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INTRODUCTION
Depuis quelques décennies, le Sénégal a
perdu son statut de pays d'immigration pour devenir un pays
d'émigration. Cette évolution dont les prémices remontent
à l'accession à l'indépendance des différents pays
de l'AOF s'est accentuée au début des années 1970.
Ainsi, la situation économique difficile notée
à la suite de la sécheresse des années 70 ont
obligés de nombreux paysans expulsés de la campagne à
entrevoir l'émigration (d'abord interne, puis internationale), comme un
moyen de subvenir à la survie de leurs propres familles1.
Elle s'est progressivement traduite par une expatriation plus soutenue qui a
touché l'ensemble des régions du pays.
Dans les villes du Sénégal, au début des
années 80, les difficultés économiques s'expliquent par un
secteur industriel en crise entrainant une vague de déflations et de
départs volontaires. Le secteur privé moderne subit les
conséquences de la déstructuration des industries qui obligent le
patronat en général à procéder à des
compressions du personnel des entreprises.
On peut noter également l'attrait de l'occident
accentué par des exemples de réussite financière
d'émigrés partis pauvres.
Voilà autant de facteurs qui expliquent la migration
internationale sénégalaise.
Vers les années 1960, les émigrés
sénégalais étaient généralement
établis en France, pays colonisateur, et dans les pays frontaliers
(Mauritanie, Mali etc.).
En outre, on enregistre aussi des départs plus tardifs,
à la fin des années 1960, vers la côte d'ivoire et le
Gabon.
Toutes ces destinations qu'on peut qualifier d'anciennes,
accueillent aujourd'hui une part de moins en moins importante des nouveaux
émigrés sénégalais. Le double effet de la
complexité des conditions d'entrée dans les pays occidentaux et
des difficultés
1 Hoebink et al.2005 :63
économiques dans les pays africains est responsable du
tassement des flux vers les destinations dites anciennes.
A partir de ce moment, on note un redéploiement spatial
de la migration internationale sénégalaise vers les pays de
l'Europe du Sud. Sous ce rapport, l'Italie est apparue comme le nouvel
eldorado des sénégalais en partance vers
l'étranger. Pourtant, ni les relations historiques, ni les
proximités linguistiques ou géographiques ne semblent expliquer
la place de l'Italie dans les destinations migratoires des
sénégalais.
Produit d'une mutation lente voire inattendue, la migration
sénégalaise vers l'Italie ne peut être
considérée comme un phénomène isolé. Elle
fait partie d'un vaste dynamique qui a fait basculer une terre
d'émigration séculaire2 dans le champ de nouvelle
nation d'immigration3 .
Largement tributaire des restrictions apportées
à la libre circulation des hommes par les accords de Schengen
(Costa-Lascoux 1986), l'exode sénégalais vers l'Italie est
indissociable de la dérive protectionniste qui secoue l'Europe du Nord
en particulier la France, destination traditionnelle des
sénégalais, eu égards aux liens coloniaux
séculaires. L'introduction du visa d'entrée en 1986 a joué
un rôle décisif dans la modification des comportements migratoires
des Sénégalais (Fassin et al, 1997).
Une telle évolution s'est essentiellement traduite par un
redéploiement vers l'Europe du Sud (Robin ; Sow 2003) et
l'Amérique du Nord (Ebin et Lake 1992 ; Fall 2002).
La fermeture des destinations traditionnelles coïncide,
au Sénégal, avec l'élargissement de l'aire de recrutement
des migrants internationaux. Il manque certes des chiffres pour étayer
la thèse mais, cette mutation qui prend la forme d'un déplacement
du bassin migratoire du Nord du Sénégal vers les régions
centrales est observable de manière empirique. Alors que
l'émigration internationale était
2 Bernini F, flussi migratori e ripercussioni
geografiche.Il caso della sponda gardenese occidentale, tesi di laurea di
economia, universita di Brescia, 1988.
3 Cf.Losi, N, N., italy.A country of immigration,
Milan: ISMU, 1994. « Quaderni, ISMU », n°1 ; Sergi N,
l'immigrazione straniera in italia, Rome : Edizioni Lazaro, 1987.
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jusqu'alors le domaine réservé des populations
de la vallée du fleuve Sénégal (Adams, 1977 ; Delaunay,
1984), la conquête du nouveau champ migratoire italien est l'affaire des
Modou Modou4 .
La grande originalité du mouvement, en plus de son
caractère inopiné, est de coïncider avec l'entrée en
scène des régions du bassin arachidier dont les flux se
limitaient jusqu'alors à la capitale
sénégalaise5.
