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VIH/sida: défi au développement de l'Afrique. Une étude de l'impact économique et social de la pandémie au Rwanda

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par Michel Segatagara KAMANZI
Université pontificale grégorienne - Licence en sciences sociales 2003
  

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2. Propositions

Après avoir vu les répercussions sociales de l'épidémie du VIH/SIDA, qui reprennent pour beaucoup les conséquences que nous avions déjà constatées au niveau économique, nous allons à présent faire des propositions pour la lutte contre le VIH/SIDA au Rwanda. Si nous reprenons ici les paroles de Jean-Paul II, c'est pour exprimer, encore une fois,

notre refus de séparer l'économique de l'humain, car « aujourd'hui plus que par le passépeut-être, on reconnaît plus clairement la contradiction intrinsèque d'un développement

limité au seul aspect économique. Il subordonne facilement la personne humaine et ses besoins les plus profonds aux exigences de la planification économique ou du profit exclusif207. » Nos propositions s'inspirent des trois principes clés de l'enseignement social de l'Eglise Catholique, à savoir les principes de responsabilité, de subsidiarité et de solidarité. Nous estimons que ces principes peuvent animer et orienter les différentes actions du secteur public, privé et communautaire, sans oublier les initiatives au niveau international. C'est à ces quatre niveaux que nous situerons nos propositions en partant chaque fois des initiatives qui existent déjà, mais qui sont à renforcer. Nous recommandons une approche visant à combattre toute forme de marginalisation et de pauvreté qui sont les causes, comme nous l'avons constaté, de la progression de l'épidémie du VIH/SIDA dans le monde et au Rwanda. Il s'agit d'une approche transectorielle qui traverse toutes les sphères de la vie nationale et qui rallie les connaissances pour combattre un ennemi commun, le VIH/SIDA, ennemi qui risque, s'il n'est pas déjà en train de le faire, d'hypothéquer le futur du Rwanda.

2.1 Au niveau du secteur public

Des l'apparition du VIH/SIDA au Rwanda, notamment lors de la déclaration des premiers cas en 1983, les autorités publiques ont commencé à mettre sur pied des projets et des actions pouvant lutter contre la nouvelle inconnue. Mais la progression qu'a connu

207 JEAN-PAUL II, Sollicitudo rei socialis, 1987, n. 33.

l'épidémie dans la suite, a prouvé qu'une action encore plus intensifiée devrait être entreprise par les hautes autorités du pays.

En 1987 fut créé le Programme National de Lutte contre le SIDA (PNLS). Ce dernier, comme nous le faisions remarqué au premier chapitre, s'est surtout occupé de la sphere médicale. Son premier plan d'action (1988-1992) était axé, en effet, sur la transfusion sanguine, la surveillance épidémiologique et les enquêtes CAP (Connaissances, Attitudes et Pratiques) et périnatales ; elle commençait à prévoir la sensibilisation nationale à la réalité du VIH/SIDA. Les années qui suivirent, furent caractérisées par une difficulté d'organiser la lutte contre le SIDA à cause de la guerre du début des années 1990 et le génocide en 1994. Après plusieurs étapes de réorganisation, par le gouvernement, du plan stratégique de lutte contre le SIDA, on est arrivé à l'élaboration d'un cadre stratégique (2002-2006) et à la mise sur pied d'un plan multisectoriel (2002-2006) mis sous la responsabilité de la CNLS qui a de ce fait remplacé le PNLS208.

Le Ministère de la santé (MINISANTE) qui avait la tutelle du PNLS, s'est particulièrement investi dans la lutte contre le SIDA en organisant, depuis 1987, plusieurs programmes, et depuis novembre 2000, des programmes avec la CNLS. Ces programmes consistent essentiellement en la formation du personnel sanitaire en matière de VIH/SIDA, la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH/SIDA et les campagnes de sensibilisation dans tout le pays209. Dans le cadre des programmes du MINISANTE, il nous semble important de rappeler l'effort que le gouvernement a fourni pour la réduction du prix des traitements antirétroviraux et celui de l'augmentation des centres de conseil et dépistage volontaire (VCT). Le rapport du MINISANTE 2001 rapportait en effet que le nombre des sites VCT n'a cessé d'augmenter, passant de 4 sites en 1997, à 22 à la fin de l'année 2001210.

D'autres Ministères se sont aussi impliqués en développant des programmes de lutte contre le VIH/SIDA. C'est notamment le cas du Ministère de la défense (MINADEF) avec un programme pour les militaires, le Ministère de l'éducation (MINEDUC) avec des programmes et manuels pour les écoles, le Ministère de la jeunesse, sport et loisir

208 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, pp. 52-53.

