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L'émancipation familiale face aux institutions: des pères séparés dans l'impasse

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par Catherine Azémar
Conservatoire des arts et métiers Paris - Master de recherche: sciences du travail et de la société 2009
  

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6.3. Le partage d'expériences : l'attente d'un soutien contre l'isolement

Les pères qui se présentent aux permanences sont ainsi sous le choc comme nous l'avons vu dans le cadre d'une procédure. Culpabilisés dans un premier temps avec le sentiment qu'ils sont les seuls à vivre une telle expérience, ils ne parviennent pas à en parler, et par la suite deviennent plus éloquents au cours des échanges. Les permanents relèvent alors le fait qu'ils arrivent toujours tard dans la dite procédure :

«  J'ai mis plus d'une année avant de me décider à venir dans l'association. J'ai fais des recherches via internet, via la presse, pour voir les possibilités qu'on peut avoir en tant que père, d'avoir un soutien par une association. Je me suis rendu compte qu'il était très difficile de faire respecter ses droits, de pouvoir avoir des arguments, des retours de personnes qui sont dans le même cas que le mien, du soutien, des conseils, et puis avoir des retours de la part des gens par leur expérience, qui sont passés déjà par ces rouleaux compresseurs.» (Patrick)

Aussi, la démarche de venir s'adresser à une association de défense des droits des pères n'est pas une chose aisée pour ces parents, et ils sont plusieurs à avoir longuement hésité, ou bien avoir fait machine arrière et être revenus plusieurs années plus tard. Comme nous l'avons évoqué précédemment, sur les raisons d'une relative fréquentation actuelle, les pères se renseignent dans un premier temps grâce aux nouveaux moyens technologiques d'information, et quelques uns d'entre eux seulement feront la démarche de s'adresser directement aux associations. Ce qui laisserait présupposer l'existence sociale d'une plus forte proportion d'hommes dans cette situation.

J'ai pu observer au cours des différents permanences, qu'à l'instar d'autres lieux de paroles pour des personnes victimes d'une situation particulière, ou ayant vécu une épreuve douloureuse, ils semblent avoir hésité en effet à franchir le pas pour confier leur histoire comme s'ils éprouvaient un sentiment de honte. C'est ensuite pour briser leur solitude, et être rassurés qu'ils ne sont pas les seuls à vivre cette expérience, qu'ils se décident à se présenter à l'accueil des associations, en premier lieu en écoutant les histoires d'autres pères. Ils disent alors avoir trouvé du réconfort dans l'échange avec les autres:

« Donc quand je suis allé à l'association la première fois, c'est parce que je n'étais pas content de ce que j'avais eu, et je cherchais une association qui puisse m'épauler sur ce principe. En plus, vu le conflit qui avait, je n'étais pas bien moi-même, j'avais perdu un peu le sens de l'orientation, et à l'association, j'ai trouvé quelque chose de formidable, parce que on s'occupait d'hommes qui étaient papa, et qui avaient des difficultés à trouver un moyen de discuter avec la personne en face. En plus j'ai trouvé un réconfort car j'avais besoin de me remonter le moral. « (Pierre)

Cette recherche de contact et d'échanges est d'autant plus vraie pour ceux qui du fait de leur situation d'étranger par exemple, ont un faible réseau, comme c'est le cas pour Paul, qui vient d'Allemagne :

« J'ai commencé le divorce seul, sans aide, et j'ai pas beaucoup d'amis en France avec qui je peux parler. Ici on trouve des gens qui sont tous dans la même situation et c'était plus un groupe d'hommes, pour parler de notre problème, cette injustice plus ou moins pour notre problème avec les enfants. Je suis dans cette association d'aide juridique mais ce n'était pas mon premier point de vue, je venais pour du soutien. J'attends des choses de l'échange, le réseau. Connaitre les processus par l'échange d'expériences avec les autres. » (Paul)

L'association représente alors pour eux un espace de parole, et d'écoute, de compréhension de la part de leurs pairs qui vivent des situations similaires, mais aussi, la possibilité de renouer un dialogue :

« Ma demande au départ, mon souci, c'est que quand je suis passé devant le juge, et que je n'ai pas eu l'obtention de ce que je demandais, je demandais une résidence alternée [...] Donc quand je suis allé à l'association la première fois, c'est parce que je n'étais pas content de ce que j'avais eu, et je cherchais une association qui puisse m'épauler sur ce principe. En plus, vu le conflit qui avait, je n'étais pas bien moi-même, j'avais perdu un peu le sens de l'orientation, et à l'association, j'ai trouvé quelque chose de formidable, parce que on s'occupait d'hommes qui étaient papa, et qui avaient des difficultés à trouver un moyen de discuter avec la personne en face. En plus j'ai trouvé un réconfort car j'avais besoin de me remonter le moral. » (Pierre)

