UNIVERSITE PARIS 8
INSTITUT D'ENSEIGNEMENT A DISTANCE (IED)
MASTER 1 de psychologie
Option psychologie du développement et de
l'éducation
Mémoire de recherche
Effets des interactions entre pairs dans l'expression de la
théorie de l'esprit chez des enfants de cinq ans
Soutenu par Alexandre HIRSCH
N° d'étudiant : 190226
Sous la direction de Caroline GUERINI et Agnès DANIS
2005-2006
Je tiens à remercier Caroline Guerini pour les remarques
apportées à l'organisation de ma recherche et à la
présentation du mémoire.
Je tiens également à remercier Virginie Diot,
professeur des écoles et l'ensemble des élèves de la
classe de moyenne section de maternelle de l'école du village de
SAINT-LEU-LA-FORÊT.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
CADRE THEORIQUE 3
1. La théorie de l'esprit
1.1 Définition 3
1.2 Concepts fondamentaux de la théorie de l'esprit
4
1.3 Accéder à une théorie de l'esprit
6
1.4 Les épreuves permettant de mettre en
évidence 12
l'acquisition d'une théorie de
l'esprit
2. Le rôle des interactions entre pairs pour les
apprentissages 15
2.1 Les interactions de tutelle avec l'adulte 15
2.2 Vygotsky et la zone proximale de développement
17
2.3 La place de l'imitation dans les apprentissages 20
3. Le rôle du langage pour l'acquisition de la
théorie de l'esprit 21
3.1 Corrélation et effet d'entraînement 22
3.2 Les habiletés pragmatiques 24
3.3 Les propositions enchâssées 24
3.4 Les verbes mentaux 25
3.5 Les marques modales 27
3.6 Les connecteurs 27
PROBLEMATIQUE 28
METHODE 33
1. Sujets 33
2. Procédure 34
2.1 Matériel 34
2.2 Codage des réponses 40
2.3 Déroulement des tâches 41
2.4 Traitement des données 44
RESULTATS PREALABLES 46
RESULTATS 50
1. Hypothèses expérimentales
50
1.1 Hypothèse H1 50
1.2 Hypothèse H2 51
1.3 Hypothèse H3 52
1.4 Hypothèse H4 53
1.5 Hypothèse H5 54
2. Synthèse des conclusions aux
hypothèses expérimentales 56
DISCUSSION 57
1. Le choix du matériel d'étude
57
2. Le statut de l'interaction pour l'acquisition de
la théorie de l'esprit 58
3. Une acquisition progressive de la théorie
de l'esprit 62
4. Aspect qualitatif des échanges au cours
des interactions 65
CONCLUSION 69
BIBLIOGRAPHIE 71
ANNEXES
INTRODUCTION
La compréhension et la prise en compte des états
mentaux d'autrui par les enfants d'âge préscolaire occupent un
large champ de recherches en psychologie cognitive réunies autour de
l'expression « théorie de l'esprit ».
Initialement une grande partie des travaux se basait sur la
réussite des épreuves de fausse croyance pour attester d'un
accès à la théorie de l'esprit. Depuis quelques
années, le statut de la compréhension de la fausse croyance est
discuté. Ce paradigme garde une valeur certaine lors des
évaluations mais les recherches récentes fournissent des
données qui s'opposent à restreindre l'acquisition de la
théorie de l'esprit à la simple réussite de ces
épreuves. L'acquisition de la théorie de l'esprit apparaît
donc beaucoup plus complexe et s'inscrit dans un long processus de
réélaboration des compétences cognitives.
Un lien fort entre le développement du langage et de
la théorie de l'esprit a été mis en évidence. Ce
lien peut s'expliquer par la double fonction du langage qui est à la
fois outil de communication et support pour la pensée en tant
qu'instrument de représentation. Des approches psycholinguistiques ont
permis d'affiner ce lien en dégageant des outils linguistiques pour
lesquels l'occurrence et l'utilisation sont modifiées lors de
l'acquisition de la théorie de l'esprit.
Notre recherche porte sur la relation entre langage et
acquisition de la théorie de l'esprit au sein des interactions entre
pairs. Notre objectif est d'essayer d'étayer empiriquement des
explications essentiellement théoriques portant sur l'origine sociale et
langagière du développement. Nous nous plaçons donc dans
une approche socioconstructiviste de l'acquisition de la théorie de
l'esprit issue de la théorie historico-culturelle de Vygotsky.
Nous avons donc orienté notre recherche vers la mise
en évidence d'un effet des interactions entre enfants sur l'acquisition
de la théorie de l'esprit. L'objectif étant de constituer des
dyades d'enfants de niveaux d'acquisition de la théorie de l'esprit
différents pour leur proposer de répondre ensemble à des
questions mettant en oeuvre la théorie de l'esprit. Nous souhaitons
ainsi mettre en évidence un rôle positif des échanges
langagiers au cours des phases de résolution en commun.
Le dispositif utilisé place les enfants dans une
situation intermédiaire entre l'expérimentation dirigée
par l'expérimentateur qui nous semble trop stricte et artificielle et
les observations en situations naturelles pour lesquelles les résultats
sont difficilement interprétables. En proposant leurs réponses,
les enfants des dyades vont avoir la possibilité de confronter, de
comparer leurs idées ce qui peut les mener à des
réélaborations cognitives favorables à l'acquisition ou
à l'expression de la théorie de l'esprit.
Il nous a aussi semblé intéressant de
séparer deux aspects de l'expression de la théorie de
l'esprit : l'évaluation de la prédiction des comportements
des personnages des histoires proposées aux enfants et la
capacité à justifier les réponses. Cette distinction
permettra de souligner l'acquisition progressive de la théorie de
l'esprit.
Notre recherche intègre également l'analyse du
contenu et de la construction des réponses formulées par les
enfants. Cette approche qualitative permet d'aborder le lien entre
l'utilisation de certains outils linguistiques et l'acquisition de la
théorie de l'esprit.
Dans la partie théorique, nous présenterons les
approches théoriques de l'acquisition de la théorie de l'esprit
qui sont en relation avec notre démarche. Nous évoquerons
également les résultats expérimentaux et les positions
théoriques qui soutiennent le rôle des interactions et du langage
dans le développement cognitif.
CADRE THEORIQUE
1. La théorie de l'esprit
L'étude de la théorie de l'esprit a
émergé au début des années 80 à partir des
travaux de Premack et Woodruff (1978) en primatologie. Ce terme a ensuite
été repris dans le cadre de la psychologie du
développement par Wimmer et Perner (1983). Ce nouveau champ
d'étude a suscité de très nombreuses recherches au cours
des vingt-cinq dernières années qui ont mené au
développement de diverses théories sur les modes d'acquisition et
les changements cognitifs associés à l'accès à la
théorie de l'esprit.
1.1 Définition
L'expression « théorie de
l'esprit » désigne la capacité des enfants à
attribuer des états mentaux à eux-mêmes et à autrui,
ce qui correspond à l'accès à une psychologie
« profane ». Plus généralement, l'enfant
devient capable de produire et d'utiliser des espaces mentaux
détachés de la réalité. L'enfant a ainsi la
capacité d'interpréter et de prédire les comportements
d'autrui en identifiant des états mentaux comme l'intention, la
croyance, l'ignorance ou le désir.
L'acquisition d'une théorie de l'esprit est davantage
le fruit d'une évolution progressive des fonctions cognitives au cours
des premières années de la vie qu'un simple passage à un
niveau de développement supérieur.
Cette étape est décisive pour l'enfant puisque
l'accès à la théorie de l'esprit présente une
grande importance pour le développement des liens sociaux comme la
gestion des conflits, les jeux de fictions à plusieurs, la
compréhension des plaisanteries ou des métaphores et enfin le
jugement des questions morales.
Tous ces progrès étant sous-tendus en partie par
la compréhension et la prise en compte des désirs et des buts
d'autrui.
L'absence de théorie de l'esprit
appelée « cécité mentale » par
Baron-Cohen (1994) serait une des causes de l'autisme à l'origine des
difficultés des autistes à donner un sens au comportement de
l'autre. (Baron-Cohen, 1998 ; Reboul, 2000)
1.2 Concepts fondamentaux de la théorie de
l'esprit
La connaissance du monde est basée sur un
système de représentations de la réalité à
partir des informations perçues par les organes récepteurs et
interprétées par le cerveau. Le terme représentation
décrit en fait deux entités : le processus qui consiste
à former des états mentaux et le produit de cette
activité. Perner (1991) sépare les représentations en
représentations primaires qui correspondent aux croyances que chacun
élabore sur le monde et les représentations secondaires d'un
niveau conceptuel supérieur, qui décrivent par exemple le
découplement des représentations, l'objet banane peut par exemple
être associé à la représentation du
téléphone.
La théorie de l'esprit correspond au passage à
un niveau supérieur de représentation, les
métareprésentations. En ayant accès à la
théorie de l'esprit, les enfants produisent et manipulent mentalement
des représentations de représentations.
Pour Reboul (2000), une métareprésentation est
une description d'une situation centrée sur l'agent et qui explicite
quatre sortes d'information : 1. Qui est l'agent ? 2. Quelle est son
attitude propositionnelle ? 3. Quelle est la proposition en
jeu ? 4. Que décrit-elle ?
Lorsque les enfants accèdent aux
métareprésentations, leurs représentations et celles
d'autrui constituent un substrat pour le raisonnement et la
compréhension des actions. Les enfants comprennent ainsi que deux
personnes peuvent avoir des représentations différentes d'un
même objet ou d'une situation selon les informations dont ils disposent.
L'enfant comprend que les erreurs de jugement peuvent être dues à
un accès incomplet aux informations (le personnage ne sait pas que
l'objet a été déplacé en son absence alors que
l'enfant le sait). Par conséquent l'enfant réalise que ce qu'il
pense et ce que les autres pensent ne correspond pas nécessairement
à la réalité mais est directement dépendant de la
connaissance (Astington, 1999).
L'acquisition de la théorie de l'esprit permet ainsi
d'accéder à une représentation de l'ensemble des
états épistémiques (croire, savoir, faire semblant,
penser, mentir, rêver).
Figure 1 : Genèse de l'action
intentionnelle d'après Bradmetz et Amiotte-Suchet ( Bradmetz, 1999)
Pour affirmer l'existence d'une théorie de l'esprit, il
faut comme préalable que la pensée soit considérée
comme issue d'une activité rationnelle basée sur la prise en
compte de données internes et externes qui mène à
l'intentionnalité des actions (Bradmetz, 1999). Une action ne peut donc
pas se résumer à la simplification behavioriste qui
considère que les actions sont provoquées par des modifications
de l'environnement ou par des pulsions. Bradmetz propose le schéma
suivant de l'action intentionnelle :
: Est à l'origine de
EMOTIONS
INTENTION
CROYANCES
CONNAISSANCES
DESIRS
ACTION
Selon ce modèle, les désirs et les croyances
sont à l'origine d'une intention qui mènera à la
réalisation d'une action. Une croyance est issue des connaissances
construites à partir de l'observation de la situation et des
connaissances antérieures alors que les désirs sont
élaborés à partir des émotions. Les deux sources,
émotions et connaissances, sont également
interdépendantes : Les croyances interagissent avec les
émotions comme les connaissances interagissent avec les
désirs.
Les jeunes enfants qui n'ont pas encore accès à
une théorie de l'esprit justifient leur action par leur croyance mais
la relation entre croyance et réalité est directe et
« transparente » puisque, pour eux, les croyances ne
peuvent pas différer de la réalité. Ainsi, lorsque leur
action aboutit à un résultat différent de leur attente,
les enfants sont incapables de retrouver leur croyance initiale et la
remplacent par une nouvelle qui est souvent en accord avec ce qu'ils ont
observé. Cette hypothèse explique les réponses
formulées par les enfants dans les tâches de contenu inattendu.
1.3 Accéder à une théorie de
l'esprit
Différentes approches théoriques ont
été proposées pour expliquer les transformations
cognitives qui se produisent chez l'enfant lorsqu'il accède à une
théorie de l'esprit (Hale, 2003). La validation de ces différents
modèles est difficile compte tenu de la difficulté
d'accès, par des méthodes expérimentales, aux processus
mis en oeuvre par l'enfant. La validité du modèle dépend
donc le plus souvent de sa capacité à rendre compte des
observations et des résultats expérimentaux tirés des
différentes épreuves proposées aux enfants. La remarque
suivante d'Astington permet ainsi de relativiser les divergences entre les
différents modèles : « que la découverte de
l'esprit mène les enfants vers un état de compréhension
supérieur ou qu'elle les fasse passer d'un état de
compréhension implicite vers un état plus explicite, il s'agit
dans tous les cas d'un processus développemental très
important » (Astington, 1999)
Notre démarche s'inscrit dans le cadre de la
« théorie de la théorie », qui postule que
l'accès à la théorie de l'esprit repose sur des
réélaborations conceptuelles chez l'enfant au cours de son
développement vers l'âge de cinq ans. Avant cet âge, la
théorie de l'esprit n'est pas en place.
L'enfant a très précocement conscience de
nombreuses manifestations de la pensée chez lui et chez autrui.
Dès l'âge de trois ans les enfants savent par exemple
différencier la réalité des représentations. Ils
sont en effet capables de différencier les propriétés
d'une image mentale de chien d'un vrai chien. (Flavell, 1995 in Flavell, 1999).
