Section 3 : Interprétation des
résultats
La présente section est consacrée à
l'interprétation des résultats obtenus de l'analyse des
données récoltées sur le terrain. Il s'agit d'une
tentative de restitution des faits dans le contexte de leur production afin
d'accéder à leur intelligence, mieux de les saisir dans la
perspective des acteurs que nous avons interviewés au cours de nos
investigations. Nous allons dégager les évolutions qui
s'observent dans la Commune de Kimbaseke en ce qui concerne la conception et
la pratique de la dot, en recherchant les facteurs, les conditions et les
agents à l'origine de ces mutations socio-culturelles. Bien entendu, un
regard sera également porté sur les éléments de la
situation qui ont résisté au changement.
1. La dynamique de la conception de la dot en milieu
socio-culturel Luba, Manianga et Yansi de la Commune de Kimbaseke.
De manière générale et tel qu'il se
dégage des données de nos enquêtes, la conception
traditionnelle de la dot dans les trois milieux socio-culturels
enquêtés n'est pas antinomique. Les Luba, les Manianga et les
Yansi ont la même conception de la dot. Tous considèrent que la
dot est une preuve et gage de stabilité du mariage. En effet, la
tradition dans ces trois milieux socio-culurels requiert la dot comme symbole
qui certifie l'existence du mariage. Son acceptation par les parents de la
future épouse témoigne leur consentement au mariage et leur
volonté de s'allier à la famille du prétendant. Car, comme
partout en Afrique, le mariage n'est pas seulement l'affaire des deux
époux, mais aussi de deux familles respectives.
En outre, la dot, dans ces trois milieux socio-culturels
traditionnels, offre la garantie de stabilité du mariage. Elle inscrit,
du fait de son versement, le mariage dans la durée et alourdit le
processus de divorce, protégeant ainsi la famille (la cellule de base de
la communauté) contre les aléas de la vie conjugale. Comme nous
pouvons le constater, cette garantie de stabilité qu'offre la dot
résulte de son caractère contraignant et prohibitif pour
l'épouse dans la mesure où non seulement elle limite l'initiative
unilatérale de la femme en matière de divorce, mais aussi elle
proscrit pour elle toute possibilité de commerce sexuel avec un autre
homme, cause irrévocable de la rupture du mariage dans les trois
ethnies.
En dépit de cette similitude dans la conception de la
dot chez les Luba, les Manianga et les Yansi, il sied de remarquer
néanmoins qu'à la différence des deux autres ethnies
matrilinéaires, les Luba considèrent que la dot assure la
filiation paternelle de la progéniture. C'est du fait de la dot que les
enfants nés du mariage appartiennent au clan de leur père.
La coexistence de ces trois ethnies en milieu urbain,
l'influence du droit moderne et la prolifération des églises
néo-pentecôtistes, appelées communément
églises de réveil, ont entraîné une évolution
notable dans la conception de la dot qui se répercute sur sa pratique
comme nous le verrons dans le point suivant. En effet, ainsi que l'ont
montré les données de nos investigations, la tendance actuelle
dans les trois milieux socio-culturels de la Commune de Kimbaseke consiste
à considérer la dot comme une obligation biblique et juridique,
une compensation des efforts des parents et un honneur fait à la femme
et à sa famille.
1. Obligation biblique et juridique
Une frange importante de nos enquêtés ont
affirmé qu'ils perçoivent aujourd'hui la dot comme une obligation
biblique. Ils avancent que la Bible recommande dans exode chapitre
.....Verset....que le mariage soit honoré de tous.
Par ailleurs, une autre frange des enquêtés de
toutes les ethnies ont estimé, tel que le révèlent les
données reprises dans le tableau X, que le caractère obligatoire
de la dot résulte des règles de droit. Ce sont les dispositions
légales reprises dans le code de la famille qui rendent la dot
obligatoire. Pour cette catégorie des enquêtés, dans la
société moderne du type juridico-légal, tout est
réglementé par la loi. Ainsi, l'obligation de la dot ne saurait
se justifier par le seul fait de la coutume ni de la religion, elle trouve son
fondement dans les lois qui régissent la RDC.
