CONCLUSION GENERALE
La mortalité maternelle et infantile est aujourd'hui au
centre des préoccupations de toutes les sociétés. Chaque
année, plus d'un demi million de femmes meurent des complications
liées à la grossesse et à l'accouchement ; plus de 50
millions de femmes souffrent de graves maladies ou invalidités
liées à la grossesse et à l'accouchement ; au moins
1,2 millions de nouveaux-nés meurent suite à des complications
lors de l'accouchement dans le monde (OMS, 1997). La mortalité
maternelle et infantile demeure encore plus élevée dans le monde
et en particulier dans le monde en développement. Le Tchad est souvent
présenté comme l'un des pays d'Afrique noire ayant un taux de
mortalité maternelle élevé, bien au dessus de la moyenne
africaine estimée à 800 décès pour 100 000
naissances vivantes. Le rapport mondial sur le développement humain
(2003) fait mention de 1 500 cas pour 100 000 naissances vivantes.
Par ailleurs, les données de l'EDST (1996-1997) ont montré que
parmi les naissances enregistrées au cours des cinq années ayant
précédé l'enquête, environ deux tiers (63,5%) n'ont
fait l'objet d'aucune consultation prénatale, environ un tiers (32,5%)
dont les mères ont consulté un professionnel de santé et
4% dont les mères ont consulté un professionnel de santé
non formée. Ce qui apparaît très préoccupant, c'est
que parmi les 33% des femmes qui effectuent au moins une CPN, nombre d'entre
elles ne reviennent plus assurer la continuité des soins. Ainsi, on
assiste à une déperdition des soins prénatals dans la
mesure où la rétention des gestantes dans le système de
santé n'est pas assurée. La déperdition des soins n'est
pas souhaitable car elle constitue un obstacle à la lutte contre la
mortalité maternelle et périnatale. Tout au long du processus
d'enfantement, une femme devrait effectuer au minimum 4 visites, à
intervalles réguliers comme l'OMS le recommande. La problématique
de la discontinuité ou de la continuité des soins
obstétricaux, moins encore celle de la déperdition des soins
prénatals reste non soulevée par la communauté
scientifique, la présente étude vient à point nommé
compenser partiellement ce vide.
En entreprenant cette étude, notre objectif fondamental
était de mettre à la disposition des chercheurs et
décideurs des résultats pertinents pour l'amélioration de
la continuité des soins prénatals au Tchad. Pour cela, nous avons
défini un certain nombre d'objectifs spécifiques à
savoir :
@ mesurer l'ampleur de la déperdition des soins
prénatals ;
@ identifier les facteurs associés au
phénomène et leurs mécanismes d'action.
Pour tester les hypothèses de recherche, nous avons eu
recours à deux types d'approches d'analyse : l'approche descriptive
et l'approche multidimensionnelle. A travers l'approche descriptive, le test de
Khi-deux nous a permis de dégager les relations existant entre les
variables indépendantes et la déperdition des soins
prénatals. Au niveau bivarié, les variables telles que
l'opportunité de la grossesse, le niveau d'instruction, le niveau de vie
du ménage, la qualité des services, la distance par rapport au
centre SMI, le milieu de résidence, le milieu de socialisation et la
région de résidence sont fortement associées à la
déperdition des soins prénatals quelle que soit la durée
de la gestation à la CPN1. D'autres variables telles que la religion et
l'ethnie ne sont associées à la déperdition que dans le
premier trimestre. L'approche multidimensionnelle a permis d'examiner les
mécanismes d'action entre différentes variables mises en
évidence par la régression logistique ordonnée pas
à pas et de cerner les variables les plus associées à la
déperdition des soins au Tchad. Parmi les facteurs associés
à la déperdition des soins prénatals quel que soit le
début des CPN, on a entre autres le niveau de vie du
ménage, l'opportunité de la grossesse, la région de
résidence, l'ethnie (facteurs liés à la demande)
et la qualité des services (facteur
lié à l'offre). Lorsque les CPN commencent dans le
premier trimestre de la grossesse, les facteurs associés à la
déperdition des soins prénatals sont notamment le
milieu de résidence, le niveau d'instruction (facteurs liés
à la demande). A l'opposé, l'âge,
la religion (facteurs liés à la demande) et la distance par
rapport au centre SMI ne sont associés à la
déperdition des soins prénatals que
lorsque les CPN commencent au-delà du premier
trimestre.
