2.2 Au niveau du secteur privé
D'après la CNLS, l'implication du secteur privé
dans la lutte contre le SIDA reste faible. Certaines entreprises ont pu,
néanmoins, développer en leur sein des actions de
prévention et de prise en charge médicale de leur personnel. La
CNLS se félicite du fait que ce secteur commence à
s'intégrer davantage dans le forum national de lutte contre le SIDA et
devient partie prenante de la commission.
La réponse de ce secteur demeure toutefois timide et
limitée à quelques grandes entreprises. Nous estimons, pour notre
part, qu'il faut arriver à un engagement de tout le secteur privé
pour la lutte efficace contre le VIH/SIDA ; surtout que, comme nous l'avons
montré dans le chapitre précédent, la menace est
sérieuse au niveau microéconomique des entreprises. Nous pensons
que le BIT, comme nous l'avons déjà fait remarquer
précédemment, a fourni, à travers son recueil de
directives pratiques sur le VIH/SIDA et le monde du travail, un plan d'action
intéressant, qui pourrait être repris avec beaucoup de profit par
le secteur privé. Comme ce secteur apporte à l'économie
nationale une contribution dans le sens des profits à réaliser en
termes d'économie d'échelle, nous estimons donc que ces
entreprises ont toutes les raisons de s'investir dans la lutte contre le SIDA
en faveur de leurs travailleurs et de leurs familles et d'éviter ainsi
ou du moins de réduire l'impact négatif de
l'épidémie qu'elles pourraient encourir.
Ce secteur pourrait aussi tirer beaucoup de profit à
exercer le principe de solidarité envers tous ses travailleurs atteints
par le VIH/SIDA et leurs familles. Par solidarité, il faut comprendre
ici ce que rappelait Jean-Paul II dans son encyclique Sollicitudo rei
socialis de 1987 : la solidarité « n'est (...) pas un
sentiment de compassion vague ou d'attendrissement superficiel pour les maux
subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c'est la
détermination ferme et persévérante de travailler pour
le
213 Cf. INTERNATIONAL FOOD POLICY RESEARCH INSTITUTE,
Sustainable Food Security for All by 2020, Proceedings of an International
Conference, Bonn, September 4-6 2001, IFPRI, Washington DC, 2002, p. 27.
bien commun ; c'est-à-dire pour le bien de tous et de
chacun parce que, tous, nous sommes vraiment responsables de
tous214. »
2.3 Au niveau du secteur communautaire
Le secteur communautaire, que nous pouvons identifier ici
à la société civile, a été le plus
entreprenant dans la lutte contre le SIDA au Rwanda notamment à travers
plusieurs projets et initiatives. Ces derniers se sont surtout focalisés
dans la sensibilisation et les ateliers de formations suivant la méthode
Information, Education et Communication (IEC)215. Il convient ici de
souligner particulièrement l'importante contribution des confessions
religieuses et des associations nationales comme l'ARBEF et le collectif
PROFEMMES TWESE HAMWE qui, déjà engagées dans des
programmes de santé pour la Reproduction, ont intégré
l'IEC sur les MST et le VIH/SIDA dans leurs programmes d'éducation de
base216.
Il faut noter pourtant qu'il y a encore beaucoup à
faire pour la prise en charge communautaire des personnes vivant avec le
VIH/SIDA ainsi que celle des personnes affectées indirectement par
l'épidémie, en particulier les veuves et les orphelins. On
constate, en effet, un faible engagement dans ce sens. Comme le montre
l'étude menée conjointement par le MINISANTE, le PNLS et l'OMS
sur le rôle des ONG et les associations impliquées dans la lutte
contre le SIDA au Rwanda, 46% des interventions de ces différents
groupes en 1999 étaient essentiellement des activités
d'information, d'éducation et de sensibilisation217 ; mais,
par contre, très peu se faisait pour la prise en charge des personnes
vivant avec le VIH/SIDA. Toutefois, les intervenants des confessions
religieuses, notamment l'Eglise Catholique, les Eglises Protestantes et les
Musulmans se sont impliqués, non seulement dans les programmes d'IEC,
mais aussi dans la prise en charge médicale, l'appui psychosocial,
matériel et nutritionnel des personnes vivant avec le VIH/SIDA et celui
de leurs membres de familles218. En ce qui concerne l'Eglise
Catholique, par exemple, l'apport de la Caritas-Rwanda depuis 1989 est
remarquable et a
214 JEAN-PAUL II, Sollicitudo rei socialis, n.38
215 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS),
Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006,
Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002,
p. 55.