209 Ibid., p. 53.

210 Cf. MINISTERE DE LA SANTE, Rapport annuel 2001, République Rwandaise, mars 2002.

(MIJESPOC) avec des activités auprès des jeunes. Cependant, il faut aussi faire remarquer, comme le constate la CNLS, que d'autres Ministères n'ont pas encore développé des programmes de lutte contre le SIDA, bien que certains d'entre eux se soient impliqués de manière indirecte dans la lutte contre le VIH/SIDA. C'est le cas du Ministère du Genre et de la promotion de la femme (MIGEPROFE) qui a organisé deux études CAP sur la prostitution et les questions de Genre dans la société rwandaise, le Ministère de l'administration locale et des affaires sociales (MINALOC) qui a intégré la sensibilisation dans ses services sociaux et qui apporte un soutien matériel et nutritionnel à des groupes d'orphelins du SIDA, et le Ministère de la fonction publique et du travail (MIFOTRA) qui continue à faire soigner les travailleurs malades et à leur verser leur salaire jusqu'au décès211. Il faut ajouter, parmi les initiatives au niveau du secteur public, la création récente d'un Ministère d'État chargé du VIH/SIDA et d'autres maladies infectieuses.

On voit bien que la lutte contre le VIH/SIDA a une importance non-négligeable pour le secteur public au Rwanda, notamment avec la création de la CNLS, comme organe de coordination de lutte contre le VIH/SIDA qui dépend directement de la présidence de la république. Cependant, nous estimons que le leadership des autorités publiques n'est pas encore suffisamment incisif pour entraîner des changements dans la progression de l'épidémie, comme cela a été le cas en Ouganda. En effet, les bons résultats enregistrés par l'Ouganda et le Sénégal ont reposé principalement sur la prise de position et l'engagement fort des autorités publiques qui n'ont pas lésiné devant les moyens de lutter contre le SIDA, et cela en collaboration avec différentes forces sociales locales et internationales.

C'est pourquoi nous proposons que toutes les instances gouvernementales puissent s'impliquer de manière explicite dans la lutte contre le VIH/SIDA, notamment tous les Ministères de l'exécutif. Il est par exemple étonnant, vu la menace que l'épidémie apporte au secteur primaire de l'économie, que le Ministère de l'agriculture ne développe pas un programme spécifique pour son secteur, que le Ministère des finances et de la planification économique, ne mette pas explicitement la lutte contre le VIH/SIDA parmi les premiers objectifs de la lutte contre la pauvreté et la « vision 2020 », que le Ministère des infrastructures ne s'implique pas dans la lutte, que le Ministère de la justice n'intervienne pas dans la mesure où le problème du SIDA affecte les droits humains ainsi que la

211 Ibid., p. 54.

nombreuse population carcérale séropositive. Il est également étonnant que le Ministère des affaires étrangères ne s'implique pas dans la négociation des traitements anti-SIDA meilleurs marchés ou dans la coopération internationale pour obtenir du personnel de formation qualifié et autres nouvelles technologies capables de rendre plus efficaces les programmes existants. Ce ne sont là que quelques exemples pour montrer que chaque Ministère a un rôle important à jouer dans la mise sur pied d'une stratégie nationale de lutte contre le SIDA car, comme nous l'avons vu dans le deuxième chapitre et au niveau des incidences sociales, tous les secteurs de la vie nationale sont touchés et donc menacés. Nous pensons alors que la lutte contre l'épidémie devrait clairement faire partie des priorités de l'exécutif et qu'un Ministère d'État ne suffit pas pour résoudre les problèmes causés par la pandémie SIDA au Rwanda. Il faudrait vraiment insérer la lutte contre le VIH/SIDA à tous les niveaux, en faire une priorité commune du gouvernement.

Tout en intervenant pour arrêter l'épidémie du VIH/SIDA et prévenir son ultérieure expansion, le gouvernement devrait veiller à décentraliser son action et à développer les milieux ruraux en adoptant une stratégie de développement rural intégré qui favorise les groupes intermédiaires comme les coopératives, qui crée des nouvelles infrastructures et qui garantit l'accès à l'information. Il nous semble que l'action du gouvernement gagnera encore en efficacité dans la mesure où, dans sa lutte contre le SIDA, elle intégrera toutes les provinces et collaborera avec la société civile. Il s'agit au fond de tenir compte du principe de subsidiarité. Nous pensons aussi que le gouvernement devrait revoir sa politique économique et fiscale actuelle en tenant compte du fait que le VIH/SIDA représente un cas d'urgence pour la société rwandaise. Il y a des grands défis à affronter et on risque de faire des choix inopportuns pendant qu'il y a des énormes besoins sociaux à satisfaire et une épidémie de grande envergure à combattre. Aussi nous estimons que le gouvernement doit d'abord investir dans les personnes, dans les ressources humaines, car, comme disait Bernard Lonergan, « celui qui guérit est essentiellement un réformateur : avant tout et surtout il fait confiance au meilleur qu'il y a dans l'homme212. » A notre avis, la clé de la lutte efficace contre l'impact du VIH/SIDA se trouve précisément dans une politique qui promeut la responsabilité de l'homme et sa solidarité avec ses pairs. C'est dans ce même sens que le Ministre de l'agriculture et de la terre de l'Afrique du Sud, Angela Thoko Didiza, avait déclaré que l'on doit certes investir en infrastructures, mais

212 B. LONERGAN, «Guarigione e creatività nella storia», in La Civiltà Cattolica, 15 settembre 2001, p.503.

que l'on doit - et nous ajoutons surtout - investir en ressources et capacités humaines. En effet, c'est seulement ainsi que l'on peut investir pour le futur213.

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