Le domaine royal de Mbé est composé d'un ensemble
de sites liés à la culture et à l'histoire du peuple
Téké dont
- Mbé-Nkoulou, (ancien Mbé) où fut
effectué selon la légende le partage des pouvoirs aux
différents sous-groupes Téké, au travers des Nkobi
(divinités censées assurer la protection chez les
Téké).
- Nko où régna le Makoko Iloo 1er et Itiele
où régna Makoko Mbaïndele.
· Les lieux associés au pouvoir royal et au
système politique sont :
- Le village Ngabé, résidence de la Ngantsibi
(Reine) et la source royale sacrée qui procure
l'eau de boisson pour le Makoko.
- Les chutes du Nkouembali sur la rivière Léfini,
lieu sacré d'où est puisée l'eau utilisée
à
l'intronisation du Makoko.
- La forêt sacrée d'Itiere : lieu d'internement et
d'initiation des Ngantsibi, reines gardiennes
du Nkouembali (divinité suprême, code moral, et
religion traditionnelle Téké) ; la reine dans le royaume
n'étant nullement l'épouse du roi est plutôt la gardienne
du pouvoir en cas de vacance de celui-ci.
- La forêt sacrée d'Ebala, où furent
inhumés les dignitaires Téké jusqu'au règne du Roi
Iloo
1er.
· Les lieux de mémoire du Domaine royal :
- La Forêt de Ndoua, ancienne réserve
alimentaire du royaume, lieu de signature le 10 septembre 1880 d'un
Traité célèbre entre l'explorateur français Pierre
Savorgnan De Brazza et le Roi Iloo 1er.
- La stèle d'Itiéle, symbolisant le lieu de
massacre des hommes du Roi Mbaïndele par ceux de De Brazza et le lieu
où a été signé l'accord de paix entre les
protagonistes.
Le patrimoine immatériel.
L'une des caractéristiques du domaine royal
réside dans le fait que le royaume est très présent dans
l'immatériel; on y trouve une forte présence des traditions et
expressions orales, des arts du spectacle (danses, transes...), des pratiques
sociales, rituelles et événement festifs, des connaissances et
pratiques concernant la nature et l'univers, du savoir et du savoir faire
liés à l'artisanat et à la médecine
traditionnelle7. On trouve des formes d'expression culturelles
très variées parmi lesquelles :
- Les traditions et expressions orales : les Téké
sont restés fidèles à leur langue ou dialecte
appelée le «Tio ». Elle est la principale
langue de communication et de transmission. Elle est le socle de la sauvegarde
de la culture Téké. La musique et la danse Téké
livrent un spectacle culturel au public, mais elles véhiculent aussi des
informations et des messages d'inspiration, d'édification et racontent
d'une génération à l'autre l'histoire du royaume.
Certaines musiques et danses, dites sacrées, sont
réservées au roi et aux initiés de la Cour royale. C'est
le cas de la danse « Ampiranton » qui est spécialement
réservée au roi, à la reine, aux princes, aux princesses
et aux initiés. La danse du roi est restée originale et
ancestrale depuis le premier
7 Mouayini Opou (E), Le royaume Téké,
L'Harmattan, 2005, 151p
royaume. La deuxième danse appelée «
Outierako », est celle réservée aux autres membres de la
cour royale et la troisième appelée « Imbalambala » est
la danse populaire du Royaume.
- Les contes et les légendes Assami, vaste domaine de
la littérature Téké, dans lesquels se rencontrent à
la fois les hommes (Bâri), les animaux (Agnama) et des autres êtres
surnaturels de l'univers comme Dieu (Ndjami), les fantômes (Afu). Les
contes évoquent souvent des évènements plus ou moins
imaginaires situés très loin dans le passé, au
commencement du monde. A travers ceux-ci se dégagent aussi le
perpétuel conflit de l'homme avec la nature et sa lutte pour
l'existence.
- Les chants des griots qui sont l'expression la plus vivante de
la littérature orale. Le griot (Ndjim)
est tout l'art de raconter en chantant dans la plus belle
poésie. Il intervient lors des solennités (funérailles,
mariages) et anoblit le personnage dont il chante les louanges. Le griot
Téké est l'artiste qui atteint même les coeurs les plus
insensibles. Il surprend par son improvisation, son aptitude à
réciter pour tout client habitué ou nouveau, ses exploits et ses
succès jusque dans les détails les plus ténus. Dans la
traditionnelle explication, on dit que, dans cet art sans initiation, le griot
est inspiré et qu'il bénéficie de l'assistance des esprits
des ancêtres ; la plupart d'entre eux sont habités par les
mânes.
