La permanence de la qualité d'associé( Télécharger le fichier original )par Inès KAMOUN Faculté de droit de Sfax - Mastère en droit des affaires 2006 |
Conclusion de la première partieIl existe chez tout associé un désir de permanence de sa qualité tant que son intérêt le commande ; il espère avoir une situation stable au sein de la société et ne veut donc pas en être exclu. Mais risque-t-il en fait de l'être ? La qualité d'associé est-elle stable ou précaire ? La stricte application du droit des contrats assure à l'associé la permanence de sa qualité par lui désirée. C'est une conséquence de la force obligatoire du contrat découlant de l'art. 242 C.O.C. ; l'associé est un contractant qui ne peut être écarté du cercle contractuel de manière anticipée. Par conséquent, une société ne peut obliger un ou plusieurs de ses associés à la quitter. C'est, d'ailleurs, sur le fondement de l'origine contractuelle de la qualité d'associé que la jurisprudence et la doctrine reconnaissent à tout associé le droit de rester dans la société et le qualifient de fondamental, voire d'intangible. A côté du droit de l'associé de rester dans la société, le droit de propriété de ce dernier sur ses titres est souvent invoqué afin d'interdire son exclusion. Ladite mesure a, en effet, été parfois considérée comme étant une expropriation de l'associé pour cause d'utilité privée. Cependant, la société n'est pas seulement un contrat ; c'est un contrat qui donne naissance à une personne morale ayant un intérêt propre distinct de celui de ses associés. Or, l'intérêt social et celui des associés ne coïncident pas nécessairement et on assiste parfois à un conflit d'intérêts. Alors qu'il est de l'intérêt d'un associé de demeurer dans la société et d'avoir une situation stable, la société pourrait, par exemple, avoir intérêt à ce que l'associé qui perturbe le fonctionnement social en n'exécutant pas ses obligations ou en développant une attitude conflictuelle ne participe plus à la société. Le souci de préserver l'intérêt social a fait que l'intérêt qu'a la société dans le départ d'un associé puisse primer les droits individuels des associés. L'exclusion d'un associé est, en effet, possible dans divers cas. Elle est, d'abord, consacrée, directement ou indirectement, par divers textes. A cet égard, elle peut intervenir non seulement pour des considérations tenant à l'associé lui-même, mais aussi pour des considérations tenant à la société telle que la réduction du capital social. En dehors des cas légaux d'exclusion, les obstacles juridiques opposés d'ordinaire à cette mesure ne sont pas insurmontables. Ainsi, le droit de rester associé et le droit de propriété peuvent-ils être neutralisés par une stipulation statutaire ou extrastatutaire. Le principe de la liberté contractuelle peut, en effet, fonder l'exclusion purement conventionnelle. Par conséquent, le droit des contrats, soutenu par certains afin d'interdire l'exclusion, pourrait lui-même justifier ladite mesure. Mieux encore, l'exclusion peut être prononcée par les tribunaux. Certes, une partie de la jurisprudence et de la doctrine y est hostile et invoque principalement trois arguments : l'absence d'un fondement textuel, le droit de demeurer associé et le droit de propriété de celui-ci sur ses titres. Cependant, on a pu démontrer que la justification de l'exclusion purement judiciaire demeure possible. A cet égard, on a, dans un premier temps, pu dissiper les objections avancées à l'encontre d'une telle possibilité. Dans un second temps, on a pu avancer des arguments susceptibles de conforter le raisonnement qui y est favorable (préservation de l'intérêt social, disparition de l'affectio societatis et violation de l'obligation de bonne foi). L'exclusion est donc caractérisée par une diversité quant à son origine. A travers l'étude des divers cas d'exclusion, on constate également qu'elle est caractérisée par une diversité quant à ses buts. Dans certains cas, elle constitue une sanction encourue par l'associé qui manque à ses obligations. Elle est alors conçue comme un correctif à des comportements excessifs, voire abusifs. Dans d'autres cas, elle est conçue comme un remède auquel il est fait recours afin d'assurer le bon fonctionnement de la société, voire la pérennité de celle-ci. Ainsi, la qualité d'associé par lui désirée n'a-t-elle pas de vocation à la permanence. Au contraire, la diversité des cas d'exclusion rend précaire cette qualité. A cet égard, Il est à noter que quoique divers, les cas d'exclusion consacrés ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles l'intérêt social se trouve compromis. Une meilleure protection de cet intérêt nécessite donc une intervention législative dans le sens d'une consécration d'autres cas d'exclusion. Le législateur peut ainsi s'inspirer du droit belge pour insérer, par exemple, la faculté d'exclure un associé en tant que mode autonome de résolution des conflits, indépendant de toute action en dissolution. En effet, en l'état actuel des textes, l'exclusion présente dans certains cas un caractère subsidiaire. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu'elle est décidée en tant que substitut à la dissolution de la société pour justes motifs. Il en résulte, que si une mésintelligence survient entre les associés, et qu'aucune action en dissolution n'est introduite, les textes ne permettent pas de demander au juge l'exclusion de l'associé qui est à l'origine de la mésintelligence. Certes, on a pu démontrer que l'exclusion purement judiciaire demeure possible. Mais il s'agit là d'une question controversée et la solution dépend de la position adoptée par le juge. Il est, par conséquent, souhaitable qu'une intervention législative vienne, par exemple, autonomiser l'exclusion par rapport à la dissolution. Il est à noter, enfin, que la précarité de la qualité d'associé est contrebalancée par les garanties accordées à l'exclu. Etant donné que l'exclusion est une mesure grave pour l'associé en ce qu'elle lui fait perdre sa qualité, il est nécessaire de protéger celui-ci en lui accordant certaines garanties. A cet égard, on peut distinguer deux types de garanties. Il s'agit, d'une part, d'une garantie d'ordre patrimonial : l'exclu a un droit au remboursement de son apport et à sa part dans les bénéfices. Il s'agit, d'autre part, d'une garantie d'ordre extrapatrimonial : l'exclu peut soumettre au juge le contrôle de la décision d'exclusion, à la fois quant à la forme et quant au fond, afin d'écarter toute exclusion arbitraire. Le contrôle judiciaire quant à la forme porte sur la procédure de l'exclusion ; le juge vérifie si ladite mesure a été prononcée par l'organe compétent et si l'exclu a été en mesure de présenter sa défense et même de voter s'il est membre dudit organe. S'agissant du contrôle quant au fond, il porte tant sur l'existence des motifs d'exclusion que sur leur véracité. Le contrôle judiciaire de la décision d'exclusion est tellement important qu'il a été considéré par la jurisprudence et par la doctrine comme étant d'ordre public. L'importance de ce contrôle se révèle aussi au niveau de son aboutissement. Si, en effet, le juge constate que la décision d'exclusion était irrégulière ou abusive, il annule ladite décision ce qui a pour conséquence la réintégration de l'associé exclu qui reprend ainsi sa qualité. Si la permanence de la qualité d'associé est, en général, par lui désirée, il arrive, en revanche, qu'elle devienne par lui redoutée. Il s'agit de l'hypothèse d'un associé à qui la position de maintien dans le capital social ne convient plus et qui voudrait sortir de la société. Il se peut, en effet, qu'il perde toute affectio societatis en cours de vie sociale et désire alors quitter le groupement. Dans ce cas, son départ relève de sa propre initiative545(*). Mais un associé est-il en mesure de sortir volontairement de la société ? De prime abord, la question posée reçoit une réponse négative ; le droit des contrats s'y opposerait. L'art. 242 du C.O.C. dispose, en effet, que « les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». La stricte application de la force obligatoire du contrat, telle qu'elle découle de cet article, aboutit à ce qu'un associé ne puisse quitter la société sur sa propre initiative ; par application de ce principe, l'associé, uni contractuellement à la société, ne devrait pouvoir révoquer son engagement social. Ainsi, l'analyse contractuelle, qui donne au contrat de société primauté à la stabilité, invalide-t-elle toute possibilité de sortir librement de la société546(*). Par conséquent, un associé désireux de quitter la société risque de se trouver confronté à la permanence de sa qualité par lui redoutée. Cependant, la permanence de la qualité d'associé apparaît en la matière excessivement contraignante puisqu'un associé désireux de quitter la société risquerait de s'y voir prisonnier. Or, la doctrine547(*) et la jurisprudence548(*) considèrent unanimement que l'associé bénéficie du droit de ne pas rester prisonnier de ses titres et par là même du droit de quitter volontairement la société549(*). Ainsi qu'il a été écrit, « l'entrée au sein de la collectivité repose sur un acte pur de volonté. Cet acte est générateur d'un véritable engagement de la part de celui qui l'émet... C'est parce que cet acte de volonté postule en lui-même une soumission, voire une abdication face au groupe », qu'on doit autoriser celui qui s'est engagé à pouvoir se soustraire à la contrainte de la collectivité550(*). Le désir de quitter la société paraît d'autant plus légitime que le contrat de société est « un contrat successif, dont l'équilibre peut être progressivement altéré, et où la volonté perd de sa force créatrice au fil du temps : l'associé offre son concours à l'entreprise sociale mais ne saurait s'y engager indéfiniment »551(*). Pour toutes ces raisons, la qualité d'associé n'a pas de vocation à la permanence552(*) ; plusieurs tempéraments viennent affecter la permanence de la qualité d'associé par lui redoutée. Ainsi, un associé pourrait-il quitter la société sur sa propre initiative. A cet égard, le désir de quitter la société va entraîner deux séries de conséquences : les unes ont une incidence sur les associés envisagés individuellement, les autres sur la société elle-même553(*). Dans le premier cas, le départ de l'associé s'effectue avec maintien de la société (chapitre I). Dans le second cas, son départ s'effectue à travers la dissolution de la société ce qui entraîne sa disparition (chapitre II). * 545 Dans ce cas, l'associé renonce à sa qualité et ce contrairement à son exclusion de la société, qui constitue un départ forcé de la société ou une perte subie de la qualité d'associé. * 546 Emmanuel GEORGES, Essai de généralisation d'un droit de retrait dans la société anonyme, thèse préc., p. 3. * 547 Habib DAHDOUH et Christine LABASTIE-DAHDOUH, op. cit., p. 279. íÑÇÌÚ íÖÇ íæÓ ÇáßäÇäí ÇáÌÏíÏ í ÍÞæÞ ÇáÔÑíß ãÑÌÚ ÓÇÈÞ ÇáÐßÑ Õ. 15 : íÚÊÈÑ ÍÞ ÇáÔÑíß í ÇáÎÑæÌ ãä ÇáÔÑßÉ " ãä åã ÇáÍÞæÞ äÙÑÇ áÊÚáÞ Ðáß ÇáÍÞ ÈÍÑíÉ ÇáÔÑíß æíÞÇá í åÐÇ ÇáÕÏÏ ä ÇáÔÑíß áÇ íÌÈ ä íÈÞì ÓÌíä ãÓÇåãÊå ". V. en droit français Yves GUYON, Traité des contrats, Les sociétés, Aménagements statutaires et conventions entre associés, op. cit., p. 87 ; Alain VIANDIER, La notion d'associé, op. cit., p. 122 ; Laurent GODON, Les obligations des associés, op. cit., p. 129 ; Dominique SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme : prolégomènes, op. cit. ; Marie-Anne FRISON-ROCHE, L'hypothèse d'un droit général de retrait des minoritaires, J.C.P., éd. E, 1996, Cahiers de droit de l'entreprise, supplément n°4 ; Christian LAPOYADE DESCHAMPS, La liberté de se retirer d'une société, art. préc., p. 123 ; Rémy LIBCHABER, Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés, art. préc., p. 448, n° 11. * 548 CA Tunis, arrêt n° 87558 du 2 mai 1990, R.T.D. 1990, p. 261 et 262 ; C. cass. T, arrêt n° 14622 du 1er juin 1988, R.J.L. 1990, n° 10, p. 71. Dans ces arrêts, les tribunaux conçoivent la cession des parts sociales et la dissolution de la société comme des applications de l'impossibilité de demeurer prisonnier de la société. V. également CA Tunis, arrêt n° 663 du 1er juillet 2003, v. annexes ; C. cass. T., arrêt n° 29262 du 6 juillet 2004. V. annexes. V. en jurisprudence française CA Paris, 4 octobre 2002. V. annexes. * 549 Cette idée traduit juridiquement la prohibition des engagements perpétuels. V. en ce sens Emmanuel GEORGES, Essai de généralisation d'un droit de retrait dans la société anonyme, thèse préc., p. 2, note de bas de page n° 4 ; Isabelle SAUGET, note sous CA Chambéry, 20 décembre 1990, Bull. Joly du 1er septembre 1991, n° 9, p. 822 : « conformément au principe de la prohibition des engagements perpétuels, l'associé doit pouvoir quitter la société, quelle que soit la technique utilisée, retrait, cession, dissolution ». En Tunisie, la prohibition des engagements perpétuels est consacrée par certaines dispositions. Ainsi, par exemple, l'article 832 du C.O.C. dispose-t-il qu'« on ne peut engager ses services qu'à temps ou pour un travail ou un ouvrage déterminés par le contrat ou par l'usage à peine de nullité absolue du contrat ». De même, l'art. 833 du même code dispose qu'« est nulle toute convention qui engagerait les services d'une personne sa vie durant ou pour un temps tellement étendu qu'elle lierait l'obligé jusqu'à sa mort ». En France, la prohibition des engagements perpétuels est édictée à l'art. 1780 du Code civil. * 550 Emmanuel GEORGES, Essai de généralisation d'un droit de retrait dans la société anonyme, thèse préc., p. 2. * 551 Christian LAPOYADE DESCHAMPS, art. préc., p. 123. * 552 Emmanuel GEORGES, Essai de généralisation d'un droit de retrait dans la société anonyme, thèse préc., p. 2. * 553 V. Yves GUYON, Affectio societatis, art. préc., p. 21, n° 84. |
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