A ce niveau, nous pouvons voir dans ces résultats,
l'influence du droit écrit dans certains milieux, surtout de ceux qui
sont instruits, qui pensent même que la dot doit cesser d'être
considérée comme une pratique coutumière, mais
relevée au rang de coutumes juridiques. D'autres vont plus loin en
estimant que l'Etat en légalisant la dot, légalise par
conséquent la domination de la femme par son mari et doit en
conséquence prendre des lois qui l'abolissent.
2. La dot comme une compensation des efforts des parents
Une autre idée force qui ressort des données de
nos enquêtes est qu'aujourd'hui prévaut la conception
d'après laquelle la dot est une compensation que le futur époux
effectue au bénéfice des sacrifices consentis par les parents
pour leur fille. Cette conception se trouve partagée par une bonne
partie de nos enquêtés, surtout chez les enquêtés
adultes qui ont déjà marié une fille. Ils avancent que le
versement de la dot est un acte par lequel le futur époux
reconnaît l'effort fourni par les parents pour « faire
grandir » leur fille.
Constatons ici que l'idée de la compensation n'est pas
nouvelle. Nous la retrouvons dans la conception traditionnelle africaine de la
dot. En Afrique traditionnelle, l'on considérait que la dot permettait
à la famille ou au clan de combler le vide crée par le mariage de
la jeune fille en épousant une femme à un autre jeune nubile de
la famille ou du clan. C'est ainsi que dans cette Afrique traditionnelle, la
dot n'était pas directement consommée par le(s)
bénéficiaire(s), celui-ci la transmettait à celui qui
devait se marier. Aussi, la dot était-elle versée en signe de
droit d'acquisition par le mari de la richesse que la femme allait produire
dans son clan ou dans sa famille, entendez par là les enfants et autres
biens (produits agricoles, de la chasse, de la pêche, etc.)
Ce qui est nouveau aujourd'hui c'est que les parents
voudraient, par le versement de la dot, se faire
« rembourser » les frais qu'ils auraient investis,
notamment pour la scolarité de la fille, les différents soins de
santé lui apportés depuis son jeune âge, son habillement,
etc. Cela transparaît dans la pratique surtout lorsque la fille qui est
mariée a terminé les études secondaires,
supérieures ou universitaires. Les parents montent les enchères
en exigeant des montants et biens exorbitants à titre de dot. C'est
cette conception qui est à la base du dérapage observé
dans la fixation de la dot par certains parents. Cette conception de la dot
qui tient à l'urbanisation, à la scolarisation des filles et
à la paupérisation de la plupart des familles dans ville de
Kinshasa ne considère pas le fait que ces
« sacrifices » consentis par les parents relèvent
bel et bien de leurs devoirs. Il ne s'agit pas des avantages ou des
privilèges accordés à la fille, mais plutôt de ses
droits inaliénables dont elle doit jouir dans la société
moderne.
3. Honneur fait à la femme et à sa famille
Enfin, la dernière conception en émergence dans
les milieux de nos investigations est que la dot est un honneur que le futur
époux fait à la future épouse et/ou à sa famille.
Nous la trouvons déjà en filigrane en milieu socio-culturel
traditionnel Yansi où l'homme pour montrer qu'il aime bien sa femme doit
verser une dot d'une grande valeur. Elle s'étend aujourd'hui à
toutes les communautés investiguées dans le cadre de ce travail.
Cette conception est à l'origine de l'exhibitionnisme
que l'on remarque à ce jour. Pour témoigner leur puissance
matérielle, certains prétendants ne s'empêchent d'attirer
l'attention et l'admiration des voisins en s'amenant dans la belle famille
avec des biens de luxe qu'ils exhibent tout au long de leur parcours. (ils
louent les véhiculent, remplissent les biens dotaux et chantent à
la gloire du nouveau marié une fois arrivés dans le quartier ou
avenue de future épouse).
En somme, nous pouvons retenir que la conception de la dot
chez les Luba, Manianga et Yansi, en dépit d'une certaine
résistance de la conception traditionnelle, connaît une
évolution qui se répercute dans la pratique de la dot comme nous
verrons dans le point suivant.
2. Dynamique de la pratique de la dot chez les Luba, Manianga
et Yansi de la Commune de Kimbaseke.
