THERAPIE
COMMUNAUTAIRE
INTEGRATIVE
MEMOIRE réalisé dans le cadre
d'un Diplôme Universitaire
Présenté par :
de prévention des Addictologies
sous la Direction du Dr. PERNEY Joseph
MAZZONI
Université Montpellier 1
Mai 2010
Sommaire
1) Avant
propos....................................................................1
2) Les Groupes de
paroles......................................................3
3)
Historique........................................................................7
4) Schéma du
changement......................................................9
5) La thérapie communautaire
intégrative...................................11
- c'est quoi ?
- A quoi ça sert ?
- Caractéristiques et objectifs
- Les modes d'abords thérapeutiques
6) Le thérapeute
communautaire..............................................20
7) Les outils du thérapeute
communautaire................................21
8) La
formation.....................................................................26
9) Déroulement d'une
séance.................................................29
10) Exemple de
séance...........................................................33
11)
Conclusion.......................................................................35
12) La thérapie communautaire intégrative au
Brésil.....................37
13) La thérapie communautaire intégrative en
Europe...................38
14)
Bibliographie....................................................................40
AVANT PROPOS
Avant de vous présenter mes réflexions sur
l'utilisation de la thérapie communautaire intégrative et ses
applications dans le champ des addictions, permettez que je vous parle un peu
de moi, vous dire qui je suis et pourquoi je me suis inscrit à un
diplôme universitaire (D.U) d'addictologie.
Je ne suis ni médecin, ni psychologue, mais un ancien
malade de l'alcool qui depuis plus de 10 ans travaille au sein d'une
association dont le but est d'aider et d'accompagner les personnes et leur
entourage en difficulté avec l'alcool.
Mon travail au quotidien s'appuie bien sûr sur mon
vécu dans l'alcool mais aussi sur une formation en alcoologie
dispensée par l'AREAT. Aussi instructives soient-elles, les limites de
cet enseignement me sont vite apparues au contact des personnes qui,
au-delà de leur problème d'alcool, présentaient une
addiction à un ou plusieurs produits. C'est pour acquérir des
connaissances en ce domaine que je me suis inscrit à un DU
d'alcoologie.
Quant à mon rôle dans l'association, s'il consiste
à accueillir des personnes en difficulté et à travailler
leur motivation c'est aussi et surtout la participation aux groupes de paroles
que j'anime en m'appuyant sur l'expérience et quelques formations
internes.
L'opportunité de suivre une formation de thérapeute
communautaire s'est offerte à moi il y a 2 ans. (Formation
dirigée par le Dr. Adalberto Barretto, ethnopsychiatre brésilien,
fondateur de la Thérapie communautaire).Cette méthode par sa
facilité de mise en oeuvre et son efficacité m'a permis
d'optimiser mes interventions.
Elle permet une approche globale de la maladie en intervenant non
seulement sur la personne mais aussi sur le contexte ayant conduit à
l'addiction.u
Exemple 1 :
Dans notre Association « Alcool Action
83 » nous proposons 2 groupes de paroles par semaine pour les
malades, et 2 par mois pour l'entourage.
Ces groupes travaillent séparément, de peur que de
leurs différentes approches de la maladie naissent des malentendus qui
perturberaient le groupe.
Aujourd'hui, grâce à la thérapie
communautaire, ces groupes travaillent ensemble.
C'est en redonnant la parole aux uns et aux autres, que l'on a pu
recréer les liens et ainsi améliorer le contexte dans lequel
évolue la personne en souffrance.
Exemple 2 :
J'ai été invité par le Dr. Nicole HUGON
à animer en qualité de co-thérapeute des groupes de
paroles à la Clinique Saint Barnabé à Marseille.
Inutile de vous décrire mon appréhension :
co-animer un groupe de 80 à 100 individus, composé de personnes
en soin, de leurs familles, d'anciens malades, et de visiteurs, cela me
semblait irréalisable.
A ma grande surprise, j'ai pu constater que grâce à
la thérapie communautaire, toutes ces différences donnaient
naissance au fil des échanges à une osmose constructive,
créatrice de liens.
(Voir annexe « 10èmejournées
internationales de la qualité hospitalière).
La seule prétention de ce mémoire est de vous faire
partager nos expériences et de vous expliquer le but et les applications
de la Thérapie communautaire, ainsi que le déroulement d'une
séance au sein d'un espace de parole, d'écoute et de lien.
Les groupes de paroles
Qu'est ce qui pousse les hommes à se
réunir ?
Actuellement notre société s'articule autour de
notions qui sont la performance, la rentabilité et les
responsabilités individuelles. Ce mode de vie génère des
pressions qui altèrent trop souvent les liens de solidarité
auxquels tout individu aspire. Renvoyée à elle-même, la
personne peut être ainsi conduite à méconnaître les
éléments environnementaux qui pèsent sur elle comme des
processus socio-émotionnels par lesquels on favorise l'isolement.
Ce sentiment d'isolement est aussi renforcé par la perte
d'identité culturelle.
Le développement des moyens de transport, l'énorme
progrès des moyens de communication (Internet) s'ils rapprochent les
hommes, en revanche paradoxalement les éloignent de leur culture.
« Un homme sans culture est comme un arbre
sans racine »
Pour combler ce vide existentiel et apaiser leur souffrance,
certaines personnes font usage de produits psycho-actifs et/ou
développent une dépendance comportementale.
Malheureusement, si dans un premier temps les effets psychotropes
du produit, ou le comportement addictif inhibe et atténue la souffrance,
très vite la perte de liberté engendre l'isolement. La personne
devient socialement hors norme, ce qui renforce le manque de communication, (le
déni) car dans notre société il n'y a rien de plus grave
que la perte de la capacité.
L'homme est un être en relations, l'importance du regard de
l'autre conditionne son comportement.
Michel TALEGHANI, sociologue et alcoologue, récemment
disparu, aimait à rappeler « que la France est un pays dans
lequel on s'ennuie, parce que c'est le pays de la raison, de la
modération, de l'épargne et où il n'est pas possible
d'être d'un côté ou de l'autre sans s'exposer au risque
d'être rejeté, par ce que différent » Alors il
faut rester au milieu, dans la norme et faire comme tout le monde.
En France en consommant de l'alcool, on apprend à faire
comme tout le monde et tout va bien. »
La cellule familiale, jadis garante de cohésion sociale,
se trouve aujourd'hui fragilisée : les grands-parents sont en maison de
retraite, les parents au travail et les enfants à la crèche.
Si notre mode de vie actuelle renforce l'individualisme et
l'isolement, paradoxalement on voit se former en même temps toutes
sortes de travaux de groupes, de projets collectifs, de rassemblements,
surtout dans le monde associatif qui est par nature coopératif.
Il faut voir dans le développement de certaines sectes une
réponse à ce phénomène de société,
car malheureusement tout groupe humain contient et produit le meilleur et la
pire coopération et autonomie d'un côté, sectarisme et
aliénation de l'autre.
Les premiers groupes à but thérapeutique sont
apparus dès le XIXème siècle, en particulier
chez les malades alcooliques.
De nos jours, ces groupes ont évolué, se sont
multipliés et offrent ainsi à la personne selon ses convictions,
de choisir un groupe à tendance confessionnel ou laïque, libre ou
à thèmes etc....
Pour essayer de comprendre comment s'articule ce qui se passe
dans les groupes de paroles, de nombreuses études ont été
menées tant dans les champs de la psychiatrie, la psychologie, la
sociologie, l'anthropologie et la communication.
Les travaux du « Collège invisible »
l'école de PALO ALTO avec en particulier WATZLAWICK et BATESON sur
l'interactivité et la pensé systémique, HALL sur la
proxémique, KORZYBSKI la sémantique (la carte n'est pas un
territoire), LEWIN la dynamique des groupes, MORENO le psychodrame, mais aussi
BALINT, SARTRES, BALES, ROGERS, PAGES..., pour ne citer qu'eux sans oublier
FREUD, psychologie collective, analyse du moi etc....
Toutes ces études, tous ces travaux, nous apportent un
éclairage sur ce qui se passe de manière consciente ou
inconsciente dans les groupes de paroles. Cela nous permet de mieux les
aborder, de comprendre pourquoi et comment les individus s'imbriquent et inter
réagissent à l'intérieur d'un groupe de paroles.
Cet apport scientifique c'est indéniable, est une aide
indispensable à la gestion d'un groupe de paroles mais il ne doit
pas nous faire oublier les autres formes de savoir.
Celles que chacun a acquis tout au long de son existence, de
manière empirique ou transgénérationnelle et qui
résulte d'une suite d'épreuves douloureuses ou agréables
que chaque individu a su surmonter.
Si la thérapie communautaire intégrative s'est
inspirée de ces groupes de paroles, elle s'en différencie en
intégrant deux notions majeures qui régulent le comportement
humain : le vécu et la culture.
LE VECU ET L'ASPECT CULTUREL
DANS
LES GROUPES DE PAROLES
La culture et le vécu sont indissociables. Ils
conditionnent l'évolution comportementale d'un individu et peuvent
être ressentis de manière différente selon le lieu, le
contexte et l'état physique ou psychique de la personne.
- Ce peut être un renforcement positif : la personne
se plaît de ses réussites, ce qui la stimule.
- Ce peut être un renforcement négatif :
« ça n'arrive qu'à moi », ce qui renforce
l'isolement.
a) Le vécu
Dans un comportement additif, dans la souffrance, la personne en
s'isolant s'enferme dans un même schéma de pensée
(pensée limitante) qui inhibe tout désir de changement. Dans les
groupes de paroles, l'observation, l'échange de différents
vécus, la confrontation à l'autre, l'expérimentation de
nouveaux comportements seront source d'apprentissage et de
développement, ce qui favorisera une modification de comportement.
Le groupe amènera la personne à avoir une meilleure
image d'elle-même dans sa relation à autrui. Elle pourra partager
ses émotions sans être angoissée ni se sentir jugée.
Elle gagnera en ouverture, en confiance en soi et en sensibilité
à autrui. Elle s'intègrera plus facilement dans le groupe, ce qui
lui confèrera un sentiment d'appartenance.
L'écoute d'autres vécus modifie les systèmes
d'identification personnelle ainsi que la relation et les
représentations que la personne entretient avec les
éléments de vie. Elle découvre d'autres comportements, un
nouveau sens, une nouvelle signification de certains aspects de sa vie
quotidienne. Elle appréhende son environnement d'un oeil
différent. De ce fait elle a tendance à faire d'avantage
confiance à ses propres ressources :il est plus facile de changer le
comportement d'un groupe que celui d'un individu.
b) L'aspect culturel dans les groupes de
paroles
Venue du fond des âges, transmise de façon
transgénérationnelle, la culture représente l'ensemble des
valeurs, des représentations, des mythes et des symboles acceptés
par un ensemble d'individus du fait de leur histoire commune.
La culture est un moteur facilitant la relation et la
cohésion des groupes, elle est vectrice de reconnaissance. Elliot
JACQUES 1952, dans ses études en anthropologie définit la culture
comme « un mode de pensées et d'actions habituelles plus ou
moins partagé et qui doit être appris et
accepté ».
La culture fédère, rassemble les hommes, ils
s'identifient en elle, se reconnaissent entre eux.
C'est une sorte de mémoire collective, issue d'histoires
vécues ou mythiques, d'attitudes partagées, d'habitudes
acceptées ou de symboles qui régentent et règlent la vie
en groupe. Elle sert de ciment, de liens entre les hommes.
Le fait de percevoir la culture comme un processus dynamique,
permet aux anciennes et aux nouvelles valeurs de cohabiter et de faire
naître des manières novatrices de vivre.
Nota : Lors des rassemblements interculturels, les
différences de culture sont souvent source d'incompréhensions et
de conflits.
Venue du Brésil, la thérapie communautaire est une
pratique, basée sur une approche systémique et anthropologique,
qui a débouché sur la mise au point d'un modèle
d'intervention structuré qu'en France nous nommons « espace de
paroles, d'écoutes et de liens »
La thérapie communautaire
intégrative
Historique
L'histoire de la thérapie communautaire ressemble à
un roman tout droit sorti de l'imaginaire d'un écrivain, inspirée
par les comportements humains, la sociologie.
Elle a vu le jour au nord-est du Brésil dans l'état
du CEARA donc la capitale est Fortaleza , grande ville de 2 millions
d'habitants, (qui compte à elle seule 313 favelas où s'entasse
1/3 de la population), plus exactement dans le quartier de QUATRO VARAS qui
fait partie de la favela du PIRAMBU, peuplée de 250 000 habitants
Ces migrants, des paysans fuyant la sécheresse, sont les
personnages d'une guerre silencieuse, invisible. Ils sont
irrésistiblement entrainés dans un processus de
« perte », appauvrissement économique,
appauvrissement culturel, des liens sociaux et de l'image de soi. Ce contexte
provoque des blessures qui au-delà du corps touchent l'âme de ces
paysans et par là même façonnent le nid de la violence et
des trafics en tout genres (armes, drogues, alcool etc.).