Les enfants sont également capables d'attribuer certains états
mentaux à eux-mêmes et à autrui. Ils ont la capacité
d'exprimer leur peur et de l'identifier à partir des comportements
observés. L'analyse de leurs propres états mentaux semble plus
facile que ceux des autres mais avec de nombreuses limites. Comme nous l'avons
vu, les enfants sont par exemple incapables de décrire leurs propres
états mentaux passés lorsque ceux-ci ont subi des modifications.
Leurs représentations et l'expression de leurs états mentaux
semblent donc directement reliées au réel et à
l'instant.
L'apparition des mensonges à partir de l'âge de
deux ans marque un progrès important de la prise en compte des
états mentaux d'autrui. L'utilisation du mensonge marque une prise de
distance entre le contenu du discours et la réalité pour
l'enfant. Il essaye d'agir sur le comportement d'autrui en modifiant les
informations qu'il met à la disposition de son interlocuteur ce qui peut
préfigurer la prise de conscience de la notion de représentation.
Le mensonge est cependant utilisé sous une forme très
rudimentaire puisque l'enfant ne tient pas compte lors de la formulation
de son mensonge des autres données à la disposition de son
interlocuteur.
Mais l'accès à la théorie de l'esprit ne
peut se résumer à la maîtrise de ces capacités
précoces. Nous avons bien vu que chacune présente des limites qui
soulignent une acquisition incomplète. Par exemple, les enfants peuvent
percevoir et identifier la peur chez autrui mais ne peuvent concevoir la peur
comme une émotion provoquée par des facteurs qui varient selon
les individus et qui sont reliés aux croyances et aux émotions.
La théorie de l'esprit chez l'enfant implique
nécessairement le passage aux métareprésentations. Cet
accès aux métareprésentations ne se fait pas au même
stade de développement selon les modèles théoriques. Le
jeu symbolique occupe une place importante à l'origine de certaines
différences entre les théories qui interprètent
différemment le rapport entre jeu symbolique et théorie de
l'esprit. Les activités symboliques se mettent en place vers 18-24 mois.
Les plus simples correspondent à la simulation de l'utilisation d'un
objet comme servir le thé et boire ce thé fictif par exemple. Les
activités vont ensuite se complexifier en augmentant la
décontextualisation des activités jusqu'à la substitution
où un objet d'aspect totalement différent peut être
utilisé pour mimer l'utilisation d'un autre objet.
Leslie considère que le jeu symbolique atteste d'un
accès aux métareprésentations. Les
métareprésentations étant indissociables des
représentations secondaires. Pour jouer avec sa mère au
téléphone avec une banane, l'enfant doit se représenter
que sa mère « pretend » que la banane est
un téléphone (Reboul, 2000). Les enfants auraient donc
déjà accès à la théorie de l'esprit lorsque
le jeu symbolique se met en place. Les difficultés rencontrées
aux épreuves de fausse croyance pouvant être expliquées par
un développement insuffisant d'autres fonctions comme la capacité
de traitement des informations ou par l'utilisation d'heuristiques
inadéquates comme « prédire que l'agent va agir de
manière à satisfaire ses désirs » (Fodor, in
Bradmetz, 1999).
Leslie propose un modèle qui permet d'expliquer la
capacité précoce des enfants à participer au jeu
symbolique sans que leur compréhension du monde en soit modifiée.
Lorsqu'il est impliqué dans un jeu symbolique l'enfant sait que la
fonction qu'il attribue à un objet n'est pas sa fonction réelle.
Leslie vient à définir le module de théorie de l'esprit
(ToMM) qui permet à l'enfant de découpler les informations
liées au jeu symbolique. Les simulations se trouvent ainsi
séparée du monde réel (Leslie, 1984).
Mais d'autres études ont nuancé l'importance du
jeu symbolique en montrant que les enfants considèrent le
« pretense » davantage comme un processus physique
que comme un processus mental. Le jeu de faire semblant doit donc être
classé comme une action plutôt que comme une activité
mentale (Lillard 1996 in Bouchand, 1999)
Ainsi, pour Perner (1991), le jeu symbolique marque bien le
développement des représentations secondaires ou des
représentations découplées mais, contrairement à
Leslie, le jeu symbolique n'atteste en rien du développement des
métareprésentations. Au cours du jeu symbolique, l'enfant n'est
pas conscient des rapports qui existent entre les différents niveaux de
représentation. L'enfant est effectivement capable d'imaginer des
situations hypothétiques mais la séparation entre
représentation mentale et objet n'est pas encore en place. L'enfant n'a
pas encore conscience qu'un objet est utilisé pour en représenter
un autre.
L'accès aux métareprésentations n'est pas
indispensable puisque les représentations découplées sont
suffisantes pour expliquer les activités symboliques implicites. Les
représentations secondaires semblent donc dissociables des
métareprésentations ce qui peut expliquer la capacité de
certains autistes à participer à des activités symboliques
en situation d'étayage sans être pour autant capables de les
initier (Reboul, 2000).
Perner justifie cette capacité à mener des jeux
symboliques par le terme « prelief » (Perner,
Baker et Hutton, 1995 in Bradmetz, 1999). Le « prelief »
(synthèse de pretence et belief) permet le jeu
symbolique au cours duquel l'enfant fait « comme si » mais
sans pouvoir tenir compte et évaluer son attitude vis à vis du
jeu symbolique.
Gopnik compare le jeu symbolique à la lecture des
contes aux enfants. Il y a mise en place de l'activité symbolique avec
acceptation de la relation particulière entre l'objet et les
propriétés différentes qui lui sont attribuées mais
sans interrogation sur la nature de son adhésion à la
représentation découplée. Leslie reconnaît
également que l'enfant n'est pas conscient des représentations de
représentations et utilise par la suite le terme
« M-représentation » pour les décrire.
Avant le développement de la théorie de
l'esprit, les représentations sont reliées directement au
réel et ne sont pas accessibles à l'enfant qui ne peut les
manipuler mentalement. Le passage aux métareprésentations et
à l'attribution d'états mentaux est marqué par un
changement conceptuel chez l'enfant. Les représentations ne sont plus
strictement dépendantes du réel. Ce sont désormais des
intermédiaires entre connaissance et action (Gopnik, 1993 in Bradmetz
1999). L'enfant comprend que la connaissance suppose l'accès à
l'information ce qui lui permet de différencier les états mentaux
et les représentations des individus en fonction des informations dont
ils disposent.
La compréhension des états mentaux et des
comportements d'autrui est rendue possible par la prise en compte des croyances
et des désirs de l'enfant lui-même et de ceux qui l'entourent. Il
s'agit donc d'un progrès basé sur l'utilisation de
mécanismes inférentiels. Cette approche constructiviste insiste
sur le rôle des interactions qui permettent une
réélaboration constante des théories en fonction des
capacités de l'enfant afin de produire la réponse la mieux
adaptée à la situation.
L'interaction avec l'entourage joue donc un rôle
prépondérant dans le passage vers une théorie de l'esprit.
C'est par le biais des interactions que l'enfant va développer les
outils de cette nouvelle théorie. Gopnik suppose que l'observation des
attitudes d'autrui mène l'enfant à élaborer des
hypothèses, à utiliser des modèles permettant de rendre
compte des différents comportements. Ces hypothèses sont ensuite
adaptées au comportement propre de l'enfant et vont évoluer en
fonction de la complexité des problèmes ou des comportements
auxquels les enfants seront confrontés.
Au-delà de ces différentes théories
d'acquisition, la théorie de l'esprit met en jeu de nombreuses
capacités développées par l'enfant au cours de ses quatre
premières années de développement. Le développement
de la théorie de l'esprit semble corrélé à
l'acquisition de ces différentes fonctions parmi lesquelles les
capacités suivantes jouent un rôle primordial :
- La différenciation du moi du non moi
- La prise de conscience des états mentaux.
- Etre capable d'attribuer des états mentaux et une
Intentionnalité aux personnes.
- La capacité d'empathie.
- Différencier la réalité des
représentations internes du monde.
- Utilisation des organes des sens et du regard en particulier.
Cette importance est particulièrement marquée dans le
modèle modulaire de Baron-Cohen.
- L'observation d'autrui et des pairs.
- Le développement du langage.
1.4 Les épreuves permettant de mettre en
évidence l'acquisition progressive d'une théorie de l'esprit
La force de la théorie de l'esprit tient aussi en
partie à la solidité des résultats expérimentaux.
Une grande variété de tâches a été
imaginée par les psychologues du développement afin de
détecter le passage à une théorie de l'esprit. Ces
différentes épreuves s'attachent le plus souvent à un des
états mentaux identifiés comme reliés à la
théorie de l'esprit. Il s'agit des tâches de fausse croyance,
d'émotion, de désir, d'intention, ou encore d'ignorance.
La première tâche fut celle de fausse croyance
proposée par Wimmer et Perner en 1983 : la scène du petit
Maxi (Wimmer et Perner in Bradmetz, 1999). L'enfant est considéré
comme ayant accès à la théorie de l'esprit lorsqu'il va
prédire que Maxi va aller chercher le chocolat au mauvais endroit parce
qu'il ignore que le chocolat a été déplacé par la
mère de Maxi en son absence. Ce qui marque bien que les enfants
comprennent que des représentations sur un même état du
monde peuvent différer selon les sujets et les informations dont ils
disposent (Bradmetz, 1999).
Ces premières expériences ne tenaient compte que
de la validité de la réponse sans s'attacher à la
justification du choix. Par la suite d'autres expériences utilisant le
même scénario intégrèrent des questions demandant
à l'enfant de justifier sa réponse afin d'ajouter une composante
qualitative. Ces justifications sont d'autant plus importantes pour les
modèles qui considèrent la formulation explicite du raisonnement
comme primordiale (Gopnik, 1993 in Bradmetz, 1999). Ces justifications
permirent également d'étudier les corrélations entre le
développement de certains aspects du langage et l'accès à
la théorie de l'esprit.
Les épreuves de fausse croyance présentent de
nombreuses autres variantes (Wellman, 2001 ; Wellman, 2004) comme les
épreuves de contenu inattendu ou celles
d'apparence-réalité. L'objectif étant différent, il
ne s'agit plus de tester la prise en compte des différences
d'états mentaux des sujets selon les informations dont ils disposent
mais d'évaluer la capacité de l'enfant à prendre
conscience que les états mentaux d'un même individu au cours du
temps peuvent varier en fonction de ses expériences. Avant
l'accès à la théorie de l'esprit, les enfants
« oublient » leur surprise face au contenu inattendu d'une
boîte de bonbons remplie de crayons par exemple.
Il est possible d'établir une classification des
épreuves en fonction de l'âge moyen de réussite (Wellman,
2004, Wellman, 2001). Les épreuves les plus simples étant celles
de désir et de croyance alors que les épreuves de fausse croyance
sont en moyenne réussies plus tardivement. Par contre les
différentes tâches portant sur la fausse croyance sont le plus
souvent réussies simultanément. De plus la réussite aux
épreuves de fausse croyance ne survient presque jamais avant celles
reliées aux émotions (Wellman, 2004).
Les différences entre les protocoles
expérimentaux ne peuvent pas expliquer seules les variations. Cette
réussite graduelle aux épreuves semble indiquer que les
difficultés croissantes rencontrées par les enfants sont
liées à des difficultés croissantes de
compréhension de la subjectivité mentale. Les enfants
réussissent plus précocement les épreuves de désirs
car cet état mental est plus facilement accessible que les croyances.
Les résultats expérimentaux sont donc sous-tendus par des
difficultés conceptuelles.
L'entraînement peut également jouer un rôle
dans la réussite des épreuves. En effet un entraînement
simple sur ces différentes épreuves permet une augmentation des
scores entre les épreuves de pré test et de post test (Hale,
2003). Cet effet d'entraînement n'est pas spécifique à un
type d'épreuve donné. L'entraînement sur des
épreuves de fausse croyance entraîne une amélioration des
résultats aux épreuves d'apparence-réalité ou
d'émotion. Ce facteur entraînement est donc à prendre en
compte dans les études au cours desquelles les enfants passent plusieurs
séries d'épreuves. Il est à noter que certains auteurs ne
remarquent aucune amélioration des résultats après
entraînement lorsque celui-ci ne fait pas intervenir le langage ou
lorsque l'expérimentateur se limite à indiquer si la
réponse est correcte ou erronée avant de donner la bonne
réponse (Clements, 2000 in Lohmann, 2003).
L'âge moyen d'acquisition d'une théorie de
l'esprit varie selon les auteurs. Mais l'ensemble des auteurs s'accorde
à dire que les enfants n'accèdent pas à la théorie
de l'esprit avant l'age de quatre ans. Les différences tiennent en
partie au degré de réussite des épreuves de fausse
croyance. Si la simple réussite aux épreuves est prise en compte
alors l'âge de quatre ans sera retenu. Par contre si on attend que les
réponses soient accompagnées d'une justification correcte alors
l'accès complet à la théorie de l'esprit est beaucoup
plus tardif.
Gauthier et Bradmetz (2004) replacent l'acquisition de la
théorie de l'esprit par rapport au modèle piagétien dans
une étude basée sur les compréhensions d'épreuves
de fausse croyance de second ordre. Dans ces épreuves les enfants
doivent « être capable de différencier non seulement
l'attitude propositionnelle d'un sujet A de celle d'un sujet B mais, aussi,
l'attitude propositionnelle d'un sujet B à propos de celle de A. Dans
leur étude ces auteurs soulignent la difficulté des enfants
à réussir ces épreuves avant l'accès au stade
piagétien des opérations concrètes.
