La justice aristocratique dans la généalogie de la morale de Nietzsche( Télécharger le fichier original )par Pierre Morien MOYO KABEYA Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 0000 |
CH. IV. LES ASPECTS CRITIQUESNotre méthode a consisté à suivre d'aussi près que possible la pensée de Nietzsche sur la justice, particulièrement dans la Généalogie de la morale. Son projet est clair : aller au fond des choses. La généalogie se veut une méthode authentiquement critique. Quitter les choses communément admises pour remonter à leur origine, voilà ce qui est au commencement du questionnement nietzschéen. Il est question de retrouver la main créatrice de l'homme et peut être même démasquer les perversions possibles survenues en cours de l'évolution. Par souci de fidélité au texte, nous avons refusé toute comparaison à un autre auteur. Nous n'avons fait aucun rapprochement d'un aspect de sa pensée avec un autre philosophe. Par ailleurs, on ne peut pas réfléchir en partant de la pensée d'un auteur comme Nietzsche sans se répéter. En effet, nos redites s'expliquent par la recherche toujours d'une grande clarté. Dans cette partie, il n'est pas question de vouloir défendre ni justifier « la pensée de Nietzsche.» Elle se défend déjà bien par elle-même. IV. 1. La subjectivité de la connaissance.La connaissance humaine est à la fois limitée et relative. La Généalogie de la morale est à considérer dans une perspective d'un « chercheur de la connaissance. »96(*) C'est aussi la même perspective que nous avons choisie pour relever la première limite. Le fait de s'investir dans un champ de recherche donné comporte des limites. Il y a tout d'abord la difficulté de tout saisir. Ensuite, l'impossibilité de traiter la subjectivité comme une chose. L'homme est cette subjectivité qui rend possible l'acte de connaître. Dans la vision de notre auteur cela est d'autant plus clair qu'il affirme : « [...] il serait désirable qu'une faculté de philosophie, par une série de concours académiques, se rendit utile à la propagation des études d'histoire de la morale : peut-être ce livre servira-t-il à donner une impulsion dans cette direction. »97(*) La direction à laquelle il fait allusion est celle de la recherche historique. L'auteur de la Généalogie de la morale n'aborde la question de la justice que dans un langage se référant à ce qui est, en même temps, il veut aller au-delà de ce qui est. Dans le cas qui nous concerne, il s'intéresse à « l'origine de la justice, son évolution et sa finalité. » Dans cette entreprise son propos gagne en clarté au fur et à mesure que l'on avance dans la réflexion. De ce fait même nous nous sentons à la fois enrichi et nous permis de nous interroger sur notre manière habituelle de voir la question. Pour ceux qui se penchent sur la question avec plus d'intérêt, on se surprend quelquefois en flagrant délit d'hochement de tête en signe d'approbation, de découverte, etc. Mais en même temps qu'on découvre, on se rend compte que s'élargissent autour de nous les ombres de notre ignorance sur ce que l'on croit bien connaître. L'apprentissage va toujours de pair avec l'augmentation de l'ignorance. La connaissance est toujours reconnaissance d'ignorance. Cette ombre, toujours plus épaisse, d'ignorance est source d'une autre difficulté : celle d'interpréter. Prise dans le contexte de l'histoire comme science, la question de Charon reste pourtant valable : « dans quelle mesure un type de connaissance taillée aux dimensions de l'homme peut nous permettre de saisir ce qui est [...]98(*), l'absolu ? Les faits historiques qui sont fondamentaux pour l'historien ne sont pas les fruits de ses observations propres, parce que « passés » par définition. Il faut pour cela recourir au document. Or ces documents exigent un travail préalable. Selon les règles propres à la science du passé, ils doivent être traités par la critique externe pour examiner l'authenticité du document. Ensuite, par la critique interne pour déterminer sa signification et étudier la valeur du témoignage ainsi recueillie. Au besoin, il faut rétablir dans sa facture, ce que l'on appelle la « critique de restitution ». Ce n'est pas