CHAPITRE II
La politique monétaire dans l'UEMOA
SECTION 1 : Historique de la politique monétaire
dans l'UEMOA
Dans cette section, nous allons présenter le bilan de
la politique monétaire dans l'UEMOA. Il s'agit pour nous d'exposer la
manière dont la politique monétaire a été
menée depuis 1963. La première partie est consacrée
à la caractéristique monétaire de l'UEMOA, la
deuxième parle de l'évolution de la politique monétaire,
et la dernière partie décrit le comportement des autres
indicateurs de politique économique dans l'union.
1-1 : Caractéristique monétaire de
l'UEMOA
L'appartenance à une union monétaire
intégrale depuis plus de 50 ans constitue une source majeure de
convergence des effets de la transmission monétaire dans les pays de
l'UEMOA. Cette union est définie par un ensemble d'arrangements
institutionnels qui déterminent entièrement la politique
monétaire appliquée dans les différents pays membres. Les
caractéristiques principales de cette union monétaire sont les
suivantes16 :
- la parité entre le franc CFA et l'Euro (via le franc
français) est fixe - mais ajustable - afin de prévenir
l'inflation ;
- les avances de la BCEAO aux Trésors nationaux sont
limitées à 20 % des recettes fiscales de la dernière
année ;
- les réserves en devises étrangères sont
centralisées par la BCEAO, chaque pays membre étant tenu de
céder à celle-ci jusqu'à 65 % de ses devises
étrangères ;
- les réserves de change de la BCEAO sont
déposées dans un compte d'opérations ouvert auprès
du Trésor français ;
- le Trésor français s'engage à mettre
à la disposition de la BCEAO les quantités de devises dont elle
aurait besoin en cas de difficulté ;
- en contrepartie de la garantie accordée au franc CFA,
la France est membre du Conseil d'Administration et du Conseil des Ministres,
les deux instances qui définissent la politique de la BCEAO. Chaque pays
membre a une voix dans chacune de ces deux instances.
16 Consortium pour la recherche économique et sociale
(CRES)
Bien que ces arrangements institutionnels soient
demeurés immuables, des réformes ont néanmoins
été introduites afin d'adapter la politique monétaire
à un contexte sans cesse changeant. La mise en oeuvre de la politique
monétaire a été source de différences avec le temps
bien que celle-ci soit commune aux huit pays membre de l'union.
1-2 : Evolution de la politique monétaire dans
l'UEMOA
Depuis 1963, la politique monétaire dans les pays de
l'UEMOA n'a cessé d'évoluer. Ainsi, on peut distinguer trois
périodes au cours de l'évolution de la politique monétaire
appliquée par la BCEAO :
La première, qui prend fin en 1973, est
caractérisée par la poursuite de bonnes performances
économiques, un contrôle très étroit de l'Institut
d'Emission par une direction française et une politique monétaire
orthodoxe dont le principal objectif est la préservation de la valeur
interne et externe de la monnaie. Le Conseil d'Administration (CA)
décide des politiques de monnaie et de crédit en
déterminant notamment les plafonds de réescompte et les autres
facilités de crédit que la BCEAO peut accorder aux banques et aux
Trésors nationaux. C'est au Comité monétaire national,
créé dans chaque pays membre, de mettre en application les
décisions prises par le CA, en particulier de répartir les
concours globaux entre l'économie et le Trésor national. Cette
prérogative peut être une source de différenciation des
effets de la politique monétaire si certains pays recourent moins que
d'autres au financement monétaire de leur déficit
budgétaire, du fait de la bonne santé de leurs finances
publiques.
Comme l'écrit Honohan (1990 : 10), le refinancement de
la Banque Centrale dans un pays provoquera un accroissement du crédit
bancaire dans ce pays et non dans les autres pays. Ceci permet à la
Banque Centrale de poursuivre des objectifs de crédit
indépendants pour chaque pays membre.
La deuxième période, qui part de 1975 à
1989, est marquée par la première réforme d'après
indépendance (1973-75) et le transfert à Dakar
(Sénégal) du siège de l'Institut d'Emission (1978). Elle
est clôturée par la deuxième réforme intervenue en
1989. La première réforme a redéfini les objectifs de la
politique monétaire. Désormais, on a par ordre de
priorité, la monnaie au service du développement, la promotion et
la mobilisation de l'épargne et la stabilité monétaire.
L'africanisation complète de la gestion de l'Institut d'Emission est
intervenue au cours des années 1970 et 1980. On enregistre aussi la
forte montée et la chute
des cours des produits de base, la
généralisation d'une crise profonde des économies et des
systèmes bancaires des pays de l'Union et la mise en oeuvre, par tous
les pays membres, de programmes d'ajustement structurel conclus avec la Banque
mondiale et le FMI.