L'effet dynamique que permettent les échanges interactifs, propre au fonctionnement associatif informel, insuffle aussi une volonté à s'impliquer, et permet des liens de solidarité comme le soulignent les adhérents, et ainsi que l'exprime l'un d'entre eux : « A l'association, quelque chose s'installe, on voit des gens qui hébergent des autres, il y a un réseau d'entraide qui se met en place, pas suffisamment, mais il existe, des relations fortes se créent entre les personnes. Cela permet de partager ses problèmes, mais aussi le fait d'être ami avec quelqu'un d'autre permet de voir la vie privée de l'autre et de comprendre ce qui a pu se produire, on fait alors des parallèles avec sa propre vie, on est plus en interaction avec l'autre, c'est important car cela permet de rebondir plus vite. »

Ils trouvent ainsi un espace où ils peuvent libérer leur parole, un réconfort grâce à la rencontre d'autres parents. L'importance de l'échange et du partage est soulignée par les animateurs, et relevée à travers les entretiens, et vient témoigner de leur sentiment de solitude de père exclu, de parent non compris : « Les gens au fur et à mesure qu'ils échangent entre eux, ils se rendent compte qu'ils vivent les mêmes choses, je ne dis pas que ça les rassure, mais ils ne sont pas tout seuls », me rapporte un adhérent.

Les pères séparés font part aussi de leur isolement familial et social, et de l'opportunité à pouvoir communiquer avec des personnes qui seront à même de comprendre leur situation. « Parce que quand le père va voir un organisme social ou des gens de sa famille, ce ne sont pas des gens qui vivent au quotidien ce que lui vit, donc il va avoir du mal à s'ouvrir, tandis que là, il y a un partage, une expérience qui va lui permettre de faire sortir certaines choses », me confie un permanent d'association. Ces lieux d'accueils se présentent en effet comme des espaces de parole et d'écoute pour ces pères, où ils s'autorisent à exprimer leurs émotions, qu'ils ne trouvent pas dans d'autres services d'accueil social. Et comme l'explique ce même adhérent, ces pères sont souvent isolés également de leur famille : « Car bien souvent on pense que les gens de notre famille peuvent nous aider, mais c'est absolument faux. Au contraire, la plupart des gens se disent, mais dans quelle situation il s'est mis, et ils vont plutôt s'écarter du père plutôt que l'aider, parce que ils ont une méconnaissance de la justice, ils se disent ce n'est pas normal, si on lui a retiré ses enfants c'est qu'il ya quelque chose de très grave en fait. Et le père aura beau leur expliquer qu'il n'a rien fait de spécial et que c'est la justice qui fonctionne comme ça, les gens ne le croiront pas, les parents les frères les très proches. Donc ils peuvent se retrouver isolés, c'est la troisième peine. Ils ne voient plus leurs enfants, la justice en laquelle ils croyaient qui n'est pas représentative de leur idéal, et puis la famille qui ne les suit plus, donc ils sont complètement déstructurés. Derrière ils peuvent perdre leur travail, c'est ensuite la descente aux enfers, « sdf », ça peut arriver. On peut avoir le cadre et l'employé de base, et aussi des cadres qui se retrouvent au RMI. »

D'un niveau social économique élevé ou non, certains peuvent en effet se trouver dans une situation financière très difficile, surendetté par les traites de leurs biens, le montant des pensions alimentaires, la nécessité de se trouver un nouveau logement, ces situations pouvant les conduire au chômage en raison du manque de compétitivité auquel elles les entraînent. Comme c'est le cas pour Patrick ou bien encore pour Léon:

« Si vous voulez, moi j'avais ma propre société, je suis liquidé, et j'ai droit un RMI, et là ce n'est pas que je suis trop bien pour ça, mais je me dis je laisse ça à ceux qui en ont vraiment besoin, je n'arrive pas à me mettre dans la tête que je suis dans ce besoin là, et le temps passe. » (Léon)

Ils recherchent donc un soutien et du réconfort de la part de leurs pairs, et malgré le fait qu'ils soient surpris dans un premier temps des réponses apportées qui peuvent être brutales car elles ne correspondent pas toujours à ce qu'ils espèrent mais les confrontent à la réalité, ils se reposent néanmoins sur cette relation. « Parce qu'ils pensent que tout va bien se passer, que la justice est avec eux, et ils arrivent, et ils repartent avec cet autre coup de massue auquel ils ne s'attendaient pas, mais la plupart du temps en fait ils posent leur paquet et ils repartent plus légers. Donc le fait de venir à la permanence, il y a toutes les interrogations qu'ils pouvaient avoir même si c'est négatif au final, au moins ils savent, alors qu'avant ils avaient ce doute », relate un membre de bureau.

Avec le sentiment de se trouver ainsi isolés et incompris, il s'agit pour eux, d'une recherche de la réassurance auprès de leurs pairs, de l'appui possible des institutions, et l'espoir d'un apaisement du conflit conjugal pour conserver une place auprès des enfants.

Après avoir donc examiné les demandes explicites et plus implicites des pères dans ces associations, il apparaissait intéressant de dégager à travers ces attentes, les représentations qu'ont ces pères des rôles parentaux, pour mieux comprendre l'enjeu de leur démarche, la réalité de leurs luttes

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille