SECTION 3: Résultats empiriques fondés
sur les modèles VAR
3-1 : Les performances des modèles VAR
La modélisation économétrique classique
à plusieurs équations structurelles connaît à la fin
des années 1970 beaucoup de critiques et de défaillances face
à un environnement économique très
perturbé4. Les deux plus célèbres critiques de
l'approche conventionnelle des modèles structurels sont l'oeuvre de
Granger (1969) et Sims (1980). Ces auteurs refusent d'introduire le concept de
variables exogènes dans leurs travaux. Ils réfutent aussi
l'idée selon laquelle les relations économiques sont
réellement gouvernées par la simultanéité. Selon
Sims, la représentation du comportement économique en termes de
modèles structurels entraîne trop de contraintes d'identification.
Le rejet de ces contraintes
4 Les crises pétrolières, la récession
mondiale, et autres perturbations économiques des années 70 ont
invalidé les prévisions délivrées par les
modèles macroéconométriques (Matei, 2006). Voir aussi
Granger (1969)
implique pour lui, l'inexistence de variables exogènes.
Cet auteur propose alors un modèle constitué d'un ensemble
d'équations de forme réduite à retards identiques pour les
variables. Cette modélisation, appelée processus VAR, est
simplement une généralisation vectorielle des modèles
autorégressifs (AR).
La représentation VAR, appliquée à la
politique monétaire à travers les modèles structuraux
(Blanchard et Watson, 1986 ; Sims, 1986), réunit un groupe de variables
réelles composé d'une variable de politique monétaire et
des variables macro-économiques reliées entre elles par des
équations autorégressives. Elle constitue le point de
départ pour de nombreuses études empiriques sur la transmission
de la politique monétaire. Ainsi, Christiano, Eichenbaum et Evans (1999)
et Leeper, Sims et Zha (1998) ont analysé les mécanismes de
transmission de la politique monétaire aux Etats Unis à partir de
cet article fondateur. A cet égard, la représentation VAR se
révèle particulièrement pertinente pour l'analyse des
chocs monétaires car elle permet de distinguer les différents
effets d'un choc monétaire spécifique.
Néanmoins, la modélisation VAR n'échappe
pas à la critique post hoc ergo propter hoc, ni aux
problèmes d'identification. Cependant, ses qualités en rendent
l'utilisation pertinente, notamment pour des économies en
développement. En outre, contrairement aux modèles
macroéconométriques, elle nécessite une quantité
limitée de données disponibles dans la plupart de ces
économies. Enfin, plusieurs hypothèses théoriques
relatives aux canaux de transmission ou aux chocs affectant l'économie
peuvent être testées simultanément.
Plusieurs auteurs, dont Bernanke et Blinder (1992), Blanchard
et Quah (1989), Christiano, Eichenbaum, et Evans (1997), Al-Mashat et Billmeier
(2008), ont ainsi travaillé sur les canaux de transmission en utilisant
la méthodologie VAR.
La méthodologie VAR structurel consiste à
transformer des résidus issus d'un
VAR canonique en des chocs structurels pouvant être
interprétés économiquement5. Pour
interpréter une réponse impulsionnelle, il faut que les chocs ne
soient pas corrélés instantanément entre eux6.
Ceci permet de mesurer la contribution de chaque impulsion à la
dynamique des différentes séries du système, et plus
précisément à la variance des erreurs de prévision
s'y rapportant. Si tel n'est pas le cas, l'analyse de la propagation des chocs
est rendue délicate, voire impossible. Il faut alors orthogonaliser les
chocs à l'aide d'une
5 Héricourt et Matei (2006)
6 Cette propriété, bien qu'utile techniquement
et préconisée par Blanchard et Quah (1989), a été
critiquée pour son manque de réalisme par Enders et Hurn (2005).
Quand une cible d'inflation explicite existe, un choc d'offre
agrégé négatif nécessite une baisse de la demande
agrégée pour respecter la cible d'inflation. Par ailleurs,
à un choc positif de demande, certaines entreprises répondent en
augmentant l'output plutôt que les prix. Il existe donc des situations
dans lesquelles les chocs d'offre et de demande sont corrélés.
transformation linéaire en multipliant le vecteur des
innovations canoniques par une matrice P préalablement
définie. Cette orthogonalisation peut être obtenue par une
décomposition de Choleski7 de la variance des innovations
canoniques. Cependant, hormis le fait que les résultats de la
décomposition de Choleski dépendent fortement de l'ordre dans
lequel les séries sont rangées dans le VAR, ce mode
d'orthogonalisation purement statistique ne permet pas une
interprétation économique des impulsions indépendantes
obtenues.
