III - 2 - 4- c La Technique Stylistique
Le conte est introduit par :
- « Mise droun loo ! » (écoutez mon conte),
à laquelle l'assistance répond :
- « droun ne va » (que le conte vienne).
Cette formule d'introduction est avant tout une manière
de « capter l'attention de l'auditeur ». Ce procédé
introductif relève d'un art : celui de savoir imposer le silence mais
aussi de retenir l'attention de ses interlocuteurs ou de la raviver lorsqu'elle
baisse. L'attention une fois captée, le conteur est tenu (du moins
12 La mère dévorante, essai
sur la morphologie du conte africain, Denise PAULME,
Gallimard, 1976, P.25
implicitement) de plaire, de rendre son conte captivant,
attrayant de sorte que l'enfant, le jeune homme et l'adulte qui
l'écoutent en ce moment puisse le graver à tout jamais dans leur
mémoire. Pour ce faire, le conteur joue sur le timbre de sa voix. Il
scande, débite, déclame et même chante. A ce propos Mineke
SCHIPPER disait : « ... le conteur est souvent poète,
chanteur, musicien et acteur à la fois. Il est poète parce qu'il
ré - crée (re - creates) à sa manière et à
l'improviste les textes traditionnels »13. Le
conteur, en effet, use des ressources de sa voix pour imiter celles
d'êtres surnaturels, produire des onomatopées et au besoin jouer
le rôle de « Coryphée» dans les intermèdes
chantés.
Au-delà de sa voix, le conteur use des ressources de la
langue et des effets qu'elles peuvent aider à produire. Aussi peint - il
les personnages (humains ou animaliers) sous des caractères
poussés à l'extrême. A ce sujet, il suffit de se
référer au conte de l'araignée et Koffi Amévoin
pour se rendre à l'évidence.
Dans ce conte, l'araignée qui est
présentée comme un personnage d'une indicible misère,
condamnée à trimer çà et là sans pour autant
gagner son pain quotidien, découvre un trésor qui à la
faculté de régénérer. Du coup, elle devient la
créature, la plus riche qui soit.
Comme on peut s'en apercevoir, il s'agit d'hyperbole. Outre
l'hyperbole qu'on retrouve dans la quasi-totalité des contes, les
conteurs font usage de métonymie
dans le genre : « dekadjea ku
srõa odzi evi eta a amatõ
» (le jeune
homme et sa femme ont donné naissance à cinq
têtes d'enfants).
Dans cette phrase, le nombre d'enfants est
désigné par une partie du corps humain : la tête. Et donc
pour dire cinq enfants, le conteur dit cinq têtes d'enfants dans le conte
`'la teinturière et le pygmée».
Il arrive que des conteurs combinent une ou plusieurs figures
de style. Ainsi toujours dans le conte `'la teinturière et le
pygmée», on entend le conteur dire qu'ayant cherché des
heures durant sa progéniture, le pygmée finit par la retrouver
entre les mains de la teinturière. Cette dernière avait pris soin
de coiffer le bébé pygmée. Ce qui déplut à
mère pygmée à laquelle, le conteur, fait dire :
« Dzi evigne beda do etepe Ne mugni nene
oa
Ma vou voun o »,
13 `` Oral tradition and african theatre» in la tradition
orale, source de la littérature contemporaine en Afrique, Institut
Culturel Africain, 1985.
(Je veux mon bébé avec ses cheveux bien en
place. Sinon je te déchire). Dans la phrase «sinon je te
déchire » on sent le souci de rendre perceptible la colère
de mère pygmée et la cruauté du châtiment qu'elle
entendait infliger à la teinturière. En faisant dire à son
personnage « je vais te déchirer » le conteur compare
implicitement la teinturière, à l'endroit de qui cette phrase est
prononcée, à du papier ou à un pagne qui pourrait l'un
comme l'autre être déchiré aisément. De plus, le
choix du terme « déchirer » (quelque peu impropre)
plutôt que dévorer exagère un peu le degré de
cruauté du supplice. De ce fait nous osons croire que le conteur combine
sciemment ou non les figures de style dans une seule et même phrase.
A cette liste non exhaustive des figures de rhétorique,
il faudra ajouter les onomatopées dont se sert le conteur pour exprimer,
certaines situations ou attitudes. Notamment le fait de pousser un soupir qui
revient sous la forme de :
« Eso houm!».
Littéralement « il coupa hum » pour laisser
entendre «il soupira ».Nous serions incomplets si nous
n'évoquons pas les proverbes qui terminent les contes de façon
artistique. Les proverbes qui sont une façon de dire en quelques mots ce
qu'on dirait en cent. N'est-ce pas ce qu'entendait Yves Emmanuel
DOGBE quand il disait du proverbe qu'il est «
un art de dire en des termes voilés des paroles ou des
recommandations qui ne sont pas destinées aux oreilles
étrangères, indiscrètes ou profanes ; et l'on peut y
déceler l'équivalent de toutes les figures rhétoriques
européennes »14 Ainsi dans le conte de la
teinturière et le pygmée (encore lui), lorsque la crise opposant
les deux protagonistes (la teinturière et la pygmée) se
dénoue, suite à l'intervention d'un fils de la
teinturière, dont cette dernière n'espérait point de
secours. Elle exprime alors son soulagement au travers d'un proverbe
chanté. Le proverbe qui dit :
« toti mawo nude a
tona fufui kpode»,
(Le pilon n'a certes pas grande utilité. Mais il sert, au
moins, à piler).
Le proverbe ici comme dans de nombreux contes reprend de
façon concise et imagée la morale du conte.
Nous nous en voudrions énormément si nous ne
disons pas un mot sur les personnages des contes avant de clore ce chapitre.
