6.3. Le partage
d'expériences : l'attente d'un soutien contre l'isolement
Les pères qui se présentent aux permanences sont
ainsi sous le choc comme nous l'avons vu dans le cadre d'une procédure.
Culpabilisés dans un premier temps avec le sentiment qu'ils sont les
seuls à vivre une telle expérience, ils ne parviennent pas
à en parler, et par la suite deviennent plus éloquents au cours
des échanges. Les permanents relèvent alors le fait qu'ils
arrivent toujours tard dans la dite procédure :
« J'ai mis plus d'une année avant de me
décider à venir dans l'association. J'ai fais des recherches via
internet, via la presse, pour voir les possibilités
qu'on peut avoir en tant que père, d'avoir un soutien par une
association. Je me suis rendu compte qu'il était très difficile
de faire respecter ses droits, de pouvoir avoir des arguments, des retours de
personnes qui sont dans le même cas que le mien, du soutien, des
conseils, et puis avoir des retours de la part des gens par leur
expérience, qui sont passés déjà par ces
rouleaux compresseurs.» (Patrick)
Aussi, la démarche de venir s'adresser à une
association de défense des droits des pères n'est pas une chose
aisée pour ces parents, et ils sont plusieurs à avoir longuement
hésité, ou bien avoir fait machine arrière et être
revenus plusieurs années plus tard. Comme nous l'avons
évoqué précédemment, sur les raisons d'une relative
fréquentation actuelle, les pères se renseignent dans un premier
temps grâce aux nouveaux moyens technologiques d'information, et quelques
uns d'entre eux seulement feront la démarche de s'adresser directement
aux associations. Ce qui laisserait présupposer l'existence sociale
d'une plus forte proportion d'hommes dans cette situation.
J'ai pu observer au cours des différents permanences,
qu'à l'instar d'autres lieux de paroles pour des personnes victimes
d'une situation particulière, ou ayant vécu une épreuve
douloureuse, ils semblent avoir hésité en effet à franchir
le pas pour confier leur histoire comme s'ils éprouvaient un sentiment
de honte. C'est ensuite pour briser leur solitude, et être
rassurés qu'ils ne sont pas les seuls à vivre cette
expérience, qu'ils se décident à se présenter
à l'accueil des associations, en premier lieu en écoutant les
histoires d'autres pères. Ils disent alors avoir trouvé du
réconfort dans l'échange avec les autres:
« Donc quand je suis allé à
l'association la première fois, c'est parce que je n'étais pas
content de ce que j'avais eu, et je cherchais une association qui puisse
m'épauler sur ce principe. En plus, vu le conflit qui avait, je
n'étais pas bien moi-même, j'avais perdu un peu le sens de
l'orientation, et à l'association, j'ai trouvé quelque chose de
formidable, parce que on s'occupait d'hommes qui étaient papa, et qui
avaient des difficultés à trouver un moyen de discuter avec la
personne en face. En plus j'ai trouvé un réconfort car j'avais
besoin de me remonter le moral.
« (Pierre)
Cette recherche de contact et d'échanges est d'autant
plus vraie pour ceux qui du fait de leur situation d'étranger par
exemple, ont un faible réseau, comme c'est le cas pour Paul, qui vient
d'Allemagne :
« J'ai commencé le divorce seul, sans
aide, et j'ai pas beaucoup d'amis en France avec qui je peux
parler. Ici on trouve des gens qui sont tous dans la même situation et
c'était plus un groupe d'hommes, pour parler de notre problème,
cette injustice plus ou moins pour notre problème avec les enfants. Je
suis dans cette association d'aide juridique mais ce n'était pas mon
premier point de vue, je venais pour du soutien.
J'attends des choses de l'échange, le réseau.
Connaitre les processus par l'échange d'expériences avec les
autres. » (Paul)
L'association représente alors pour eux un espace de
parole, et d'écoute, de compréhension de la part de leurs pairs
qui vivent des situations similaires, mais aussi, la possibilité de
renouer un dialogue :
« Ma demande au départ, mon souci, c'est
que quand je suis passé devant le juge, et que je n'ai pas eu
l'obtention de ce que je demandais, je demandais une résidence
alternée [...] Donc quand je suis allé à l'association la
première fois, c'est parce que je n'étais pas content de ce que
j'avais eu, et je cherchais une association qui puisse m'épauler sur ce
principe. En plus, vu le conflit qui avait, je n'étais pas bien
moi-même, j'avais perdu un peu le sens de l'orientation, et à
l'association, j'ai trouvé quelque chose de formidable, parce que on
s'occupait d'hommes qui étaient papa, et qui avaient des
difficultés à trouver un moyen de discuter avec la personne en
face. En plus j'ai trouvé un réconfort car j'avais besoin de me
remonter le moral. » (Pierre)
L'effet dynamique que permettent les échanges
interactifs, propre au fonctionnement associatif informel, insuffle aussi une
volonté à s'impliquer, et permet des liens de solidarité
comme le soulignent les adhérents, et ainsi que l'exprime l'un d'entre
eux : « A l'association, quelque chose s'installe, on voit des
gens qui hébergent des autres, il y a un réseau d'entraide qui se
met en place, pas suffisamment, mais il existe, des relations fortes se
créent entre les personnes. Cela permet de partager ses
problèmes, mais aussi le fait d'être ami avec quelqu'un d'autre
permet de voir la vie privée de l'autre et de comprendre ce qui a pu se
produire, on fait alors des parallèles avec sa propre vie, on est plus
en interaction avec l'autre, c'est important car cela permet de rebondir plus
vite. »
Ils trouvent ainsi un espace où ils peuvent
libérer leur parole, un réconfort grâce à la
rencontre d'autres parents. L'importance de l'échange et du partage est
soulignée par les animateurs, et relevée à travers les
entretiens, et vient témoigner de leur sentiment de solitude de
père exclu, de parent non compris : « Les gens au
fur et à mesure qu'ils échangent entre eux, ils se rendent compte
qu'ils vivent les mêmes choses, je ne dis pas que ça les rassure,
mais ils ne sont pas tout seuls », me rapporte un adhérent.