- Les croyances et religions. Le peuple Téké a
toujours été adorateur de Nkoué-Mbali qui est un esprit,
un envoyé de Dieu sur terre venu pour mettre en place le royaume
Téké et le protéger. En évoquant
Nkoué-Mbali, les hommes font allusion à une philosophie morale et
politique dont la préoccupation majeure serait de faire régner
l'ordre parmi les habitants du royaume, les âmes des vivants et des morts
ensuite : lien réel entre les mondes du visible et de l'invisible, le
pouvoir mystique est une conciliation renouvelée avec les ancêtres
de ladite terre.
- La sacralité des forêts qui assure la
protection de la nature et l'entretien des lieux publics. En effet, la
forêt est conçue comme un lieu mythique et mystique où
vivent les génies, les mânes tutélaires et l'esprit des
ancêtres ; c'est aussi le lieu indiqué de résidence des
dieux qui sont différents du Dieu Suprême : Nzambi a Mpungu. La
forêt sacrée c'est le royaume des ancêtres ; les animaux
totémiques s'y trouvent. Elle peut être un ancien village
où survivent les âmes des ancêtres qui ne sont pas morts ou
supposés morts et qui vivent en communion avec les vivants.
L'imbrication des valeurs naturelles et spirituelles fait l'originalité
et l'intérêt de ces sites8.
- Le Savoir et Savoir-faire : Les Téké ont une
grande connaissance de l'artisanat traditionnel
(fabrication du raphia, vannerie, poterie, forge pour la
fabrication des outils aratoires, des parures du roi et de la reine, etc.),
l'habitat, la chasse et la pêche.
Enfin il y a la propriété foncière qui
confère un caractère sacré à la nature. En effet,
il y a des surfaces sur lesquelles des familles exercent, en vertu de la
coutume, un droit exclusif, non de propriété à proprement
parler, mais de jouissance. Aucun étranger n'y a accès sans
l'autorisation des autorités familiales compétentes et moyennant
le paiement d'un droit d'accès limité et temporaire. Le clan
propriétaire foncier veille à l'exploitation
8 Nkaya (M), Le Congo Brazzaville à l'aube du
XXème siècle : plaidoyer pour l'avenir, Essai paru
chez L'Harmattan, 2005, 49p
de son domaine, à sa protection et donc à sa
conservation. Les pratiques rituelles ont un impact sur la conservation et la
protection de la nature, elles peuvent être une manière d'honorer
les ancêtres, elles interdisent tout abus d'abattage, de chasse, de
pêche et de cueillette des produits de la brousse qui, très
souvent, entraîne des sanctions du genre : perte de son chemin de retour,
raréfaction du gibier, du poisson, des fruits et autres produits de la
forêt. C'est ainsi que grâce à ces cultes et à la
propriété foncière, on fait cesser les abus et se
créent, par conséquent, des "réserves naturelles" vieilles
de plusieurs centaines d'années. La forêt sacrée est donc
faite d'interdits inviolables et on s'en sert décemment en pensant aux
générations futures. C'est aussi elle qui préserve la
santé, procure la nourriture en un mot, c'est une source de vie pour les
générations d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Il y a ainsi une
gestion logique intergénérationnelle et
extra-générationnelle qui va au-delà de toute
considération magico religieuse. En effet, chaque
génération en respectant les interdits préserve le
patrimoine, au profit des générations futures et ainsi de
suite9. Dans ce sens les générations qui se
succèdent entretiennent des liens étroits avec la nature par le
respect et la crainte du Nkwe Mbali qui est considéré comme un
code moral, un esprit supérieur ou tutélaire du royaume. Cet
esprit recommande une justice au sein du royaume et châtie tout acte de
violence et de malice. Ce qui contribue fortement à la conservation de
la culture Téké qui repose sur la paix.
On observe encore un bon nombre de détenteurs de
connaissances, de savoir et de savoir-faire (sachants et historiens). Ce qui
pourrait faire l'objet d'un programme de « Trésors humains vivants
» en République du Congo pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel présent sur toute l'étendue du territoire.
Les principales composantes physiques du domaine royal de
Mbé ont gardé leurs emplacements d'origine et leur
caractère sacré. Les forêts sacrées qui ont
remplacé les différentes cités royales sont toujours
visibles. Les rites et autres manifestations traditionnelles se sont
perpétués jusqu'à nos jours ; ils se pratiquent toujours
et de manière intégrale dans le domaine. Ceux-ci sont toujours
régis par le code traditionnel Nkouembali. La force de ce domaine
réside dans le respect de ce code qui régit non seulement les
rites liés à la désignation (Oushion), à
l'investiture (Lisse) et aux funérailles (Nzo a Nsuele) des hauts
dignitaires, mais aussi au mode de gestion et de protection des lieux de
sépulture des anciens dignitaires, des lieux de mémoire du
royaume, des sanctuaires et des forêts sacrées. Toutefoi,s il
convient d'indiquer que le Domaine est menacé par la pratique de la
culture sur brQlis et l'exploitation illicite des forêts. Par ailleurs,
l'habitat traditionnel qui caractérisait la culture Téké a
disparu.