L'acquisition complète de la théorie de l'esprit
est donc répartie sur plusieurs années au cours desquelles de
nombreux facteurs vont intervenir sur sa construction pour devenir
complète vers l'âge de 6-7 ans.
2. Le rôle des interactions entre pairs pour les
apprentissages
Les apprentissages réalisés par les enfants
dépendent du développement de l'organisme en interaction avec de
multiples facteurs. En effet, selon l'approche piagétienne, certains
apprentissages sont impossibles avant que les structures impliquées ne
soient suffisamment développées (Baudier et Celeste, 2002).
Cependant le développement n'est pas exclusivement de
nature maturationnelle. Les interactions de tutelles avec les adultes où
les interactions entre pairs jouent également un rôle primordial
au cours du développement de l'enfant. Ainsi lorsque le
développement organique est suffisant la richesse des interactions
permet de favoriser les apprentissages.
2 .1 Les interactions de tutelle avec
l'adulte
Les nourrissons présentent des compétences
précoces, voire innées, mais qui sont nécessairement
relayées par des interactions avec leur environnement. Les interactions
se mettent en place dès la naissance par les contacts visuels avec la
mère et les soins portés au nourrisson. Winnicott (1992)
décrit ces premiers contacts mère-enfant par les termes de
« holding » et de « handling ». La
façon dont la mère porte et soigne son enfant joue un rôle
important dans les relations que l'enfant entretiendra avec le monde par la
suite.
Dans la continuité, l'intersubjectivité primaire
puis secondaire définie par Trevarthen (2003) décrit
l'évolution et la complexification des interactions entre l'enfant et la
mère. Dans un premier temps, lors de l'intersubjectivité
primaire, l'enfant et sa mère établissent une relation
principalement visuelle organisée autour des états
émotionnels sans laisser de place aux éléments de
l'environnement. Par la suite, à partir de huit ou neuf mois,
l'attention peut s'appuyer sur la désignation et l'observation d'un
objet. L'intersubjectivité secondaire marque donc le passage d'une
relation dyadique vers une relation triadique au cours de laquelle le regard du
nourrisson peut passer successivement de sa mère à un objet
qu'ils observent ensemble. L'attitude d'un bébé vis-à-vis
d'un objet présenté par les parents dépend en grande
partie de l'expression des parents lors de la présentation de cet objet
(Bradmetz, 1999). Ces interactions constituent un outil important pour la
délimitation des limites corporelles et la mise en place des relations
avec autrui chez le nourrisson. La délimitation des frontières du
corps étant indispensable à l'acquisition d'une théorie de
l'esprit.
Les travaux de Bruner (1983) soulignent également
l'importance des relations entre la mère et l'enfant pour le
développement de nombreuses fonctions comme le langage. La mise en place
de jeux précoces entre la mère et l'enfant comme le jeu du
« coucou » au cours duquel la mère cache et
découvre son visage puis celui de l'enfant occupe une place centrale.
Ce jeu développe des routines ou des scripts qui préfigurent les
tours de parole du langage. Cette activité souligne le rôle de la
mère qui dans les premiers temps adapte ses comportements et ses
productions verbales aux comportements du bébé afin d'assurer le
maintien et la régulation de la relation de communication. Par la suite
l'enfant devient progressivement sensible à l'existence de règles
du jeu. Il participe plus activement au déroulement des échanges
et devient même capable d'exercer un contrôle sur les
échanges en modifiant les règles par exemple (Bruner, 1983).
Au-delà de l'apprentissage de règles,
l'utilisation de ces routines liées au jeu peut permettre à
l'enfant de commencer à situer une limite entre le réel et le
faire semblant. De même, l'anticipation des comportements peut aider
l'enfant à percevoir les états mentaux de son compagnon de jeu et
sa propre activité mentale (Baudier, 2002).
Le rôle de l'adulte est primordial dans l'étayage
de l'enfant pour la résolution de problèmes. Bruner emprunte
à la linguistique l'expression suivante : « la
compréhension de la solution doit précéder sa
production ». L'adulte connaissant la réponse va pouvoir
expliquer la démarche qui permettra à l'enfant d'arriver à
la solution. Il guidera également les tentatives de l'enfant
jusqu'à la réussite par la construction de
« formats » qui encadrent les actions des enfants (Bruner,
1983). L'adulte va ainsi limiter la distraction de l'enfant en maintenant son
attention centrée sur le problème à résoudre. Il
assure une convergence constante entre son attention et celle de l'enfant au
cours de l'interaction. L'adulte va également fournir des moyens pour
résoudre le problème en orientant les activités de
l'enfant lorsque le but à atteindre ou les moyens à utiliser ne
sont pas bien identifiés. Afin de limiter la difficulté de la
tâche, l'adulte propose des problèmes pour lesquels l'enfant
possède les outils nécessaires à sa résolution
même s'il est incapable de le résoudre seul. L'adulte va par
conséquent mettre l'enfant en situation de réussite face à
de nouvelles tâches de difficulté croissante.
2.2 Vygotsky et la zone de développement
prochain
La théorie historico-culturelle
développée par Vygotsky a permis de mieux rendre compte de
l'influence des interactions sociales sur le développement de
l'individu. Il part d'un constat simple : les propriétés
organiques ou biologiques de l'espèce humaine n'ont pas ou peu
évolué depuis plusieurs centaines de milliers d'années.
L'évolution de l'espèce humaine est donc avant tout liée
aux interactions sociales au sein des différentes cultures. En partant
de ce postulat, l'acquisition de nombreux concepts au cours de
l'ontogenèse ne peut s'expliquer qu'en replaçant le
développement de l'enfant dans le cadre du développement des
sociétés humaines. Les règles qui régissent
l'emploi des outils dans différents domaines d'action sont
données à travers un code social qui constitue la pratique d'une
culture.
Vygotsky développe plusieurs concepts au sein de sa
théorie afin d'expliquer le développement de l'enfant au cours
des apprentissages. Il introduit le terme d'outils psychologiques qui
permettent à l'enfant d'opérer sur ses propres
représentations en les recombinant en fonction des buts qu'il s'assigne.
Le développement de l'enfant va donc nécessairement être
associé à une modification de ses outils psychologiques.
L'acquisition de nouveaux outils psychologiques permet une transformation des
conduites et ainsi une meilleure adaptation aux problèmes auxquels
l'enfant est confronté.
Les apprentissages ne se font cependant pas sans condition.
Toutes les interactions ne sont donc pas à l'origine d'un
apprentissage. L'interaction est favorable aux apprentissages lorsque les
informations fournies par l'adulte ou par l'enfant en interaction sont
intelligibles pour l'enfant de niveau de développement le plus bas. Au
cours de ces interactions, les enfants de niveau inférieur sont capables
de réussir des problèmes qu'ils ne pourraient résoudre
seuls. Vygotsky vient ainsi à définir la zone de
développement prochain (ZPD) comme « la distance entre le
niveau de développement actuel tel qu'on peut le déterminer
à travers la façon dont l'enfant résout des
problèmes seuls et le niveau de développement tel qu'on peut le
déterminer à travers la façon dont l'enfant résout
des problèmes lorsqu'il est assisté par l'adulte ou avec d'autres
enfants d'un niveau plus avancé » (Vygotsky, 1978 in Bruner,
1983). Les interactions sont donc à l'origine d'apprentissages
lorsqu'elles se déroulent dans la zone de développement
prochain.
Cette zone de développement prochain peut expliquer une
corrélation connue entre la place de l'enfant dans la fratrie et
l'âge moyen d'acquisition de la théorie de l'esprit : Les
puînés des fratries accèdent à la théorie de
l'esprit plus précocement que les enfants uniques ou les
aînés de la fratrie. Les enfants légèrement plus
âgés présents dans l'entourage proche influencent donc
probablement l'acquisition de la théorie de l'esprit.
Vygotsky considère que « L'apprentissage
humain présuppose une nature sociale et un processus par lequel les
enfants grandissent dans la vie intellectuelle de ceux qui les
entourent » (Vygotsky, 1978 in Bruner, 1983). Le langage et les
activités des enfants plus âgés prennent en compte les
états mentaux. Ainsi, au cours des interactions avec les
aînés de la fratrie, les enfants plus jeunes participent à
des jeux qui intègrent les états mentaux. Ce qui peut être
à l'origine de la précocité relative de leur acquisition
de la théorie de l'esprit.
L'étude du langage et en particulier de la forme de
langage adoptée par les adultes qui s'adressent aux nourrissons et aux
enfants indique qu'aux cours des interactions de tutelles, les adultes tendent
à se placer spontanément dans la zone de développement
prochain de l'enfant. Plusieurs modifications peuvent être
observées dans les productions langagières adressées aux
enfants comme l'accentuation des intonations qui vont faciliter la
compréhension de la phrase ou la diminution de la longueur des phrases
par exemple. En adoptant ce mode de communication, les adultes tentent de
s'adapter au niveau de leur interlocuteur mais en se plaçant
légèrement au dessus de ce que l'enfant est capable de produire
seul. Malgré cette différence entre le niveau de langage de
l'adulte et celui de l'enfant, l'enfant est capable de comprendre ces
énoncés légèrement plus complexes que ceux qu'il
peut produire seul. Cette capacité est parfaitement illustrée par
la différence entre le vocabulaire compris par l'enfant et celui qu'il
utilise. Le vocabulaire compris est bien plus riche que celui
utilisé.
Le développement cognitif pour Vygotsky suit un cadre
théorique précis pour lequel les apprentissages se font en deux
temps. Tout d'abord au niveau social par les interactions de tutelles ou avec
les pairs puis au niveau individuel. « Chaque fonction
psychologique apparaît deux fois au cours du développement de
l'enfant : d'abord comme activité collective, sociale et donc comme
fonction interpsychique puis elle intervient une seconde fois comme
activité individuelle, comme propriété intérieure
de la pensée de l'enfant comme fonction intrapsychique »
(Vygotsky, 1933 ou 1934/1985 in Brossard, 2004). Nous intégrons, en les
transformant, les conduites sociales mises en place avec autrui au cours des
intéractions dans la zone de développement prochain. Ces
nouvelles acquisitions permettront le développement de nouveaux concepts
à partir des concepts préexistants chez l'enfant. Les
apprentissages entraînent donc le développement qui peut
être décrit comme une réélaboration des concepts
antérieurs.
2.3 La place de l'imitation dans les
apprentissages
Selon les dyades, les interactions ne sont pas
équivalentes. Elles vont bien évidemment se complexifier et
s'enrichir lorsque l'âge des enfants augmente. Mais au sein d'un
même groupe d'âge les dynamiques interactives peuvent varier.
Plusieurs type d'interactions ont été mises en évidence
(Gilly, Fraisse et Roux, 1998 in Soidet, 2006). Les dynamiques les plus
efficaces semblent être les confrontations contradictoires des
idées au cours desquelles se met en place un conflit socio-cognitif. Les
situations de co-construction de la réponse semblent elles aussi
efficaces. Par contre les situations basées sur la domination sociale
d'un des sujets ont été évaluées comme
inefficaces.
Vis-à-vis de ces différentes situations,
l'imitation possède un statut particulier. L'imitation rassemble sous un
même terme des activités très différentes.
L'imitation peut soit correspondre à une reproduction à
l'identique de l'action ou de la réponse du tuteur, soir décrire
une reprise de l'action du modèle mais en l'adaptant à la
situation à laquelle le sujet est confronté. Cette seconde
situation est la seule qui puisse être considérée comme
l'acquisition d'un nouvel outil cognitif. Bruner compare ce type d'imitation
à une paraphrase et préfère l'expression
« apprentissage par observation » à celle
d' «imitation » (Winnykamen, 1990).
Dans ce cas l'imitation peut être
considérée comme une interaction implicite qui peut
générer un conflit cognitif chez le tutoré. En observant
ou en imitant les choix ou les actions du tuteur, le tutoré va
assimiler ces actions et les comparer à celles qu'il a ou qu'il aurait
planifié. Cette incohérence possible entre ses actions et celles
du tuteur peut l'amener à modifier son mode de raisonnement. Cette
modification n'est efficace que si la compréhension de l'origine de la
différence permet une réélaboration cognitive. Quelques
données expérimentales soutiennent ce rôle positif de
l'imitation : Des progrès ont été observés
chez des enfants de 5 ans pour des activités d'emboîtement de
classe par simple observation d'un expert (Winnykamen, 1990).
L'imitation semble donc intervenir dans les acquisitions de
nouveaux concepts conjointement au conflit sociocognitif ou à la
coélaboration. Au-delà de ce rôle pour les apprentissages,
l'imitation présente également un rôle important au niveau
relationnel entre pairs.
3. Le rôle du langage pour l'acquisition de la
théorie de l'esprit
Lorsque l'enfant acquiert le langage, celui-ci devient son
mode de communication principal et lui permet d'exprimer ses états
mentaux, ses pensées et de les partager avec ses interlocuteurs.
Pour Piaget, le langage reflète le développement
de l'esprit. Cette approche peut être complétée si nous
considérons que le langage constitue également l'outil
privilégié pour les apprentissages par sa double fonction: Le
langage permet à la fois la communication et constitue un support pour
la pensée.