Comment se pratique la dot aujourd'hui dans la ville de
Kinshasa en général, et dans la Commune de Kimbaseke en
particulier ? C'est bien là la problématique qui se pose
à tous les jeunes Kinois qui voudraient contracter un mariage de nos
jours, surtout lorsqu'il s'agit d'un mariage interethnique. Faut-il recourir au
mariage civil, religieux, ou traditionnel ? Si l'éventail est si large,
le choix n'est en revanche pas toujours aisé, pour une jeunesse perdue
dans cette ville pluriculturel. La plupart des jeunes adoptent les usages
prévalant dans le contexte social où ils vivent. Mais par respect
des traditions familiales, ou par simple besoin de retrouver leurs
repères, ou leur identité propre, ils sont conduits à
s'engager sur le parcours sinueux du mariage coutumier.
C'est pourquoi, en dépit de la convergence dans la
pratique de la dot constater lors de nos enquêtes, il sied d'observer que
nombre d'entre ces pratiques sont restées marquées par les us et
coutumes prévalant en milieu traditionnel. Ce qui permet à
chaque groupe ethnique de demeurer elle-même, de garder son
identité, de développer sa conscience de soi et de l'autre dans
un environnement qui tend de plus en plus à s'unifier.
Dans cette entreprise de conservation de son identité,
Les Luba, par exemple, tiennent à leur « mbuji wa
nyima » (littéralement traduite par la
« chèvre du dot », allusion faite à la
virginité de la future épouse) dans la constitution des biens
dotaux. Cette chèvre destinée à la maman de la fille
symbolise l'idéal luba de la prohibition du commerce sexuel
pré-conjugal pour la fille. Son octroi à la mère est une
sorte de gratitude lui témoignée pour la bonne éducation
assurée à sa fille.
Cette pratique persistante en milieu luba est néanmoins
soumise à la pression de la dynamique insufflée par
l'urbanisation. Quand bien même la « mbuji wa nyima »
soit toujours exigée comme bien dotal, on ne tient plus compte
aujourd'hui de la virginité de la future épouse. Dans le contexte
urbain actuel de Kinshasa, la virginité de la future épouse ne
constitue plus une condition de fond dans la conclusion du mariage. Elle
paraît même minimisée.
D'autres pratiques traditionnelles ont connu la même
évolution sinon ont disparu notamment en ce qui concerne la suspension
de versement de la dot pour une fille qui tombe enceinte avant le mariage.
Alors que la tradition veut que pour une telle fille que la dot soit
versée après la maternité, à ce jour les parents
perçoivent la dot même s'ils sont informés de l'état
de grossesse de leur fille. En outre, la remise d'un bouc au gendre par les
parents de la mariée après le versement de la dot, comme chez les
Yansi, a disparu dans la pratique de la dot en milieu socio-culturel luba.
Certains biens dotaux traditionnels sont remplacés étant
donné le contexte urbain. C'est ainsi qu'en lieu et place du fusil, les
luba demandent aujourd'hui un appareil électroménager par exemple
une radio, un réchaud ou une télévision.
Les Manianga, pour leur part, marquent leur identité
culturelle par la pratique de « Kinzonzi » lors du
versement de la dot et cette dernière, contrairement aux Luba et Yansi,
est destinée à l'oncle maternel de la future épouse.
Chez les Yansi, d'après nos enquêtés, la
remise du bouc au gendre par ses beaux-parents après versement de la dot
est toujours de mise. Aussi, le gendre est-il appelé à verser la
dot aussi bien à la famille paternelle que maternelle de la future
épouse. Faute de quoi, la partie lésée,
c'est-à-dire, celle qui n'a pas bénéficier de sa part de
la dot, considère que le mariage n'a pas eu lieu. Ces pratiques
sauvegardent et maintiennent l'identité Yansi dans cet archipel culturel
qu'est devenue la Commune de Kimbeseke.
Ces mutations dans les pratiques de la dot dans les
communautés Luba, Manianga et Yansi habitant la Commune de Kimbaseke
tendent à instituer certaines convergences. Nous voyons, par exemple, se
généraliser la pratique de la pré-dot, de
l'établissement de la liste de biens dotaux, communément
appelée facture et la dollarisation de la partie numéraire de la
dot.
1. La pré-dot
Les données des enquêtes démontrent que la
pratique de la pré-dot (Kanga lopango en lingala) n'est pas connue dans
les milieux traditionnels luba et Manianga. Elle est l'apanage des Yansi qui
la pratiquent depuis des lustres. Elle s'est répandue dans toutes les
communautés que nous avons investiguées, comme le
démontrent les données reprises dans le tableau XIII.
Elle consiste en la remise par le fiancé des quelques
présents notamment d'une somme d'argent variant entre 50 et 100 usd,
d'un certain nombre des cassiers de bière en guise d'officialisation des
fiançailles. Le versement de la pré-dot constitue un pas
décisif dans le processus de conclusion du mariage. Il représente
le ferme engagement du futur mari à faire aboutir les fiançailles
au mariage, ce qui rassure la fille et sa famille, au même moment il met
fin à toutes les sollicitations que pourrait faire objet la fille de
la part des autres prétendants. Il sert en quelque sorte de haie que
la fille ne pourrait franchir ainsi que le témoigne sa
dénomination en lingala (kanga lopango, c'est-à-dire
clôture).
2. La « facture »
Traditionnellement, selon les informations recueillies
pendant nos enquêtes, la pratique de la « facture »
est usage spécifique aux Manianga, non connue de deux autres groupes
ethniques étudiés dans ce travail.
La dénomination on ne peut plus péjorative de
cette pratique (facture) fait penser à un acte de vente. En
réalité, cette pratique consiste pour la belle famille à
établir la liste des biens dotaux et de la somme à verser
qu'elle communique au fiancé ou à sa famille. Cette liste est
transmise soit à l'occasion de la pré-dot, soit par le biais de
la fiancée, soit encore à l'occasion séance
organisée à cet effet.
La réception de cette liste déclenche les
tractations entre les deux familles qui entrent en pourparlers (Kinzonzi) pour
finalement arrêter le montant de la dot à verser par le futur
époux et/ou sa famille.
La généralisation de cette pratique dans la
Commune de Kimbaseke nous semble procéder de l'ignorance qu'ont la
plupart des prétendants des biens dotaux exigés dans la tradition
de leurs fiancées. En demandant la « facture », le
futur époux voudrait tout simplement connaître les biens
constitutifs de la dot dans la tradition de sa fiancée.
3. La dollarisation de la dot
Les résultats des enquêtes attestent la
généralisation du dollar américain comme signe
monétaire en cours dans le marché matrimonial non seulement dans
la Commune de Kimbaseke, mais aussi dans toute la ville de Kinshasa. Toutes
les ethnies étudiées dans ce travail fixent le montant de la dot
en dollar américain, même si dans certaines circonstances elle
est versée dans son équivalence en Franc congolais. Cette
pratique est une conséquence de la dollarisation de l'économie
congolaise depuis le début de la transition démocratique en 1990
à la suite l'instabilité du Zaïre monnaie d'abord et du
Franc congolais ensuite. Et selon nos enquêtés, le recours au
dollar permet de maintenir la valeur de la dot.
Même si toutes les trois ethnies ne fixent pas la
même hauteur de la dot remarquons qu'elle varie entre 250 et 1000 usd.
Comme nous pouvons le constater, le montant de la dot, de plus en plus
exorbitant, devient hors de portée des prétendants. Il serait bon
de s'interroger sur l'origine d'un tel dérapage :
- le coût de la vie ? - la baisse, ou la disparition
du pouvoir d'achat ? - la cupidité, et le manque de scrupules de
certains parents ?
La dot offre aujourd'hui parait une occasion
inespérée à certains chefs de famille peu scrupuleux et
cupides, d'en faire un véritable fonds de commerce. La tentation est
certes grande dans un contexte de crise socioéconomique
sévère.
Conclusion
Ce chapitre a été centré sur la
présentation et à l'interprétation des résultats
de nos enquêtes. Il nous est revenu également, à travers ce
chapitre, de décrire le cheminement de nos investigations car pensons
nous les résultats d'une recherche valent ce que valent les instruments
utilisés.
Au vu de ces résultats, nous pouvons affirmer à
ce jour que la conception et la pratique de la dot dans les milieux
socio-culturels Luba, Manianga et Yansi sont en train de subir des mutations
qu'imposent l'acculturation résultant de la vie urbaine, la crise
socio-économique, la prolifération des églises de
réveil et le droit moderne.
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