PREMIERE PARTIE : Place
du père et mouvement d'égalité des sexes
Au cours de cette première partie, qui comprend les trois
premiers chapitres, il va s'agir de comprendre comment la famille s'est
inscrite historiquement selon la désignation du père, pour
ensuite l'écarter de la sphère familiale autour d'une division
sexuelle des rôles qui marque le mouvement égalitaire de la
société industrielle. La problématique de
l'égalité identifiée par les sociologues autour de
tensions entre modernité et tradition me conduira ensuite à mon
hypothèse de travail
CHAPITRE 1 La
désignation paternelle dans l'histoire de la famille
À l'origine de la famille en tant qu'institution, le
père représente déjà la figure marquante, inscrit
historiquement comme son représentant social. L'émergence de la
fonction du père en lien avec la religion, puis le pouvoir royal, marque
l'institutionnalisation de la famille, qui se poursuit au fil de l'histoire
avec la notion de chef de famille. Par la suite, l'évolution
démocratique de la société bouleverse cette configuration,
sous tendue par une volonté d'égalité des sexes. La
désignation paternelle demeurant un repère dans l'histoire du
droit de la famille, cette place du père appelle à définir
au préalable la notion de famille et son évolution. Nous allons
voir ainsi, comment est apparue cette notion, quelles sont les
interprétations de son inscription sociale, pour s'attacher ensuite plus
particulièrement à l'inscription du père au cours de cette
évolution de la famille.
1.1. La famille, une
organisation sociale qui questionne
L'appréhension de la notion même de famille
apparait de façon complexe car elle recouvre plusieurs champs
disciplinaires. En anthropologie, il est dit que dans toutes les
sociétés, toutes les relations sociales se conçoivent sur
le mode des relations de parenté. Ainsi dès cette approche on
peut constater que le regard anthropologique se fixe sur la
différenciation sexuelle des rôles.
Dans l'ouvrage « Anthropologie de la famille et de
la parenté », Deliège, dresse l'éventail de ces
points de vue d'anthropologues, sur la question de la famille (Deliège,
2005). Il est un fait, explique-t il que dans toutes les
sociétés, toutes les relations sociales se conçoivent sur
le mode des relations de parenté. S'il est admis que la famille
nucléaire n'est pas la caractéristique d'une forme primitive de
société, toutes les sociétés cependant
reconnaîtraient cette triade élémentaire appelée
« atome de parenté » par C.L.Strauss, et qui se
présente sous des formes articulées très variées
selon les sociétés. Et c'est de cette réalité
universelle de l'appartenance de l'individu à deux familles
nucléaires, que découleraient les systèmes de
parenté. Selon les différentes théories anthropologistes
présentées par Deliège, la propriété et la
limitation des richesses des sociétés de
« cueilleuses-chasseurs », conduisant à la division
sexuelle du travail, expliquerait que la sexualité et le choix
matrimonial soient les foyers de la solidarité sociale et de conflits.
L'inégalité sociale et donc des sexes, naîtrait du
développement des moyens de production. Certains développent des
concepts de domination, d'exploitation et d'oppression des hommes sur les
femmes, liés à l'esprit guerrier qu'impliquerait la chasse. Alors
que d'autres parlent plutôt de rapports d'adhésion, telles les
théories démontrant combien les contraintes de la production
déterminent l'organisation de la parenté. La répartition
sociale des individus ne serait pas alors fixée à la naissance
par des règles de filiation, mais par l'adhésion volontaire de
chacun à l'un ou l'autre groupe. Quoiqu'il en soit, l'institution ou
l'organisation du mariage au sens d'union, existerait dans quasiment toutes les
sociétés. (Deliège, 2005). Le groupe familial tire son
origine du mariage, selon Lévi-Strauss. A travers les règles de
l'alliance, c'est la société et son organisation qui apparaissent
comme premières par rapport à l'organisation de la
famille ». Mais La famille stricto sensu serait absente de
l'état de nature ; elle n'apparaît qu'avec la
révolution qui marque le passage à la société
civile et l'institution de la propriété (décrite par
Rousseau).
