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VIH/sida: défi au développement de l'Afrique. Une étude de l'impact économique et social de la pandémie au Rwanda

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par Michel Segatagara KAMANZI
Université pontificale grégorienne - Licence en sciences sociales 2003
  

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CHAPITRE III
INCIDENCES SOCIALES ET PROPOSITIONS

Nous venons de voir l'impact économique du VIH/SIDA au Rwanda et la difficulté, éprouvée par certains économistes, d'accepter les répercussions macroéconomiques de l'épidémie. Toutes fois, comme nous l'avons signalé également, ces économistes ont fini par se rétracter en constatant les effets nocifs de la pandémie sur la société, même si ces effets ne transparaissaient pas dans les statistiques et autres indicateurs macroéconomiques. Certains experts, comme David Tarantola, que nous avons cité plus-haut, sont même allés plus loin en reconnaissant que les statistiques n'étaient plus indispensables pour démontrer les effets négatifs du VIH/SIDA sur l'économie. C'est donc à partir des incidences sociales de l'épidémie du VIH/SIDA que ces économistes ont changé d'avis. Ce sont, précisément, ces répercussions sociales que, dans un premier temps, nous voulons aborder en considérant seulement l'impact du SIDA sur trois niveaux de la réalité sociale : le niveau démographique, celui de la condition féminine et celui des droits humains. Dans un second temps, nous formulerons quelques propositions pour la lutte contre le VIH/SIDA au Rwanda, lutte que nous considérons comme prioritaire et urgente pour le développement « soutenable162» du pays. Dans le sillage du développement « soutenable », qui préconise de « protéger la nature, soutenir le bien-être économique et rendre la société plus juste163 », nous proposons une approche globale à la lutte contre le VIH/SIDA, approche qui inclut et traverse tous les secteurs de la vie nationale et internationale.

162 Nous préférons parler ici de « développement soutenable » plutôt que de « développement durable » comme cela est d'usage dans la littérature contemporaine. En effet, le terme durable nous semble ambiguë et, à notre avis, ne traduit pas exactement le concept de « sustainable development » comme énoncé en 1987 par la Commission Brundtland. Gilbert Rist fait un commentaire intéressant à ce sujet, Cf. G. RIST, Le Développement. Histoire d'une croyance occidentale, Presses des Sciences Po, Paris 1996, p. 294.

163 P. HENRICI, «Il senso del tempo e la società sostenibile», in La civiltà Cattolica, 4 gennaio 2003, p. 37.

1. Incidences sociales

1.1 Au niveau démographique

En nous référant au schéma suivi par le démographe Pedro Beltrão dans son étude sur l'écologie humaine164, nous considérerons trois niveaux de la variable démographique : la dynamique démographique, l'occupation territoriale, et le profil professionnel. En considérant ce niveau démographique, il nous faudra recourir à certaines informations déjà mentionnées précédemment et voir comment, en touchant directement la variable population (en causant la mort), le VIH/SIDA a des conséquences à tous les niveaux de la vie sociale et économique du pays.

1.1.1. La dynamique démographique

La menace apportée par le VIH/SIDA est essentiellement une menace de mort, autrement dit de diminution croissante de la population. En effet, en 1999, l'ONUSIDA estimait la population adulte vivant avec le VIH/SIDA au Rwanda à 370 000 et le nombre des décès dûs au SIDA étaient estimés à 40 000165. En 2001, 430 000 adultes vivaient avec le VIH/SIDA et le nombre des décès dûs au SIDA étaient passés à 49 000166. Pour l'année 2001, le nombre des décès à cause du SIDA représentent plus du quart des décès survenus durant l'année au Rwanda (156 000 décès selon les estimations du PRB167). La mortalité de la population adulte s'est ainsi accrue avec l'augmentation des infections du VIH/SIDA.

