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Evolution de la conception et de la pratique de la dot dans la ville de Kinshasa. Etude menée auprès des communautés Luba, Manyanga et Yansi habitant la commune de Kimbaseke

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par Nana NZOLANI LUSUNGULU
Université de Kinshasa RDC - Licence en sociologie 2006
  

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Section 3 : Interprétation des résultats

La présente section est consacrée à l'interprétation des résultats obtenus de l'analyse des données récoltées sur le terrain. Il s'agit d'une tentative de restitution des faits dans le contexte de leur production afin d'accéder à leur intelligence, mieux de les saisir dans la perspective des acteurs que nous avons interviewés au cours de nos investigations. Nous allons dégager les évolutions qui s'observent dans la Commune de Kimbaseke en ce qui concerne la conception et la pratique de la dot, en recherchant les facteurs, les conditions et les agents à l'origine de ces mutations socio-culturelles. Bien entendu, un regard sera également porté sur les éléments de la situation qui ont résisté au changement.

1. La dynamique de la conception de la dot en milieu socio-culturel Luba, Manianga et Yansi de la Commune de Kimbaseke.

De manière générale et tel qu'il se dégage des données de nos enquêtes, la conception traditionnelle de la dot dans les trois milieux socio-culturels enquêtés n'est pas antinomique. Les Luba, les Manianga et les Yansi ont la même conception de la dot. Tous considèrent que la dot est une preuve et gage de stabilité du mariage. En effet, la tradition dans ces trois milieux socio-culurels requiert la dot comme symbole qui certifie l'existence du mariage. Son acceptation par les parents de la future épouse témoigne leur consentement au mariage et leur volonté de s'allier à la famille du prétendant. Car, comme partout en Afrique, le mariage n'est pas seulement l'affaire des deux époux, mais aussi de deux familles respectives.

En outre, la dot, dans ces trois milieux socio-culturels traditionnels, offre la garantie de stabilité du mariage. Elle inscrit, du fait de son versement, le mariage dans la durée et alourdit le processus de divorce, protégeant ainsi la famille (la cellule de base de la communauté) contre les aléas de la vie conjugale. Comme nous pouvons le constater, cette garantie de stabilité qu'offre la dot résulte de son caractère contraignant et prohibitif pour l'épouse dans la mesure où non seulement elle limite l'initiative unilatérale de la femme en matière de divorce, mais aussi elle proscrit pour elle toute possibilité de commerce sexuel avec un autre homme, cause irrévocable de la rupture du mariage dans les trois ethnies.

En dépit de cette similitude dans la conception de la dot chez les Luba, les Manianga et les Yansi, il sied de remarquer néanmoins qu'à la différence des deux autres ethnies matrilinéaires, les Luba considèrent que la dot assure la filiation paternelle de la progéniture. C'est du fait de la dot que les enfants nés du mariage appartiennent au clan de leur père.

La coexistence de ces trois ethnies en milieu urbain, l'influence du droit moderne et la prolifération des églises néo-pentecôtistes, appelées communément églises de réveil, ont entraîné une évolution notable dans la conception de la dot qui se répercute sur sa pratique comme nous le verrons dans le point suivant. En effet, ainsi que l'ont montré les données de nos investigations, la tendance actuelle dans les trois milieux socio-culturels de la Commune de Kimbaseke consiste à considérer la dot comme une obligation biblique et juridique, une compensation des efforts des parents et un honneur fait à la femme et à sa famille.

1. Obligation biblique et juridique

Une frange importante de nos enquêtés ont affirmé qu'ils perçoivent aujourd'hui la dot comme une obligation biblique. Ils avancent que la Bible recommande dans exode chapitre .....Verset....que le mariage soit honoré de tous.

Par ailleurs, une autre frange des enquêtés de toutes les ethnies ont estimé, tel que le révèlent les données reprises dans le tableau X, que le caractère obligatoire de la dot résulte des règles de droit. Ce sont les dispositions légales reprises dans le code de la famille qui rendent la dot obligatoire. Pour cette catégorie des enquêtés, dans la société moderne du type juridico-légal, tout est réglementé par la loi. Ainsi, l'obligation de la dot ne saurait se justifier par le seul fait de la coutume ni de la religion, elle trouve son fondement dans les lois qui régissent la RDC.

