I.3.La prise de conscience de la responsabilité
Au-delà de simplement apparaître au regard des
autres, l'institutonnalisation des organisations s'inscrit dans une
volonté des organisateurs de se responsabiliser, d'organiser
réellement "dans les règles de l'art". Ce processus ne s'est pas
fait sans démonstration au niveau national dont la circulaire
interministérielle de 1998 est un réponse. L'association
Technopol a poursuivi le but qu'elle s'était fixée :
"réhabiliter l'image publique de la techno"68. La
même volonté anime des organisateurs que j'ai rencontré
comme Stéphane qui défend son association : "C'est une
organisation qui essaie d'être sérieuse, qui essaie de montrer que
le mouvement électronique peut être tenu correctement et
après les gens qui viennent, s'ils veulent se déchirer en
boîte ou ici, qu'ils se déchirent. On sait qu'on véhicule
cette idée mais...et quand je dis « on », c'est la musique,
c'est le mouvement. Et justement, on voudrait arriver à faire des...on
arrive au niveau musical et...au niveau sonore et visuel, mais ce qu'on
aimerait c'est arriver à faire des teufs propres". Pour eux,
l'image médiatique et celle partagée par la majorité des
individus n'est que le fait d'une minorité qui entâche un
mouvement culturel dans son ensemble.
L'organisateur est un acteur du mouvement techno auquel il
veut appartenir, il est également l'acteur essentiel de la fête
techno, celui qui réunit les éléments de la fête
formelle, les conditions de l'émotion collective. Il est le responsable
de la fête. "Et de passer de fêtard à l'organisation, tu
vois déjà les choses complètement différemment.
Moi, je sais qu'à l'époque ça m'avait vachement
marqué, d'être responsable de la soirée. T'as un
côté de responsabilité que t'avais pas avant, tu vois plus
la musique pareil et j'ai trop kiffé donc je me suis dit que j'allais
faire ça le plus longtemps possible." Tel que le raconte Julien, on
sent qu'il prenait plaisir ("j 'ai trop kiffé") à
ressentir le pouvoir inhérent au statut de l'organisateur de la
fête sur les participants. Seulement tout pouvoir est assorti de
responsabilité que l'organisateur doit supporter. En effet, une
règlementation spéciale encadre les conditions dans lesquelles
une fête techno est faisable, mais le droit général reste
applicable et le droit pénal en tête.
Prenons le cas de l'association Mystic Chrysalide. Une
participante s'est soudainement évanouie au cours de la soirée
qu'ils ont organisé le samedi 5 avril69. Cet
événement a eu pour effet une réelle
67 Dagnaud M., op. cit. pp. 25-26.
68 Hampartzoumian S., op. cit. p. 209
69 Une description de cet incident est présente dans mes
observations participantes p.168
prise de conscience au sein des organisateurs des risques pour
les participants et pour les organisateurs responsables. Stéphane s'est
d'ailleurs livré à ce sujet : " je pense pas que l'assoc soit
prioritaire sur la vie d'un mec". Celui dont la vie a couru un risque
étant le président de l'association, responsable
pénalement selon eux. Mais il n'est pas le seul à courir un
risque et en première ligne, les participants. Cependant dans les
valeurs de la fête techno, on laisse les individus responsables
d'eux-mêmes : "on n'est pas là pour les réprimer. Mais
voilà, on leur demande de faire ça discrètement parce que
après, c'est nous qu'on prend", explique Henri ; "les gens, ils
font ce qu'ils veulent", répond Renaud. Alors, ils essaient de
prémunir d'abord l'entité organisatrice, c'est-à-dire de
structurer l'organisation et lui créer une image officielle. Ensuite,
c'est leur propre sécurité qu'ils essaient d'assurer.
II. Formaliser l'organisation pour organiser
réellement "dans les règles de l'art"
L'institutionnalisation du mouvement techno signifie que les
organisations de soirées techno sont formalisées. Toutes les
organisations que j'ai observées au cours de l'enquête sont, ou
ont été des associations "loi 1901" (sauf Komod'O Dragon est une
maison de disques qui organisent des soirées en partenariat). Il semble
que pour les besoins des organisations, cette forme juridique était la
plus adéquate. Comme l'enquête parlementaire le signale, les
pratiques musicales et sportives sont proches en terme de besoins, donc il
n'est pas nécessaire de justifier leur choix pour l'association, hormis
de rappeler que leur pratique est amateure. Je n'ai pas cherché à
connaître chacune d'elles en détail. En revanche, les
données reccueillies proviennent de mon expérience au sein de
Mystic Chrysalide et des entretiens réalisés auprès des
organisateurs. Nous allons donc étudier cette formalisation des
organisations. Puis nous verrons que dans l'institutionnalisation les rapports
externes de l'organisation sont des rapports formalisés et
principalement dans ses rapports avec les autorités publiques.
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