Une chose est à signaler ou à rappeler : c'est que les
personnages sont généralement présentés sous des
traits exagérés. En outre, ils portent des noms évocateurs
des situations et / ou de l'attitude qu'ils ont face à ces
situations.
Lorsqu'il s'agit de personnages animaliers, ils portent les
noms qui leur sont connus dans la vie courante. Dans les contes, ces noms sont
attachés à des traits caractéristiques admis par tous dans
la tradition. C'est le cas de Yévi l'araignée, qui est peinte
sous les traits d'une créature à la fois malicieuse et
prétentieuse. Bien souvent, elle se retrouve aux prises avec Azoui le
lièvre. Ce dernier, lui apparaît comme le plus intelligent des
créatures. Il est apte à déjouer les pièges de
Yévi. Ces cas de figures sont tout aussi vieux que les contes eux -
mêmes.
Quant aux personnages humains, ils portent des noms souvent
choisis par les conteurs eux - mêmes. Nous citons en exemple Kofi
Amévoin qui est présenté comme le frère consanguin
de Yévi l'araignée. Amévoin, rappelons le, signifie
«le mauvais». On dira donc Kofi le mauvais. Ce dernier, à qui
Yévi montre les méthodes au travers desquelles il a fait fortune,
se les approprie et les utilise par dévers son frère
(Yévi). Et cela avec l'intention de se retrouver plus riche que
Yévi. En cela, il (Kofi Amévoin) est mauvais aux yeux de la
tradition qui veut qu'on «ne mange le plat des autres que sur leur
invitation».
Autre exemple non moins évocateur est celui de «
Adomefa », qu'on traduira par le bon. Le conte veut qu'Adomefa qui est
l'unique enfant de sa mère décide d'aller en aventure avec deux
frères consanguins. Ces derniers étant d'une même
mère, la mère d'Adomefa lui interdit de les suivre. Face à
l'insistance de son fils, la mère cède. Chemin faisant Adomefa
est abandonné par ces frères qui, au préalable, le rendent
aveugle. Devenu aveugle, le garçon apprend les vertus des plantes et se
guérit.
Quand il rentre chez lui, des années plus tard il
retrouve ses frères d'abord riches, ensuite pauvres puis aveugles et
paralytiques. Adomefa, fait table rase du passé et guérit ses
frères consanguins. Sa bonté fit de lui un herboriste -
guérisseur riche et heureux. Comme on peut le déduire,
l'onomastique n'est pas ignorée dans l'usage et l'adaptation
radiophonique des contes qui relève tout compte fait de la
littérature orale.
14 `` Misegli ou l'esthétique d'une création
littéraire» in la littérature orale, source de la
littérature contemporaine en Afrique, Institut Culturel Africain, N.E.A.
Dakar,1985.
Faut - il rappeler que ces contes véhiculent les valeurs
morales que la société guin entend transmettre à ses fils,
de même que les croyances qui sont les siennes ?
Faut - il rappeler que les contes dont on abreuve les auditeurs
dans cette tranche (émission) sont des récits vieux de plusieurs
générations ?
Sans doute non. Il conviendrait plutôt d'insister sur le
fait que de par leurs contenus, ces contes « exorcisent » les jeunes
générations en leur indiquant le sort réservé aux
méchants et le bonheur des justes et bons. En somme les récits
présentés aux auditeurs sont un canal au travers duquel leur est
transmis un enseignement traditionnel.
Serait - ce donc une aberration de soutenir que
l'écoute des séances radiophonique de contes sont pour certains
une distraction, pour d'autres une source à la quelle on s'abreuve du
savoir des ancêtres, pour d'autres encore un cadre où
s'opère une forme de catharsis sociale ?
Serait-ce une aberration de soutenir que les séances
radiophoniques de contes recouvrent à elles seules les fonctions
ludiques, didactiques et cathartiques dévolues à la
littérature ?
Serait - ce une aberration de revendiquer pour la radio un effort
de recherche littéraire voire une littérature ?
Encore une fois, nous en doutons. Il nous paraît certes
évident que la rédaction des textes destinés à
être écouté (pas lu) par les destinataires (auditeurs) est
soumise aux rigueurs de la concision, de la simplicité et de la
clarté. Cependant, le champ stylistique restreint qui lui est
laissé se prête à l'éclosion d'une
littérature.
Quand bien même, elle ne serait pas consignée de
sorte que l'auditeur, à l'instar du lecteur, puisse revenir en
arrière, comme dans un livre, pour approfondir sa compréhension,
apprécier l'esthétique du texte.
Quand bien même, les animateurs ou les conteurs ne
soient pas toujours auteurs des textes qu'ils présentent à
l'antenne (c'est le cas notamment dans l'émission «les contes du
soir »), on peut comme le journaliste américain Jean
SHEPHERD considérer, «la radio comme un
nouveau médium réservé à une nouvelle sorte de
roman » où « le microphone (...)
sert de plume et de papier ». Une nouvelle forme de roman
où « l'auditoire et l'actualité (...)
fournissent » les personnages, les situations, le ton
à adopter. Et partant, poser le postulat d'une littérature
radiophonique. Une littérature qui intègre le bruitage, la
musique, le dialogue, la poésie, le théâtre,...
Peut - être, restera - t - il à définir
les contours d'une telle littérature. Ce qui ne saurait se faire en
perdant de vue qu'elle émane d'un média : la radio, qui reste
avant tout un moyen de communication.
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a R.D.S. est, faut-il le rappeler, une entreprise de
communication et de ce fait, elle tient compte de nombreux principes qui
tiennent à la fois de la communication, mais aussi de la communication
de masse. Ce sont ces principes qui retiennent notre attention dans le
présent chapitre.
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