De la representation du français et du créole dans le cinéma haïtien: le cas du film "Barikad"( Télécharger le fichier original )par Schwarz Coulange Méroné Université d'Etat D'Haiti - Licence 2008 |
1.3- Le cas du françaisLa langue française en Haïti est tout aussi un héritage de l'histoire coloniale du pays. Elle y a été introduite par la pénétration des flibustiers et des boucaniers français dans l'île pour, ensuite, connaître une longue histoire qui aujourd'hui encore continue d'être écrite. Si la présence du français en Haïti est, comme le créole, le résultat de la colonisation ; son histoire dans le pays est bien différente de celle du créole. Le sort qui lui a été réservé sur l'ensemble de la période de la colonisation française et sur la période d'après, c'est-à-dire la période haïtienne, est bien différent de ce qui a été le sort du créole. Un survol historique du devenir de la langue française dans cette partie de l'île nommée Saint-Domingue, puis (depuis 1804) Haïti, est donc nécessaire à ce moment précis du travail. 1.3.1- Le français à Saint-Domingue36(*)La langue française est arrivée en Haïti (alors appelé Hispaniola37(*)) avec la pénétration des Français dans l'île de la Tortue38(*) au début du XVIIème siècle. Plusieurs dialectes de la France d'alors y étaient arrivés. Avec le Traité de Ryswick en 1697 par lequel l'Espagne céda à la France la partie occidentale de l'île, elle (la France) établit son autorité sur cette partie de l'île qu'elle dénomme Saint-Domingue39(*). L'année 1697 marque donc la présence officielle de la langue française à Saint-Domingue (Haïti). La colonisation française va désormais transformer Saint-Domingue en une "terre de langue française" officiellement. Ainsi, Pauris JEAN-BAPTISTE rapporte que « Le français était [...] la langue des grands planteurs, de l'Administration, de la justice, des cercles mondains.» Toutefois, comme c'est déjà dit plus haut, à plusieurs reprises des officiels de Saint-Domingue ont dû recourir au créole pour émettre certains communiqués. 1.3.2- Le français en HaïtiEn 1804, les Héros de l'indépendance ont expulsé les Français du pays redevenu désormais Haïti, mais non pas leur langue. Au contraire, ils l'ont jalousement gardé ; d'ailleurs l'acte de l'indépendance lui-même est rédigé en français40(*). Et la langue française est gardée comme la langue administrative du pays, la langue « officielle » donc. Cette officialisation du français n'était qu'une officialisation de fait car aucun texte de loi ne l'avait consacré. Il a fallu attendre 1918 pour que ce soit fait. En effet, Pradel POMPILUS rapporte que « c'est la constitution de 1918 élaborée, votée et plébiscitée au fort de l'occupation américaine qui a, la première, proclamée le français langue officielle d'Haïti. »41(*) Depuis, toutes les constitutions qui suivent (1932, 1946, 1950, 1958, 1983, 1987) ont repris l'officialisation du français. En effet, pendant longtemps, le français avait été la seule utilisée dans les sphères officielles. C'était la langue des proclamations, discours et actes publics [...] la langue des services administratifs, celle dans laquelle sont écrits les récépissés du bureau des contributions, les actes de l'état civil, les contrats et obligatoirement les inscriptions sur les pièces de monnaies et billets de banque.42(*) S'agissant de savoir combien d'Haïtiens parlent le français, qui sont-ils, et dans quelles circonstances ils le parlent ; les auteurs s'accordent à dire qu'il s'agit d'une minorité, d'une élite, et qu'elle le parle en grande partie dans des circonstances particulière. LOFFICIAL l'explique en ces termes : « vraiment maîtrisé par une petite minorité, qui d'ailleurs la réserve pour les circonstances sortant du commun, le français est loin d'être la langue de grande communication et de culture qu'elle pourrait être.»43(*) L'auteur va jusqu'à parler du sous-développement du français en Haïti. Pour sa part, Pradel POMPILUS, même à l'époque coloniale, il (le français) n'a jamais été une langue de masse, mais la langue d'une minorité composée de colons, d'administrateurs et de fonctionnaires coloniaux, d'affranchis, d'esclaves domestiques peut-être dans leur rapport avec leurs maîtres. Aujourd'hui encore c'est la langue d'une fraction réduite de la population.44(*) De son côté, Albert VALDMAN45(*) avance un pourcentage de 10 à 15% d'Haïtiens pouvant s'exprimer en français. Cependant, comme le montre Pradel POMPILUS ou André Vilaire CHERY, il existe un "français haïtien". Pradel POMPILUS parle du français en Haïti en ces termes: Transplantée dans un milieu différent de son milieu d'origine, appelée à exprimer de nouvelles formes de vies et de nouveaux rapports sociaux, parlée par une élite bilingue [...], la langue française a acquis en Haïti certaines particularités bien saillantes.46(*) André Vilaire CHERY, quant à lui, illustre certaines de ces particularités dont parle Pradel POMPILUS dans les deux tomes de son Dictionnaire de l'évolution du vocabulaire français en Haïti. Les deux tomes de ce dictionnaire présentent des mots et expressions françaises propres à Haïti et aussi des mots et expressions qui, bien qu'ils aient cours dans d'autres pays francophones, ont un sens particulier en Haïti. A eux seuls, ces textes prouvent l'existence d'une forme de français qui pourrait être qualifié d'"haïtien". * 36 Saint-Domingue est le nom que les français ont donne la partie de l'ile que l'Espagne leur céda en 1697. C'est cette partie qui deviendra plus tard Haïti. * 37 A son débarquement dans l'ile en 1492, Christophe Colomb la baptisa Espanola (Hispaniola, en français) en souvenir de l'Espagne. Les habitants d'alors de l'ile l'appelèrent : Ayiti, Kiskeya ou Bohio. * 38 Ile située au nord d'Haïti et faisant partie du territoire haïtien. * 39 Le 1er janvier 1804, avec la proclamation de l'indépendance vis-à-vis de la France, Saint-Domingue allait redevenir Haïti, nom que les habitants précolombiens de l'ile lui avaient donné. * 40 Ce devrait être un choix puisque la forme écrite du créole existait bien avant 1804 ; un texte officiel comme la proclamation de La liberté générale des esclaves le 29 aout 1793 est rédigé en créole. A leur place, les héros de l'indépendance ne pouvaient ne pas être en connaissance de ce texte. Peut-être voulaient-ils être compris par le monde entier en rédigeant l'acte en français. * 41 P. POMPILUS, Le problème linguistique haïtien, P-au-P, Fardin, 1985, p. 78 * 42 P. POMPILUS, op. cit. p. 14 * 43 Frantz LOFFICIAL, Créole-français : Une fausse querelle ? Bilinguisme et reforme de l'enseignement en Haïti, Lassalle (Québec), Imp. Payette & Simms, 1978, p. 39 * 44 P. POMPILUS, op. cit. p. 52 * 45 A. VALDMAN, « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien », dans La linguistique : Les créoles, Paris, PUF, Vol 41, fascicule 1, 2005, p. 87 * 46 P. POMPILUS, la langue française en Haïti, P-au-P, Thèse de doctorat, Fardin, 1985, p. 20 |
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