L'approche des VAR structurels répond à cette
critique en permettant d'identifier les chocs interprétables
économiquement puisque les matrices utilisées font explicitement
référence à la théorie économique. Shapiro
et Watson (1988) et Blanchard et Quah (1989) ont les premiers, proposé
d'identifier des chocs structurels qui soient interprétables
économiquement en imposant outre les contraintes d'orthogonalisation
usuelles, des contraintes structurelles identifiantes traduisant des relations
économiques. La matrice P d'orthogonalisation est choisie de
manière à pouvoir interpréter économiquement les
chocs transformés en choc d'offre de demande, de politique
monétaire ou budgétaire, dont on connaît à
priori les effets économiques. On parle alors d'identification des
chocs par imposition de contraintes structurelles identifiantes, c'est à
dire déduites de la théorie économique.
Dans la littérature en général, il y a
deux principales directions de recherche empiriques reposant sur des
modèles VARs : la première cherchant à identifier la
nature des chocs d'offre et de demande et à mesurer le degré
d'asymétrie de ces chocs entre pays ; et la seconde, s'appuyant sur
l'identification des asymétries potentielles dans la transmission des
chocs monétaires entre les membres d'une union monétaire.
Se situant à l'origine de la première approche,
le travail de Blanchard et Quah (1989) propose un procédé
d'autorégression vectorielle bivariée (VAR) afin de
séparer les chocs de réponses aux chocs et d'identifier les
origines de ceux-ci (les chocs d'offre et de demande). Bayoumi et Eichengreen
(1993, 1996) reprennent cet outil afin d'évaluer les similarités
des cycles économiques et d'identifier les pays
européens8 dont les coûts d'une politique
monétaire commune devraient être bas. Ultérieurement, la
problématique des asymétries entre
7 La décomposition de Choleski est une technique de
décomposition de la matrice de variance-covariance des innovations
canoniques qui ne requiert comme à priori que le choix de l'ordre des
séries dans le Var. Celles-ci doivent être rangées de la
plus exogène à la plus endogène. Ceci revient à
supposer une plus forte exogénéité de certaines variables
sur d'autres. La matrice P, triangulaire inférieure et définie de
manière unique pour un ordre donné des composantes du VAR, ceci
permet d'imposer une structure récursive au modèle. Cette
hypothèse revient à supposer que les innovations sur certaines
variables n'ont pas d'effets contemporains sur l'évolution des variables
qui les précèdent dans le VAR. De ce fait, par construction, la
première variable inclue dans le VAR ne réagit pas aux
innovations contemporaines des autres variables retenues dans le modèle
(elle réagit avec un décalage d'une période aux
innovations des autres variables), tandis que la variable rangée en
dernière position réagit de manière contemporaine aux
innovations structurelles des variables placées avant elle dans le
VAR.
8 Voir, Babetski (2004)
les anciens et les nouveaux membres de l'UE, a
été examinée dans d'autres articles tels que ceux de
Frenkel, Nickel et Schmidt (1999), Boone et Maurel (1999a),
Bénassy-Quéré et Lahrèche-Révil (2000),
Fidrmuc et Korhonen (2001), Frenkel et Nickel (2002), Babetski, Boone et Maurel
(2002, 2004), Horvath et Ratfai (2004) en s'appuyant sur les
méthodologies de Blanchard et Quah (1989) et de Bayoumi et Eichengreen
(1993, 1996). Les analyses économétriques de ces études
ont été réalisées sur une période
particulièrement courte (de moins de dix ans). Ce qui a rendu les
estimations économétriques plus difficiles (voir Héricourt
et Matei, 2006).
La seconde approche se fonde sur l'identification de
potentielles asymétries dans la transmission des chocs monétaires
entre les membres d'une union. Cette littérature distingue, à son
tour, deux groupes principaux de recherches : (i) les
modèles ayant une structure commune et (ii) les
modèles ne reposant pas sur la même structure9 pour
analyser les mécanismes de transmission de la politique monétaire
dans différentes économies.
Les incontestables réussites des formulations VARs
n'ont toutefois pas empêché l'émergence d'un certain nombre
de critiques. Les limitations de cette approche visent essentiellement le fait
qu'elle reste dénuée de bases théoriques, et que ses
coefficients sont dépourvus d'une véritable interprétation
économique. Même les plus récents modèles
structurels demeurent sujets à des limitations au plan statistique. A
cet égard, Amato et Gerlach (2001) et Elbourne et Haan (2005) notent que
les modèles structurels de taille réduite reposent sur des
hypothèses d'identification encore plus exigeantes que celles sur
lesquelles s'appuie le procédé d'autorégression
vectorielle bivariée classique. Par ailleurs, comme le souligne Ganev et
al. (2002), l'emploi des modèles théoriques bâtis sur des
hypothèses néoclassiques peut s'avérer assez hasardeux
dans le contexte des économies en transition.
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