INTRODUCTION
Il y a environ 20 ans, apparaissait une maladie étrange
et coriace qu'on nomma SIDA, Syndrome de l'Immunodéficience Acquise. Get
ensemble des signes et symptômes était difficile à saisir ;
et contre cette maladie, qui progressait à un rythme hallucinant, on ne
trouva aucun remède curatif. Le SIDA est d'autant plus particulier que,
à la différence des autres maladies, le virus qui le cause,
appelé Virus de l'Immunodéficience Humaine (VIH), connaît
une longue période d'incubation avant que la maladie ne se
déclare. Et une fois celle-ci déclarée, la personne
infectée est presque inéluctablement destinée à
mourir d'une maladie opportuniste dans les années qui suivent
l'infection.
L'on découvrit aussi que le VIH avait plusieurs
sous-types, qu'il se développait surtout dans les fluides du corps
humain et que c'est lors des échanges de ces fluides qu'il pouvait
être transmis d'une personne à une autre. On détecta que ce
virus ne résiste pas longtemps à l'air libre et qu'il se transmet
surtout lors des transfusions sanguines, injections intraveineuses, relations
sexuelles, grossesse et allaitement pour la contamination de l'enfant par la
mere. Dans les premieres années de son apparition, la maladie frappait
les prostituées, les personnes homosexuelles et les
héroïnomanes ; l'on crut alors que la maladie ne concernait que les
déviants sociaux et on lui infligea le cachet de maladie de la honte. Ge
dernier cachet contribua à véhiculer des idées
erronées sur le VIH/SIDA et les personnes qui en sont infectées,
et à favoriser une ultérieure progression de
l'épidémie qui, même si l'on s'évertuait à la
cacher, n'en continuait pas moins à sévir.
L'expansion mondiale, qu'elle connut dans les années
1980, fit prendre conscience que le SIDA n'a pas de frontière
assignable, ni sociale ni encore moins géographique. Il s'avéra
effectivement que ce sont les populations mobiles, notamment les routiers, les
commerçants, les travailleurs immigrés, touristes et autres
populations déplacées, qui contribuent surtout à sa
propagation dans le monde, et, plus particulièrement, en Afrique
subsaharienne où l'épidémie connaît la plus grande
expansion.
Au Rwanda, la maladie fut initialement perçue comme un
problème des gens de la ville. Mais très vite, elle se
répandit dans les milieux ruraux ; ce qui, encore une fois, prouve que
l'épidémie ne peut être contenue dans des limites
géographiques bien précises et qu'elle peut toucher tout le
monde. Comme dans d'autres pays de l'Afrique
subsaharienne, la maladie, qui se transmet surtout par la voie
hétérosexuelle, s'est diffusée rapidement dans la
population rwandaise et est devenue une véritable pandémie. En
effet, tandis que, en 1986, on comptait environ 150 000 sujets infectés
du VIH/SIDA au Rwanda, à la fin de l'année 2004, le programme
commun des Nations Unies sur le SIDA (ONUSIDA), estimait que, environ 250 000
rwandais (adultes et enfants) vivaient avec le VIH/SIDA. Cette progression
significative de l'épidémie montre que le Rwanda fait face
à une véritable catastrophe sanitaire comme, d'ailleurs,
l'ensemble du continent africain qui compte environ 66,1% du total des
infections mondiales, bien qu'il existe des différences significatives
entre les différents pays. L'Organisation Mondiale de la Santé
sonna l'alarme et l'ONUSIDA fut créé pour aider les
différents gouvernements à établir des programmes
nationaux de lutte contre le SIDA. Au Rwanda, le PNLS, Programme National de
Lutte contre le SIDA, fut créé en 1987. Le PNLS, qui faisait
partie du Ministère de la santé, établit plusieurs
programmes de prévention et de sensibilisation nationale face à
la progression du VIH/SIDA.
Il faut dire que, jusque-là, l'on considérait le
SIDA comme un problème de santé publique, comme cela était
le cas dans plusieurs autres pays. Mais, avec l'augmentation des
décès survenant surtout dans la population active, plus
touchée par l'épidémie, l'on commença à
percevoir le danger d'une catastrophe démographique. Il aura donc fallu
du temps pour que l'on comprenne que le SIDA est une maladie complexe dont les
effets dépassent la sphère strictement sanitaire et qui, par ses
causes et conséquences, constitue un réel problème de
développement et une menace pour la survie de l'économie et de la
société rwandaise dans son ensemble. On commença
timidement à se rendre compte que, par sa progression, le VIH/SIDA avait
un réel impact économique et social sur le pays. Les premieres
études sur cet aspect de l'épidémie n'eurent lieu que vers
le début des années 1990, pendant que la maladie avait
déjà fait ses ravages. Durant cette même période, le
Rwanda vivait la plus dure épreuve de son histoire : la guerre
déclenchée en 1990 et le génocide perpétré
en 1994. En particulier, le génocide, qui se consomma dans
l'indifférence totale de la communauté internationale, aggrava la
situation économique et sociale du pays, et contribua aussi à la
diffusion de l'épidémie dans la population, notamment avec les
viols des femmes et le déplacement massif des populations.