L'augmentation du nombre de candidats au départ et le
rejet dont les migrants sont l'objet dans les destinations traditionnelles
à forte population immigrée, ont incontestablement
détourné les flux vers les destinations nouvelles, sans
véritable tradition d'accueil. Dans ce contexte plutôt
défavorable, les Sénégalais qui se retournent vers
l'Italie vont, après avoir largement exploité
l'opportunité d'entrée légale, jusqu'en 19906,
ce qui a rendu plus difficile l'accès des Sénégalais en
Italie. Malgré tout, cette croissance peut être confirmée
par les données suivantes : entre 1995 et 1997, le nombre de
Sénégalais résidents réguliers a augmenté de
33% en passant de 23 953 à 31 8707 . De 2000 à 2003,
leur nombre passait d'environ 600 à 650 par an8.
Naguère absente de l'espace migratoire
sénégalais, l'Italie y a fait irruption au début des
années 80 et à réussi la prouesse de s'imposer rapidement.
Tallon d'Achille de l'espace Schengen, elle constitue, en dépit de la
fragilité des statistiques, le troisième pays d'accueil des
sénégalais. Par le volume des flux migratoires qu'elle a
drainé ces dernières années et la place qu'elle occupe
dans l'imaginaire de nombreux candidats à l'émigration ,la
péninsule italienne constitue l'archétype idéal à
l'analyse du processus
4 A l'origine, le terme désignait, de
manière péjorative, les migrants internationaux d'origine rurale
appartenant à la confrérie mouride. Par un glissement de sens
consécutif à la participation des citadins à l'exode, il a
fini de s'appliquer, positivement, à tous les migrants internationaux
quelle qu'en soit l'ethnie
5 Boone 1990 ; Bates 1980 : Ebin 1992 ; Mboup 1993.
6 Date à laquelle le gouvernement italien a
décidé d'exiger des visas d'entrée aux
sénégalais.
7 Source ISMU 1997.
8 Source Instituto Nazionale Distatisca (ISTAT
2004).
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de conquête et de consolidation de ce qu'il convient
d'appeler désormais les nouveaux champs migratoires
sénégalais.
L'Italie est un pays avec une récente et brève
expérience en matière d'immigration. Dans l'après-guerre
jusqu'au milieu des années 70, il a été un pays
d'émigration, une tendance qui a fortement influencé le cadre de
son développement économique, social et politique.
Au milieu des années 80, les italiens commencent
à se rendre compte que leur pays avait rompu avec une histoire
séculaire, celle d'un foyer d'émigration, pour se transformer en
importateur de main d'oeuvre en provenance des parties les plus pauvres du
monde.
Issus de la migration industrielle antérieure, ces
changements firent de l'immigration en Italie un cas d'école à
cause de l'importance de son secteur tertiaire et de l'économie
informelle ou souterraine qui se nourrit d'une main d'oeuvre taillable et
corvéable à merci (Tall 2002).
La facilité d'insertion professionnelle dans le
commerce ambulant et la tolérance vis-à-vis de l'autre, ont
propulsé l'Italie au rang de premier pays d'immigration occidentale au
cours de la dernière décennie. Le facteur décisif dans la
confirmation de la destination italienne est, sans aucun doute, la
régularisation périodique des immigrés en situation
régulière.
Les régularisations ont représenté
l'instrument principal de contrôle de la présence des migrants en
situation irrégulière, avec l'objectif de leur accorder un permis
de résidence, sous certaines conditions et pour une période
limitée. En moins de vingt ans, l'Italie a mené cinq programmes
de régularisations « extraordinaires », tous crées dans
l'intention d'être le dernier. En fait, chaque opération de
régularisation a été une tentative de réduire
considérablement le nombre de migrants en situation
irrégulière présents dans le pays, afin de rendre viables
de futures actions répressives et de réguler le rapport
économie officielle/secteur officieux, en transférant une partie
des étrangers irréguliers vers le marché du travail
officiel dévalué. Du dernier point de vue, les
mesures de régularisation ont toujours été
vues comme fonctionnellement équivalentes aux contrôles des
nouvelles entrées.
L'optimisme et la certitude d'accéder, dans un avenir
plus ou moins proche, à un titre de séjour jouent un rôle
primordial dans le maintien de la chaine migratoire dont le renouvellement des
flux, est assuré de l'intérieur par les migrants en
règle.
En effet, si les migrants de la première vague
migratoire ont pu régulariser leur situation à la faveur de la
loi n°943/19869, ceux de la seconde vague
bénéficièrent de la loi n°39/1990, dite loi
Martelli10. Malgré la fermeture officielle des
frontières qui suivit ces premières mesures, entre 1990 et 1994
l'absence de contrôle d'identité systématique, qui laisse
une relative liberté de mouvement à l'immigré entré
clandestinement, favorisera la poursuite de la chaine migratoire.
En dépit du vif débat sur l'immigration de cette
période, de nombreux sénégalais continuent à entrer
de manière illégale en Italie.C'est donc une destination
récente mais elle se positionne comme une destination
préférentielle.