Le lien entre langage et théorie de l'esprit a
été établi par deux types d'études : la
recherche de corrélation (Astington et Jenkins, 1999 ; Deleau,1999)
et la mise en évidence d'un effet d'entraînement (Hale et
Tage-Flusberg, 2003 ; Lohmann et Tomasello, 2003)
3.1 Corrélation et effet d'entraînement
Les études longitudinales menées, entre autres,
par Astington ont montré une corrélation importante entre la
maîtrise du langage et la réussite aux épreuves de fausses
croyances (Astington, 1999 ; de Rosnay et Pons, 2004 in Harris, 2005). En
effet, le score aux épreuves de langage est un bon indicateur de la
réussite ultérieure aux épreuves de fausse croyance alors
qu'aucune corrélation n'a été mise en évidence pour
la relation réciproque entre réussite à la théorie
de l'esprit et score de langage. Mais une telle corrélation n'est pas
suffisante pour attester d'un lien direct entre les deux variables et affirmer
que le développement du langage favorise l'accès à la
théorie de l'esprit (Astington, 1999, Deleau, 1999).
Un problème soulevé est que les épreuves
qui permettent d'évaluer l'accès à la théorie de
l'esprit nécessitent fréquemment une maîtrise du langage
associée à une maîtrise de la compréhension des
énoncés. Plusieurs épreuves ont essayé de se
libérer de l'influence de la maîtrise du langage sur la
réussite des épreuves. Malgré ces précautions, une
relation importante est apparue entre le développement du langage et la
réussite aux différentes épreuves de théorie de
l'esprit.
D'autres études portant sur des exercices
d'entraînement des capacités langagières ont permis des
améliorations des scores aux épreuves de théorie de
l'esprit. Ce qui permet de renforcer le lien entre langage et théorie de
l'esprit. Par contre un entraînement sur les épreuves de fausse
croyance permet une amélioration des résultats sans
entraîner d'amélioration du score de langage. Les progrès
langagiers ne sont donc pas indispensables à l'amélioration des
résultats aux épreuves de théorie de l'esprit.
Les études menées sur des enfants sourds
soutiennent également cette hypothèse du lien entre langage et
théorie de l'esprit puisque parmi les enfants sourds, ceux qui
présentent un retard d'acquisition du langage présentent aussi un
retard d'acquisition de la théorie de l'esprit. (Peterson et Sigal, 2000
in Harris, De Rosnay et Pons, 2005)
Les études récentes de Lohman et Tomasello puis
de Harris et de Rosnay ont permis de préciser les composantes du langage
qui permettent l'amélioration des résultats aux épreuves
de théorie de l'esprit. Les résultats indiquent qu'un
entraînement décrit comme complet entraîne une
amélioration importante des résultats des enfants aux
épreuves de fausse croyance. Cet entraînement basé sur le
langage portait sur : 1. une explication des
réponses correctes en développant les habiletés
pragmatiques comme la présentation des différentes perspectives
individuelles, 2. L'utilisation de verbes mentaux et
3. d'une construction syntaxique (grammaticale) des phrases
basée sur les propositions enchâssées. L'influence de
chaque facteur a été testée auprès d'autres groupes
d'enfants qui suivaient un entraînement ne portant que sur un seul des
facteurs à la fois.
Un entraînement basé sur une interaction verbale
simple n'est pas suffisant pour permettre une amélioration des
résultats aux épreuves de fausse croyance à moins que cet
entraînement ne porte sur la présentation de la
variété des points de vue possibles sur une même situation.
Ce n'est donc pas le développement du langage en général
qui favorise l'acquisition de la théorie de l'esprit mais plutôt
certaines composantes dont le rôle doit encore être mis en
évidence et expliqué sur un plan conceptuel.
3.2 Les habiletés pragmatiques
Parmi les différents aspects du langage dont le
développement présente un lien avec la réussite aux
épreuves de théorie de l'esprit, les habiletés
pragmatiques (pragmatic features) semblent être le facteur le plus
important avant la richesse du vocabulaire ou l'utilisation des verbes mentaux
seuls. Les habiletés pragmatiques permettent de présenter le
problème ou la situation observé par l'enfant suivant d'autres
points de vue. Ce qui rejoint l'approche de Vygotsky concernant l'importance de
l'étayage par l'adulte. L'enfant peut ainsi réaliser qu'une
situation peut accepter différentes explications selon les sujets
impliqués. Il faut noter que ces explications utilisent
fréquemment les propositions enchâssées et les verbes
mentaux comme dans l'exemple suivant. « Max pense que la chemise est
dans le placard parce qu'il était absent tout à
l'heure ».
3.3 Les propositions enchâssées
Les propositions enchâssées jouent
également un rôle important selon Lohman. Il s'agit de phrases
dans lesquelles une proposition est enchâssée dans une autre comme
« le petit chaperon rouge pense que sa grand-mère est
dans le lit ». Cette structure syntaxique fournit à l'enfant
les éléments lui permettant de discuter les contradictions entre
la réalité et les états mentaux car la proposition
enchâssée n'est pas nécessairement vraie. Dans la phrase
précédente, la proposition « le petit chaperon rouge
pense » est toujours considérée comme vraie mais la
proposition « sa grand-mère est dans le lit » n'est
pas nécessairement vraie.
L'hypothèse formulée est que cette construction
grammaticale permet une approche linguistique des représentations et des
métareprésentations. L'entraînement utilisant des
propositions enchâssées sans faire référence aux
épreuves de fausse croyance permet également une
amélioration des scores (Hale, 2003) L'entraînement sur la
structure syntaxique présente donc un effet positif
indépendamment du développement des habiletés pragmatiques
(Lohman, 2003) et atteste donc bien de l'existence d'un lien strict entre
développement du langage et réussite aux épreuves.
L'utilisation des propositions enchâssées
apparaît tôt dans le langage des enfants mais leur
compréhension n'est que partielle au début. L'enfant
considère que les propositions de la phrase sont toujours vraies. Ces
constructions grammaticales ne présentent de rôle positif sur la
théorie de l'esprit qu'à partir de l'instant où l'enfant
comprend que la proposition complétive peut être fausse.
3.4 Les verbes mentaux
Un entraînement basé sur l'utilisation des verbes
mentaux entraîne une amélioration des scores aux épreuves
de fausse croyance. D'autres études ont montré que l'utilisation
de verbes de communication à la place des verbes mentaux entraîne
également une amélioration des scores aux épreuves de
fausse croyance. Aucune différence significative n'a été
mise en évidence. Les deux entraînements permettent une
amélioration similaire des performances (Lohmann, 2003).
Même si cet effet d'entraînement n'est pas
spécifique des verbes mentaux, leur utilisation présente un lien
fort avec la théorie de l'esprit puisque la richesse des verbes mentaux
utilisés par la mère prédit la performance future des
enfants aux épreuves de théorie de l'esprit (Ruffman, Slade,
Crowe, 2002 in Harris et Pons ,2005). L'utilisation des verbes mentaux par la
mère ou par l'entourage oriente l'attention des enfants vers les
processus mentaux.
Plusieurs études menées sur l'utilisation des
verbes mentaux par les enfants (Bouchand et Caron, 1999 ; Bassano et
Champaud, 1983) indiquent que les verbes mentaux sont utilisés
précocement par les enfants. Dès l'âge de 3 ans les enfants
les utilisent afin de décrire leurs comportements et ceux d'autrui alors
qu'ils n'ont pas encore acquis la théorie de l'esprit. L'acquisition de
la théorie de l'esprit n'est donc pas nécessaire pour utiliser
ces termes pourtant reliés à la pensée.
Lors de l'acquisition de la théorie de l'esprit, une
modification de l'utilisation des verbes mentaux semble s'opérer. Le
recours aux verbes mentaux dans le discours est bien plus important chez les
enfants réussissant les épreuves de fausse croyance: leur
occurrence est multipliée par deux. Mais au-delà d'une
utilisation plus fréquente de ces verbes, c'est leur mode d'utilisation
qui se trouve modifié. Bouchand met en évidence un passage d'un
mode d'utilisation comportemental qui vise à expliquer, justifier les
comportements vers un niveau intentionnel, informationnel, beaucoup plus
abstrait qui porte sur des données non observables comme les
états mentaux des individus. La maîtrise complète de la
signification des verbes mentaux ne survient que tardivement par rapport
à leur première utilisation. Cette maîtrise de ces verbes
pouvant être reliée à l'acquisition d'une théorie de
l'esprit (Bouchand, 1998, 1999)
La compréhension des propositions utilisant les verbes
mentaux présente aussi de nombreuses difficultés qui sont
dépassées progressivement par les enfants. Bassano et Champaud
ont ainsi montré que les énoncés du type «je sais que
P» sont compris avant ceux du type « je sais que non
P ».Les jeunes enfants de moins de 6 ans ne prennent en compte qu'une
partie de l'énoncé. «Je sais que non P» est souvent
compris comme «non P» (Bassano et Champaud, 1988).
3.5 Les marques modales
Les marques modales peuvent être distinguées en
deux ensembles relativement distincts. Les modalités déontiques
(pouvoir, devoir...) qui fournissent des informations d'obligation et de
permission et les modalités épistémiques qui expriment des
idées de nécessité, de probabilité ou de
possibilité (peut-être, certainement, probablement, en vrai...).
Alors que les premières apparaissent très tôt au cours de
l'acquisition du langage, les secondes semblent être utilisées
beaucoup plus fréquemment vers l'âge de 4-5 ans lors de
l'acquisition d'une théorie de l'esprit (Bouchand, 1998).
3.6 Les connecteurs
De la même façon, l'utilisation des connecteurs
peut être séparée en deux phases. Une première phase
précoce à partir de laquelle des connecteurs comme
« parce que », « et » ou
« mais » sont utilisés pour organiser, structurer
les phrases. Dans un second temps qui correspond à la période
d'acquisition de la théorie de l'esprit, Bouchand (1998) a noté
une augmentation des occurrences des connecteurs ainsi que l'apparition de
nouveaux connecteurs comme « si » ou
« quand » qui permettent un décrochage du discours
vis-à-vis de la réalité afin d'évoquer des
situations alternatives.
Il semble donc exister un lien extrêmement fort entre
acquisition du langage et organisation de la pensée chez l'enfant. La
réussite des épreuves de théorie de l'esprit est
accompagnée du développement ou de l'évolution de
l'utilisation de certains outils linguistiques (Bouchand, 1998). La
difficulté étant de déterminer la nature des liens entre
langage et pensée.
PROBLEMATIQUE
De nombreuses études évoquées dans le
cadre théorique soulignent l'acquisition progressive de la
théorie de l'esprit par réélaboration des modèles
antérieurs. Pour Gopnik (2005) par exemple, l'enfant utilise les
informations tirées de l'analyse de son environnement pour
améliorer sa compréhension des comportements d'autrui.
Les interactions dans la zone de développement prochain
avec les adultes et les enfants semblent jouer un rôle primordial dans
l'acquisition de la théorie de l'esprit. En effet, la richesse des
interactions entre l'enfant et son entourage favorise une acquisition
précoce de la théorie de l'esprit. Le lien entre le vocabulaire
utilisé par la mère et le développement de la
théorie de l'esprit chez l'enfant constitue un bon exemple.
Les enfants accèdent à la théorie de
l'esprit pendant leur scolarisation en classe de moyenne ou de grande section
de maternelle. Le professeur de l'enfant en tant qu'adulte doit très
probablement faciliter, avec les autres adultes qui entourent l'enfant,
l'acquisition de la théorie de l'esprit par la formulation de ses
phrases ou les activités proposées aux enfants. En se
référant à l'approche théorique de Vygotsky
concernant la zone de développement prochain, les interactions entre
pairs doivent également intervenir au cours des apprentissages.
L'objectif de cette recherche est donc d'étudier
l'effet des interactions entre pairs de niveaux de développement
différents vis à vis de l'acquisition de la théorie de
l'esprit.
Cette idée est renforcée par le fait que
l'âge d'acquisition de la théorie de l'esprit varie selon les
enfants. Un même groupe d'enfants dans une classe de moyenne section de
maternelle doit donc présenter des enfants réussissant les
épreuves de fausse croyance et d'autres ayant plus de difficultés
à formuler les réponses correctes. Les enfants ayant acquis la
théorie de l'esprit depuis peu de temps peuvent donc étayer les
enfants de niveau de développement inférieur et leur permettre
l'acquisition de la théorie de l'esprit en les plaçant dans la
zone de développement prochain. La simple observation de leur
comportement ou le fait d'écouter leur réponse peut
également faciliter l'accès à la théorie de
l'esprit.
Certains outils du langage comme les habiletés
pragmatiques, les propositions enchâssées ou l'utilisation de
verbes mentaux favorisent l'accès à la théorie de
l'esprit. Nous savons également que les enfants qui ont accès
à une théorie de l'esprit voient l'occurrence des verbes mentaux
augmenter (Bouchand, 1999). Il nous semble donc intéressant
d'intégrer une approche qualitative à notre traitement des
données afin d'analyser le contenu des phrases produites par les enfants
au cours de l'interaction. Pendant les interactions, les enfants devront
justifier leurs choix. Nous cherchons à mettre en évidence un
lien entre les constructions des phrases des enfants durant les interactions et
l'acquisition de la théorie de l'esprit.