Lorsque, après le génocide de 1994, on s'avisa
que l'épidémie, loin de se réduire uniquement à un
problème de santé publique, constituait un danger pour le
développement
et la reconstruction du pays, le gouvernement créa, en
2001, une structure de coordination multisectorielle, la CNLS, qui avait, entre
autres, comme objectif d'étudier l'impact économique et social du
VIH/SIDA sur le pays. A la suite de cette prise de conscience, le
Ministère des finances et de la planification économique
introduisit la lutte contre le VIH/SIDA dans les objectifs de sa
stratégie de lutte contre la pauvreté et dans son programme de
développement à long terme, appelé « vision 2020 ".
Toutefois, bien que l'on fît un pas non négligeable, on confina,
là aussi, le VIH/SIDA dans les priorités sanitaires avec la
malaria, premiere cause de mortalité au Rwanda. C'en ft de même
pour le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique, NEPAD,
plan de développement de l'Afrique par l'Afrique, qui, tout en
reconnaissant qu'il restera impossible de véritablement mettre en valeur
les ressources humaines du continent si l'épidémie n'est pas
éradiquée, la plaça seulement au nombre des actions
prioritaires pour la promotion de la santé en Afrique.
Pour notre part, la pandémie du VIH/SIDA au Rwanda et,
en général, en Afrique est véritablement un
problème de développement humain, qui touche tous les secteurs de
la vie nationale : l'économique, le social, le culturel aussi bien que
le politique. Comme nous nous proposons de le démontrer dans cette
étude, nous pensons que les causes et les conséquences de cette
maladie induisent suffisamment à établir l'existence d'une
corrélation négative entre son expansion et le
développement intégral de la société. Bien que
notre propos soit principalement de nous limiter à l'impact
économique et social de l'épidémie au Rwanda, il nous a
paru utile de situer la question dans le contexte beaucoup plus global de
l'Afrique subsaharienne et, dans une moindre mesure, dans le contexte mondial.
Effectivement, le SIDA a, dans chaque pays, sa façon propre d'honorer le
phénomène de la mondialisation.
Pour analyser les implications économiques et sociales
de la pandémie SIDA au Rwanda, nous recourrons au principe de «
triangulation " qui, pour la recherche en sciences sociales, associe les
méthodes quantitatives à celles qualitatives. Cette option
méthodologique est commandée par notre thèse, à
savoir que, dans le cadre de cette étude, nous entendons
considérer l'épidémie du VIH/SIDA comme un problème
en rapport avec l'économie du développement. Cette
dernière cherche à étudier l'économie des pays
pauvres, les problèmes du sous-développement , et les
défis des pays du « tiers monde " par une approche
interdisciplinaire. Elle vise aussi, face aux situations
socioéconomiques
souvent difficiles et complexes de ces pays, à proposer
des solutions adaptées aux différentes réalités.
Nous estimons que l'économie du développement offre une grille
intéressante pour aborder le problème du SIDA dans ses
conséquences économiques et sociales, conséquences qui
hypothèquent lourdement les efforts des décennies de
développement de nombreux pays pauvres dont le Rwanda. En adoptant, par
conséquent, le principe méthodologique de « triangulation
», notre dessein est de placer le SIDA dans la perspective des sciences
sociales, d'étudier les causes de son expansion au Rwanda, ses
conséquences actuelles et potentielles pour l'économie rwandaise,
et ses incidences sur toute la société dont elle menace le
progrès dans la durée.
Notre étude comprend trois chapitres. Le premier
décrit la réalité du VIH/SIDA et son expansion actuelle
dans le monde, en portant une attention particulière au continent
africain et, surtout, en se focalisant sur la situation concrète du
Rwanda, qui est le sujet même de notre recherche. Le deuxième
chapitre aborde les implications économiques de l'épidémie
du VIH/SIDA au Rwanda tant au niveau micro qu'au niveau macroéconomique.
Enfin, le troisième chapitre relève les répercussions de
l'épidémie sur la société en choisissant de
considérer uniquement trois dimensions de la réalité
sociale : la démographie, la condition féminine et les droits
humains. Nous terminons ce chapitre en proposant des pistes de solutions
à partir des actions et initiatives qui existent déjà au
niveau local avec la collaboration internationale des différents
bailleurs de fonds et organismes internationaux.
Nous nous rendons compte que le défi est de taille et
qu'il dépasse les moyens humains et financiers dont le pays dispose.
Aussi avons-nous le sentiment que cette étude est peut-être trop
prétentieuse devant une réalité aussi complexe. Mais
faudrait-il attendre encore plus longtemps pour tirer, encore plus fort, la
sonnette d'alarme quand plusieurs familles rwandaises et africaines connaissent
déjà des situations dramatiques à cause du VIH/SIDA, et,
que les pauvres s'appauvrissent davantage? Faudrait-il attendre des
statistiques plus significatives pour renforcer l'action et impliquer tous les
secteurs de la vie nationale et internationale? Allons-nous continuer à
jouer aux pompiers quand des signes annonciateurs d'une potentielle catastrophe
humanitaire pointent déjà à l'horizon ? Faudrait-il
continuer à enterrer les morts et à pleurer quand il existe des
moyens et des stratégies à tous les niveaux de la
société globale pour redonner espoir à des milliers de
personnes victimes de la pauvreté et du VIH/SIDA ? Faudrait-il continuer
à louer les
bienfaits du « village global » quand on sait que
les exclus de ses bienfaits sont nombreux et que le fossé entre riches
et pauvres, tant au niveau national qu'international, se creuse davantage ?
Faut-il rester indifférent face au SIDA qui menace toute la
société, et qui devient, de plus en plus, le syndrome de la
marginalisation éthique, économique et sociale des femmes et des
hommes de notre temps ?
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