Aujourd'hui, de fait, après la malaria, le SIDA est devenu la deuxième cause de mortalitéau Rwanda168. Cette décroissance de la dynamique de la population se constate de manière

plus évidente dans la baisse du taux de croissance de la population, taux qui est passé de 2,5% (moyenne des années 1980-99) à 1,16% (estimation de l'année 2002)169.

Selon les projections du bureau de l'OMS Afrique, que nous reporterons dans la suite, la mortalité à cause du VIH/SIDA est destinée à augmenter dans les années qui

164 P.C. BELTRAO, Ecologia Umana e valori etico-religiosi, PUG, Roma, 1985, pp. 33-34.

165 Cf. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juin 2000.

166 Cf. ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/SIDA, Genève, Juillet 2002.

167 Cf. POPULATION REFERENCE BUREAU (PRB), 2001 World Population Data Sheet. Disponible sur Internet: < http://www.prb.org/pdf/Rwanda_Fr.pdf>

168 PNLS/MINISANTE, Définir les voies pour la prévention du VIH/SIDA : leçons apprises sur les aspects comportementaux, revue de la littérature dans la période post-génocide 1994-2000, novembre 2000, p. 2.

169 Selon les estimations du The World Factbook 2002. Disponible sur Internet :
< http://www.odci.gov/cia/publications/factbook/geos/rw.html>

viennent. Ces prévisions catastrophiques pour la société rwandaise, signifient que nous pourrions assister à un changement au niveau de la structure démographique de la population. En effet, le taux de dépendance augmenterait car la portion de la population âgée de 0 à14 ans et celle âgée de plus de 65 ans serait encore plus nombreuse que celle active, âgée de 15 à 64 ans. Cela voudrait dire aussi que les grands-parents devront s'occuper davantage de leurs petits-fils, en assurant leur nutrition, les soins de santé et l'éducation de ces derniers. Quand on sait que cette population vieille est minoritaire (environ 3% du total de la population) et qu'elle n'a plus les moyens, ne serait-ce que physiques, d'exercer des activités rémunératrices, on peut alors imaginer le poids économique et psychologique énorme que cette situation représenterait pour eux et pour toute la société. Il faut ici espérer que le système de sécurité sociale « traditionnelle ", c'est-à-dire la famille élargie, si elle n'est pas aussi touchée par le VIH/SIDA et si elle en a les moyens, pourra venir à la rescousse et soutenir le nombre croissant d'orphelins, sans oublier de venir en aide aux vieillards qui, pour la plupart, dépendent des revenus de leurs fils et filles.

On court donc le risque d'une augmentation massive des orphelins au Rwanda. Cette situation serait encore plus dramatique quand on sait que le nombre d'orphelins est déjà important. Comme nous l'avons déjà signalé, on évalue le nombre d'orphelins à 400 000 au Rwanda dont 95 000 à cause du SIDA170. On peut alors imaginer le poids que devra porter toute la société rwandaise pour subvenir aux différents besoins de ces jeunes qui sont, comme on aime le dire, « le Rwanda de demain ". Cette situation peut devenir encore plus tragique pour ceux qui se sentent abandonnés par leur communauté, et choisissent la rue comme moyen de survie.

La situation des jeunes orphelins en augmentation suite à l'augmentation de la mortalité adulte, représente à nos yeux, l'un des plus grands défis pour la société rwandaise dans son ensemble. Il faudra qu'à travers les valeurs de solidarité qui unissent les différentes communautés, l'on puisse arriver à faire jouer le capital social, compris ici à la manière de Pierre Bourdieu comme étant « les relations " ou le réseau des

170 COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, p. 23.

« connaissances »171, pour soutenir ces jeunes générations desquelles dépend la durée de la société rwandaise. Il est vrai que le capital social a été sérieusement fragilisé par les différents conflits et le génocide de 1994, mais nous estimons que cela est une raison de plus pour travailler à la réconciliation des rwandais en pensant aux générations futures.