Nous cherchons à montrer que l'interaction entre des
enfants de niveaux différents concernant l'acquisition d'une
théorie de l'esprit favorise les progrès des enfants de niveaux
inférieurs en théorie de l'esprit grâce aux échanges
langagiers.
PROTOCOLE EXPERIMENTAL
S
E
M
A
I
N
E
1 et 2
Epreuves de théorie de l'esprit
et de justification
Séparation des enfants en trois groupes en fonction de
leur réussite aux deux épreuves
Groupe d'enfants d'une même classe
S
E
M
A
I
N
E
5 et 6
S
E
M
A
I
N
E
3 et 4
POST TEST
Epreuves de théorie de l'esprit et de justification
individuelles pour les enfants des groupes 2 et 3
Interaction inter ou intra groupe.
Les enfants sont placés en dyades pour écouter
des histoires
en relation avec la théorie de l'esprit (fausse croyance
par exemple)
Groupe 2
Réussite aux épreuves mais sans justification ou
justification pauvre
Intra 3
Inter 1-3
Groupe 1
: Réussite aux deux épreuves de fausse croyance
et de justification
Groupe 3
Échec aux épreuves de fausse croyance et
justification
Inter 1-2
Traitement des données
Hypothèses expérimentales :
Effet de l'interaction entre pairs sur les
résultats des enfants qui échouent aux épreuves de
théorie de l'esprit et de justification
Hypothèse 1 :
L'interaction entre deux enfants permet une
amélioration des résultats aux épreuves de théorie
de l'esprit après l'interaction pour les enfants qui n'ont pas acquis la
théorie de l'esprit.
Nous attendons donc une augmentation significative des
résultats aux épreuves de théorie de l'esprit entre les
épreuves passées avant l'interaction et celles passées
après.
Hypothèse 2 :
L'interaction entre deux enfants permet une amélioration des
résultats aux questions de justification pour les enfants qui n'ont pas
acquis la théorie de l'esprit.
Nous attendons donc une augmentation significative des
résultats aux questions de justification entre les épreuves
passées avant l'interaction et celles passées après.
Hypothèse 3 : Les
progrès réalisés après interaction avec un enfant
de niveau supérieur sont significativement plus importants que ceux
réalisés après interaction avec un enfant de même
niveau.
Nous attendons donc une différence significative entre
les résultats après interaction avec un enfant du groupe n'ayant
pas accès à la théorie de l'esprit et une interaction avec
un enfant ayant déjà acquis la théorie de l'esprit.
Effet des interactions entre pairs sur les
résultats des enfants qui réussissent les épreuves de
théorie de l'esprit sans justifier les états mentaux
Hypothèse 4 :
L'interaction entre des enfants qui réussissent à justifier leur
réponse aux épreuves de théorie de l'esprit et des enfants
qui réussissent ces épreuves sans les justifier permet une
augmentation des résultats aux questions de justification après
l'interaction.
Nous attendons donc une augmentation significative des scores
aux questions de justification des comportements entre les questions
posées avant l'interaction et celles posées après.
Recherche d'un lien entre utilisation des outils
langagiers et progrès dans l'expression de la théorie de
l'esprit
Hypothèse 5: L'utilisation de
certains outils langagiers favorise la réussite des épreuves de
théorie de l'esprit.
Nous attendons donc une corrélation entre
l'augmentation du score aux épreuves de théorie de l'esprit et
l'occurrence des outils langagiers suivants pendant la phase
d'interaction. : Verbes mentaux, connecteurs, marques modales, structures
complétives et habiletés pragmatiques.
METHODE
1. Sujets
Notre recherche porte sur des enfants sans handicap
scolarisés en moyenne section de maternelle et ayant suivi une classe
de petite section de maternelle l'année précédente.
Les enfants sont recrutés dans une même classe
d'une école maternelle publique en région parisienne. L'effectif
de la classe est de 24 enfants et l'ensemble des familles a accepté de
participer à l'étude. L'âge moyen des enfants est de 5 ans
compris entre 4 ; 6 ans et 5 ; 4 ans. Une enfant n'a pas
été incluse dans l'étude en raison de son
absentéisme et de ses difficultés à communiquer avec un
adulte. Le nombre d'enfants retenu est donc de 23.
Nos critères de recrutement sont :
1.l'âge, 2.l'absence de handicap et
3.la connaissance des enfants entre eux afin de faciliter les
interactions pendant les phases d'entraînement.
Nous partons du postulat en accord avec les résultats
de nombreuses recherches qu'en fin d'année de moyenne section les
enfants se trouvent dans la période au cours de laquelle il y a
émergence de la théorie de l'esprit sous une forme explicite.
Nous ne posons pas de critères
socio-économiques, culturels ou de quotient intellectuel. Le statut
dominant ou dominé de l'enfant au sein du groupe n'est pas
évalué mais nous tenons compte des affinités entre les
enfants pour la constitution des dyades des séances d'interaction afin
d'associer des enfants qui jouent fréquemment ensemble.
2. Procédure
L'objectif de cette recherche est dans un premier temps
d'évaluer le niveau d'acquisition de la théorie de l'esprit des
différents enfants du groupe afin de les répartir en groupes de
niveau. Dans un second temps, les enfants sont placés en situation
d'interaction sur des épreuves du même type mais pour lesquelles
les situations et les personnages varient. Les histoires mettant en oeuvre les
fausses croyances sont davantage représentées dans les
séances d'entraînement.
Les interactions peuvent être séparées en
deux groupes : Les interactions
« intergroupe » et
« intragroupe ». Dans le cadre des interactions
intergroupes, les enfants sont placés en interaction avec des enfants
de niveau d'acquisition de la théorie de l'esprit supérieur au
leur. Au contraire, dans les interactions intragroupe, les enfants sont
placés avec des enfants de même niveau pour répondre aux
questions posées.
La dernière étape consiste à faire passer
de nouvelles épreuves de fausse croyance individuellement. L'objectif
est d'évaluer les variations des scores aux épreuves après
l'interaction.
2.1 Matériel
Le matériel utilisé doit permettre
d'évaluer l'acquisition de la théorie de l'esprit. Nous avons vu
que toutes les épreuves d'évaluation de l'acquisition de la
théorie de l'esprit ne sont pas réussies en même temps. Les
progrès sont réalisés suivant un pattern relativement
constant. Nous avons donc choisi de présenter différentes
histoires portant sur des états mentaux de difficulté
d'accès considérée comme croissante.
Cinq histoires différentes sont proposées aux
enfants. La première histoire demande de prédire le comportement
d'un sujet en fonction de ses désirs. L'épreuve
considérée comme significative restant celle de fausse croyance
est déclinée selon trois modalités : contenu
inattendu, localisation inattendue et apparence-réalité. La
cinquième épreuve est jugée d'un niveau supérieur
puisqu'elle fait intervenir les émotions dans un contexte d'ignorance ou
de fausse croyance.
Nous avons intégré des questions
supplémentaires au questionnaire qui sont posées après
celle de prédiction des comportements. Ces questions présentent
un double objectif : Premièrement elles permettent de s'assurer que
les erreurs de prédictions de comportement formulées par les
enfants ne proviennent pas de difficultés de compréhension ou de
mémorisation des histoires présentées.
Deuxièmement, les questions permettent d'évaluer la
capacité des enfants à justifier leur réponse. Les
questions de justifications permettent ainsi une évaluation plus fine du
degré d'acquisition de la théorie de l'esprit. Elles permettent
également de lever toute ambiguïté lorsque les questions de
prédiction des comportements ne possèdent que deux
réponses possibles. En répondant au hasard, les enfants peuvent
répondre correctement avec une probabilité de 0,5.
Au cours des interactions, le langage correspond au mode de
communication privilégié entre les enfants même si d'autres
média peuvent être envisagés. Un traitement qualitatif des
échanges entre les enfants nous permet d'étudier la structure et
le contenu des phrases produites. L'objectif est de prendre en compte
l'influence du langage sur l'acquisition de la théorie de l'esprit
(Bouchand, 1998 ; Chanoni, 2004). Les questions ne contiennent pas de
verbes mentaux afin d'éviter la réutilisation spontanée
des verbes en fonction du contenu de la question. Leur utilisation ne sera donc
pas influencée par l'expérimentateur.
Le codage des réponses porte sur le type et
l'occurrence des outils langagiers suivants. : Verbes mentaux,
connecteurs, marques modales, habiletés pragmatiques ; structures
complétives (propositions enchâssées)
Les cinq histoires mettent en scène des figurines ou
utilisent des objets comme support afin de maintenir l'attention des enfants au
cours des différentes tâches. Les meta-analyses menées par
Wellman n'ont pas mis en évidence de variation du score selon les modes
de présentations des histoires entre vidéo, figurine, personnages
réels ou bande dessinée (Wellman, 2001 in Wellman, 2004). Par
contre nous avons choisi de ne pas rendre l'enfant actif dans le
déroulement de l'histoire compte tenu des effets contradictoires
observés selon les études. Dans certains cas la participation de
l'enfant favorise la réussite aux épreuves alors que d'autres
études aboutissent à un résultat inverse.
Nous ne présentons qu'un seul exemple d'histoire par
type d'histoire. Les autres exemples se trouvent en annexe.
2.1.1 Histoire de type 1 : Attribution de
désirs
Pour prédire le comportement d'un personnage, l'enfant
doit prendre en compte que deux personnes (dont l'enfant) ont des désirs
différents à propos d'un même objet.
Première histoire :
Qu'est-ce que tu préfères, les carottes ou
les tomates ?
Le bonhomme qui est assis sur la table
préfère le........ et n'aime pas beaucoup......
Questions :
« Qu'est-ce qu'il va prendre en premier sur la
table pour manger ? »
« Et toi »
« Pourquoi est- ce que vous ne prenez pas la
même chose ? »
2.1.2 Histoire de type 2 :
Croyance.
L'enfant doit juger qu'un personnage peut avoir des croyances
différentes des siennes. Dans cette situation, l'enfant ne peut pas
déterminer si les croyances correspondent à la
réalité ou s'il s'agit de fausses croyances.
Première histoire :
Regarde cette boite, est-ce que tu peux me dire ce
qu'elle contient ?
Ouvre-la et dis moi ce qu'elle contient.
Questions :
Est-ce que le bonhomme assis dur la table peut dire ce
qu'il y a dans la boite ? Pourquoi ?
Cette histoire a été présentée aux
enfants mais a été exclue du barème d'évaluation en
raison d'un biais lié au matériel utilisé. Les personnages
sont des poupées connues des enfants. Le coffre utilisé
appartient à Charlotte aux fraises. Un enfant a répondu
« oui » à la question de croyance et a
justifié sa réponse en disant que « elle le sait parce
que c'est le coffre de Charlotte et Angélique (la seconde poupée)
sait ce qu'il y a dans son coffre.
2.1.3 Histoires de Type 3 : Fausse
croyance : non accès à l'information
Nos histoires reprennent le modèle de Wimmer et Perner
qui met en scène Maxi. Nous demandons à l'enfant de
prédire le comportement d'un personnage et de justifier sa
réponse. Les questions de contrôle sont posées en dernier.
Dans cette situation l'enfant possède les informations pour savoir qu'il
s'agit d'une fausse croyance. L'enfant doit donc prédire le comportement
d'un personnage en tenant compte des représentations des personnages qui
diffèrent de celles de l'enfant. Il s'agit de l'épreuve majeure
du test de l'acquisition de la théorie de l'esprit.
Première histoire :
Charlotte aux fraises et Angéliques sont dans la
chambre de charlotte. Charlotte se prépare pour aller à
l'école. Sa maman ne veut pas qu'elle emmène son chapeau alors
elle le range dans son armoire, ici. Quand elle est partie, Angélique
sort le chapeau et joue avec. Et elle le range dans le coffre avant de partir
aussi à l'école.
Questions :
« Quand Charlotte va revenir, où est-ce
qu'elle va aller chercher son chapeau en premier ? »
« Est-ce que tu peux m'expliquer
pourquoi ? »
« Où est-ce qu'elle à
laissé son chapeau avant de partir ? »
« Où est le chapeau quand elle
revient ? »
« Est-ce que charlotte a vu Angélique
ranger le chapeau ? »
2.1.4 Histoire type 4 : Fausse croyance :
apparence réalité
Nous utilisons un objet ayant une apparence surprenante par
rapport à sa fonction (bougie en forme de boule de sapin de noël
ou de bonhomme de pain d'épice). Au début de l'épreuve,
l'objet est placé sur une table éloignée de l'enfant. Nous
lui demandons dans un premier temps de nommer l'objet. L'objet est ensuite
amené à l'enfant et nous lui demandons d'identifier à
nouveau l'objet afin que l'enfant remarque que l'apparence de l'objet est
trompeuse et ne renseigne pas sur la nature réelle de l'objet.
Questions :
« Qu'est-ce qu'il y a sur la table
là-bas ? »
« Tiens prends et regarde bien. Qu'est-ce que
c'est ? »
« Quand tu as vus cette chose sur la table
qu'est ce que c'était pour toi ?»
« Est-ce que tu peux m'expliquer
pourquoi?»
Cette épreuve permet d'identifier si l'enfant peut
reconnaître qu'il avait des représentations erronées de la
réalité et que ses représentations sont différentes
au moment où nous lui posons les questions.
