1.2 Au niveau de la condition féminine
L'épidémie du VIH/SIDA a mis au grand jour le
problème du Genre179, les inégalités sociales
qui existent entre les hommes et les femmes. En effet, comme le constate
Eleonora Masini, les femmes sont souvent marginalisées en termes
d'emploi et de qualité de vie180 ; elles ne jouissent pas des
mêmes opportunités socioéconomiques que les hommes. Au
Rwanda, ces différences sont assez significatives. Par exemple, en 2002,
au niveau de l'instruction, le taux d'alphabétisation des femmes
était estimé à 60,2% tandis que celui des hommes est de
73,7%181. Au niveau de l'occupation, le Ministère du
commerce, de l'industrie et du tourisme, rapportait, selon ses estimations de
l'année 1999, que sur 24 603 employés, 2 174 étaient des
femmes 182. Les femmes ont donc peu « de voix au chapitre
» et, comme l'affirmait le rapport du PNUD sur le développement
humain 2002, « si les femmes sont moins bien loties sous de multiples
aspects du développement humain, c'est notamment parce que leur voix se
fait moins entendre que celle des hommes dans les décisions qui
déterminent leur existence183. »
Cependant, du côté du secteur informel, qui joue
un rôle non négligeable dans l'ensemble de l'économie
rwandaise, notamment à travers les activités commerciales et
artisanales, les femmes sont bien représentées. Le secteur
primaire, notamment avec l'agriculture, est aussi porté par les femmes.
De même, au niveau des ménages, les femmes jouent un rôle de
premier plan ; en effet, on estime environ que 36% des ménages rwandais
sont dirigés par les femmes seules184.
Au niveau juridique, le statut de la femme rwandaise est de
droit égal à celui de l'homme ; mais, au niveau social, il est en
fait inférieur à celui de l'homme. « Malgré les
changements introduits dans le code de la famille du Rwanda, notamment en
matière de propriété, beaucoup de Rwandais se
réfèrent encore à la coutume pour refuser aux
femmes
179 Le terme « Genre » sera utilisé ici comme
traduction littéraire du terme anglais « Gender »,
utilisé pour décrire les questions liées aux
différents sexes, en particulier à celui des femmes. Plus
spécifiquement, il se réfère aux problèmes
posés par le statut et le rôle qu'occupe les femmes dans la
société.
180 Cf. E.B. MASINI, « Limits to Sustainability in
Sustainable and Equitable Development », in The 50th
anniversary of the United Nations and the Italian contribution toward the
realization of the «Earth Charter», Accademia Nazionale delle
Scienze, Roma, 1998, pp. 93-94.
181 Cf. PNUD, Indicateurs du Développement Humain 2002.
182 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION ECONOMIQUE,
Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 22.
183 PNUD, Rapport mondial sur le Développement Humain
2002, De Boeck, Bruxelles, 2002, p.23.
184 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS),
Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006,
Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002,
p.23.
le droit de propriété sur le bétail, sur
la terre et sur la gestion des fruits de leur labeur185.
»
Cette situation d'inégalité flagrante est
d'autant plus préoccupante qu'environ 52,3% de la population rwandaise
est féminine. Cette tranche de la population, vulnérable au
VIH/SIDA pour des raisons évoquées au premier chapitre, est
effectivement la plus touchée par l'épidémie. A la base
des problèmes de la condition féminine, se trouve certainement le
statut social inférieur attribué à la femme. « Ce
statut influence directement la possibilité de prise de décision
dans les domaines importants comme la santé (dépistage,
traitement des IST, contraception, etc.) où seulement 23% des femmes en
union peuvent prendre des décisions concernant leur propre santé
alors que dans 48% des cas, c'est le mari seul qui a le dernier mot. La
majorité des filles célibataires (52%) voient les
décisions sur leur santé prises par quelqu'un d'autres sans les
consulter186.» Cette situation fait que
l'épidémie du VIH/SIDA touche plus les femmes que les hommes. On
peut le constater facilement en se référant au tableau des
projections sur le VIH/SIDA au Rwanda reporté plus-haut et au rapport de
l'ONUSIDA 2002, qui mentionnait que sur un total de 430 000 adultes vivant avec
le VIH/SIDA au Rwanda, 250 000 étaient des femmes187.
Il nous faut aussi rappeler que le génocide de 1994 a
constitué un facteur aggravant de l'épidémie du VIH/SIDA
dans le pays et que les femmes en ont été les principales
victimes. Une enquête menée par l'association des veuves du
génocide (AVEGA) démontre bien cela. Cette étude, qui a
été faite sur une population limitée à 1125 femmes
violées pendant le génocide de 1994, a
révélé que sur ces 1125 veuves testées, 70%
étaient infectées du VIH/SIDA188. Sachant que des
nombreuses femmes ont été violées pendant le
génocide de 1994, on peut imaginer combien cette tragédie a
contribué à la contamination de nombreuses d'entre elles.
185 Ibid., p. 22.
186 Ibid., p. 23.
187 Cf. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie
mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juillet 2002, p. 196.
188 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS),
Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006,
Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002,
p. 42. Voir aussi l'article paru récemment sur New York Times
Magazine : PETER LANDESMAN, « A woman's work », 15 septembre
2002, paru aussi sur la revue Internazionale, « Lo stupro come
arma di guerra,», 13/19 dicembre 2002, pp.28-36.
Les différents éléments et
données, que nous venons de voir brièvement, montrent
l'importance de l'impact du VIH/SIDA sur la condition féminine et la
grande vulnérabilité des femmes par rapport à cette
épidémie.
Nous considérons par conséquent que le
changement du cours de l'épidémie est en grande partie
liée à l'importance qu'on accordera aux femmes, et aux moyens
qu'on leur donnera pour prendre en main leur avenir et assurer leur protection
elles-mêmes. Cela passe nécessairement, à notre avis, par
le relèvement de leur niveau d'éducation et la sensibilisation
des hommes aux problèmes du Genre. Nous estimons que le cadre juridique
et institutionnel rwandais, qui a déjà fait beaucoup en faveur de
la femme, ne suffit pas. Il faudra des actions au niveau des communautés
locales grâce à la politique de décentralisation et
l'implication des nombreuses associations féminines qui sont en train de
devenir importantes au niveau de la société civile rwandaise. Il
faudrait qu'on arrive, comme on aime dire aujourd'hui, « to empower
women », pas seulement en termes de pouvoir de décision au
niveau public et institutionnel, mais aussi et surtout - ce qui nous semble le
plus important - en termes d'autorité et de pouvoir de décision
en ce qui concerne leur propre vie et leur foyer.
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