2. Propositions
Après avoir vu les répercussions sociales de
l'épidémie du VIH/SIDA, qui reprennent pour beaucoup les
conséquences que nous avions déjà constatées au
niveau économique, nous allons à présent faire des
propositions pour la lutte contre le VIH/SIDA au Rwanda. Si nous reprenons ici
les paroles de Jean-Paul II, c'est pour exprimer, encore une fois,
notre refus de séparer l'économique de l'humain,
car « aujourd'hui plus que par le
passépeut-être, on reconnaît plus clairement la
contradiction intrinsèque d'un développement
limité au seul aspect économique. Il
subordonne facilement la personne humaine et ses besoins les plus profonds aux
exigences de la planification économique ou du profit
exclusif207. » Nos propositions s'inspirent des trois
principes clés de l'enseignement social de l'Eglise Catholique, à
savoir les principes de responsabilité, de subsidiarité et de
solidarité. Nous estimons que ces principes peuvent animer et orienter
les différentes actions du secteur public, privé et
communautaire, sans oublier les initiatives au niveau international. C'est
à ces quatre niveaux que nous situerons nos propositions en partant
chaque fois des initiatives qui existent déjà, mais qui sont
à renforcer. Nous recommandons une approche visant à combattre
toute forme de marginalisation et de pauvreté qui sont les causes, comme
nous l'avons constaté, de la progression de l'épidémie du
VIH/SIDA dans le monde et au Rwanda. Il s'agit d'une approche transectorielle
qui traverse toutes les sphères de la vie nationale et qui rallie les
connaissances pour combattre un ennemi commun, le VIH/SIDA, ennemi qui risque,
s'il n'est pas déjà en train de le faire, d'hypothéquer le
futur du Rwanda.
2.1 Au niveau du secteur public
Des l'apparition du VIH/SIDA au Rwanda, notamment lors de la
déclaration des premiers cas en 1983, les autorités publiques ont
commencé à mettre sur pied des projets et des actions pouvant
lutter contre la nouvelle inconnue. Mais la progression qu'a connu
207 JEAN-PAUL II, Sollicitudo rei socialis, 1987, n.
33.
l'épidémie dans la suite, a prouvé qu'une
action encore plus intensifiée devrait être entreprise par les
hautes autorités du pays.
En 1987 fut créé le Programme National de Lutte
contre le SIDA (PNLS). Ce dernier, comme nous le faisions remarqué au
premier chapitre, s'est surtout occupé de la sphere médicale. Son
premier plan d'action (1988-1992) était axé, en effet, sur la
transfusion sanguine, la surveillance épidémiologique et les
enquêtes CAP (Connaissances, Attitudes et Pratiques) et
périnatales ; elle commençait à prévoir la
sensibilisation nationale à la réalité du VIH/SIDA. Les
années qui suivirent, furent caractérisées par une
difficulté d'organiser la lutte contre le SIDA à cause de la
guerre du début des années 1990 et le génocide en 1994.
Après plusieurs étapes de réorganisation, par le
gouvernement, du plan stratégique de lutte contre le SIDA, on est
arrivé à l'élaboration d'un cadre stratégique
(2002-2006) et à la mise sur pied d'un plan multisectoriel (2002-2006)
mis sous la responsabilité de la CNLS qui a de ce fait remplacé
le PNLS208.
Le Ministère de la santé (MINISANTE) qui avait
la tutelle du PNLS, s'est particulièrement investi dans la lutte contre
le SIDA en organisant, depuis 1987, plusieurs programmes, et depuis novembre
2000, des programmes avec la CNLS. Ces programmes consistent essentiellement en
la formation du personnel sanitaire en matière de VIH/SIDA, la prise en
charge médicale des personnes vivant avec le VIH/SIDA et les campagnes
de sensibilisation dans tout le pays209. Dans le cadre des
programmes du MINISANTE, il nous semble important de rappeler l'effort que le
gouvernement a fourni pour la réduction du prix des traitements
antirétroviraux et celui de l'augmentation des centres de conseil et
dépistage volontaire (VCT). Le rapport du MINISANTE 2001 rapportait en
effet que le nombre des sites VCT n'a cessé d'augmenter, passant de 4
sites en 1997, à 22 à la fin de l'année
2001210.
D'autres Ministères se sont aussi impliqués en
développant des programmes de lutte contre le VIH/SIDA. C'est notamment
le cas du Ministère de la défense (MINADEF) avec un programme
pour les militaires, le Ministère de l'éducation (MINEDUC) avec
des programmes et manuels pour les écoles, le Ministère de la
jeunesse, sport et loisir
208 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS),
Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006,
Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002,
pp. 52-53.
209 Ibid., p. 53.
210 Cf. MINISTERE DE LA SANTE, Rapport annuel 2001,
République Rwandaise, mars 2002.
(MIJESPOC) avec des activités auprès des jeunes.
Cependant, il faut aussi faire remarquer, comme le constate la CNLS, que
d'autres Ministères n'ont pas encore développé des
programmes de lutte contre le SIDA, bien que certains d'entre eux se soient
impliqués de manière indirecte dans la lutte contre le VIH/SIDA.
C'est le cas du Ministère du Genre et de la promotion de la femme
(MIGEPROFE) qui a organisé deux études CAP sur la prostitution et
les questions de Genre dans la société rwandaise, le
Ministère de l'administration locale et des affaires sociales (MINALOC)
qui a intégré la sensibilisation dans ses services sociaux et qui
apporte un soutien matériel et nutritionnel à des groupes
d'orphelins du SIDA, et le Ministère de la fonction publique et du
travail (MIFOTRA) qui continue à faire soigner les travailleurs malades
et à leur verser leur salaire jusqu'au
décès211. Il faut ajouter, parmi les initiatives au
niveau du secteur public, la création récente d'un
Ministère d'État chargé du VIH/SIDA et d'autres maladies
infectieuses.
On voit bien que la lutte contre le VIH/SIDA a une importance
non-négligeable pour le secteur public au Rwanda, notamment avec la
création de la CNLS, comme organe de coordination de lutte contre le
VIH/SIDA qui dépend directement de la présidence de la
république. Cependant, nous estimons que le leadership des
autorités publiques n'est pas encore suffisamment incisif pour
entraîner des changements dans la progression de
l'épidémie, comme cela a été le cas en Ouganda. En
effet, les bons résultats enregistrés par l'Ouganda et le
Sénégal ont reposé principalement sur la prise de position
et l'engagement fort des autorités publiques qui n'ont pas
lésiné devant les moyens de lutter contre le SIDA, et cela en
collaboration avec différentes forces sociales locales et
internationales.
C'est pourquoi nous proposons que toutes les instances
gouvernementales puissent s'impliquer de manière explicite dans la lutte
contre le VIH/SIDA, notamment tous les Ministères de l'exécutif.
Il est par exemple étonnant, vu la menace que l'épidémie
apporte au secteur primaire de l'économie, que le Ministère de
l'agriculture ne développe pas un programme spécifique pour son
secteur, que le Ministère des finances et de la planification
économique, ne mette pas explicitement la lutte contre le VIH/SIDA parmi
les premiers objectifs de la lutte contre la pauvreté et la «
vision 2020 », que le Ministère des infrastructures ne s'implique
pas dans la lutte, que le Ministère de la justice n'intervienne pas dans
la mesure où le problème du SIDA affecte les droits humains ainsi
que la
211 Ibid., p. 54.
nombreuse population carcérale séropositive. Il
est également étonnant que le Ministère des affaires
étrangères ne s'implique pas dans la négociation des
traitements anti-SIDA meilleurs marchés ou dans la coopération
internationale pour obtenir du personnel de formation qualifié et autres
nouvelles technologies capables de rendre plus efficaces les programmes
existants. Ce ne sont là que quelques exemples pour montrer que chaque
Ministère a un rôle important à jouer dans la mise sur pied
d'une stratégie nationale de lutte contre le SIDA car, comme nous
l'avons vu dans le deuxième chapitre et au niveau des incidences
sociales, tous les secteurs de la vie nationale sont touchés et donc
menacés. Nous pensons alors que la lutte contre l'épidémie
devrait clairement faire partie des priorités de l'exécutif et
qu'un Ministère d'État ne suffit pas pour résoudre les
problèmes causés par la pandémie SIDA au Rwanda. Il
faudrait vraiment insérer la lutte contre le VIH/SIDA à tous les
niveaux, en faire une priorité commune du gouvernement.
Tout en intervenant pour arrêter
l'épidémie du VIH/SIDA et prévenir son ultérieure
expansion, le gouvernement devrait veiller à décentraliser son
action et à développer les milieux ruraux en adoptant une
stratégie de développement rural intégré qui
favorise les groupes intermédiaires comme les coopératives, qui
crée des nouvelles infrastructures et qui garantit l'accès
à l'information. Il nous semble que l'action du gouvernement gagnera
encore en efficacité dans la mesure où, dans sa lutte contre le
SIDA, elle intégrera toutes les provinces et collaborera avec la
société civile. Il s'agit au fond de tenir compte du principe de
subsidiarité. Nous pensons aussi que le gouvernement devrait revoir sa
politique économique et fiscale actuelle en tenant compte du fait que le
VIH/SIDA représente un cas d'urgence pour la société
rwandaise. Il y a des grands défis à affronter et on risque de
faire des choix inopportuns pendant qu'il y a des énormes besoins
sociaux à satisfaire et une épidémie de grande envergure
à combattre. Aussi nous estimons que le gouvernement doit d'abord
investir dans les personnes, dans les ressources humaines, car, comme disait
Bernard Lonergan, « celui qui guérit est essentiellement un
réformateur : avant tout et surtout il fait confiance au meilleur qu'il
y a dans l'homme212. » A notre avis, la
clé de la lutte efficace contre l'impact du VIH/SIDA se trouve
précisément dans une politique qui promeut la
responsabilité de l'homme et sa solidarité avec ses pairs. C'est
dans ce même sens que le Ministre de l'agriculture et de la terre de
l'Afrique du Sud, Angela Thoko Didiza, avait déclaré que l'on
doit certes investir en infrastructures, mais
212 B. LONERGAN, «Guarigione e creatività nella
storia», in La Civiltà Cattolica, 15 settembre 2001,
p.503.
que l'on doit - et nous ajoutons surtout - investir en ressources
et capacités humaines. En effet, c'est seulement ainsi que l'on peut
investir pour le futur213.
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