A ce niveau, nous pouvons voir dans ces résultats, l'influence du droit écrit dans certains milieux, surtout de ceux qui sont instruits, qui pensent même que la dot doit cesser d'être considérée comme une pratique coutumière, mais relevée au rang de coutumes juridiques. D'autres vont plus loin en estimant que l'Etat en légalisant la dot, légalise par conséquent la domination de la femme par son mari et doit en conséquence prendre des lois qui l'abolissent.

2. La dot comme une compensation des efforts des parents

Une autre idée force qui ressort des données de nos enquêtes est qu'aujourd'hui prévaut la conception d'après laquelle la dot est une compensation que le futur époux effectue au bénéfice des sacrifices consentis par les parents pour leur fille. Cette conception se trouve partagée par une bonne partie de nos enquêtés, surtout chez les enquêtés adultes qui ont déjà marié une fille. Ils avancent que le versement de la dot est un acte par lequel le futur époux reconnaît l'effort fourni par les parents pour « faire grandir » leur fille.

Constatons ici que l'idée de la compensation n'est pas nouvelle. Nous la retrouvons dans la conception traditionnelle africaine de la dot. En Afrique traditionnelle, l'on considérait que la dot permettait à la famille ou au clan de combler le vide crée par le mariage de la jeune fille en épousant une femme à un autre jeune nubile de la famille ou du clan. C'est ainsi que dans cette Afrique traditionnelle, la dot n'était pas directement consommée par le(s) bénéficiaire(s), celui-ci la transmettait à celui qui devait se marier. Aussi, la dot était-elle versée en signe de droit d'acquisition par le mari de la richesse que la femme allait produire dans son clan ou dans sa famille, entendez par là les enfants et autres biens (produits agricoles, de la chasse, de la pêche, etc.)

Ce qui est nouveau aujourd'hui c'est que les parents voudraient, par le versement de la dot, se faire « rembourser » les frais qu'ils auraient investis, notamment pour la scolarité de la fille, les différents soins de santé lui apportés depuis son jeune âge, son habillement, etc. Cela transparaît dans la pratique surtout lorsque la fille qui est mariée a terminé les études secondaires, supérieures ou universitaires. Les parents montent les enchères en exigeant des montants et biens exorbitants à titre de dot. C'est cette conception qui est à la base du dérapage observé dans la fixation de la dot par certains parents. Cette conception de la dot qui tient à l'urbanisation, à la scolarisation des filles et à la paupérisation de la plupart des familles dans ville de Kinshasa ne considère pas le fait que ces « sacrifices » consentis par les parents relèvent bel et bien de leurs devoirs. Il ne s'agit pas des avantages ou des privilèges accordés à la fille, mais plutôt de ses droits inaliénables dont elle doit jouir dans la société moderne.

3. Honneur fait à la femme et à sa famille

Enfin, la dernière conception en émergence dans les milieux de nos investigations est que la dot est un honneur que le futur époux fait à la future épouse et/ou à sa famille. Nous la trouvons déjà en filigrane en milieu socio-culturel traditionnel Yansi où l'homme pour montrer qu'il aime bien sa femme doit verser une dot d'une grande valeur. Elle s'étend aujourd'hui à toutes les communautés investiguées dans le cadre de ce travail.

Cette conception est à l'origine de l'exhibitionnisme que l'on remarque à ce jour. Pour témoigner leur puissance matérielle, certains prétendants ne s'empêchent d'attirer l'attention et l'admiration des voisins en s'amenant dans la belle famille avec des biens de luxe qu'ils exhibent tout au long de leur parcours. (ils louent les véhiculent, remplissent les biens dotaux et chantent à la gloire du nouveau marié une fois arrivés dans le quartier ou avenue de future épouse).

En somme, nous pouvons retenir que la conception de la dot chez les Luba, Manianga et Yansi, en dépit d'une certaine résistance de la conception traditionnelle, connaît une évolution qui se répercute dans la pratique de la dot comme nous verrons dans le point suivant.

