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La justice aristocratique dans la généalogie de la morale de Nietzsche

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par Pierre Morien MOYO KABEYA
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 0000
  

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I. 2. Dans la sphère des classes

I. 2. 1. Maître/ esclave

L'antagonisme entre maître et esclave est constitutif de la généalogie de la morale.  Maître et esclave appartiennent à deux sphères différentes et surtout à des valeurs différentes. C'est dans cette perspective qu'il faut considérer les deux groupes. En effet, dans la vision de Nietzsche :

Les valeurs sont des interprétations, et ne sont pas plus susceptibles d'une appréciation en termes de vérité et de fausseté que n'importe quel genre d'interprétation. Ce qui le caractérise n'est pas une nature spécifique, mais plutôt une position particulière au sein d'une culture donnée -n'importe quelle interprétation étant susceptible de passer si les conditions de culture le permettent, au rang de valeur.  18(*)

Ainsi, notre livre de base nous place devant deux classes sociales. D'une part, celle des maîtres (des aristocrates), qui crée spontanément l'idée de « bon » pour se caractériser et caractériser leurs actes. Elle crée aussi le contre bas, « mauvais » ; un accessoire, une nuance pour désigner l'homme du commun et son action. Le maître est bon par lui-même. Il n'a d'ailleurs que faire du plébéien qu'il méconnaît19(*). Le noble se caractérise par l'action, l'audace, la jouissance. Chez lui bonheur et action vont ensemble. Il est plein de vie. De l'autre, il y a l'esclave, le faible, qui se caractérise avant tout par sa haine de la différence et de la distinction. Pour les hommes du commun, le bonheur apparaît sous forme de stupéfiant, d'assoupissement de repos, de sabbat.20(*) C'est la consécration d'un idéal auquel on finit par s'identifier. L'impuissance d'agir pousse l'esclave à être louche, déloyal, prudent21(*). Il se dit à lui-même, « nous les faibles nous sommes décidément faibles ; et il est bon que nous ne fassions aucune chose pour laquelle nous ne sommes pas assez forts. »22(*) La haine de la distance le fait agir contre le maître dont il arrache la place de « bon » pour le reléguer à la sphère de « méchant ». C'est là qu'a vu le jour l'idéal qui a terrassé l'aristocratie et ses valeurs de noblesse pour la remplacer par la bassesse et promouvoir la vilenie et toutes ses valeurs qui empoisonnent la vie.

I. 2. 2. Vengeance et Ressentiment

Dans le cadre de l'évolution de la morale, on place le terme « ressentiment » comme découverte de F. Nietzsche. Dans l'acception française, Max Scheler en rapporte deux aspects. D'un côté, l'expérience et la rumination d'une certaine réaction affective dirigée contre un autre. Ce qui est caractéristique du ressentiment à ce stade, c'est qu'il gagne en profondeur de manière continuelle. Et de ce fait même, le ressentiment abandonne le terrain de l'expérience et de l'activité. C'est le « re-sentiment » au vrai sens du terme. De l'autre, on trouve l'aspect de négation et d'animosité. Ici on fait allusion au mot allemand  Groll qui renvoie à une exaspération obscure, continue et indépendante de l'activité du moi et qui est source de haine et pleine d'autres intentions hostiles23(*).

Pour comprendre le ressentiment, il faut se situer à deux niveaux : la généalogie et l'opposition de deux sphères irréductibles, des maîtres et des esclaves. Dans la première dissertation de la Généalogie de la morale on peut lire ses paroles révélatrices:

 La révolte des esclaves dans la morale commence lorsque le ressentiment lui-même devient créateur et enfante des valeurs : le ressentiment de ces êtres à qui la vraie réaction, celle de l'action, est interdite et qui ne trouvent de compensation que dans une vengeance imaginaire. Tandis que toute morale aristocratique naît d'une triomphale affirmation d'elle-même, la morale des esclaves oppose, dès l'abord, un `non' à ce qui ne fait pas partie d'elle-même, à ce qui est `différent' d'elle, à ce qu'est son `non-moi'. 24(*)

Et c'est ce « non » qui est son acte créateur.

Une des plus grandes ressources du ressentiment est, en effet, le désir acharné de vengeance. Son inspiration est avant tout extérieure à « lui-même». C'est toujours par rapport à un autre que l'on a ce sentiment. C'est une « re-action ». Il faut des préalables pour déclencher le mécanisme. Une riposte spontanée n'est pas ressentiment ; le propre du ressentiment est sa profondeur due au temps plus long. C'est aussi et surtout à cause de l'incapacité d'agir, au sentiment avéré d'impuissance que l'on cultive le ressentiment. Ce sentiment est le propre du faible ; le terrain propice à son développement est la vengeance. Elle est généralement accompagnée de la rancune, de la méchanceté, du mécontentement, de l'envie, de la jalousie et de tout ce qui fait reculer la vie. La satisfaction de ce besoin advient avec l'accomplissement de la vengeance. Ici la haine de la différence va jusqu'au renversement des valeurs aristocratiques que l'on remplace par celles de l'esclave.

* 18 P. WOTLING, Op. cit., p. 681.

* 19 F. NIETZSCHE, Op. cit., p. 51.

* 20 Ibid., p. 53

* 21 Il vaut mieux peut être préciser que chez Nietzsche la prudence est négative. Elle est le contraire de l'audace créatrice des maîtres. La prudence cloisonne l'esclave dans la recherche permanente de sécurité. Or vous savez qu'il n'y a pas de sécurité qui ne soit insécurité. C'est le propre de la mauvaise conscience. C'est donc un principe négateur de la vie. Alors que le maître agit comme un enfant irresponsable et insouciant.

* 22 Ibid., pp.66-67.

* 23M., SCHELER, L'homme du ressentiment, p. 9.

* 24 F. NIETZSCHE, Op. cit., p. 50.

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