tout, il faut ensuite des synthèses historiques. Après que les faits aient été connus, il faut établir relations qui les relient. Ce qui contenterait tout historien et tout chercheur indépendant est que l'histoire connaisse l'intégralité du passé et qu'on saisisse les liens qui relient les différents faits historiques. Mais comme ce voeu reste un idéal, tout ce que l'historien a dans son pouvoir c'est de donner la vision la plus adéquate possible en l'ordonnant. Si l'histoire à un objet c'est d'abord grâce à la conscience. Car seule une conscience présente peut se représenter la division du temps : passé, présent et futur. En outre, c'est elle qui donne sens aux différents événements, grosso modo, c'est la visée de l'historien qui crée les faits historiques, il n'y a pas des faits historiques déjà existant sans cette visée de l'historien. C'est l'historien qui fait surgir le passé par son travail, sa conscience et il lui donne un sens. Le choix de l'historien fait d'un événement quelconque au départ un fait historique. Or nous savons que, que ce soit du côté de l'auteur du document que celui de l'historien, le choix de tel évènement plutôt que de tel autre dépend d'un système d'explication du monde. Tout est relatif à l'époque, dit-on, à la personne qui a une conception propre de la vie. Il faut comprendre que la subjectivité de l'historien commande sa compréhension du passé. En même temps c'est un grand effort de communiquer avec autrui. S'ouvrir à autre que soit. Disons qu'une histoire définitive est une pure illusion. A présent nous sommes bien placé pour le savoir. « Notre connaissance historique n'est pas fausse, mais incomplète, susceptible d'être reprise et approfondie sur des nouvelles bases. »99(*)L'histoire n'a de sens que pour nous. Et ce sens est le fruit de notre interprétation qui vise à relier les différents faits historiques et donner ainsi une orientation à l'histoire. Aussi, « les choses n'existent pour nous que par ce que l'on connaît d'elles, et ce que l'on connaît est tributaire de nos préjugés comme de nos ignorances, de nos principes comme des exceptions de nos principes. »100(*) Les difficultés : celle de tout saisir aussi bien que celle d'interprétation viennent nous rappeler ce que nous savons déjà avec Platon. Notre connaissance ressemble aux ombres qui viennent se profiler sur le mur de la caverne. Ces ombres nous livrent, en effet, qu'une vision très imparfaite des objets réels du monde extérieur. Voilà donc la première approche dans laquelle il faut replacer tout notre propos sur la justice. Cependant, Nietzsche ne nous a-t-il pas précédé sur cette remarque ? Il nous met en garde contre toute tentation de concevoir la connaissance autrement que comme subjective. Tenons-nous dorénavant mieux en garde, messieurs les philosophes, contre cette fabulation de concepts anciens et dangereux qui a fixé un `sujet de connaissance, sujet pur, sans volonté, sans douleur, libéré du temps' [...] Il n'existe qu'une vision perspective, une `connaissance' perspective ; et plus notre état affectif entre en jeu vis-à-vis d'une chose, plus nous avons d'yeux, d'yeux différents pour cette chose, et plus sera complète notre `notion' de cette chose, notre `subjectivité'. Mais éliminer en général la volonté, supprimer entièrement les passions, en supposant que cela nous fût possible : comment donc ? Ne serait-ce pas la châtrer l'intelligence ? [...] 101(*) Ceci montre combien il est difficile de formuler une critique contre notre auteur lorsque l'on a vraiment compris le sens de sa méthode généalogique. La relativité ne vient pas contredire le propos de l'auteur. C'est pour nous que cela est nécessaire, notre compréhension propre. Pour lui il voit comment la connaissance peut être possible sans un sujet subjectif. Cela étant nous allons nous attarder sur ce que sa conception nous apporte de plus. * 96 F. NIETZSCHE, Op. cit., III, § 12, p. 205. * 97 Ibid., I, §1, p. 81. * 98 J.E CHARON, L'homme et l'univers, p. 21. * 99T. NKERAMIHIGO, Initiation à l'acte philosophique, p. 48. * 100 J.E CHARON, Op. cit., p. 22. * 101 Ibid., p p. 206-207. |
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