Lorsque les cours des matières premières ont
brutalement augmenté entre 1974 et 1978, les rentrées de devises
ont connu une forte pression haussière dans certains pays. La Côte
d'Ivoire a dû mettre en oeuvre une politique de stérilisation de
ses réserves pour contenir les pressions inflationnistes. Lorsque les
cours ont chuté, les Trésors nationaux ont été
confrontés à d'importants déficits. Les Comités
monétaires nationaux de Crédit ont alors changé
radicalement de politique. Certains Trésors nationaux absorbent
désormais une part maximale des concours globaux, tandis que certains
pays - Bénin et Niger - sont dispensés du respect de la limite
des 20 % fixée aux avances de la BCEAO aux Trésors nationaux.
Le recours inégal au financement monétaire
indirect des déficits budgétaires des pays de l'union constitue
une autre source de différenciation (Stasavage, 1997). Les
Trésors nationaux ont contourné la règle des avances
inférieures ou égales à 20 % des recettes fiscales
à travers les crédits des banques commerciales et de
développement aux entreprises publiques qui accumulaient
elles-mêmes des créances sur leurs Etats respectifs. La BCEAO a
refinancé à son tour une grande partie de ces créances
bancaires à des taux préférentiels et avec diverses
facilités de remboursement. La Côte d'Ivoire, le Bénin et
le Sénégal ont le plus bénéficié de cette
modalité de financement. Lorsque les systèmes bancaires ont
été restructurés dans les différents pays, les
dettes dues à la BCEAO par les banques liquidées ont
été reprises par les gouvernements sous forme de crédits
consolidés à des taux fortement subventionnés (3%).
Cette situation a entraîné des effets
différenciés dans les pays membres. Parmi ces effets, citons les
avances aux Trésors nationaux qui ont alimenté une
création monétaire excessive dans certains pays membres ou encore
la répartition des droits de seigneuriage favorisant les pays les plus
endettés auprès de la BCEAO, mais aussi les plus importants du
point de vue économique.
La réforme de 1989 qui inaugure la troisième
période, a consacré un réaménagement complet du
dispositif de gestion de la monnaie et du crédit. Appliqué
progressivement depuis octobre 1989, ce nouveau dispositif s'articule autour de
trois principales exigences qui sont :
-la réduction du rôle de la monnaie centrale au
profit d'une mobilisation accrue de l'épargne intérieure,
- l'abandon graduel des mécanismes administratifs au
profit de moyens d'action plus simples et plus incitatifs, et enfin,
- le renforcement de la surveillance bancaire avec notamment
l'institution d'une structure supranationale de contrôle, la Commission
bancaire de l'UEMOA.
C'est à partir d'octobre 1993 que les autorités
monétaires ont décidé l'application du nouveau dispositif
de gestion monétaire qui marque l'abandon total, par la Banque Centrale,
des instruments de contrôle administratif. Désormais, on met en
oeuvre les mécanismes de marché qui comportent trois volets : le
marché monétaire par adjudications d'enchères
régionales, le système des réserves obligatoires, le
régime des accords de classement. Face à l'accentuation de la
crise économique dans tous les pays membres, les politiques mises en
oeuvre sont passées d'un ajustement réel à un ajustement
monétaire. La dévaluation du franc CFA en 1994 est
l'événement majeur de la troisième période tant la
fixité du taux de change du franc CFA par rapport au franc
français semblait être un trait institutionnel de la Zone Franc et
de l'UEMOA.
La mise en oeuvre du nouveau dispositif monétaire
continue de se heurter à l'absence de coordination des politiques
budgétaires. Les concours à l'Etat sont demeurés à
des niveaux élevés. Mais la situation varie d'un pays à un
autre. L'analyse par pays révèle que l'essentiel de la
dégradation de la position nette des Gouvernements est imputable aux
Etats ivoirien et togolais, tandis que l'Etat béninois s'est fortement
désendetté et que l'Etat sénégalais a encore
amélioré sa position. Le Bénin et le Mali ont, quant
à eux, une position nette créditrice à l'égard du
secteur bancaire. Leurs partenaires ivoirien, nigérien, togolais et,
dans une moindre mesure, sénégalais restent très
endettés auprès du système bancaire. Par exemple,
l'encours de la dette ivoirienne vis à vis de ce dernier est
équivalent à sept mois des recettes fiscales en 1998 (Rapport
annuel de la Zone Franc, 1998 : 107). Dans les pays à déficit
budgétaire élevé, on a fait reposer sur la politique
monétaire un poids excessif en matière d'ajustement au cours des
dernières années. En revanche, dans les pays qui ont pu maintenir
une position créditrice auprès du système bancaire, le
financement de l'économie peut aller au-delà du concours global
prévu par l'Institut d'Emission.
|