2.1.5 Histoire de type 5 : Fausse
croyance : contenu inattendu
Au cours de cette épreuve, nous présentons aux
enfants un objet qui leur est familier (boîte de crayons, boîte de
bonbons ou de biscuits). Le contenu de la boîte est différent de
celui attendu par l'enfant. Les boîtes peuvent contenir des crayons ou
des légumes par exemple. Avant d'ouvrir le récipient, nous
demandons aux enfants de deviner ce qu'il contient. Ensuite nous demandons aux
enfants d'ouvrir la boîte et de décrire ce qu'elle contient.
La question test est la suivante
« Avant d'ouvrir la boite qu'est-ce que tu pensais
du contenu de la boîte ? »
Cette question porte sur le rappel des représentations
de l'enfant avant l'ouverture de la boîte. Cette première question
est complétée par la suivante
« Si quelqu'un arrive maintenant dans la
pièce que dira-t-il si on lui demande ce qu'il y a dedans ?
».
Cette tâche est très proche de celle de
l'apparence réalité.
2.1.6 Histoire type 6 : Fausse
croyance associée à un état
émotif
Ces histoires sont basées sur le modèle du petit
chaperon rouge. Lorsqu'il frappe à la porte de sa grand-mère, le
petit chaperon rouge ignore que le loup a pris la place de sa grand-mère
alors que l'enfant qui écoute l'histoire le sait. L'état
émotif du petit chaperon rouge doit être déterminé
en fonction des connaissances dont il dispose et non en fonction des
connaissances de l'enfant. Le petit chaperon rouge n'a donc aucune raison
d'être effrayé.
Dans chaque histoire l'enfant doit prédire
l'état émotif d'un personnage à deux instants
différents de l'histoire. Nous lui demandons de justifier ses
réponses et posons les questions de contrôle pour finir. Nous
attendons des états simples et bien différenciés (joie,
colère, tristesse, content, bien). Si l'enfant n'a pas d'idée,
nous lui proposons quelques exemples dont la réponse attendue. Par
contre, nous ne donnons aucun indice sur l'état émotif du
personnage.
Première histoire :
Charlotte construit une belle étoile avec ces
carottes et ces tomates. Elle n'a pas terminé mais elle doit partir
faire du patin à glace avec ses copines. Pendant qu'elle est dehors,
Angélique entre et défait son étoile. »
Questions :
« Qu'est-ce que Angélique a fait pendant que
Charlotte est dehors ? »
« Comment se sent Charlotte, quand elle est
dehors avant de revenir dans sa chambre ? »
« Est-ce que tu peux expliquer
pourquoi ? »
« Et comment se sent Charlotte quand elle arrive
dans sa chambre après le patin ?»
« Est-ce que tu peux expliquer
pourquoi ? »
2.2 Codage des réponses
Nous utilisons deux codages différents qui
correspondent pour le premier au score aux épreuves de théorie de
l'esprit et pour le second à la réussite de justification des
réponses.
Pour les épreuves de théorie de
l'esprit, la réussite à l'épreuve de désir est
codée 1. L'échec est codé 0. Pour les épreuves de
fausse croyance ou d'émotion qui sont considérées comme
les véritables marqueurs de l'acquisition de la théorie de
l'esprit, une réponse correcte est codée 2, et une réponse
erronée est codée 0. La somme de l'ensemble des résultats
constitue le score aux épreuves de théorie de l'esprit. Le score
maximum de 9 correspond à une réussite à l'ensemble des
épreuves de théorie de l'esprit.
Les réponses aux questions de justifications sont
codées simplement par 2 si la justification est claire et suffisante, 1
en cas de justification partielle ou peu claire et 0 pour les justifications
erronées ou absentes. Le score « justification »
correspond à la somme des résultats individuels pour chaque
question. Le score maximum est de 10.
Au cours des interactions les enfants vont échanger
leurs points de vue pour justifier leurs choix. Les verbes mentaux, les marques
modales, les connecteurs, les structures complétives et les
habiletés pragmatiques seront comptabilisés par dyade.
Si un enfant échoue à une question de
vérification de la mémorisation des informations de l'histoire
alors le résultat à la question n'est pas pris en compte pour le
calcul de la note globale.
2.3 Déroulement des tâches
Les enfants de cette classe sont habitués à
travailler en groupe au sein d'ateliers proposés par leur professeur.
L'expérimentateur venait pendant les séances du mardi
après-midi ou du jeudi matin. La première séance a
été consacrée à une simple prise de contact de
l'examinateur avec le groupe afin d'habituer les enfants à sa
présence.
Par la suite la première série d'histoires a
été présentée individuellement aux enfants afin
d'évaluer leur niveau vis-à-vis de l'acquisition de la
théorie de l'esprit. Ces épreuves de la phase de pré-test
sont passées dans un espace calme de la classe. Les réponses ont
été enregistrées grâce à un enregistreur
audio puis retranscrites. A la fin de chaque épreuve, la réponse
correcte est donnée aux enfants par l'expérimentateur.
Les enfants ont ensuite été répartis en
trois groupes en fonction de leur niveau de réussite aux
différentes épreuves :
Groupe 1 : Enfants qui
réussissent les épreuves de théorie de l'esprit et de
justification.
Score supérieur ou égal à 6 au cours de
la première série d'histoire. Ce nombre correspond à une
réussite à au moins trois épreuves majeures sur cinq. Ce
résultat est donc supérieur à un résultat obtenu si
l'enfant répond au hasard. Les enfants de ce groupe sont aussi capables
de formuler des réponses correctes et riches aux questions de
justification. Une réponse est considérée comme riche
lorsqu'elle suffisante pour rendre compte du comportement du sujet. La
référence aux états mentaux (exemple : Je croyais
que, il pensait que...) n'est pas encore évaluer car certaine
réponse peuvent ne pas y faire référence tout en
justifiant parfaitement l'action ou l'état du personnage.
Groupe 2 : Enfants qui
réussissent les épreuves de théorie de l'esprit mais qui
échouent aux questions de justification.
Score supérieur à 6 au cours de la
première série d'histoire. Ce nombre correspond à une
réussite à au moins trois épreuves sur cinq. La
différence par rapport au groupe 1 se situe au niveau des justifications
des réponses. Les enfants incapables de justifier leurs choix ou
formulant une justification pauvre seront classés dans ce second
groupe.
Groupe 3 : Enfants qui échouent aux
épreuves de théorie de l'esprit.
Ce groupe correspond aux enfants qui échouent aux
épreuves de théorie de l'esprit ou qui présentent un
résultat inférieur à 6. Le groupe 3 est ensuite
séparé en deux sous groupes identiques 3a et 3b.
Cette première étape est suivie d'une phase
d'interaction. Pendant trois séances successives séparées
par un intervalle de 2 à 7 jours, les enfants vont résoudre les
mêmes types d'épreuves de théorie de l'esprit mettant en
scènes des personnages et des situations différentes. Ces
nouvelles épreuves sont passées en situation d'interaction avec
des enfants de même niveau ou de niveau supérieur. Les
réponses et les échanges verbaux entre les enfants sont
enregistrés puis retranscrits.
Trois interactions différentes sont
envisagées :
- Interaction intragroupe 3a (entre deux
enfants qui échouent aux deux épreuves)
- Interaction groupe 1-groupe 3b (entre un
enfant qui échoue aux épreuves et un enfant qui les
réussit)
- Interaction groupe 2-groupe 1. (entre un
enfant qui réussit les épreuves de théorie de l'esprit
sans justifier ses réponses et un enfant qui réussit les deux
types d'épreuve)
Après les trois séances de résolution de
problèmes en interaction, les enfants passent à nouveau
individuellement les épreuves avec de nouveaux scénarios. Le
déroulement étant identique à la première phase de
la recherche.
Le protocole expérimental est représenté
page 30.
2.4 Traitement des
données
Les données recueillies permettent d'attribuer
différents scores:
Pour chaque enfant :
- une évaluation du score aux épreuves de
théorie de l'esprit avant et après les interactions. Le score est
compris entre 0 et 9 et correspond à la somme des scores obtenus pour
chaque question aux 5 histoires.
- . Une évaluation des réponses aux questions de
justification est aussi menée aux cours des deux phases. Le score peut
varier entre 0 et 10. Il correspond à la somme des scores aux questions
de justification.
- Sur le plan qualitatif, les phrases formulées par les
enfants sont analysées. Nous dénombrons : 1. La
différence des avis proposés par les enfants au cours de
l'interaction (codé CC pour conflit cognitif) 2.Les verbes mentaux 3.
les marques modales 4.les connecteurs 5.Les propositions
enchâssées et 6. Les habiletés pragmatiques pour chaque
dyade sur la totalité des phases d'interaction.
Pour chaque groupe
- La moyenne des scores et des justifications est
calculée ainsi que la variance pour chaque groupe avant et après
les interactions.
La première étape du traitement des
données vise à mettre en évidence des variations des
résultats individuels. Nous cherchons à évaluer les
progrès après l'interaction pour chaque enfant. Le score
après l'interaction est comparé avec le score avant l'interaction
afin d'évaluer le nombre d'enfants pour lesquels le score à
augmenté après l'interaction.
Dans un deuxième temps, nous cherchons à mettre
en évidence une différence significative des progrès entre
les enfants en fonction des enfants avec lesquels ils ont été en
interaction. Un traitement statistique des données nous permet de
comparer la moyenne des scores du groupe 3a avec celle du groupe 3b afin de
rechercher une différence significative entre les deux groupes qui
pourra être attribuée aux différentes modalités de
la variable entraînement.
Enfin nous chercherons à mettre en évidence une
corrélation entre l'utilisation de certains outils langagiers et les
progrès aux épreuves de théorie de l'esprit.
RESULTATS PREALABLES
Dans un premier temps l'analyse des réponses aux
différentes épreuves passées avant les interactions a
permis d'évaluer l'acquisition de la théorie de l'esprit et la
qualité de la justification des réponses.
Tableau 1 : Résultats de l'évaluation
des sujets quant à l'acquisition d'une théorie de l'esprit.
Effectif par score à la première série
d'épreuves.
|
Score aux épreuves de théorie de l'esprit
(somme des scores aux cinq histoires)
|
0
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
7
|
8
|
9
|
Effectif par score (N= 23)
|
1
|
0
|
1
|
1
|
3
|
2
|
2
|
4
|
1
|
8
|
Nous séparons les enfants en deux groupes. Les enfants
placés dans le groupe A réalisent un score supérieur ou
égal à 6 aux épreuves de théorie de l'esprit. Ils
correspondent aux enfants réussissant les épreuves de
théorie de l'esprit. Nous considérons donc qu'ils ont acquis la
théorie de l'esprit.
Les enfants placés dans le groupe B réalisent un
score inférieur à 6 aux épreuves. Ces enfants ne
réussissent pas les épreuves ou les réussissent rarement.
Nous considérons qu'ils n'ont pas encore développé une
théorie de l'esprit applicable dans l'analyse des situations
proposées.
Graphique 1 : Effectif par score aux
épreuves de théorie de l'esprit.
Le groupe A présente un effectif total de 15 enfants.
Le groupe B présente un effectif de 8 enfants. Dans cette classe nous
considérons donc que 15 enfants ont acquis la théorie de
l'esprit.
Tableau 2 : Résultats de l'évaluation
des sujets quant à la justification des réponses. Effectif par
score à la première série de questions.
|
Score aux questions de justification
(somme des scores aux cinq questions de justification)
|
0
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
7
|
8
|
9
|
10
|
Effectif groupe A
(N= 15)
|
|
|
1
|
|
2
|
|
3
|
1
|
3
|
1
|
4
|
Effectif groupe B
(N= 8)
|
2
|
|
2
|
|
4
|
|
|
|
|
|
|
Les enfants du groupe A peuvent être
séparés en deux groupes. Le groupe 1 qui présente un score
supérieur ou égal à sept aux questions de justification et
le groupe 2 dans lequel sont réunis les enfants ayant un score
strictement inférieur à sept. Le groupe B est renommé
groupe 3 pour plus de cohérence.
Graphique 2 : Effectif par score aux
épreuves de justification.
Les enfants sont donc classés en trois groupes en
fonction de leur réussite aux épreuves de théorie de
l'esprit et aux questions de justification :
Groupe 1 : Acquisition
de la théorie de l'esprit et justification riche des réponses. N=
9
Groupe2 : Acquisition de la
théorie de l'esprit sans justification des réponses. N=6
Groupe 3 :Echec ou score faible aux
épreuves de théorie de l'esprit et de justification. N= 8
Les enfants du groupe 3 sont séparés en deux
sous groupes : 3a et 3b.
Groupe 3a : Ces enfants sont ensuite
placés en situation d'interaction entre eux.(N= 4)
Groupe 3b : Ces enfants sont ensuite
placés en situation d'interaction avec des enfants du groupe 1. (N=4)
Comparaison des scores des différents
groupes :
Un test t de student a été réalisé
afin de comparer les moyennes des enfants des différents groupes aux
épreuves de théorie de l'esprit et de justification.
L'hypothèse testée est l'hypothèse nulle qui
suppose qu'il n'y a pas de différence significative entre les scores des
deux groupes comparés.
Score théorie de l'esprit :
Comparaison Groupe 1- groupe 2 :t=10.2 ;ddl=13 ;
La différence est significative.
Comparaison Groupe 1- groupe 3 : t=8.76 ; ddl=16. La
différence est significative.