2. Dynamique de la pratique de la dot chez les Luba, Manianga et Yansi de la Commune de Kimbaseke.

Comment se pratique la dot aujourd'hui dans la ville de Kinshasa en général, et dans la Commune de Kimbaseke en particulier ? C'est bien là la problématique qui se pose à tous les jeunes Kinois qui voudraient contracter un mariage de nos jours, surtout lorsqu'il s'agit d'un mariage interethnique. Faut-il recourir au mariage civil, religieux, ou traditionnel ? Si l'éventail est si large, le choix n'est en revanche pas toujours aisé, pour une jeunesse perdue dans cette ville pluriculturel. La plupart des jeunes adoptent les usages prévalant dans le contexte social où ils vivent. Mais par respect des traditions familiales, ou par simple besoin de retrouver leurs repères, ou leur identité propre, ils sont conduits à s'engager sur le parcours sinueux du mariage coutumier.

C'est pourquoi, en dépit de la convergence dans la pratique de la dot constater lors de nos enquêtes, il sied d'observer que nombre d'entre ces pratiques sont restées marquées par les us et coutumes prévalant en milieu traditionnel. Ce qui permet à chaque groupe ethnique de demeurer elle-même, de garder son identité, de développer sa conscience de soi et de l'autre dans un environnement qui tend de plus en plus à s'unifier.

Dans cette entreprise de conservation de son identité, Les Luba, par exemple, tiennent à leur « mbuji wa nyima » (littéralement traduite par la « chèvre du dot », allusion faite à la virginité de la future épouse) dans la constitution des biens dotaux. Cette chèvre destinée à la maman de la fille symbolise l'idéal luba de la prohibition du commerce sexuel pré-conjugal pour la fille. Son octroi à la mère est une sorte de gratitude lui témoignée pour la bonne éducation assurée à sa fille.

Cette pratique persistante en milieu luba est néanmoins soumise à la pression de la dynamique insufflée par l'urbanisation. Quand bien même la « mbuji wa nyima » soit toujours exigée comme bien dotal, on ne tient plus compte aujourd'hui de la virginité de la future épouse. Dans le contexte urbain actuel de Kinshasa, la virginité de la future épouse ne constitue plus une condition de fond dans la conclusion du mariage. Elle paraît même minimisée.

D'autres pratiques traditionnelles ont connu la même évolution sinon ont disparu notamment en ce qui concerne la suspension de versement de la dot pour une fille qui tombe enceinte avant le mariage. Alors que la tradition veut que pour une telle fille que la dot soit versée après la maternité, à ce jour les parents perçoivent la dot même s'ils sont informés de l'état de grossesse de leur fille. En outre, la remise d'un bouc au gendre par les parents de la mariée après le versement de la dot, comme chez les Yansi, a disparu dans la pratique de la dot en milieu socio-culturel luba. Certains biens dotaux traditionnels sont remplacés étant donné le contexte urbain. C'est ainsi qu'en lieu et place du fusil, les luba demandent aujourd'hui un appareil électroménager par exemple une radio, un réchaud ou une télévision.

Les Manianga, pour leur part, marquent leur identité culturelle par la pratique de « Kinzonzi » lors du versement de la dot et cette dernière, contrairement aux Luba et Yansi, est destinée à l'oncle maternel de la future épouse.

Chez les Yansi, d'après nos enquêtés, la remise du bouc au gendre par ses beaux-parents après versement de la dot est toujours de mise. Aussi, le gendre est-il appelé à verser la dot aussi bien à la famille paternelle que maternelle de la future épouse. Faute de quoi, la partie lésée, c'est-à-dire, celle qui n'a pas bénéficier de sa part de la dot, considère que le mariage n'a pas eu lieu. Ces pratiques sauvegardent et maintiennent l'identité Yansi dans cet archipel culturel qu'est devenue la Commune de Kimbeseke.

Ces mutations dans les pratiques de la dot dans les communautés Luba, Manianga et Yansi habitant la Commune de Kimbaseke tendent à instituer certaines convergences. Nous voyons, par exemple, se généraliser la pratique de la pré-dot, de l'établissement de la liste de biens dotaux, communément appelée facture et la dollarisation de la partie numéraire de la dot.

