Chapitre V : Typologie et portraits des femmes
criminelles.
1) Portrait des femmes criminelles.
« Entraîneuse de bar, chanteuse de night-clubs,
maîtresse richement entretenue ou tout simplement épouse
ambitieuse et atteinte de spleen, elle vit dans l'excès et s'habille
loin des normes de la modestie, en soulignant son allure garçonne ou en
accentuant sa féminité. Elle représente le mythe
éternel de la femme, menace pour l'homme et agent de destruction. Elle
incarne la mort. Le film noir célèbre la femme dans tout
l'éclat de sa beauté, images idéalisées qui
expriment la haine de l'homme contre cette incarnation d'une sexualité
insatiable. Le héros répond aux premières avances et sa
vie devient un cauchemar. Qu'elle soit une force positive ou négative,
la femme est le passé de l'homme. Les apparences sont trompeuses, le
dédoublement de la personnalité (ange ou démon ?) et le
jeu du mensonge sont symbolisés par les portraits et les miroirs dont le
film noir fait grand usage et qui signifient un monde fragmenté,
oscillant sans cesse entre l'apparence et la réalité.
»105
Maintenant que les fantasmes des hommes et l'impact de leurs
émotions ont été cernés, il semble
nécessaire de faire le point sur les personnages des femmes criminelles
étudiées dans de travail de recherche.
Dans l'ouvrage de Michel Cieutat, il est intéressant de
remarquer qu'il dresse le portrait des femmes selon leur apparence physique, et
en particulier la couleur de leurs cheveux.
Pour la « brune », il cite plusieurs exemples dont :
« (...) Gene Tierney dans Leave Her to Heaven... Sa
chevelure évoque le noir de la nuit, la nuit des coucheries satanesques,
les ténèbres de l'immortalité et de la mort. »106
Pour la « blonde », il mentionne :
« Blonde comme les blés, blonde comme le soleil,
(...), la femme blonde est un paradis terrestre, (...). La blonde
n'échappe pas à l'inséparabilité des
contradictoires. Dans les années
trente, elle devient platinée, trop blonde pour
être vrai, au blond proche du blanc, couleur usuelle de l'innocence, mais
qui, ici, renvoie plutôt à la mort (...). Avec le film noir de la
décennie suivante, la blonde devint beaucoup plus pernicieuse, comme
Barbara Stanwyck (Double Indemnity), Lana Turner (The Postman
Always Rings Twice), Gaby Rodgers (Kiss Me Deadly), Rita
Hayworth (The Lady From Shanghai) : toutes essayèrent de
détruire ceux qu'elles approchaient et à plusieurs reprises y
parvenaient. L'action maléfique de ces femmes à la blondeur
aveuglante ne se limita à cette époque tourmentée (...) ;
Marilyn Monroe dans Niagara. (...). La blondeur peut donc être
traîtresse et le coup en est d'autant plus dur pour les Américains
qui ont toujours été fascinés par les effets de soleil
auroral et de lumière divine.»107
Le film noir prend un certain plaisir à pousser un trait
de caractère à l'extrême dans chacun de ses personnages
féminin.
C'est pourquoi, les femmes criminelles, sont souvent
manipulatrices, violentes, cruelles, voir cupides.
D'ailleurs, il faut noter que femmes criminelles et femmes
fatales sont souvent mises en corrélation.
Hors, les femmes fatales ne sont pas forcément des femmes
criminelles, comme par exemple Gene Tierney dans Laura et Rita
Hayworth dans Gilda.
Dans des deux films, les actrices poussent l'érotisme
à son comble (surtout dans Gilda), mais elles ne sont pas
criminelles, et ne sont donc pas comparables à une Marilyn Monroe dans
Niagara ou à une Barbara Stanwyck dans Assurance sur la
mort.
Alors que les femmes criminelles, quant à elles sont
toujours des femmes fatales.
Il semble important de dresser un portrait de chaque femme
criminelle des films étudiés dans ce travail de recherche.
Pour cela, il est intéressant de procéder par ordre
chronologique.
Mary Astor, dans Le faucon maltais de John Huston,
brune, les cheveux courts, est une femme très belle, et même si
elle met sait mettre son corps en valeur dans des robes particulièrement
collantes, elle reste tout de même assez sobre.
Elle est tres maligne et calculatrice, et fait preuve d'audace et
de culot en mentant à un si haut point à l'homme qu'elle engage
comme détective.
Elle sait user de son regard pour troubler et les hommes, et
semer le doute. C'est une femme forte, une femme de tête qui
s'avère être l'investigatrice de l'affaire.
Elle va tellement loin dans la séduction, que le
détective Sam Spade va tomber amoureux d'elle, mais à la
différence d'autres hommes, il saura rester terre à terre en ne
suivant pas que ses émotion.
