La justice aristocratique dans la généalogie de la morale de Nietzsche( Télécharger le fichier original )par Pierre Morien MOYO KABEYA Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 0000 |
IV. 3. Limite de la pensée nietzschéenne de la justiceNous avons dit que Nietzsche insiste sur les concepts de distance, de différence, de distinction. En effet, « L'accent mis sur de tels concepts proprement `métaphysiques' ou mieux `généalogiques' fait corps avec la prétention nietzschéenne de se prononcer sur l'essence de la vie, sur la réalité du monde, et non point sur un secteur particulier. »105(*)C'est un premier aspect à considérer. Le deuxième aspect est en rapport avec la méthode généalogique. Dans Nietzsche et critique du christianisme, Valadier souligne la difficulté d'introduire une critique fondée à l'adresse de cet auteur. « Si déjà l'accès à l'expérience fondamentale à partir de laquelle Nietzsche s'exprime n'est pas aisée [...], le développement de l'analyse généalogique rend plus périlleuse encore une critique qui se situerait sur le terrain des contenus, ou sur celui de la vérité. »106(*) Dans la suite il fait allusion à la mise en garde de l'auteur de la Généalogie de la morale lui-même qui dit que l'on ne réfute pas une « optique ». La critique reste souvent indifférente du contenu explicite. La généalogie comme analyse des structures de la volonté dans son rapport à sa propre histoire, voilà ce qui permet de détecter la cohérence de la pensée nietzschéenne et de juger de la valeur de ses analyses, nous dit Valadier. Faute de quoi, la critique peut se retrouver du coté de ce que Nietzsche lui-même met au compte de la volonté réactive. Si donc on fait une lecture généalogique on ne peut pas se prévaloir d'une lecture qui soit plus compréhensive107(*). Lorsqu'on fait référence au projet de Nietzsche, on se retrouve devant un homme à dresser. Cette activité est préhistorique. Sa finalité est post-historique, avec les moyens que nous connaissons bien : la violence. Dans cette même perspective l'histoire est essentiellement un détournement de ce grand projet. L'histoire retarde sinon rend impossible l'avènement de « l'irresponsable », de l'homme qui n'a à répondre devant aucun tribunal. Un homme non pas qui soit hors la loi, mais plutôt un homme dont la réalisation de la promesse ne peut être empêchée, pas même par la destinée. On se dit si l'homme historique est essentiellement réactif, cela ne nous avance pas et le projet devient irréalisable. Par conséquent, l'homme supérieur ne viendra jamais. C'est là justement qu'il faut faire appel au troisième aspect de cette partie. Comme éducateur, notre auteur vient dénoncer les tares du droit actuel dans le seul souci de tourner la volonté à désirer autre chose. Il s'agit avant tout d'une transformation de volonté et non d'une substitution d'un ordre quelconque par un autre. Sommes-nous à même de comprendre que le droit noble envisagé par Nietzsche est une sorte de proposition idéale, non un modèle réalisable. Il s'agit d'inspirer à une volonté décadente le désir de se métamorphoser assez pour sortir des systèmes égalitaristes, niveleurs et destructeurs, pour entrer peu à peu dans une perspective, respectueuse de la distance, de la hiérarchie sans laquelle il n'est pas de créativité, d'un respect capable de viser la justice et non le châtiment.108(*) En définitive, une justice aristocratique ne s'identifie pas à un système juridique quelconque que l'on pourrait présentifier. Mais elle implique une réadaptation perpétuelle. Il s'agit d'introduire un peu de noblesse dans le droit plutôt que de proposer un droit qui soit noble. Il y a en chaque homme la vilenie et la noblesse. Voilà pourquoi il faut s'ennoblir sans cesse. Pour ne pas tomber dans ce que Nietzsche reproche aux nombreux critiques, nous allons nous contenter de ces trois aspects. Ils sont pour nous assez éloquents pour décourager une proposition idéale avec les objectifs que nous connaissons désormais. Nous allons clôturer ce chapitre en donnant ce que la proposition de Nietzsche nous inspire personnellement. * 105 Idem, Nietzsche l'intempestif, p. 53. * 106 Idem., Op. cit., p. 589. * 107 Ibid., p. 590. * 108 Idem., Op. cit., p. 69. |
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