Comparaison Groupe 2- groupe 3 : t=4.42 ; ddl=13 ;
La différence est significative.
Comparaison Groupe 3a- groupe 3b : t=0.45 ;
ddl=7 ; La différence n'est pas significative.
Les différences de score entre les groupes 1, 2 et 3 sont
significatives. Nos critères de regroupement selon le score ont permis
de former trois groupes différents.
Il n'y a pas de différence significative entre les scores
du groupe 3a et du groupe 3b, ces deux sous groupes peuvent être
considérés comme identiques.
Score justification :
Comparaison Groupe 1- groupe 2 : t=5.87 ; ddl=13 ;
La différence est significative.
Comparaison Groupe 1- groupe 3 : t=8.96 ; ddl=16 ;
La différence est significative.
Comparaison Groupe 2- groupe 3 : t=2.71 ; ddl=13 ;
La différence est significative à 2%
Comparaison Groupe 3a- groupe 3b :0 ; ddl=7 ; La
différence n'est pas significative.
Les différences de score entre les groupes 1, 2 et 3 sont
significatives. Nos critères de regroupement selon le score ont permis
de former trois groupes différents.
Il n'y a pas de différence significative entre les
scores du groupe 3a et du groupe 3b, ces deux sous groupes peuvent être
considérés comme identiques.
RESULTATS
1. Hypothèses
expérimentales :
Effet de l'interaction entre pairs sur les
résultats des enfants qui échouent aux épreuves de
théorie de l'esprit et de justification
1.1 Hypothèse H1 :
L'interaction entre deux enfants permet une
amélioration des résultats aux épreuves de théorie
de l'esprit après l'interaction pour les enfants qui n'ont pas acquis la
théorie de l'esprit.
Nous attendons donc une augmentation significative des
résultats aux épreuves de théorie de l'esprit entre les
épreuves passées avant l'interaction et celles passées
après.
Tableau 3 : Scores aux épreuves de TDE pour les
enfants du groupe 3 avant et après leur interaction avec d'autres
enfants.
Enfants
|
Score aux épreuves de théorie de l'esprit
|
Avant interaction
|
Après interaction
|
variation
|
LU
|
4
|
7
|
+3
|
TH
|
5
|
5
|
0
|
LE
|
3
|
5
|
+2
|
CA
|
2
|
5
|
+3
|
KIL
|
4
|
5
|
+1
|
LOU
|
0
|
2
|
+2
|
JUL
|
5
|
8
|
+3
|
LEA
|
4
|
6
|
+2
|
MOYENNE
|
3.375
|
5,375
|
+2
|
Résultat du test de student :
t=-5.29 > 3.5 (seuil de 0.01) ; nous pouvons rejeter
l'hypothèse nulle. Les deux moyennes sont donc significativement
différentes. Notre hypothèse semble donc validée.
L'interaction entre enfants semble favoriser l'augmentation du score aux
épreuves de théorie de l'esprit.
1.2 Hypothèse H2
L'interaction entre des enfants permet une amélioration
des résultats aux questions de justification après l'interaction.
Nous attendons donc une augmentation significative des
résultats aux questions de justification entre les épreuves
passées avant l'interaction et celles passées après.
Tableau 4 : Scores aux questions de justification pour
les enfants du groupe 3 avant et après leur interaction avec d'autres
enfants
Enfants
|
Score aux questions de justification
|
Avant interaction
|
Après interaction
|
variation
|
LU
|
4
|
6
|
+2
|
TH
|
4
|
6
|
+2
|
LE
|
2
|
6
|
+4
|
CA
|
2
|
8
|
+6
|
KIL
|
4
|
6
|
+2
|
LOU
|
0
|
1
|
+1
|
JUL
|
0
|
4
|
+4
|
LEA
|
4
|
6
|
+2
|
MOYENNE
|
2.5
|
5.375
|
2.875
|
Résultat du test de student :
t= -4.95 > 3.5 (seuil de 0.01) ; nous pouvons rejeter
l'hypothèse nulle.
Les deux moyennes sont donc significativement différentes.
Notre hypothèse semble donc validée. L'interaction entre enfants
semble favoriser l'augmentation du score aux questions de justification.
1.3 Hypothèse H3
Les progrès réalisés après
interaction avec un enfant de niveau supérieur sont significativement
plus importants que ceux réalisés après interaction avec
un enfant de même niveau.
Nous attendons donc une différence significative entre
les résultats après interaction avec un enfant du groupe n'ayant
pas accès à la théorie de l'esprit (interaction 3-3) et
une interaction avec un enfant ayant déjà acquis la
théorie de l'esprit (interaction 1-3)
Graphique 3 : Augmentation moyenne des scores des enfants
en fonction du type d'interaction
L'augmentation moyenne du score de théorie de l'esprit est
identique pour les deux groupes. Le type d'interaction n'entraîne pas
différence entre les résultats aux épreuves de
théorie de l'esprit.
Résultats du test t de student pour les questions de
justification :
t= 1.32 (ddl=3) < 3.18 (seuil à 0.05).
L'hypothèse nulle ne peut pas être rejetée. La
différence entre les deux moyennes n'est pas significative. Notre
hypothèse est donc rejetée. Il ne semble pas y avoir de
différence selon le type d'interaction.
Effet des interactions entre pairs sur les
résultats des enfants qui réussissent les épreuves de
théorie de l'esprit sans justifier les états mentaux
1.4 Hypothèse H4
L'interaction entre un enfant réussissant à
justifier ses réponses aux épreuves et des enfants qui
réussissent ces épreuves sans pouvoir les justifier permet une
augmentation des résultats aux questions de justification des conduites
après l'interaction.
Nous attendons donc une augmentation significative des scores
aux questions de justification des comportements entre les questions
posées avant l'interaction et celles posées après.
Tableau 5 : Scores aux questions de justification pour
les enfants du groupe 2 avant et après leur interaction avec les enfants
du groupe 1.
Enfants
|
Score aux questions de justification
|
Avant interaction
|
Après interaction
|
variation
|
REM
|
6
|
8
|
+2
|
PRIS
|
6
|
7
|
+1
|
ALU
|
2
|
6
|
+4
|
MAR
|
4
|
6
|
+2
|
ALE
|
6
|
8
|
+2
|
LOL
|
4
|
4
|
0
|
MOYENNE
|
4,67
|
6.5
|
+1.83
|
t= 4.39 (ddl=5) > 4.03 (seuil de 0.01) ; nous pouvons
rejeter l'hypothèse nulle.
Les deux moyennes sont donc significativement différentes.
Notre hypothèse semble donc validée. L'interaction avec des
enfants de niveau supérieur semble favoriser l'augmentation du score aux
questions de justification chez les enfants réussissant les
épreuves de théorie de l'esprit.
Rechercher d'un lien entre utilisation des outils
langagiers et progrès dans l'expression de la théorie de
l'esprit
1.5 Hypothèse H5
L'utilisation de certaines formes linguistiques favorise la
réussite des épreuves de théorie de l'esprit et de
justification.
Nous attendons donc une corrélation entre
l'augmentation du score aux épreuves de théorie de l'esprit et la
fréquence d'utilisation des verbes mentaux, des structures
complétives et des habiletés pragmatiques pendant la phase
d'interaction
Tableau 6 : Occurrence des outils langagiers au cours des
interactions pour les enfants du groupe 2 et les enfants du groupe 3 et
variation des scores aux épreuves de théorie de l'esprit et de
justification.
|
Variation des scores après l'interaction
|
Occurrence des différents outils langagiers
|
Enfant évalué après l'interaction
|
Théorie de l'esprit
|
Justification
|
Verbes mentaux
|
Connecteurs
|
Marques modales
|
Structures complétives
|
Habiletés pragmatiques
|
G
R
O
U
P
E
2
|
ALE
|
|
+2
|
12
|
3
|
1
|
5
|
12
|
PRI
|
|
+1
|
10
|
6
|
2
|
8
|
10
|
ALU
|
|
+4
|
10
|
9
|
0
|
4
|
10
|
MAR
|
|
+2
|
9
|
7
|
0
|
7
|
7
|
LOL
|
|
0
|
12
|
8
|
2
|
5
|
13
|
REM
|
|
+2
|
9
|
6
|
0
|
5
|
6
|
Moyenne
Groupe 2
|
|
+1,83
|
10,33
|
6,5
|
0,83
|
5,67
|
9,67
|
G
R
O
U
P
E
3
|
LU
|
+3
|
+2
|
10
|
6
|
1
|
4
|
13
|
TH
|
0
|
+2
|
9
|
7
|
1
|
5
|
6
|
LE
|
+2
|
+4
|
7
|
8
|
0
|
4
|
7
|
CA
|
+3
|
+6
|
5
|
0
|
0
|
3
|
5
|
LOU
|
+2
|
+1
|
4
|
0
|
1
|
1
|
4
|
JUL
|
+3
|
+4
|
4
|
0
|
1
|
1
|
4
|
LEA
|
+2
|
+2
|
6
|
0
|
0
|
1
|
6
|
KIL
|
+1
|
+2
|
6
|
0
|
0
|
1
|
6
|
Moyenne
Groupe 3
|
+2
|
+2,87
|
6.37
|
2.62
|
0,5
|
2,5
|
6,38
|
Tableau 7 : coefficient de corrélation entre les
performances aux épreuves de justification et les occurrences de
différents outils linguistiques.
Groupe
d'enfants
|
Questions de justification
|
Outils cognitifs
|
Verbes mentaux
|
Connecteurs
|
Marques modales
|
Structures complétives
|
Habiletés pragmatiques
|
G
R
O
U
P
E
2
|
Score
|
-0.28
|
-0.33
|
-0.33
|
0.08
|
-0.43
|
Variation
|
-0.4
|
0.18
|
-0.8
|
-0.43
|
-0.35
|
|
|
|
|
|
|
G
R
O
U
P
E
3
|
Score
|
0.006
|
-0.0005
|
-0.87
|
0.16
|
0.12
|
Variation
|
-0.24
|
-0.0005
|
-0.41
|
0.26
|
-0.17
|
|
|
|
|
|
|
T
O
U
S
|
Score
|
0.25
|
0.09
|
-0.41
|
0.36
|
0.17
|
Variation
|
0.44
|
-0.19
|
-0.73
|
-0.26
|
-0.37
|
|
|
|
|
|
|
Il n'y a pas de corrélation entre l'occurrence des outils
langagiers et la variation des scores aux épreuves de justification ou
de théorie de l'esprit. Ces résultats ne permettent pas de
valider notre hypothèse.
Une analyse détaillée fournit des informations
supplémentaires.
L'occurrence des outils langagiers est en moyenne plus importante
(sauf pour les marques modales) lorsque l'interaction concerne deux enfants
ayant acquis la théorie de l'esprit.
La différence n'est significative que pour les structures
complétives et les verbes mentaux.
2. SYNTHESE DES CONCLUSIONS AUX HYPOTHESES
EXPERIMENTALES
Hypothèse H1
Notre hypothèse semble validée. L'interaction entre
enfants semble favoriser l'augmentation du score aux épreuves de
théorie de l'esprit.
Hypothèse H2
Notre hypothèse semble validée. L'interaction
entre enfants semble favoriser l'augmentation du score aux questions de
justification.
Hypothèse H3
Dans notre étude, les progrès
réalisés après interaction avec des enfants de niveau
supérieur ne sont pas significativement plus importants que ceux
réalisés pendant les interactions dans un groupe de même
niveau. Notre hypothèse est rejetée
. Il ne semble pas y avoir de différence selon le type
d'interaction.
Hypothèse H4
Notre hypothèse semble validée. L'interaction avec
des enfants de niveau supérieur semble favoriser l'augmentation du score
aux questions de justification chez les enfants réussissant les
épreuves de théorie de l'esprit.
.
Hypothèse H5
Il n'y a pas de corrélation entre l'occurrence des outils
langagiers et la variation des scores aux épreuves de justification ou
de théorie de l'esprit. Ces résultats ne permettent pas de
valider notre hypothèse.
DISCUSSION
Nous présenterons dans un premier temps une
brève analyse du choix de notre matériel d'étude. Nous
discuterons nos données selon trois axes de réflexion principaux.
Nous nous interrogerons sur le rôle des interactions dans l'acquisition
de la théorie de l'esprit puis nous aborderons la phase de transition
qui mène à la théorie de l'esprit. Dans une
dernière partie, nous discuterons du lien entre le contenu des
interactions et l'acquisition de la théorie de l'esprit.
1. Le choix du matériel
d'étude
Les cinq épreuves de pré-test ont permis de
séparer les enfants en trois groupes distincts en fonction de leurs
performances aux épreuves de théorie de l'esprit et de
justification. Le barème sélectionné semble assez
adapté à la classe d'âge des enfants de moyenne section de
maternelle puisque les scores sont répartis sur l'ensemble des deux
échelles. Nous n'observons pas d'effet plafond puisque quatre enfants
sur un effectif de vingt-trois parviennent au score maximum.
Les résultats du pré-test valident
également le choix de la classe de moyenne section de maternelle comme
période d'étude de l'effet des interactions entre pairs sur
l'acquisition de la théorie de l'esprit. Nous observons, en accord avec
de nombreux autres résultats expérimentaux, une grande
variabilité des scores des enfants aux épreuves de théorie
de l'esprit qui indiquent qu'au cours de cette année les enfants passent
d'un stade d'échec aux épreuves de théorie de l'esprit
à un stade de réussite de ces épreuves.