Plus de deux décennies après la colonisation, le
même fait observé en Italie se retrouve dans les autres pays
d'Europe quant à la composition des premiers contingents
d'immigrés sénégalais. Les premiers pionniers de
l'immigration sénégalaise arrivèrent dans la
péninsule italienne à partir du début des années
80, souvent via la France : il s'agissait surtout de commerçants
liés à la confrérie mouride qui avaient commencé
à apprécier les possibilités offertes par le marché
italien lors de court séjour dans les villes de Gênes ou Naples
pour se ravitailler en marchandises (Castagnone et al, 2005, Mbow,
2001).
A l'époque ces premiers venus se trouvèrent face
une situation économique, sociale et institutionnelle favorable à
l'accueil de la main d'oeuvre étrangère (Perrone, 2001).
9 La procédure de régularisation qui
accompagne cette loi peut être considérée comme la
résultante de la politique européenne commune qui impose aux
Etats de l'UE des mesures transitoires en matière d'immigration. Avant
1986, un national pouvait faire venir un étranger et solliciter en sa
faveur un permis de séjour.
10 Adoptée par le parlement italien, la loi
Martelli devait mettre un terme à l'immigration clandestine en
régularisant la situation des étrangers pouvant apporter la
preuve de leur entrée sur le territoire italien entre le 31
décembre 1989 et le 30 juin 1990.
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Ils commencèrent à faire venir les parents et
amis. En peu de temps, l'Italie est donc devenue la destination
privilégiée pour la « nouvelle génération
» de migrants sénégalais (Tall, 2008).
Ce redéploiement spatial du contingent des
sénégalais à travers l'Italie va s'accentuer à
partir de 1988, année comme l'écrit Schmidt « la France et
l'Allemagne ont rendu obligatoire le visa pour les sénégalais.
Dans la même période, mais avec une politique opposée, en
Italie commençait la politique de régularisation qui donnait un
nouvel espoir aux migrants potentiels (Schmidt 1993).
Pour tout ce qui précède, un certain nombre
d'interrogations s'impose à nous, pour nous permettre justement de mieux
appréhender notre étude.
Quelle est la politique d'immigration mise en place par
l'Italie et le mandat des principales institutions qui y travaillent ? Comment
se traduit l'implantation sénégalaise en terre italienne ? Existe
t-il une coopération sénégalo italienne en matière
migratoire ? Quels rôles les émigrés
sénégalais d'Italie jouent- ils dans le développement du
pays d'origine ?
Ces questions ainsi soulevées vont servir de piste de
réflexion dans le cadre de cette étude qui présente un
certain nombre d'intérêts.
Au delà des statistiques, l'importance de la migration
sénégalaise vers l'Italie est perceptible à travers les
mutations engendrées par les envois de fonds. Les relations entre les
émigrés et leur pays d'origine sont plurielles et revêtent
diverses formes. Les émigrés jouent un rôle important dans
les stratégies de survie et d'investissement de leur pays d'origine.
Les transferts financiers des émigrés
constituent une source importante de revenus pour les familles laissées
au pays. Il s'agit d'en évaluer la part dans les budgets de certains
ménages émigrés, d'identifier toute la diversité de
son utilisation afin d'analyser son impact réel dans les
économies locales.
S'il est difficile de connaître les sommes d'argent
envoyées par les émigrés, il est possible d'en
évaluer l'importance auprès de leurs familles. Une approche de
développement local centré sur la participation des acteurs
devrait prendre en compte toute cette dynamique mise en oeuvre par les
émigrés pour assurer des conditions de vie meilleures à
leurs familles. Il s'agit dans cette étude de mieux connaître les
dynamiques de la migration sénégalaise vers l'Italie, son
fonctionnement et ses enjeux afin d'entrevoir les possibilités d'une
utilisation optimale des ressources humaines et financières qu'elle
génère en vue d'un développement global.
Peu connu du fait de l'importance de la migration clandestine
difficile à mesurer, le nombre de migrants sénégalais
à l'étranger est estimé à plus de deux millions. La
grande partie de ces émigrés est dans les pays voisins et dans
les autres pays de l'Afrique, des destinations cependant en perte de vitesse.
En Italie, le chiffre officiel des émigrés
sénégalais recensé (71000)11 ne
représente que le 1/3 des Sénégalais effectivement
présents dans la péninsule.
S'il est vrai qu'une bonne partie de la population locale
fustige la migration en raison du chômage qui touche une bonne partie des
nationaux, la présence étrangère bénéficie
d'une certaine compréhension, en l'occurrence auprès des vieilles
générations.
Au demeurant, pour essayer d'apporter une réponse
à la problématique nous nous focaliserons sur le cadre juridique
italien en matière d'immigration (première partie) et puis, nous
mettrons en exergue le modèle d'intégration et de
coopération sénégaloitalienne en matière migratoire
(deuxième partie).
11 Au 01janvier 2010,71000 sénégalais
réguliers en Italie selon ISTAT.
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PREMIERE PARTIE :
LE CADRE JURIDIQUE ITALIEN EN
MATIERE D'IMMIGRATION
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