Au cours de ces analyses, certaines hypothèses que nous
avons formulées ont été vérifiées :
H3 : La propension à la déperdition des
soins prénatals est plus élevée chez les femmes dont la
grossesse n'a pas été opportune que chez celles dont la grossesse
a été opportune (partiellement).
H4 : La déperdition des soins prénatals
diminue à mesure que le niveau d'instruction augmente
(partiellement).
H5 : La déperdition des soins prénatals
diminue à mesure que le niveau de vie augmente.
H6 : Les femmes résidant en milieu rural ou
socialisées en milieu rural, ont une déperdition plus importante
des soins prénatals, comparées aux femmes résidant en
milieu urbain ou socialisées dans ce même milieu
(partiellement).
H8 : La déperdition des soins prénatals
augmente avec la distance par rapport au centre SMI (partiellement).
H9 : La déperdition des soins prénatals
est plus importante lorsque la qualité des services est
déficiente.
Nous ne saurions terminer ce travail sans relever ses limites
relatives à :
@ La non disponibilité du calendrier de toutes les
autres CPN qui auraient permis d'approfondir la problématique dans une
approche dynamique.
@ La non prise en compte du qualitatif dans l'étude.
Compte tenu de la complexité du social, le jumelage des données
quantitative et qualitative aurait permis de mieux cerner les raisons
culturelles associées à la déperdition des soins. Faute
des données qualitatives, dans cette étude, les
préférences et attentes liées aux coutumes ancestrales et
comportements vis-à-vis des soins prénatals n'ont pas
été prises en compte. L'hybridation méthodologique est
d'une importance capitale.
RECOMMANDATIONS
RECOMMANDATIONS PROGRAMMATIQUES
@ Compte tenu de la forte déperdition observée
entre la CPN3 et la CPN4, nous suggérons que l'Etat tchadien, les
institutions et organismes intervenant dans le cadre des soins prénatals
renforcent la sensibilisation de femmes à partir de la troisième
visite prénatale, pour que celles-ci ne reviennent nécessairement
à la quatrième visite assurer la continuité des soins.
Ainsi, ce nombre minimum requis permettant de mettre relativement les femmes
à l'abri de complications liées à la grossesse ou à
l'accouchement.
@ Nous recommandons que la sous-population utilisatrice
(surtout les femmes âgées) des services prénatals soit
sensibilisée et suivie de manière à la fidéliser au
système de santé jusqu'à ce que la continuité des
soins se garantisse. Cette sensibilisation pourrait consister à
expliquer aux femmes les bienfaits de consultations prénatales.
@ Il serait recommandable de mettre en place des programmes de
CCC (Communication pour le Changement de Comportement) dans les campagnes et
petites villes afin d'amener les femmes issues de ces milieux à
effectuer quatre CPN au minimum de façon régulière avant
l'accouchement. Il faudrait que CCC soit particulièrement
renforcée à partir de la troisième visite prénatale
(CPN3), visite à partir de laquelle la prochaine devient moins
sûre.
@ Il est également important d'améliorer la
qualité des soins et des services de telle sorte que toute une panoplie
de prestations puisse attirer les gestantes à revenir aux prochaines
visites. Faire que le contact entre un prestataire des soins et une gestante
soit harmonieux et plein de confiance.
@ Il serait, tout de même, indispensable de
déclarer une guerre contre la pauvreté, obstacle majeur à
l'accessibilité des services prénatals en encourageant la
scolarisation de filles, la promotion les activités
génératrices de revenus pour les femmes et en partageant le
pouvoir de décision avec la femme.
RECOMMANDATIONS SCIENTIFIQUES
@ La déperdition des soins prénatals demeure
encore un domaine inexploré, il serait souhaitable que des études
comparées soient menées afin de cerner les fondements qui
sous-tendent ce phénomène à travers les différents
pays en développement. La bonne connaissance des facteurs
associés à ce phénomène contribuerait à
résoudre en partie la mortalité materno-infantile, jusqu'ici,
élevée dans ces régions du monde.
@ La prise en compte des enquêtes qualitatives dans le
cadre des études sur la déperdition des soins prénatals
aiderait à combler les insuffisances des enquêtes essentiellement
quantitatives.
@ Enfin, nous recommandons que les EDS saisissent le
calendrier de toutes les visites prénatales permettant d'obtenir des
informations plus raffinées afin de mieux appréhender les
facteurs associés à la déperdition des soins
prénatals à travers les pays du monde et ceux du monde en
développement en particulier.
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