité, mais le père est là
pour protéger l'enfant, et son épouse quand il a une vie
conjugale ; alors c'est une protection qui n'exclue pas, la tendresse,
l'écoute, vis-à-vis de l'enfant, le père je pense qu'il
est là pour protéger l'enfant face au monde extérieur. Il
est là pour rassurer l'enfant et rassurer la femme quand il a une vie
conjugale. Ce qui n'est pas le cas me concernant, mais il est
là pour rassurer et protéger par sa
présence. Il y a peut être une protection, aussi de la part de la
mère. Ce n'est pas simple, elle est là pour prodiguer de la
tendresse mais le père peut le faire aussi. Malgré tout je pense
que la protection physique et morale de l'enfant, du couple, incombe surtout au
père, Je ne dis pas que la mère n'a pas un rôle de
protection, mais elle est peut être plus là pour rassurer
l'enfant, plus le conseiller, le père aussi. C'est
important que l'homme ait une certaine stabilité, une certaine
sérénité face aux épreuves de la vie. Je pense
aussi qu'une femme dans un couple cherche malgré tout la protection de
l'homme, une femme elle aime se sentir protégée par un homme, se
sentir en confiance avec un homme dans son couple, donc l'homme, il a cette
obligation de sérénité, de protection. »
(Lucien)
je note, à travers leur discours, que tout en
étant attachés à leur identité masculine, ils n'ont
pas de représentation tranchée sur la distinction des rôles
parentaux, et soutiennent leur capacité à prodiguer des soins
affectifs:
« Bien sûr, il y a un rôle paternel,
Le père, c'est l'autorité, par rapport à l'enfant, quand
il a fait une bêtise. Mais la mère aussi, elle a droit à sa
partie. Elle peut avoir le droit de faire l'autorité et ne pas rester en
arrière, je ne fais que m'occuper de mes enfants et le père est
en avant à faire le costaud, non pas du tout. Dans la conception de
parents, le père peut être aussi capable d'autorité que la
mère, mais aussi être capable d'être là, pour faire
un câlin à son enfant. » (Pierre)
Pour certains comme pour Etienne, selon ses propos, des
résistances avec l'ambivalence qui les accompagne, existent
également chez les femmes, qui s'opposeraient à une trop grande
participation des hommes aux tâches habituellement maternelles. Le
vécu des pères dans les points rencontres venant témoigner
par ailleurs d'une position d'emprise de la mère :
« Je pense que les hommes revendiquent de plus
en plus leur paternité. On a l'impression de voir des hommes un peu
femmes et des femmes un peu hommes. Ça choque certains qui pensent que
la société prend une mauvaise tournure, où tout
s'homogénéise, moi je crois que c'est plus fin que ça,
c'est-à-dire que c'est un peu le partage des tâches. Pour moi, un
homme qui change les couches, ou qui passe un balai, c'est ni un homo, ni un
allumé. La première fois que j'ai passé le balai, avec mon
ex, je me suis fais engueulé, la réponse a été ce
n'est pas ton rôle. Parce que il y a aussi des femmes
qui sont dans l'ancienne génération, même si elles sont
jeunes parce qu'elles ont été éduqué dans une
génération qui estime que un homme c'est un homme, une femme
c'est une femme. » (Etienne)
Il y aurait alors au regard de certains témoignages
dont celui de Valentin, le sentiment d'un retournement du côté des
femmes, notamment quand elles décident de remettre en question un mode
de garde partagé, ce qui peut être attribué à la
culpabilité des mères de ne pas occuper la place qui leur est
désignée socialement :
« Que le père fasse tout ce qu'il peut,
il n'y a pas de rôle de femme ou d'homme. C'est vrai que beaucoup de gens
m'ont dit que je me suis mis trop au rôle de femme, que je me suis trop
investi, et que à un moment elle s'est rendu compte qu'elle n'avait plus
son rôle de femme, et ce qui lui a fait peur. »
(Valentin)
Beaucoup d'entre eux évoquent par ailleurs l'influence
néfaste de l'entourage social, qu'il soit familial ou amical, de leur ex
compagne, dans ses décisions ou changement de décisions qui les
étonnent parfois.