« La tenue vestimentaire et le maintien de Brigid
O'Shaugnessy dans ce plan du Faucon maltais (1941) indiquent son
origine sociale. Une étole de fourrure drape ses épaules
cependant qu'un ravissant chapeau est posé sur ces cheveux soigneusement
ondulés. Les doigts de la main gauche négligemment posée
sur la table révèlent des ongles parfaitement manucurés.
Plus grande que Spade (Humphrey Bogart) et que la secrétaire assise (Lee
Patrick), Brigid domine le cadre. Sa domination est renforcée par le
fait que les regards du détective et de sa secrétaire soient
dirigés vers elle. Mais si l'on note le visage amical et le sourire de
la jeune femme, reflété par celui, plus discret de la
secrétaire, c'est surtout l'attitude de Bogart qui est
révélatrice : la bouche entrouverte, le regard légerement
dévié, il s'interroge et cherche à deviner la jeune femme.
Son expression annonce la nature de leur relation marquée par le
labyrinthe de mensonges dans lequel elle l'entraînera. »108
Gene Tierney, dans Shanghai de Joseph von Sternberg, est
également brune, mais elle a les cheveux longs.
Elle tient son premier rôle de façon magistrale.
Elle ne sourit pas souvent, son visage est fermé, mais
cela n'empêche pas qu'elle soit magnifique, c'est une beauté
froide.
« Gene Tierney, dont c'est le premier grand rôle,
crée une Poppy inoubliable. Il faut la voir pleurer, tempêter
devant la porte d'Omar, faire mine de partir, puis revenir et s'effondrer
contre la paroi. Omar, confortablement renversé sur un fauteuil, les
pieds sur la table, écoute avec une indifférence attentive les
supplications de Poppy, en fumant une longue cigarette. Enfin, lorsqu'il la
sent brisée, il se lève lentement, ouvre la porte, et, sans mot
dire, tend ses bras. »109
Elle semble forte et parfois désinvolte, effrontée
(sans doute de part son origine sociale aisée, qui la rende hautaine)
alors qu'en fait elle est plus que fragile.
Cela se remarque à plusieurs reprises.
108 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film
Noir, op. Cit, p. 114.
109 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir
américain (1941-1953), op. Cit p. 44.
Par exemple à partir du moment où elle commence
à jouer aux jeux, elle ne peut plus s'arrêter et devient «
à fleur de peau ».
Dans le début de sa relation avec Victor Mature (Omar),
elle paraît distante, mais sûre d'elle, et alors que plus le temps
passe, et plus elle devient esclave de son amour pour lui, et fait preuve d'une
grande jalousie, d'une possessivité exacerbée, parfois à
la limite de l'hystérie.
Barbara Stanwyck, dans Assurance sur la mort de Billy
Wilder, quant à elle, est blonde, et également très
belle.
Elle joue le rôle d'une femme perfide, prête
à tout pour tuer son mari et récupérer de l'argent. Ce
n'est même plus de la méchanceté, c'est toute une
psychologie criminelle, qui font d'elle une prédatrice, une
manipulatrice.
Ce rôle l'a évidemment élevé au rang
de femme fatale.
« L'attitude de Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck)
dans Assurance sur la mort (1944) est à la fois enjouée
et menaçante. Confortablement installée dans un fauteuil, elle
sourit et son visage ne montre aucun signe de tension. Ses bras pendent de
chaque côté du fauteuil - comme une invite à l'embrasser.
L'une de ses mains tient négligemment une cigarette. Sa jambe gauche,
tendue vers Walter Neff (Fred Mc Murray), est ornée à la cheville
d'une fine chaînette d'or. Alors que la jeune femme, vêtue de
blanc, est pleinement éclairée, Walter est recouvert par l'ombre,
ce qui amoindrit sa position dans le plan. Il se trouve (littéralement)
au bord du bras rembourré d'un siege mais également « au
bord du désastre ». Même le mur derriere lui, bien que
strié par l'ombre des stores vénitiens, est plus lumineux. La
surprise se lit sur son visage tandis qu'il tient la jambe offerte par Phyllis.
Cette position résume la dynamique de leur relation. Phyllis ne cesse en
effet de défier le cynique Walter qui, fasciné par son
érotisme exacerbé, accepte de la suivre sur la voie du meurtre et
de la trahison. Leur manière identique de tenir leur cigarette, elle
dans la main gauche, lui dans la main droite, exprime l'affinité qui les
unit. »110
110 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film
Noir, op. Cit, p. 90.
Joan Crawford, dans Le roman de Mildred Pierce de
Michael Curtiz, est une femme d'origine modeste. Mais même si Joans
Crawford l'actrice principale, ce n'est pas elle qui va commettre un
meurtre.