Nous reportons, ci-dessous, les projections faites par le bureau de l'OMS/Afrique concernant l' évolution de l'épidémie du VIH/SIDA et le nombre des décès düs au SIDA au Rwanda pour la période allant de 1996 à 2010. Ces données peuvent mieux illustrer l'impact démographique de l'épidémie du VIH/SIDA au Rwanda et la menace qu'elle constitue pour l'avenir du pays. Il faut noter que ces projections ne sont pas des estimations exactes et qu'elles sont donc à considérer comme des tendances générales de l'évolution que pourrait avoir l'épidémie du VIH/SIDA au Rwanda.

171 Cf. Dicionnaire d'Économie et de Sciences Sociales, sous la direction de C.-D. Echaudemaison, Nathan, Paris, 1998, p. 45.

Projections du nombre de personnes infectées par le VIH ou décédées de suite du SIDA au Rwanda, 1996-2010172

Années

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Population séropositive (en milliers)

Femmes

113,83

148,21

168,42

180,49

192,25

209,38

221,15

232,93

250,63

269,11

282,20

295,01

314,61

348,13

369,76

Hommes

141,35

142,73

160,09

170,68

180,69

195,01

204,65

215,17

231,18

249,55

262,93

275,37

293,51

324,98

345,82

Total

255,18

290,94

328,51

351,17

372,94

404,39

425,70

448,10

481,81

518,66

545,13

570,38

608,12

673,11

715,58

Nouveaux cas de SIDA (en milliers)

Femmes

3,91

4,50

4,40

5,71

6,14

7,86

9,74

12,35

14,17

16,72

19,67

21,45

22,99

25,01

26,84

Hommes

4,09

4,71

4,66

5,07

5,83

6,37

7,92

9,60

11,67

13,87

16,38

18,88

20,60

22,69

24,86

Total

8,00

9,21

9,06

10,78

11,97

14,23

17,66

21,95

25,84

30,59

36,05

40,33

43,59

47,70

51,70

Naissances séropositives annuelles (en milliers)

Total

4,58

5,18

6,36

7,05

7,66

8,64

8,61

9,04

9,69

10,34

10,72

10,04

10,52

11,46

11,88

Décès annuels dus au SIDA (en milliers)

Femmes

3,11

3,91

4,84

5,25

6,10

7,34

9,04

11,32

13,42

15,51

18,28

20,62

22,27

24,05

25,96

Hommes

3,26

4,09

5,05

5,05

5,61

6,43

7,38

9,05

10,81

12,85

15,23

17,71

19,81

21,71

23,81

Total

6,37

8,00

9,89

10,30

11,71

13,77

16,42

20,37

24,23

28,36

33,51

38,33

42,08

45,76

49,77

Décès cumulatifs dus au SIDA (en milliers)

Femmes

3,11

7,02

11,86

17,11

23,20

30,34

39,58

50,90

64,32

79,82

98,10

118,72

140,99

165,04

191,00

Hommes

3,26

7,36

12,41

17,46

23,07

29,50

36,88

45,94

56,74

69,59

84,82

102,53

122,34

144,05

167,86

Total

6,37

14,38

24,27

34,57

46,27

59,84

76,46

96,84

121,06

149,41

182,92

221,25

263,33

309,09

358,86

Tableau ré-élaboré à partir des données du bureau régional de l'Organisation Mondiale de la Santé pour l'Afrique (OMS/AFRO) aoIit

2000173

172 Cf. COMMISSION NATIONALE DE LUTTE CONTRE LE SIDA (CNLS), Cadre stratégique national de lutte contre le SIDA 2002-2006, Présidence de la république Rwandaise, Kigali, avril 2002, pp 49-50.

173 Il faut noter que les projections sur le VIH/SIDA sont faites à partir de programmes d'informations intégrant plusieurs hypothèses théoriques et ne peuvent donc être considérées comme des données exactes. Il faut considérer que ces résultats peuvent varier énormément en fonction du poids donné à certains paramètres informationnels du modèle de projection. Ces données sont à prendre donc comme des tendances et des indications qui pourraient varier énormément selon le cours que connaîtra l'épidémie dans les années qui viennent.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams