2.4. La gestion de risque de change
Les IMF interviennent dans des pays où la situation
économique, politique et monétaire peut être instable.
L'activité des IMF étant en
général de prêter en monnaie locale, tout en empruntant
souvent en devises fortes; Le risque de change est donc l'un des risques
auxquels les IMF sont le plus exposées. Pourtant, elles n'en sont pas
toujours conscientes, et connaissent souvent mal les mécanismes
possibles pour se protéger de ce type de risque. Pour les IMF, le risque
de change comprend trois principaux éléments:
· Le risque de dévaluation
La dévaluation (ou dépréciation) se
produit lorsqu'une IMF contracte une dette en devises, le plus souvent en
dollars ou en euros, et prête ensuite ces fonds en monnaie nationale.
L'IMF détient donc une dette dans une monnaie forte et des actifs (son
portefeuille de crédits principalement) en monnaie nationale. Dans ce
cas, on dit qu'il y a un écart de devises, ou position de change
défavorable, pour l'IMF. Les fluctuations des valeurs relatives de ces
deux monnaies peuvent affecter négativement la viabilité
financière de l'organisation.
Au Sénégal, les francs CFA ayant cours fixe avec
les euros la viabilité financière des IMF ne sera pas
affecté en cas de contraction d'une dette en devise euro.
· Le risque de convertibilité
Le risque de convertibilité représente un autre
élément possible du risque de change. Il s'agit principalement du
risque que le gouvernement ne vende pas de devises aux emprunteurs ou autres
détenteurs d'obligations libellées en monnaie forte.
· Le risque de transfert
Le risque de transfert est le risque que le gouvernement ne
permette pas aux devises de quitter le pays.
De ces trois éléments de risque, le
risque de dévaluation est le plus fréquent : les IMF
opèrent dans les pays en développement où le risque de
dévaluation de la monnaie est le plus élevé, et sont
particulièrement vulnérables au risque de change.
Néanmoins, les risques de convertibilité et de transfert, quoique
moins répandus, peuvent aussi se produire.
Nous avons vu, au niveau de prêt aux IMF, que les
banques locales sont souvent peu enclines à refinancer les IMF. Pour
cette raison, des fonds spécialisés internationaux se sont
créés ces dernières années, pour apporter aux IMF
des pays du Sud cette possibilité d'accéder à des
emprunts, afin de développer leur portefeuille de crédit.
La quasi-totalité de l'argent investi dans ces fonds
spécialisés vient d'Europe ou des États-Unis. Ces fonds
gèrent des sommes libellées en euros ou en dollars mais
investissent dans des IMF qui travaillent en monnaie locale, souvent dans des
devises dites «exotiques», pour lesquelles les mécanismes de
couverture du risque de change n'existent pas.
D'un point de vue économique, il serait plus logique
pour des IMF qui prêtent en monnaie locale, de se financer aussi en
devise locale. Mais devant l'impossibilité de lever des ressources
locales (interdiction de lever de l'épargne, méfiance des
banques) la tentation est forte pour les IMF de recourir à ces
ressources, qui impliquent pourtant un risque parfois élevé.
Ce financement en devises fortes présente aussi
d'autres avantages pour les IMF : les conditions de financement peuvent
être plus intéressantes; par ailleurs, le prêt peut
être une première relation avec un nouvel investisseur potentiel,
qui pourrait ensuite entrer au capital de l'IMF.
Une petite réflexion sur le risque de change:
Quel est le risque porté par l'IMF, pour un financement
en devises fortes ?
Si les dettes de l'IMF libellées en devises
(prêts en dollars ou en euros, par exemple) sont compensées par un
montant égal d'actifs libellés dans la même devise
(placements en dollars ou en euros, par exemple), alors une variation du taux
de change de la monnaie locale n'affectera pas l'IMF.
En revanche, si les dettes en devises ne sont pas
compensées par des actifs en devises, alors il y a
déséquilibre de la position de change. Ce risque se
matérialise quand la monnaie locale se déprécie (parfois
très brutalement). Si la monnaie locale perd de la valeur par rapport
à la devise, alors la valeur des actifs de l'IMF baisse par rapport
à celle de ses dettes. Dans ce cas, l'IMF subit une perte de change, qui
peut être très lourde.
Avec le développement des financements en devises
fortes, mais aussi la professionnalisation du secteur (exigence d'analyse et
de management du risque), les IMF et leurs partenaires financiers sont de plus
en plus sensibilisés au risque de change, avec plusieurs
conséquences:
· Dans certains pays, l'État limite la
possibilité pour les IMF de s'endetter en devises
étrangères;
· Certaines IMF préfèrent limiter
d'elles-mêmes leur recours aux prêts en devises fortes, quitte
à croître moins vite;
· Certains acteurs évoquent la possibilité
de lever de l'argent directement dans les devises des pays où ils vont
investir.