1. La pré-dot

Les données des enquêtes démontrent que la pratique de la pré-dot (Kanga lopango en lingala) n'est pas connue dans les milieux traditionnels luba et Manianga. Elle est l'apanage des Yansi qui la pratiquent depuis des lustres. Elle s'est répandue dans toutes les communautés que nous avons investiguées, comme le démontrent les données reprises dans le tableau XIII.

Elle consiste en la remise par le fiancé des quelques présents notamment d'une somme d'argent variant entre 50 et 100 usd, d'un certain nombre des cassiers de bière en guise d'officialisation des fiançailles. Le versement de la pré-dot constitue un pas décisif dans le processus de conclusion du mariage. Il représente le ferme engagement du futur mari à faire aboutir les fiançailles au mariage, ce qui rassure la fille et sa famille, au même moment il met fin à toutes les sollicitations que pourrait faire objet la fille de la part des autres prétendants. Il sert en quelque sorte de haie que la fille ne pourrait franchir ainsi que le témoigne sa dénomination en lingala (kanga lopango, c'est-à-dire clôture).

2. La « facture »


Traditionnellement, selon les informations recueillies pendant nos enquêtes, la pratique de la « facture » est usage spécifique aux Manianga, non connue de deux autres groupes ethniques étudiés dans ce travail.

La dénomination on ne peut plus péjorative de cette pratique (facture) fait penser à un acte de vente. En réalité, cette pratique consiste pour la belle famille à établir la liste des biens dotaux et de la somme à verser qu'elle communique au fiancé ou à sa famille. Cette liste est transmise soit à l'occasion de la pré-dot, soit par le biais de la fiancée, soit encore à l'occasion séance organisée à cet effet.

La réception de cette liste déclenche les tractations entre les deux familles qui entrent en pourparlers (Kinzonzi) pour finalement arrêter le montant de la dot à verser par le futur époux et/ou sa famille.

La généralisation de cette pratique dans la Commune de Kimbaseke nous semble procéder de l'ignorance qu'ont la plupart des prétendants des biens dotaux exigés dans la tradition de leurs fiancées. En demandant la « facture », le futur époux voudrait tout simplement connaître les biens constitutifs de la dot dans la tradition de sa fiancée.

3. La dollarisation de la dot

Les résultats des enquêtes attestent la généralisation du dollar américain comme signe monétaire en cours dans le marché matrimonial non seulement dans la Commune de Kimbaseke, mais aussi dans toute la ville de Kinshasa. Toutes les ethnies étudiées dans ce travail fixent le montant de la dot en dollar américain, même si dans certaines circonstances elle est versée dans son équivalence en Franc congolais. Cette pratique est une conséquence de la dollarisation de l'économie congolaise depuis le début de la transition démocratique en 1990 à la suite l'instabilité du Zaïre monnaie d'abord et du Franc congolais ensuite. Et selon nos enquêtés, le recours au dollar permet de maintenir la valeur de la dot.

Même si toutes les trois ethnies ne fixent pas la même hauteur de la dot remarquons qu'elle varie entre 250 et 1000 usd. Comme nous pouvons le constater, le montant de la dot, de plus en plus exorbitant, devient hors de portée des prétendants. Il serait bon de s'interroger sur l'origine d'un tel dérapage :

- le coût de la vie ?
- la baisse, ou la disparition du pouvoir d'achat ?
- la cupidité, et le manque de scrupules de certains parents ?

La dot offre aujourd'hui parait une occasion inespérée à certains chefs de famille peu scrupuleux et cupides, d'en faire un véritable fonds de commerce. La tentation est certes grande dans un contexte de crise socioéconomique sévère.

Conclusion

Ce chapitre a été centré sur la présentation et à l'interprétation des résultats de nos enquêtes. Il nous est revenu également, à travers ce chapitre, de décrire le cheminement de nos investigations car pensons nous les résultats d'une recherche valent ce que valent les instruments utilisés.

Au vu de ces résultats, nous pouvons affirmer à ce jour que la conception et la pratique de la dot dans les milieux socio-culturels Luba, Manianga et Yansi sont en train de subir des mutations qu'imposent l'acculturation résultant de la vie urbaine, la crise socio-économique, la prolifération des églises de réveil et le droit moderne.

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