La plupart des personnes que j'ai rencontrées de
façon ponctuelle exprimaient un grand besoin de parler, d'être
écoutées.
En quelques mois de stage, seuls deux patients ont refusé
que j'assiste à leur consultation infirmière.
Les thèmes des propos des patients étaient
très variés et finalement moins directement liés à
la maladie elle même que je ne l'avais imaginé. L'angoisse
liée à la maladie et l'angoisse de mort n'étaient pas
forcément les angoisses principales : les traitements sont de nos jours
très efficaces et la recherche ne cesse de progresser, les patients se
disent plus rassurés ; ils manifestent de plus dans leur grande
majorité une grande confiance dans l'équipe médicale de
l'hôpital de jour.
Selon le stade de la maladie : découverte récente
de la séropositivité, séropositivité de longue
date, maladie opportuniste, certains thèmes étaient plus
prégnants.
Ce qui dominait les paroles des patients était en lien
avec :
> des affects de honte et de culpabilité : j'ai pu
remarquer au cours des premiers entretiens que le thème des conditions
de la contamination (que je n'abordais jamais moi-même) était
systématiquement abordé quand la contamination était
liée à une transfusion sanguine ou à
l'infidélité du conjoint ; elle était par contre toujours
occultée dans les autres cas ;
Les patients ont leur propre représentation de la
maladie dont ils élaborent en quelque sorte une théorie profane.
Les théories les plus protectrices au niveau de
l'intégrité de la personne par rapport à la
culpabilité sont celles fondées sur une attribution externe de la
maladie 37comme le montrent les exemples ci-dessus ...
> la problématique du secret : de nombreux patients
cachent leur séropositivité à leurs partenaires : ils
expliquent que s'ils se séparent ensuite « tout le monde sera
au courant » ; à leurs parents ; à leurs enfants ;
à certains de leurs enfants et pas à d'autres...pour les
personnes originaires d'Afrique, dire leur séropositivité
à leur famille revient à leur annoncer un décès
proche : en effet, l'Afrique qui ne bénéficie pas de traitements
tels les tri-thérapies voit encore des milliers de personnes
décéder rapidement et dans une déchéance physique
et les africains ont une représentation particulièrement
létale de cette maladie... ;
Melle A. 19 ans arrive de Côte
d'Ivoire. Elle n'a pas dit à sa famille qu'elle avait été
« contaminée par un copain étudiant en pharmacie
». Elle en a parlé avec lui et ils ont rompu. Elle a eu un autre
copain mais « au bout de quelques mois il voulait enlever le
préservatif. Moi : non !. ». « J'ai des
prétendants » dit-elle avec un petit sourire mais «
j'ai peur de repartir encore dans les mêmes problèmes
»
De nombreux patients m'ont parlé de cette
difficulté qu'ils rencontrent à confier ce secret à leur
partenaire quand ils ne savent pas encore « si c'est
sérieux ».
Ces affects de honte et de culpabilité et la
problématique du secret ne font qu'accroître la difficulté
des patients à mettre en mots et exprimer leur souffrance et permet
d'expliquer l'accueil favorable qu'ils réservaient à la
proposition que je leur faisais d'assister à leur consultation
infirmière et leur propension à parler une fois celle-ci
terminée...
37 (PEDINIELLI,2006)
De nombreux patients m'ont confié leur
difficulté à venir à l'hôpital de jour avec le
risque de rencontrer des personnes qu'ils connaissent. Beaucoup disent qu'ils
aimeraient avoir le même suivi en ville au cabinet du
médecin...
A plusieurs reprises des patients m'ont demandé s'ils
pouvaient continuer à me rencontrer, si je consultai aussi en ville ?
Après ma réponse négative quant au dernier point, je
sentais qu'ils ne viendraient pas à l'hôpital de jour.
Pourquoi ?Par crainte d'y être vus ? Parce que
l'hôpital est un lieu anxiogène pour ces patients qui lors de
leurs visites médicales ont des prélèvements sanguins et
sont dans l'attente de résultats d'examens biologiques ou autre ?
Peut-être serait-il préférable que le bureau
de la psychologue soit dans un autre lieu ?