216 Ibid.
217 Ibid.
218 Ibid.
été opportunément relevé par les
évêques Catholiques du Rwanda dans leur récente lettre sur
la lutte contre le SIDA219.
Les initiatives qui cherchent à impliquer davantage les
personnes vivant avec le VIH/SIDA dans les différentes campagnes de
lutte contre le SIDA sont à encourager, car elles permettent de
combattre d'une part la stigmatisation et la discrimination, et d'autre part,
de rendre plus efficace les campagnes d'information et de sensibilisation. Une
initiative comme celle du collectif ANSP+, qui regroupe plus de 30 associations
de personnes vivant avec le VIH/SIDA au Rwanda et qui plaide pour leurs droits,
est à encourager avec tous les moyens disponibles. Ce collectif a pu
déjà, grace à l'aide de certains partenaires, apporter un
soutien matériel aux personnes séropositives et à leurs
familles.
Il nous faut aussi ajouter, même si cela n'entre pas
directement dans le secteur communautaire, le rôle important joué
par les structures de coordination, comme le PNLS dans un premier temps et
maintenant la CNLS. Ces structures ont été essentielles pour la
planification et la coordination nationale des différents programmes de
lutte contre le SIDA. Elles sont à rendre encore plus efficaces
notamment à travers un budget plus consistant et une
décentralisation des différents services. C'est dans ce sens
qu'il faut signaler la création du TRAC (Treatment and Research on AIDS
Center) au niveau du Ministère de la santé. Le TRAC coordonne les
activités à orientation médicale, cherchant une plus
grande efficacité de ces activités par rapport au passé.
Un forum d'ONGs oeuvrant dans le domaine de lutte contre le VIH/SIDA a
été aussi créé. Ce forum a l'avantage, en
collaborant étroitement avec la CNLS, de faire le trait d'union entre
les activités gouvernementales, l'ONUSIDA et les ONGs. S'il est bien
géré, il peut constituer une structure décisive pour
l'organisation et l'efficacité de la lutte contre le SIDA. Dans l'esprit
de la subsidiarité, ces différentes Organisations Non
Gouvernementales peuvent ainsi être efficaces dans l'effort national de
lutte contre le SIDA, effort qui rejoindrait peutêtre alors tous les
milieux, notamment les zones rurales qui sont souvent oubliées.
Toujours au niveau communautaire, une attention
particulière devrait être faite aux différents groupes et
clubs de jeunes, notamment avec les initiatives comme celle de « peer
219 Cf. Lettre des évêques Catholiques du Rwanda sur
la lutte contre le SIDA : « Hitamo Ubugingo ureke Urupfu », Kigali,
avril 2003, n. 16.
education », l'éducation des jeunes par les jeunes
de la même tranche d'age, où ceux-ci peuvent facilement s'exprimer
et poser des questions qui demeurent encore tabous entre les
générations. Ces différentes associations ont besoin
d'être stimulées et promues que ce soit au niveau des
écoles, des paroisses, des clubs sportifs, etc.
Nous avons noté, plus haut, l'engagement significatif
des confessions religieuses, et notamment de l'Eglise Catholique dans la lutte
contre le SIDA à travers la prise en charge des personnes
séropositives. En plus de cet aspect, la récente lettre des
évêques Catholiques du Rwanda adressée aux chrétiens
dans le cadre de la lutte contre le SIDA cherche aussi, entre autres, à
donner des éclaircissements opportuns sur le sujet du préservatif
comme moyen de protection contre le VIH. Les évêques du Rwanda,
loin d'esquiver cette question, reconnaissent qu'on reproche à l'Eglise
Catholique de ne pas faire campagne pour ceux-ci, et ils répondent en
rappelant que dans la ligne des enseignements de l'Eglise, la
fidélité des couples et la chasteté demeurent les moyens
de prévention efficace contre le VIH/SIDA220. Nous estimons
que, devant la généralisation de l'épidémie et
considérant sa menace pour le développement du pays, l'Eglise
Catholique du Rwanda, à laquelle appartient environ 60% de la
population, a bien fait de sortir du silence en proposant des principes de
réflexions, de critères de jugements et des directives
d'action221 en ce qu'elle considère essentielle pour la
prévention face au VIH/SIDA, pour favoriser une ligne de conduite en
faveur de la vie, comme le suggère le titre de la lettre des
évêques. En effet, comme le recommandait les évêques
Catholiques du Kenya dans leur lettre de décembre 1999, à
laquelle nous avons déjà fait allusion, « Nous devons
concentrer nos efforts en éduquant et en informant nos populations sur
la prévention. Il est nécessaire d'éviter des certitudes
sans fondement ou des peurs inutiles afin que l'information soit
disséminée prudemment et avec
responsabilité222. » Nous pensons donc que l'Eglise
Catholique, en collaboration avec les autres confessions religieuses, pourrait
constituer un autre « son de cloche » aux campagnes de
sensibilisation pro-préservatif qui ne sont souvent que des campagnes de
marketing en faveur de quelques firmes multinationales. Ces confessions
religieuses, qui jouissent d'une grande autorité morale et sociale au
Rwanda, pourraient donc contribuer à donner l'information
adéquate au sujet
220 Cf. Lettre des évêques Catholiques du Rwanda sur
la lutte contre le SIDA : « Hitamo Ubugingo ureke Urupfu », avril
2003, n. 11.