Une solution de plus en plus utilisée consiste à
s'appuyer sur des banques locales qui peuvent prêter aux IMF sans prendre
de risque de change. Dans ce cas, le fonds spécialisé garantit
auprès de la banque locale le remboursement du prêt par l'IMF.
Des stratégies sont aussi envisageables pour faire face
aux risques de change. Du point de vue des IMF, Il en existe trois principales
stratégies possibles face au risque de change:
- Ne pas se protéger
Si le risque est faible ou d'un impact estimé limiter,
ou que le coût pour se protéger est élevé par
rapport à cet impact potentiel (car la couverture du risque de change
peut représenter un coût prohibitif dans beaucoup de pays !),
alors l'IMF peut sciemment décider de subir, le cas
échéant, le risque de change. Cependant, dans la plupart des pays
du Sud, une telle stratégie n'est pas recommandable, si elle n'a pas
été soigneusement étudiée, les risques de change
étant souvent sous-estimés.
- Se protéger par l'un des instruments existants
Les instruments existant de protection contre le risque de
change sont constitués entre autre de:
ü Outils
«classiques»
Parmi les outils les plus utilisés pour se couvrir
contre le risque de change, on peut citer:
· Les contrats à terme: par ces
contrats, l'IMF s'engage à acheter ou vendre des devises à un
certain prix dans le futur;
· Les swaps: dans un accord de swap,
l'IMF s'engage à échanger (ou vendre) un montant de devises
maintenant et à revendre (ou racheter) cette devise dans le futur;
· Les options: elles donnent le droit,
mais sans obligation, d'acheter (option d'achat) ou de vendre (option de vente)
une devise dans le futur, une fois que la valeur de cette devise atteint un
prix convenu à l'avance, le prix d'exercice.
Ces outils ont des réels avantages: en premier lieu,
ils représentent une protection efficace de l'IMF en cas de
dévaluation de la monnaie locale, ou en cas de risque de
convertibilité ou de transfert (par les swaps).
Le problème est qu'en général, ils ne
sont pas disponibles, c'est le cas dans bon nombre des marchés
financiers des pays où interviennent la plupart des IMF. Par
ailleurs, le coût de l'utilisation de ces outils peut être
prohibitif en raison de la taille modeste des transactions de change
effectuées par les IMF. De même, la durée des prêts
en devises est souvent supérieure à celle des instruments de
couverture disponibles sur les marchés financiers. Enfin, les questions
de solvabilité peuvent rendre l'achat de ces instruments
dérivés difficile pour les IMF.
ü Les prêts adossés ou
«back-to-back»
Les prêts adossés représentent
actuellement la méthode la plus utilisée par le secteur de la
microfinance pour se couvrir contre le risque de dévaluation ou de
dépréciation.
Dans ce type d'instrument, l'IMF contracte un prêt en
devises (auprès d'un prêteur international, en
général) et le dépose dans une banque locale. L'IMF
utilise ce dépôt comme garantie en espèces ou comme une
forme de caution donnant à la banque locale un droit contractuel sur le
dépôt ; en échange, l'IMF peut ainsi contracter un emprunt
libellé en monnaie nationale pour financer son portefeuille des
prêts. Le prêt en monnaie locale n'est pas réellement
considéré comme une dette dans la mesure où le
dépôt en devises offre une garantie totale à la banque
locale. Une fois que l'IMF rembourse le prêt en monnaie nationale, la
banque locale libère le dépôt en devises, qui est alors
utilisé pour rembourser le prêt initial libellé en devises.
L'IMF doit payer un intérêt sur le prêt en
monnaie nationale, ainsi que la différence entre l'intérêt
appliqué sur le prêt en devise forte et l'intérêt
perçu sur le dépôt en devise forte; elle doit donc au
préalable correctement estimer ce coût, et le comparer aux autres
mesures de protection possibles.
L'intérêt des prêts adossés est
réel: c'est une couverture efficace contre le risque de change sur le
capital; ce système permet à l'IMF d'avoir accès à
des capitaux non disponibles sur le marché local, à des
conditions qui peuvent être intéressantes.
Cependant, l'IMF reste exposée à une
augmentation du coût du service de la dette en cas de
dépréciation de la monnaie nationale. En outre, la plupart des
prêts adossés ne protègent pas l'IMF contre les risques de
convertibilité et de transfert qui pourraient limiter l'accès aux
devises ou interdire les transferts des devises hors du pays, empêchant
ainsi une IMF solvable de rembourser son prêt en monnaie forte. Si ce
risque est avéré effectif, il est peu probable qu'un investisseur
s'engage.
Ce mécanisme expose aussi l'IMF au risque de
crédit sur le dépôt en monnaie forte en cas de
défaillance de la banque locale.
ü La lettre de crédit
Le fonctionnement de la lettre de crédit est le suivant
: l'IMF accorde une garantie en monnaie forte, généralement sous
forme de dépôt en espèces, à une banque commerciale
internationale qui, à son tour, donne une lettre de crédit
à une banque locale. La banque locale, utilisant la lettre de
crédit comme garantie, accorde ensuite un prêt en monnaie
nationale à l'IMF.