Comme beaucoup de favelas QUATRO VARAS est née d'une
« occupation de terre » qui a duré 7 ans. Elle s'est
implantée sur le terrain d'une usine de cuir désaffectée,
terrain conquis de haute lutte au prix de grandes violences, 3 fois rasé
par la police.
C'est dans ce cadre qu'un avocat Airton BARRETO vint
délibérément s'installer afin de faire connaître et
de défendre les droits des favelados.
En 1983 s'est ouvert le centre de Droit de l'Homme dont les
principales préoccupations étaient la nourriture, un toit et les
soins.
Pour les soins Airton demanda à son frère Adalberto
BARRETO ethnopsychiatre, professeur dans le département de
Médecine Sociale de l'université fédérale de CEARA,
de recevoir un, puis deux, puis 10 de ces malades, mais très vite ce
furent de plus de 20 personnes qui vinrent consulter, « comment les
accueillir toutes ? »
Face à cette situation Adalberto décida de
renverser la vapeur. Ce sont lui et ses étudiants qui allèrent
dans les favelas.
« Ces gens ne sont pas fous, c'est le
système qui est malade »
Adalberto témoigne :
En arrivant à la favelaje je me trouvais seul psychiatre
devant 36 personnes sous un arbre, chacun voulant son somnifère, son
antidépresseur ou son neuroleptique.
Or je n'en avais pas, et la plupart des gens n'avaient pas
d'argent pour les acheter. Placé devant ces défis, je me souvins
de la formation systémique de thérapie familiale qui m'avait
été dispensée en France.
Débuta alors ce que nous appelons aujourd'hui la
Thérapie communautaire intégrative, c'est-à-dire les soins
en groupe par la parole et l'écoute.
Depuis ce jour là (en 1987) une séance a lieu tous
les jeudis à QUATRO VARAS.
C'est à partir de ces séances de thérapie
communautaire intégrative que progressivement la communauté de
QUATRO VARAS a pris conscience d'elle-même. Les habitants ont
commencé à s'écouter les uns les autres, la parole est
devenue constructive, protectrice, faisant barrage au passage à l'acte,
à la somatisation.
Le contexte au début, il y a 18 ans :
Dans une favela le temps a une autre dimension, celui de
l'imprévu, de l'instant, de la survie. Vivre au jour au jour est une
lutte quotidienne. La pauvreté les mène à
l'intériorisation de la misère et à des stratégies
de l'exclusion où la loi du plus fort a un sens, où la violence,
la force et la peur aboutissent au passage à l'acte. Le sentiment de
frustration profonde conduit à des tentatives de suicides ou à
des compensations dans l'alcool et/ou la drogue.
15 ans après : ils sont passés de
constructions en carton, plastique et tôle en habitat de briques.
Les favélos ont crée eux-mêmes une petite
école et un atelier d'art thérapie où les enfants des
familles alcooliques fuyant la violence, se réfugient. Une pharmacie
vivante a vu le jour. Etant culturellement attachés à leurs
guérisseuses, masseuses et à leurs plantes médicinales,
cette médecine traditionnelle a pu, après contrôle de
l'Université fédérale de CEARA continuer de prendre soin
des gens, mais aussi de vendre leurs médicaments, ce qui permet de faire
vivre 200 familles.
Ils ont aussi construit un centre d'accueil qui abrite
provisoirement des personnes en grandes difficultés, ainsi qu'une maison
de la mémoire où toutes les séances de thérapie
communautaire ont été enregistrées et
répertoriées afin de créer une mémoire
collective.
Adalberto BARRETO définit ainsi la thérapie
communautaire intégrative :
Il faut parler, utiliser la parole. Il faut s'exprimer et faire
sortir ses gémissements afin de pouvoir réfléchir. Il faut
donner des noms aux sensations pour les transformer en émotions. Ces
émotions peuvent devenir des pensées, et la pensée peut
conduire à la conscience, à la transformation. (voir
schéma)
Schéma :
FLECHE DU TEMPS
CHANGEMENT
CONSCIENCE
PENSEE
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