221 Cf. PAUL VI, Octogesima adveniens, 1971, n.4.
222 Cf. CATHOLIC BISHOPS OF KENYA, The AIDS Pandemic and Its
Impact on our people, Paulines Publications Africa, Nairobi, December
1999, p. 8.
des moyens de protection face au VIH/SIDA et influer sur le
changement des comportements.
Nous estimons aussi que, comme le déclarait le docteur
Dalil Boubakeur, recteur de l'institut musulman de la mosquée de Paris,
repris par la commission sociale de l'épiscopat de France en 1996,
« il n'est plus question que le religieux se cantonne dans une
attitude moralisatrice, ni de se contenter d'énoncer des permis ou des
interdits comme seul système représentant l'attitude spirituelle
et humaniste aujourd'hui223. » C'est dans ce sens que nous
nous félicitons de la prise de position commune prise en avril 2002 par
les évêques Catholiques du Rwanda avec les pasteurs des
églises Protestantes dans le cadre de la lutte contre le SIDA. Dans
cette déclaration commune, les autorités ecclésiastiques
Catholiques et Protestantes du Rwanda, s'engagent à renforcer leur
collaboration avec toutes les instances compétentes pour la lutte contre
le SIDA, en particulier avec celles qui s'occupent de l'éducation de la
jeunesse ; elles s'engagent aussi à établir des bureaux de lutte
contre le SIDA au niveau des diocèses, à encourager et
recommander la fréquentation des centres de conseil et de
dépistage volontaire (VCT) ainsi que le dépistage
sérologique volontaire de la population, en particulier pour ceux qui
veulent se marier224. Outre à ces recommandations, les
pasteurs des églises chrétiennes s'engagent à venir en
aide, en collaboration avec le secteur public, aux personnes vivant avec le
VIH/SIDA, aux malades du SIDA ainsi qu'aux familles pauvres affectées
par la perte des leurs à cause de la pandémie225. Ces
initiatives prises au niveau des églises sont louables et elles sont
à concrétiser. C'est un exemple de collaboration et communication
dans la lutte contre le SIDA et nous la considérons très
positive, surtout qu'elle contribue à lutter contre cette culture du
silence qui entoure très souvent la question du VIH/SIDA. Nous
considérons que, comme le rapportait un pasteur protestant lors d'une
rencontre oecuménique sur le VIH/SIDA en Afrique, « il nous
faut maintenant parler librement de cette maladie car pour nous ce n'est pas
une honte226. »
223 COMISSION SOCIALE DE L'EPISCOPAT, SIDA, la
société en question, Centurion, Paris, 1996, p. 120.
224 Lettre des évêques Catholiques du Rwanda sur la
lutte contre le SIDA : « Hitamo Ubugingo ureke Urupfu », Kigali,
avril 2003, n. 18.
225 Ibid.
226 Cf. WORLD COUNCIL OF CHURCHES, The Ecumenical response
to HIV/AIDS in Africa, Plan of Action, Global Consultation on the
Ecumenical response to challenge of HIV/AIDS in Africa, Nairobi, Kenya 25-28
November 2001, p.5.
Le secteur communautaire a donc un rôle de premier plan
dans la lutte contre le SIDA et dans l'arrêt de son expansion à
tous les niveaux. Soutenues concrètement par les secteurs public et
privé ainsi que par les structures de coordination, ce secteur peut
jouer un rôle important dans le changement de la tendance de
l'épidémie, à travers l'information (radio,
télévision, journaux, Internet, etc.), l'éducation
(parents, éducation des pairs, club des jeunes, paroisses,
écoles, etc.), la communication (sites de conseil et dépistage
volontaire) et la prise en charge des personnes infectées et
affectées par le VIH/SIDA (nutrition, soutien psychosocial, soins de
santé, accompagnement spirituel, etc.)
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