Cette technique présente plusieurs avantages par
rapport au prêt adossé : ici l'IMF n'est pas exposée au
risque de crédit de la banque locale, puisqu'il n'y a pas de
dépôt en devise forte auprès de cette dernière. Elle
est également protégée du risque de convertibilité
ou de transfert : la devise forte n'est en effet pas déposée dans
le pays à risque.
Le risque d'augmentation du coût du service de la dette
demeure toutefois, en cas de dépréciation de la monnaie
nationale.
En revanche, la lettre de crédit sera plus difficile
à obtenir, pour une majorité d'IMF, et toutes les banques locales
n'accepteront pas cette forme de garantie. Enfin, l'IMF devra là aussi
vérifier le coût total de la mesure prise, les frais de la lettre
de crédit venant s'ajouter.
ü Prêts en monnaie nationale remboursables en
monnaie forte avec compte de dévaluation monétaire
Dans ce cas, un bailleur de fonds accorde à une IMF un
prêt en devise forte remboursable en monnaie forte au taux de change qui
était en vigueur à la date du prêt. L'IMF convertit ce
prêt en monnaie nationale pour renforcer son portefeuille des
prêts. Pendant toute la durée du prêt, en plus de ses
paiements réguliers d'intérêts, l'IMF dépose
également des montants convenus d'avance en monnaie forte dans un
«compte de dévaluation monétaire.» À
l'échéance du prêt, le principal est remboursé au
taux de change initial, et toute différence est couverte par le compte
de dévaluation monétaire. Si le montant de ce compte est
supérieur aux besoins le solde est rendu à l'IMF. S'il est
inférieur, le prêteur assume la perte.
Ainsi, dans cette opération, l'intérêt est
de partager le risque de change entre l'IMF et le prêteur. Cet
arrangement peut être adapté au niveau de risque que chacun est
disposé à assumer. Le risque de l'IMF est plafonné.
Le risque de convertibilité et de transfert existe
toujours en revanche, si le compte de dévaluation monétaire est
placé dans le pays à risque (mais ce compte peut être
placé à l'étranger).
ü L'indexation du taux d'intérêt de l'IMF
sur la devise forte
Dans ce cas, l'IMF ne prend pas le risque de change, mais le
répercute à son tour sur ses clients. Autrement dit, le taux
d'intérêt appliqué par l'IMF est indexé sur la
valeur de la devise forte. Lorsque la monnaie nationale se
déprécie, le taux d'intérêt imposé aux
clients augmente en proportion, ce qui permet à l'IMF de collecter en
remboursements des crédits de quoi assurer le service de sa propre dette
en devise forte. En revanche, l'IMF n'est pas protégée contre le
risque de convertibilité ou de transfert.
Cette technique peut être discutable non seulement du
fait de l'impact sur le client (qui est sans doute l'acteur de la chaîne
de financement le moins capable d'assumer ce risque, et souvent de
l'anticiper), mais aussi parce que la sécurité qu'elle procure
à l'IMF peut être très illusoire: elle déplace en
réalité le risque.
En effet, l'IMF ne supporte plus le risque de change, mais en
réalité si ses clients en période de
dépréciation monétaire ne peuvent plus rembourser leurs
crédits, alors l'IMF doit faire face à un risque crédit
plus élevé des impayés.
- S'auto-imposer des limites prudentielles.
Certaines IMF soit de leur plein gré, soit sous
l'impulsion des investisseurs ou des autorités de contrôle
limitent leurs dettes en devises. Elles limitent donc le risque, de ce fait.
Les limites qu'elles s'imposent sont fonction du niveau de risque qu'elles
peuvent supporter. En général la limite courante est de plafonner
la part des dettes en devises fortes à 20 à 25 % du total de
l'endettement de l'IMF.
Pour définir une limite prudentielle appropriée,
les IMF doivent aussi tenir compte du niveau de leurs fonds propres et de la
capacité de ces fonds propres à supporter des augmentations des
dettes à la suite d'une dépréciation de la monnaie
nationale. Par exemple, une IMF pourrait limiter ses engagements en devises
à 20 % de ses fonds propres et, peut-être, créer un poste
de provisions dans son bilan pour couvrir les pertes potentielles de change.
Plus les fonds propres d'une IMF sont faibles en pourcentage de l'actif total,
plus la limite imposée aux dettes en devises doit être basse en
pourcentage de ces fonds propres.
L'IMF limite ainsi son risque, et limite aussi le coût
de la couverture du risque de change. C'est donc un compromis, mais qui peut
être d'un intérêt limité si la dette en devises
fortes, d'un montant très réduit, ne peut de ce fait pas
être négociée à un meilleur taux; l'IMF n'exploite
donc pas le potentiel de la dette en devises fortes.
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