Le « Dictionnaire critique de la
sociologie », de R. Boudon et F. Bourricaud (1994), décrit la
famille comme une des institutions caractéristiques de la
société humaine. Selon cette conception, elle représente
le modèle de référence à partir duquel s'inscrivent
les principes de la vie en société, les règles de
l'organisation sociale et politique de la communauté, devenant ainsi le
témoin d'un certain ordre social. Sans pour autant me semble t il
représenter le socle de notre société humaine, mais
plutôt caractériser l'organisation de la sphère
privée en miroir de la société, la famille a toujours
été un centre d'intérêt autant pour les chercheurs
de toute discipline, que pour les acteurs eux-mêmes. La famille ne cesse
d'interroger sociologues et anthropologues ; elle intrigue les
psychanalystes, interpelle le politique et sollicite le biologiste. Les
médias s'en emparent, elle serait le reflet de nos
sociétés, l'indicateur de ses évolutions politiques,
sociales et économiques, ou l'instigatrice de ses transformations.
Une définition précise de la famille n'est
cependant pas aisée et l'appréhension même de son
évolution suscite des controverses. Comme en témoignent les
diverses représentations sociologiques de la réalité de la
famille qui déterminent son inscription sociale dans l'histoire.
Peut-on parler de la famille, le modèle unique, ou faut
il voir plusieurs familles ? Ces représentations sont sujettes
à contestation à la fois chez les sociologues, et
anthropologues.
Ainsi, Jack. Goody combat la thèse selon laquelle il
existerait un modèle familial spécifique à l'Europe, celui
de la famille nucléaire (Goody, 2001). Il s'attache à
démontrer en ce sens, que la famille nucléaire n'a pas
été inventée par l'Occident industrialisé ou
l'Europe dite « moderne », et que les modifications des
structures de la famille varient selon les conjonctures sans qu'il s'agisse
d'une progression linéaire qui aurait évoluée dans le
temps, d'une société traditionnelle collective à une
société moderne individualiste, de progrès. Les
continuités, argumente l'auteur, ont été aussi importantes
que les ruptures et il n'y a pas plus une « fin de la
famille » de nos jours, qu'il n'y a eu après le Moyen Age une
transformation radicale de la famille due à l'avènement du
capitalisme. L'enfance, ainsi que l'affection conjugale et parentale, ne
seraient pas selon lui, une invention de l'Europe, mais des variantes de
comportements universels.
La famille a donc connu de multiples transformations depuis
l'antiquité, et d'une ampleur particulière depuis une
cinquantaine d'années, en raison notamment de spectaculaires
bouleversements économiques, démographiques, technologiques,
sociaux et culturels. Actuellement, la question de l'existence menacée
de la famille, est fréquemment mise à l'ordre du jour, face aux
multiples configurations familiales possibles : davantage de couples en
union libre et augmentation des divorces, couples séparés et
recompositions familiales, existence de familles homoparentales. Face à
ce bouleversement des familles, la naissance de l'individualisme semble
toutefois avoir tenu un rôle prépondérant. Le sociologue
François de Singly explique ainsi que le passage d'une
société holiste à une société individualiste
fait que l'individu devient la cellule de base de la société, et
non plus la famille. Il correspond en même temps à la
représentation sociale de l'amour d'un homme et d'une femme, au
début de l'émancipation des femmes dans une société
où le mariage est institué comme représentant la
lignée familiale. C'est alors la naissance, dit-il, de la
« crise de la famille ». La relation amoureuse devient la
référence au détriment de la filiation. (De Singly, 2007).
Ainsi autour des années 1960, le fait est établit que l'homme et
la femme restent des individus à part entière dans le mariage. Un
autre auteur, E. Roudinesco, historienne de la psychanalyse, cherche quant
à elle à comprendre l'origine du désordre lié aux
mutations de la famille, recomposée, monoparentale, homo parentale,
ou artificiellement engendrée, en revisitant l'histoire de la
famille occidentale, de l'ancienne puissance patriarcale à l'irruption
du féminin (Roudinesco, 2002). Elle fait alors le constat qu'il y aurait
à la fois une revendication actuelle de la famille par la
société occidentale, comme le lieu par excellence de
l'épanouissement individuel, et un sentiment d'angoisse que
génère notre époque désorientée par la
libération des moeurs, la perte d'autorité du père, face
aux nouvelles configurations familiales. Elle interroge alors l'existence de la
famille qui face à la perte de l'autorité du père, la
maîtrise de la procréation par les femmes, et la filiation
possible des homosexuels, ne serait pas pour autant, menacée.
Nous allons voir comment l'histoire de la famille ainsi que
l'évolution du droit dans ce domaine s'écrit
précisément avec celle de la figure du père, dessinant
pour la suite les enjeux des nouvelles configurations familiales.
|
|