Mme S. pleure et explique ses
difficultés relationnelles avec sa fille âgée de 17 ans qui
ne sort pas, qui reste toujours à la maison et semble si triste. «
Elle ne rit jamais » dit-elle, « ne me parle pas ; son
seul loisir c'est d'aller sur internet ». Mme S. est en traitement
pour un cancer de l'utérus et a de gros problèmes de santé
actuellement. Elle a gardé secrète sa maladie. Nous terminerons
cet entretien sur une question de la patiente essayant de poser des
hypothèses à la tristesse de sa fille : «
Peut-être qu'elle se doute de quelque chose et qu'elle a peur pour
moi ? »
Cette dame dit en partant que cela lui a fait du bien de parler
et qu'elle prendra rendez-vous si la situation ne s'améliore pas.
> la perte du désir (dans un contexte dépressif
ou bien en raison de difficultés à utiliser le préservatif
; à pratiquer par exemple une fellation avec préservatif...
Le préservatif instaure toujours un tiers dans une
relation duelle et amène à penser aux autres partenaires dans un
moment qui serait le plus souvent voulu à deux... ;
> la crainte du manque de plaisir sexuel : de nombreuses
personnes parlent de leur crainte de ne plus faire jouir l'autre à cause
du préservatif : pour les hommes comme pour les femmes, le
préservatif semblerait barrer l'accès à la jouissance...de
l'autre ;
> la perte de l'insouciance;l'image d'une «
épée de Damocles suspendue au dessus de la tête
» est souvent revenue dans les propos...
> l'anxiété liée à
l'efficacité des traitements, aux résultats des examens
biologiques.
On observe aussi une forte anxiété chez les
personnes qui viennent suite à un accident d'exposition sexuel ou
professionnel. En effet, pour ces personne, quelle que soit la
probabilité statistique chiffrée de transmission pour ce risque,
le résultat attendu prend la forme du 0 ou 1 : non contaminé ou
contaminé !
> la fatigue et une auto dépréciation dans
un contexte anxio-dépressif. Certains patients se retrouvent
isolés socialement et affectivement ce qui origine et complique à
la fois leur syndrome dépressif. Certains médicaments ont aussi
pour effets secondaires des trubles de l'humeur...
Beaucoup parlent d'une période sans relation amoureuse
et/ou sexuelle après l'annonce de leur contamination. Ils
décrivent un choc, une perte de confiance dans les autres et dans
l'humanité en général. Beaucoup ont recours à des
relations virtuelles moins engageantes type internet ou ont recours à
des petites annonces dans des revues ciblées telles
Remaides (la revue de l'association
AIDES).
De nombreux patients ont aussi une souffrance psychologique
probablement amplifiée par le contexte de la maladie mais qui n'en est
pas toujours directement dépendante.
Certains patients contaminés depuis de nombreuses
années m'ont aussi parlé de ce que leur avait paradoxalement
apporté cette maladie :
> Un positionnement différent dans leur vie sous
tendu par la perception d'une « urgence à vivre » et à
poser des choix de vie qui aient du sens pour eux, dans lesquels ils puissent
se réaliser pleinement en cultivant leur singularité au prix
d'être parfois perçus d'ailleurs comme « singuliers »
...
M.G. est âgé d'une quarantaine
d'années.
Il dit avoir « fait sa médecine parce qu'il
était très bon élève et parce que ses copains
allaient à la fac ». Il exerce mais ne se sent pas pleinement
épanoui. Il se spécialise comme médecin nutritionniste :
« c'était déjà mieux, je m'occupais
essentiellement des régimes des femmes ».Il vit à
l'époque avec un pharmacien. « Une petite vie de bourgeois
bordelais » ; « on ne se cachait pas même s'il fallait
rester très discret sur notre relation homosexuelle ». Il
apprend sa séropositivité il y a une dizaine d'années. Ce
« choc » l'amène à « reconsidérer ses choix
de vie ». Il « chatte avec un ami avocat américain
». Ils correspondent plusieurs mois . « C'est La rencontre de ma
vie » dit-il.
Il se sépare de son ami pharmacien, vend son cabinet.
Il vit aujourd'hui de ses rentes et des photos d'art qu'il
expose. Il partage son temps entre Bordeaux et New York où il vit alors
avec son nouvel ami.
Il dit à la fin de notre entretien :
« Sur ma thèse de doctorat de médecine,
j'avais inscrit :
A ma grand-mère (il précise : qui m'a
élevé)
A Paris
A New-York (parce que j'avais eu l'occasion d'y passer
quelques jours à l'âge de 20 ans et j'avais été
fasciné par cette ville)
«je ne crois pas au hasard, tout est écrit
! »