TROISIEME PARTIE
TERRAIN ET ANALYSES
Les deux premières parties de notre analyse et
interprétation des données seront consacrées à
l'analyse des logiques relatives à l'adhésion des paysans
à la coopérative des planteurs d'hévéa de songon
(cophes). En effet, ces logiques, sont en fait des matrices qui traduisent
leurs représentations du phénomène.
Car, les représentations sociales sont un domaine en
expansion dans toutes les sciences sociales et humaines (psychologie,
psychologie sociale, sociologie, linguistique, économie, sciences des
religions, qui les conceptualisent à leur manière. Dans la mesure
où les humains partagent l'existence avec leurs semblables, les
représentations sociales sont importantes et offrent des
éléments pour nommer et définir ensemble des
différents aspects de la réalité quotidienne afin de les
interpréter et de les ratifier.
Elles peuvent créer des convergences et des conflits
.C'est pourquoi, on peut les concevoir comme « une forme de
connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une
visée pratique et concourent à la construction d'une
réalité commune à un ensemble social » (Jodelet,
1989 :36). Cette définition englobante montre que l'on est en
présence des phénomènes activés et agissants de la
vie sociale.
Cette perspective fait ressortir les représentations
sociales du champ coopératif comme système
d'interprétation qui régit les relations des acteurs au monde et
aux autres, oriente et justifie, organise les conduites, les motivations et les
stratégies. On peut retenir que, se représenter la
coopérative, c'est créer un acte de pensée par lequel les
acteurs sociaux se rapportent aux activités qu'ils développent.
Les représentations sociales du champ coopératif au sein d'une
société paysanne apparaissent comme une totalité
signifiante en rapport avec leur quotidien.
SECTION 1 : FABRICATION DES REPRESENTATIONS
SOCIALES ASSOCIEES AU PHENOMENE COOPERATIF.
CHAPITRE I
ESPACE COOPERATIF COMME UNE CURIOSITE POUR LES
ADHERENTS
A la question de savoir s'ils ont une expérience
coopérative c'est-à-dire s'ils sont dotés d'un habitus
coopératif, les membres de la cophes ont répondu dans leur
majorité qu'ils sont à leurs premières expériences,
aussi, disent-ils voir se développer des coopératives, mais
qu'ils n'y avaient jamais adhéré. Car en réalité,
les agents sociaux que représentent les coopérateurs sont
extérieur au champ coopératif qui lui-même est un
modèle de groupement qui est conçu hors du contexte africain
(c'est-à-dire en occident) et importé de facto en Afrique en
général lors de la colonisation avec l'avènement des
sociétés dites indigènes. Même si de nos jours
c'est-à-dire avec l'indépendance, les Etats modernes africanistes
ont réorienté la formule coopérative dans une optique
dévelopementaliste. Il est clair à cet effet que les agents
sociaux (membres de la cophes) étant étrangers à ce
nouveau champ qu'est l'espace coopératif, sont des acteurs
désarmés « outillement », c'est-à-dire
qu'ils ne sont nullement dotés d'habitus coopératif. Car selon
Pierre Bourdieu, « le principe de l'action historique, celle de
l'artiste, du savant ou du gouvernement comme celle de l'ouvrier ou du petit
fonctionnaire, n'est pas un sujet qui s'affronterait à la
société comme un objet constitué dans
l'extériorité. Il ne réside pas ni dans la conscience ni
dans les choses mais dans la relation entre deux états du social,
c'est-à-dire l'histoire objectivée dans les choses, sous forme
d'institution et l'histoire incarnée dans les corps, sous forme de ce
système de disposition durable que j'appelle habitus.
L'habitus, ce sont en quelque sorte les structures sociales de
notre subjectivité, ce qui se constitue d'abord au travers de nos
premières expériences (habitus primaire), puis de notre vie
d'adulte (habitus secondaires. C'est la façon dont les structures
sociales s'impriment dans nos têtes et nos corps par
intériorisation de l'extériorité.
Elles sont à notre sens chargées
d'idéologies et de représentations qui structurent ce
comportement. Car, étant des nouveaux arrivants dans un champ auquel ils
ne sont guère habitués, un champ qu'ils découvrent, y
intègrent avec leurs façons de faire et leur habitus
hérités de leur vécu quotidien.
C'est pourquoi, les propos de M.O sont
révélateurs : « j'ai entendu parler des
coopératives, mais je n'y avais jamais adhéré ! C'est
pourquoi, cette fois-ci je suis venu voir ce qu'il y a
dedans »
Comme il est donné de constater, le besoin de
découvrir l'espace coopératif se fait avec un
arrière-plan ; celui de venir confronter ce qu'il a entendu dire
des coopératives à l'empirisme, c'est-à-dire à
l'observable, la réalité. Aussi, à travers ces propos,
l'on comprend aisément le désir pour les membres de passer en
comparaison leur vécu quotidien, au sein de l'espace villageois avec le
nouveau champ d'intégration qu'est la coopérative. Sous ce
rapport, le désir de découvrir le champ associatif
symbolisé par la coopérative se trouve être justifié
dans la mesure où en même temps que les acteurs se
présentent comme des « curieux sociaux », ils
protègent solidement le motif de leur curiosité qui n'aura une
réponse qu'avec ce que l'espace coopératif pourrait leur apporter
de nouveau.
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