Les pères séparés font part aussi de leur
isolement familial et social, et de l'opportunité à pouvoir
communiquer avec des personnes qui seront à même de comprendre
leur situation. « Parce que quand le père va voir un organisme
social ou des gens de sa famille, ce ne sont pas des gens qui vivent au
quotidien ce que lui vit, donc il va avoir du mal à s'ouvrir, tandis que
là, il y a un partage, une expérience qui va lui permettre de
faire sortir certaines choses », me confie un permanent
d'association. Ces lieux d'accueils se présentent en effet comme des
espaces de parole et d'écoute pour ces pères, où ils
s'autorisent à exprimer leurs émotions, qu'ils ne trouvent pas
dans d'autres services d'accueil social. Et comme l'explique ce même
adhérent, ces pères sont souvent isolés également
de leur famille : « Car bien souvent on pense que les gens
de notre famille peuvent nous aider, mais c'est absolument faux. Au contraire,
la plupart des gens se disent, mais dans quelle situation il s'est mis, et ils
vont plutôt s'écarter du père plutôt que l'aider,
parce que ils ont une méconnaissance de la justice, ils se disent ce
n'est pas normal, si on lui a retiré ses enfants c'est qu'il ya quelque
chose de très grave en fait. Et le père aura beau leur expliquer
qu'il n'a rien fait de spécial et que c'est la justice qui fonctionne
comme ça, les gens ne le croiront pas, les parents les frères les
très proches. Donc ils peuvent se retrouver isolés, c'est la
troisième peine. Ils ne voient plus leurs enfants, la justice en
laquelle ils croyaient qui n'est pas représentative de leur
idéal, et puis la famille qui ne les suit plus, donc ils sont
complètement déstructurés. Derrière ils peuvent
perdre leur travail, c'est ensuite la descente aux enfers,
« sdf », ça peut arriver. On peut avoir le cadre et
l'employé de base, et aussi des cadres qui se retrouvent au
RMI. »
D'un niveau social économique élevé ou
non, certains peuvent en effet se trouver dans une situation financière
très difficile, surendetté par les traites de leurs biens, le
montant des pensions alimentaires, la nécessité de se trouver un
nouveau logement, ces situations pouvant les conduire au chômage en
raison du manque de compétitivité auquel elles les
entraînent. Comme c'est le cas pour Patrick ou bien encore pour
Léon:
« Si vous voulez, moi j'avais ma propre
société, je suis liquidé, et j'ai droit un RMI, et
là ce n'est pas que je suis trop bien pour ça, mais je me dis je
laisse ça à ceux qui en ont vraiment besoin, je n'arrive pas
à me mettre dans la tête que je suis dans ce besoin là, et
le temps passe. » (Léon)
Ils recherchent donc un soutien et du réconfort de la
part de leurs pairs, et malgré le fait qu'ils soient surpris dans un
premier temps des réponses apportées qui peuvent être
brutales car elles ne correspondent pas toujours à ce qu'ils
espèrent mais les confrontent à la réalité, ils se
reposent néanmoins sur cette relation. « Parce qu'ils pensent
que tout va bien se passer, que la justice est avec eux, et ils arrivent, et
ils repartent avec cet autre coup de massue auquel ils ne s'attendaient pas,
mais la plupart du temps en fait ils posent leur paquet et ils repartent plus
légers. Donc le fait de venir à la permanence, il y a toutes les
interrogations qu'ils pouvaient avoir même si c'est négatif au
final, au moins ils savent, alors qu'avant ils avaient ce doute », relate
un membre de bureau.
Avec le sentiment de se trouver ainsi isolés et
incompris, il s'agit pour eux, d'une recherche de la réassurance
auprès de leurs pairs, de l'appui possible des institutions, et l'espoir
d'un apaisement du conflit conjugal pour conserver une place auprès des
enfants.
Après avoir donc examiné les demandes explicites
et plus implicites des pères dans ces associations, il apparaissait
intéressant de dégager à travers ces attentes, les
représentations qu'ont ces pères des rôles parentaux, pour
mieux comprendre l'enjeu de leur démarche, la réalité de
leurs luttes
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