Mais sa fille Veda, joué par Ann Blyth.
« Afin d'entretenir Veda (Ann Blyth), sa fille
égoïste et capricieuse, elle se lie avec son meilleur ami Wally Fay
(Jack Carson), puis avec Monte Beragon (Zachary Scott), dilettante et
débauchée.(...) Elle épouse Monte pour donner un vrai
statut social à Veda, puis découvre que l'homme et sa fille ont
une liaison. »111
Gene Tierney, dans Péché mortel de John
Stahl, est Ellen.
« Le personnage principal est une femme, Ellen, qui
rappelle par, ses allures, les héroïnes d'Emily Brontë. (...)
Ellen, visage typique de film noir, fait de cette oeuvre plus qu'un essai
psychologique : sure d'elle, d'une féminité éclatante,
prête à tous les excès pour conserver son amour. La
caméra a su filmer en plongée son long corps souple,
inanimé au bas des marches. Magnifiquement incarnée par Gene
Tierney, elle est digne de figurer dans l'étincelante galerie des
charmeuses fatales. »112
Lana Turner, dans Le facteur sonne toujours deux fois de
Tay Garnett, comme il a été vu précédemment, sans
cesse habillé de blanc.
Cela la rend pure, mais seulement en façade.
Toutefois, elle ne révèle son caractère
criminelle qu'à partir du moment où elle trompe son mari.
« Or Tay Garnett n'a pas cherché à
retrouver la sensualité perfide de Barbara Stanwyck dans Double
Indemnity. Il a fait de son héroïne une personne fraîche
et détendue, aussi peu ténébreuse que possible, et dont
les aspirations semblent bien légitimes : éliminer un vieux mari,
épouser un beau garçon et gagner quelque argent. »113
111 Olivier Caïra, Hollywood face à la censure,
Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915- 2004,
op.cit, p. 96.
112 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir
américain (1941-1953), op. Cit p. 59.
113 Ibid, p. 86.
Rita Hayworth, dans La dame de Shanghai d'Orson
Wells,
« Le spectateur la voit avec les mêmes yeux que le
narrateur, tout au moins au début, c'est-àdire comme victime de
la suspicion et de la nature corrompue de son mari infirme. Elle apparaît
ici dans une chaise longue, au premier plan. Elle est vêtue de blanc
(est-elle donc « blanche comme neige ». Son expression est triste et
méditative, son regard fixé hors-champ. Comme Pearl, ses cheveux
encadrent son visage d'une couronne de boucles blondes. Comme Lily, sa bouche
est légèrement ouverte et la peau que laisse entrevoir sa
chemise, ses jambes dénudées jusqu'aux genoux peaufinent
l'érotisme du personnage. »114
Et pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,
« La jeune femme elle-même est parfaitement
mystérieuse. Ses intrigues secrètes n'affectent pas la
sérénité de son visage. Quel jeu joue t-elle ? (...) Un
autre centre d'intérêt de ce « thriller » exemplaire est
son érotisme assez particulier : La dame de Shanghai
révèle une Rita Hayworth aux cheveux courts, à la
matité marmoréenne, irradiante et cependant hors de
portée. Telle scene où l'associé la guette, avec des
jumelles, allongée presque nue sur un récif, offerte au vent du
large et intouchable, est bien symbolique à cet égard. Et l'on
n'oubliera pas sa fuite au sein de la nuit menaçante, emplie des
pincements de mandolines, dans les bas-quartiers de Mexico : une femme en robe
du soir, étincelante de blancheur, court dans les ruelles sordides
peuplées d'ombres immobiles, (~). »115
Marilyn Monroe dans Niagara de Henry Hathaway, est une
femme splendide et provocante, habillée en permanence de façon
osée et attrayante.
C'est ce que l'on pourrait appeler vulgairement une garce.
Lorsqu'elle sort de sa chambre d'hôtel pour aller mettre un
disc, elle a une façon de marcher très suggestive, et tous les
hommes, accompagnés ou non, se retournent sur son passage.
Jean Simmons, dans Un si doux visage d'Otto Preminger, est une
jolie jeune femme brune, à la peau extrêmement blanche.
Elle ressemble presque à une poupée, tant par sa
plastique, que par sa fragilité.
Mais derrière cette apparence si parfaite, se cache un
être rempli de haine et de mauvaises intentions.
114 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film
Noir, op. Cit, p. 89.
115 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir
américain (1941-1953), op. Cit p. 75.
Gaby Rodgers, dans En quatrième vitesse de
Robert Aldrich, joue le rôle de Lili
Carver.
C'est encore une femme blonde, aux cheveux courts qui lui donnent
un aspect androgyne, séduisante, mais également
menaçante.
C'est une femme indépendante, autoritaire et
provocante.
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