Les personnes interrogées posent à travers ces
représentations des rôles, la question de l'importance des
modèles dans la construction de l'identité. Ainsi, les
rôles des pères et mères peuvent être similaires
selon eux, sans pour autant porter atteinte à leur identité
propre d'homme ou de femme :
« Ils peuvent s'occuper des bébés
comme les mères, mais que ce soit chez l'homme et chez la femme, on a
les deux parties qui nous complètent, donc la femme a son
côté masculin, et son côté féminin. Un homme
aussi a son côté masculin et un côté féminin,
donc si un homme a toujours vécu avec que le côté
féminin, il aura du mal à avoir son côté masculin
s'il n'a pas eu de modèle masculin pour son identité propre. Pour
moi le père autant que la mère a autant d'amour à donner
à l'enfant, c'est pareil, il n'y en a pas un qui va donner plus que
l'autre, c'est partagé mais chacun à sa façon, selon son
identité propre. » (Julien)
Il s'agit même de transmissions de valeurs selon cette
identité masculine ou féminine, d'où l'importance
soulignée de fonctions qui elles, ne sont pas interchangeables, et donc
justifient la présence d'un père et d'une mère, et non pas
n'importe quel couple parental :
« Je pense que toutes les fonctions ne sont pas
interchangeables, et que par rapport à la parenté dite
biologique, je suis en opposition, par
rapport à ceux qui prônent l'idée qu'on pourrait faire des
enfants sans père, biologiquement [...] Je ne crois pas que les
fonctions sont interchangeables, elles sont complémentaires et ce qui
par contre crée le grave déséquilibre c'est quand il y en
a un qui disparait de la circulation. Donc ce n'est pas de demander au
père de faire comme la mère. Moi, je pense que j'ai peut
être plus un rôle d'autorité, même si je suis loin,
parce que le papa, il dit, bon, ça commence à bien faire, mais la
mère l'a certainement aussi, une petite fille ce n'est pas pareil, mais
je pense que, non, deux mères n'élèveront pas un enfant
à la place d'un père et d'une mère. »
(Martin)
Aussi quand le terme de rôle du père et de la
mère est évoqué, il s'agit en réalité non
pas du rôle éducatif à proprement dit, mais d'une
transmission de valeurs selon son identité sexuée.
L'autorité par exemple, ou le sens du risque, sont
représentés plutôt comme des attributs naturels de l'homme.
Ainsi dans leur revendication à avoir une place auprès de
l'enfant, à égalité avec la mère, ces pères
insistent sur leur différence, sans qu'il s'agisse de distinction
sexuelle des rôles, mais soulignent l'importance d'une transmission de
ces différences de sexe pour l'enfant, et se démarquent dans ce
sens du discours qui reconnaît la légitimité de
l'homoparentalité :
« Le schéma traditionnel du XIX è,
l'homme au travail et la femme au foyer n'a plus court .En revanche, le
rôle du père et de la mère pour un enfant est très
différent. Pour l'équilibre d'un enfant, et d'un point de vue
psychologique. Ce que le père va apporter ou pas et
réciproquement, ce qui va venir de la mère, sera très
différent, ce n'est pas une question d'inégalité, c'est
qu'on fonctionne différemment, d'un point de vue sexuel, hormonal,
cérébral. Déjà la mère, à la base,
elle porte l'enfant, c'est elle qui va accoucher, et ensuite, elle va alimenter
le bébé, elle va allaiter. Pour ma fille, maman, ça veut
dire sa maman, et ça veut dire aussi manger.
Les enfants reconnaissent bien l'odeur de leur maman, ils reconnaissent un
peu moins bien l'odeur de leur papa. Ensuite, il y a
la structuration du langage ; le papa, lui, a une voix plus grave et le
papa quand le bébé est dans le ventre de sa maman, il parle. Il y
a ensuite des choses qui sont apportées par le père, comme par
exemple le sens du jeu, du risque, le sens de l'audace, et l'individuation,
c'est-à-dire couper le cordon ombilical. Faire comprendre à
l'enfant en devenir qu'il va devenir un adulte. Le père aide à
couper des choses, mais la mère aussi. S'il y a un conflit, c'est une
dynamique des deux et le père et la mère doivent aider à
cet épanouissement. Le rôle de la mère, c'est aussi
d'être un repère, un enfant qui va avoir peur, va aussitôt
dire maman, ce n'est pas anodin, donc c'est quelqu'un qui va apporter un
réconfort. Et puis l'autre chose qui est indispensable que le
père va apporter, c'est l'autorité, le respect de
l'autorité. Et ça, ça va aider des enfants à
comprendre qu'ils ont des limites, c'est ce qui va les aider à se
protéger aussi, de tous les dangers Je pense que c'est
essentiel pour le bon équilibre des enfants. Dans les situations de
séparation, il est donc indispensable que les enfants voient à
