CONCLUSION
Alors que rien ne l'y prédestinait, l'Italie est
devenue, en moins d'un quart de siècle, une pierre angulaire de l'espace
migratoire sénégalais. Consécutive à la fermeture
des destinations traditionnelles, cette évolution a coïncidé
avec l'extension du bassin migratoire à des régions qui n'y
étaient jusque là que peu engagées, en l'occurrence le
bassin arachidier et les grands centres urbains sénégalais.
Conséquence d'une juste appréciation de
l'environnement migratoire international, la conquête de la
péninsule italienne est à l'origine, le fruit de pionniers venus
notamment de la France. La rapide concrétisation de cette ouverture par
les initiatives familiales des populations d'origine rurale confère
à la migration un caractère ethnique et confrérique
très marqué. Celle-ci n'est cependant pas exempte de changements
avec notamment l'arrivée de plus en plus importante de populations
d'origine urbaine.
Malgré les difficultés qui découlent de
leur situation souvent irrégulière, les sénégalais
ont montré une remarquable aisance à se déplacer le long
de la péninsule, ainsi qu'une grande capacité à
établir des liens et des contacts, non seulement au niveau personnel,
mais aussi organisationnel, collaborant avec des associations de volontariat,
syndicales ou de quartier. Ils ont donc pris une position de premier plan dans
l'univers bariolé de l'immigration en Italie.
Leur insertion semble se fonder aussi bien sur une
réinterprétation des valeurs traditionnelles de la culture
sénégalaise, que sur une adaptation aux réalités et
spécificités régionales et locales italiennes.
Ils sont cependant parvenus à s'adapter à leur
contexte économique et social en y prenant une part active. A l'origine,
il s'agissait d'entretenir la famille ; aujourd'hui les investissements font
d'eux de véritables acteurs du progrès social et
économique de leurs régions.
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Cette participation au développement de la
région d'origine renforce le sentiment d'appartenance à leur
société et permet une construction identitaire fondée sur
des critères socioreligieux endogènes.
Quoique récente, la migration internationale
sénégalaise vers l'Italie à mobilisé au cours de
ces dernières décennies des flux importants et des remises
considérables aux familles d'émigrés. Ces sommes d'argent
constituent une source financière importante et un moyen de lutte contre
la pauvreté pour les pays de départ. Ils jouent un rôle
important dans les mutations au niveau de leurs villes et villages d'origine.
Sur le plan individuel et familial ils participent à la prise en charge
des dépenses familiales par le biais de leurs transferts dont une bonne
partie sert à reconstruire la maison familiale ou à
réaliser un investissement immobilier.
Sur le plan communautaire, ils ont contribué à
la mise en place d'investissements collectifs à travers la dotation
d'ambulances à leurs villages, la construction d'écoles ou
l'équipement de centres de santé. Leur rôle dans le
développement local est de plus en plus effectif. Encadrer ces actions
par le politique constitue un impératif de développement et une
stratégie de faire participer tous les acteurs au-delà des
contingences territoriales et des frontières politiques au
développement de leur localité.
Les investissements des migrants auront du mal à sortir
des secteurs de l'immobilier, du transport ou du commerce tant qu'il n'existera
pas un cadre adéquat pour l'encadrement des travailleurs migrants. Leur
capacité d'investissement a été surévaluée.
En effet, rares sont les migrants capables d'investir sur fonds propres dans le
secteur industriel. Leur accès aux services financiers modernes
s'avère difficile.
L'Europe n'a toujours pas réussi à mettre en
place une politique commune d'immigration, et les élections qui se
succèdent dans différents pays de l'Union Européenne
à l'image de l'Italie donnent la majorité à des partis qui
défendent une politique fondée sur les thèmes de la
sécurité et du contrôle des flux migratoires.
Pourtant un minimum d'ouverture permettrait aux pays dits de
migration de comprendre que la plus grande partie des migrants ne désire
pas s'installer dans les dits pays. Comme l'avait si bien exprimé
Ababacar Diop43 : « Tant qu'on accordera pas de visas qui
permettent aux gens de faire des allers-retours, on ne peut pas exiger qu'ils
rentrent au Sénégal ».
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43 Ancien porte parole des sans papiers à
Paris. Dakar Paris le 22 aout 2000.
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