parité égale, le père et la mère. Ils ont autant
besoin des deux. La maman apporte des choses et le papa d'autres
choses. (Michel)
Le père représente donc aussi celui qui va
orienter son rôle éducatif dans le jeu et la prise de
risques, celui qui permet la séparation, celle des
enfants de leurs parents :
« Il y a ensuite des choses qui sont
apportées par le père, comme par exemple le sens du jeu le sens
du risque, le sens de l'audace, et l'individuation, c'est-à-dire couper
le cordon ombilical. Faire comprendre à l'enfant en devenir qu'il va
devenir un adulte, parce que le dessein des parents, c'est de devenir inutiles
par la suite ; que l'enfant puisse se passer totalement de ses parents,
que les parents ne deviennent plus qu'un souvenir par la suite. »
(Michel)
Et parfois en faisant allusion à des images
traditionnelles fortes et symboliques sur les places domestiques de l'homme et
la femme :
« Le rôle du père c'est aussi
l'autonomie du gamin, la mère, c'est la maison la décoration, le
père c'est l'extérieur, c'est le risque : par exemple, moi,
mon père m'avait offert un couteau et j'ai offert un couteau à
mes enfants, pour manger, pas pour se battre, mais apprendre à s'en
servir, à découper. C'est faire confiance à l'enfant, et
c'est ça aussi les pères, la mère c'est
l'intériorité, traditionnellement, c'est le cocon, et le
père c'est l'extérieur, c'est ça aussi les rôles du
père. Traditionnellement c'était des chasseurs et les
mères des cueilleuses. » (Eric)
Pour d'autres, comme Paul, ils soulignent justement la
situation rendue injuste par la permanence du caractère traditionnel de
ces représentations :
« La majorité des gens hommes et femmes,
pensent qu'il est plus normal que l'enfant soit avec la mère qui porte
l'enfant, et l'homme représente la force. Par exemple pour les
témoignages, très peu iront témoigner pour le père,
contre la mère. Un ami m'avait dit qu'il trouvait que mon fils
avait une meilleure relation avec moi qu'avec sa mère. Et au divorce ma
femme a présenté une attestation de lui en sa faveur. Quand je
l'ai questionné, il m'a répondu qu'un enfant était mieux
avec sa mère. Cela me choque, le processus n'est déjà pas
fait pour l'égalité. » (Paul)
Quant à Etienne par exemple, il relève
l'importance surtout à ne pas élever seul un enfant, dans
l'intérêt des femmes également qui aspirent à autre
chose que d'être confiné dans un rôle exclusif de
mère. Et quand des pères souhaitent ce partage, celui ci
déplore la défaillance institutionnelle qui ne soutient pas,
voire empêche cet élan :
« Je comprends que pour certaines choses c'est
vrai, une femme ne sera jamais un homme et un homme jamais une femme ; par
exemple en terme d'autorité, l'autorité du père, ce n'est
pas qu'on veut revendiquer l'autorité, mais il y a une connotation
différente vis-à-vis des enfants, donc elle et importante cette
autorité, mais même dans l'autre sens d'ailleurs. Une femme qui
veut tout prendre, un homme qui veut tout prendre, c'est quand même
délicat à gérer, être à la fois le
décideur, l'autorité, et après le câlin, c'est quand
même des ambiguïtés qui sont pas faciles à
gérer Je pense qu'il y a beaucoup de femmes
qui veulent cette égalité parce qu'elles voient là le
moyen de s'exprimer autrement. En tant que mère c'est bien, beaucoup ne
veulent pas être que mères, elles veulent être femmes, avoir
un rôle dans la société, et donc ce ne serait possible que
si les hommes prennent le pendant, et c'est aussi ce qui se passe maintenant,
donc c'est aussi fort de café d'être dans une situation comme moi,
qui revendique ma paternité, qui dit je veux m'occuper de mes filles et
il faut que je me batte pour ça, alors qu'il y a des femmes qui se
battent pour obliger leur ex d'assumer leur enfant. Donc quand on entend
quelqu'un comme moi qui dit je veux m'occuper de mes enfants, on a du mal
à comprendre qu'un juge ne dise pas, écoutez, il y a un monsieur
qui veut s'occuper de ses enfants, en quoi c'est mal, Madame,
arrêtez. » (Etienne)
Ainsi, transparait à travers ces récits, la
permanence de tensions entre des représentations traditionnelles de
rôles sexués auxquelles ils demeurent parfois attachés, et
le constat d'une évolution plus égalitaire au regard de la
génération précédente, et à laquelle ils
adhèrent. D'où la volonté que manifeste ces pères
séparés, d'une égale reconnaissance de leur statut
parental avec celui de la mère, de la part des institutions,
derrière laquelle s'exprime un sentiment d'être victime d'une
injustice.
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