Par contre il est impossible d'affirmer que la réussite
des épreuves atteste d'un accès total à la théorie
de l'esprit puisque nous n'avons testé que les capacités des
enfants à commenter cinq histoires. Les épreuves et les questions
proposées aux enfants se basent sur différentes formes
d'expression de la théorie de l'esprit mais nous considérons
à l'instar de Nadel ou de Bradmetz (1999) que l'acquisition de la
théorie de l'esprit ne se résume pas à la réussite
de ces épreuves. Les épreuves de fausse croyance
présentent cependant des résultats suffisamment solides pour
être utilisés comme marqueur du passage d'une étape
primordiale sur la voie de la maîtrise de la théorie de l'esprit.
2. Le statut de l'interaction pour l'acquisition de
la théorie de l'esprit
Nous avons observé une augmentation significative du
score aux épreuves de théorie de l'esprit et de justification
pour tous les enfants du groupe 3 lorsqu'ils sont placés en interaction
avec d'autres enfants. Les interactions semblent donc permettre une
amélioration des résultats aux épreuves liées
à l'acquisition de la théorie de l'esprit. Ces résultats
sont en accord avec notre approche théorique qui considère que
c'est en partie au cours des interactions avec autrui que les enfants
réalisent des progrès cognitifs. Ces données
expérimentales diffèrent de celles observées par Bouchand
qui remarquait que les interactions entre enfants de 4-5 ans de même
niveau n'ont généralement pas d'effet notable . Il observe que
chez les enfants de 3-4 ans, l'attention est encore moins soutenue que lors des
passations individuelles. Ce n'est que chez les enfants de 6 ans qu'une
ébauche de débat se met en place
Dans la recherche de Bouchand, le film présenté
aux enfants ne leur permet pas de déterminer qui est à l'origine
d'une bêtise commise. Les enfants n'ont pas accès aux informations
nécessaires. L'expérimentateur leur demande ensuite qui a commis
la bêtise. Ce type d'histoire est plus compliqué que celles que
nous leur avons proposées. Cette différence de difficulté
peut expliquer les différences entre les résultats des deux
études.
. Bouchand (1998) suppose qu'un débat ne peut
s'instaurer que quand les interlocuteurs deviennent capables de prendre en
compte le point de vue de l'autre. Le contenu des interactions au cours de
notre recherche est similaire à celui de Bouchand : les
interactions ne laissent que peu de place au débat source de conflit
sociocognitif ou à la co-élaboration. L'écoute et
l'observation des réponses des pairs étaient les comportements
les plus fréquents. Par contre les enfants restaient attentifs aux
histoires que nous leur contions.
Nous avons observé dans quelques rares cas la mise en
place d'une reprise de la réponse de l'autre pour la modifier en
justifiant la modification. Ces comportements n'ont été
observés que chez les enfants ayant acquis la théorie de l'esprit
et qui reprenaient la réponse de l'enfant en interaction. La mise en
place d'un conflit sociocognitif ne semble donc pas responsable des
progrès observés chez les enfants à la fin de
l'expérimentation.
Nous pouvons proposer plusieurs explications à
l'augmentation du score aux épreuves mais qui resteront au niveau de
simples hypothèses.
La première explication est que l'interaction
même faible permet des progrès cognitifs. Malgré l'absence
de conflit socio cognitif, les enfants ont été placés dans
une situation au cours de laquelle la prédiction formulée par
l'autre enfant diffère de la sienne .Cette situation peut être
à l'origine d'une comparaison de la réponse de l'autre enfant
avec ses propres prédictions qui peut mener à amorcer une
réélaboration cognitive. Les enfants se trouvent ainsi placer
dans une dynamique interactive du type « confrontation avec
désaccord non argumenté » (Gilly, Fraisse et Roux, 1988
in Carbones i Fleta, 2003). Dans ce type d'interaction, la réponse
formulée par un enfant n'est pas acceptée par l'autre mais
celui-ci ne fournit aucune autre réponse pour manifester son rejet.
L'imitation peut également intervenir dans le processus
de développement en permettant une interaction ou un conflit implicite
tel que nous l'avons défini dans la partie théorique. Les
histoires utilisées pour évaluer l'acquisition de la
théorie de l'esprit possèdent la même trame narrative mais
avec des variations (cadre, personnages, problème...) qui excluent ou
limitent la possibilité d'imitation simple des réponses
formulées par les enfants ou l'expérimentateur au cours de
l'interaction. L'enfant qui observe doit nécessairement adapter sa
réponse à des situations différentes ce qui rejoint
l'idée de paraphrase formulée par Bruner qui repose sur des
réélaborations cognitives.
Les outils langagiers détaillés dans la partie
théorique peuvent aussi intervenir puisqu'ils sont utilisés pour
justifier les réponses. Cet aspect sera développé dans le
paragraphe 4, page 64.
Il est également possible que la simple
répétition des activités soit suffisante pour permettre
des progrès. Dans ce cas la présence de l'autre enfant peut
être considérée comme facultative, le facteur
réellement important est la présentation
répétée d'activité de même nature ce qui
correspond à un effet d'entraînement.
Nous avons observé qu'un enfant sur les quatre du
groupe 3a (qui ne réussit pas les épreuves de théorie de
l'esprit) réussissait mieux les épreuves de fausse croyance
dès le début des interactions qu'au cours des épreuves de
pré-test. En se basant sur l'approche de Leslie qui justifie les faibles
résultats des enfants aux épreuves de fausse croyance par une
limite d'autres fonctions cognitives comme la mémoire, nous ne pouvons
pas exclure le fait qu'au cours des trois semaines d'évaluation les
enfants ont poursuivi leur développement cognitif et que ces
progrès entre les épreuves de pré-tests et de post-test
font également intervenir des acquisitions liées à
d'autres domaines cognitifs.
Il nous est impossible de déterminer quel facteur est
majoritairement à l'origine des progrès mais nous pouvons
imaginer une intervention de chacun d'entre eux.
Lorsque dans l'hypothèse 3 nous analysons l'effet du
facteur « niveau des enfants en interaction » avec les
enfants du groupe 3 (qui n'ont pas acquis la théorie de l'esprit) nous
avons observé que les interactions avec des enfants de niveaux plus
élevés permettent une augmentation plus importante du score mais
cette différence n'est pas significative. Ces résultats doivent
être modulés par le faible effectif de chaque groupe (quatre
enfants). Il serait donc nécessaire de compléter cette
étude par l'étude d'un groupe plus important. Ces
résultats rejettent notre hypothèse numéro trois.
L'interaction avec des enfants de niveau supérieur ne semble pas plus
efficace qu'une interaction avec des enfants de même niveau. De telles
données tendent donc à réduire l'importance de la zone de
développement prochain. Le fait de créer des groupes
hétérogènes quant au niveau d'acquisition de la
théorie de l'esprit ne semble donc pas plus bénéfique pour
les enfants de niveau le plus bas.
Les enfants du groupe 2 correspondent au stade le plus
intéressant dans le cadre de notre étude sur le rôle des
outils linguistiques puisque les enfants qui composent ce groupe sont capables
de répondre presque parfaitement à l'ensemble des questions de
prédiction de comportement mais sont incapables de justifier
correctement leurs réponses. Les interactions avec les enfants qui
justifient leur réponse permettent effectivement une amélioration
des scores aux questions de justification. Ce résultat valide notre
hypothèse expérimentale 4 concernant l'effet positif des
interactions sur la justification des réponses. Dans ce cas encore des
facteurs autres que l'interaction pure peuvent intervenir mais le contenu des
interactions est sur certains points plus riche que pour les dyades impliquant
un enfant du groupe 3 ce qui peut renforcer le rôle de l'interaction.
3. Une acquisition progressive de la
théorie de l'esprit
La répartition des enfants en trois groupes distincts
permet de souligner l'élaboration et la maîtrise progressive de la
théorie de l'esprit autour de l'âge de cinq ans. Tous les enfants
se trouvent dans la période d'acquisition mais à trois stades
différents. Les enfants du groupe 3 (qui échouent aux
épreuves de théorie de l'esprit) se situent dans une phase dans
laquelle ils sont très probablement capables de prendre en compte le
point de vue d'autrui dans certaines situations mais échouent
globalement aux épreuves que nous leur proposons. Comme nous l'avons vu
précédemment, une interaction sur des épreuves de ce type
permet d'améliorer le score.
Cependant, même si l'augmentation du score aux questions
de justification est présente seulement trois enfants sur les six qui
composent le groupe 2 (réussite des épreuves de théorie de
l'esprit du pré test mais échec aux questions de justification)
réussissent les épreuves de justification après les
interactions. De même sur les huit enfants qui échouent aux
épreuves de théorie de l'esprit durant la phase de pré
test, un seul (du groupe 3b) obtient un score correspondant à ceux du
groupe des enfants qui réussissent les deux épreuves. Ces mises
en situation expérimentales permettent donc une amélioration des
scores aux épreuves de fausse croyance par exemple mais ne semblent pas
suffisantes (quantitativement et qualitativement) pour permettre un passage
total vers l'expression de la théorie de l'esprit.
Ces résultats ne sont pas surprenants si nous les
reprenons dans une approche socioconstructiviste qui considère que
l'acquisition de la théorie de l'esprit repose sur une
réélaboration conceptuelle qui nécessite la confrontation
à une grande diversité de situation. Fréquemment, l'enfant
est placé dans des situations pour lesquelles les connaissances
diffèrent selon les personnes impliquées. Dans ce cas l'enfant
peut être surpris par les actions ou remarques de ceux qui ont des
connaissances qui diffèrent des siennes. Dans ce cadre, les histoires
sont menées à terme. Par contre, dans notre recherche, les
enfants doivent prédire le comportement des poupées mais
n'observent pas leur action réelle à la fin de l'histoire puisque
nous nous arrêtons à la question de prédiction du
comportement. Cette limite peut expliquer l'effet limité de
l'entraînement en interaction.
Les recherches de Chanoni sur la comparaison de l'expression
de la théorie de l'esprit entre une situation expérimentale et
une situation écologique ont montré que les situations
écologiques présentent une grande diversité d'indices qui
facilitent la compréhension de la situation par les enfants. Les
difficultés rencontrées par les enfants pour répondre
correctement aux histoires de fausse croyance peuvent s'expliquer en partie par
l'histoire qui restreint l'accès des enfants aux autres indices mentaux
qu'ils utilisent naturellement. Cette donnée peut également
expliquer les résultats des études écologiques qui
montrent une capacité des enfants à attribuer des états
mentaux en situation naturelle alors qu'ils échouent aux épreuves
de fausse croyance (Bartsh et Wellman , 1994 in Chanoni, 2004).
L'acquisition d'une théorie de l'esprit est souvent
présentée comme une rupture qui survient à l'âge de
quatre ou cinq ans. Chanoni a proposé des résolutions de
tâche de fausse croyance à des enfants réunis en fonction
de leur âge selon des critères stricts. Les enfants d'un
même groupe avaient au plus deux mois d'écart afin de limiter la
constitution de groupes pour lesquels les enfants de deux groupes successifs
peuvent avoir plus d'un an d'écart. Les résultats ont
montré des performances croissantes aux épreuves de fausse
croyance lorsque l'âge augmente (Chanoni, 2004). La répartition
des enfants de notre étude dans trois groupes de niveaux
différents s'accorde avec cette nouvelle approche des étapes
développementales menant à la théorie de l'esprit.
Ces résultats rappellent que les modifications
conceptuelles qui sous-tendent la réussite aux épreuves de
théorie de l'esprit se mettent en place progressivement pendant une
période de plusieurs mois voire de plusieurs années.
L'entraînement simple sur une tâche peut aider à
améliorer le score global mais ne permet pas une
réélaboration conceptuelle totale. Nous considérons que
l'acquisition se poursuit pendant plusieurs années pour s'achever vers
l'âge de six ou sept ans. En effet entre cinq et sept ans les enfants
deviennent capables de comprendre les fausses croyances ou les intentions de
second ordre (Gauthier, 2004).
Une donnée observée une seule fois nous semble
intéressante. Un enfant classé dans le groupe 1
(considéré comme regroupant les enfants ayant acquis la
théorie de l'esprit) a modifié sa réponse au cours d'une
interaction avec un enfant du groupe 3. Dans un premier temps, l'enfant a
formulé une réponse exacte sans avoir justifié sa
réponse mais après avoir entendu la réponse erronée
du second enfant, le premier a modifié sa réponse en
répétant la réponse erronée. Cet exemple peut
illustre également l'acquisition progressive de la théorie de
l'esprit qui présente une phase de transition au cours de laquelle les
enfants doutent de leur réponse et restent très influencés
par les réponses qu'ils formulaient peu de temps auparavant. Le statut
social dominant ou dominé de l'enfant peut également expliquer
cette modification de la réponse. Cet évènement est
cependant rare puisqu'il ne s'est produit qu'une seule fois sur un ensemble de
48 histoires racontées en interaction.
Même si nous n'avons pas évalué le score
des enfants du groupe 1 après les interactions, les observations des
réponses des dyades indiquent que les enfants de niveau supérieur
sont peu influencés par les réponses des enfants de niveau
inférieur et tendent généralement à expliquer
spontanément leur choix notamment au cours de la seconde séance
d'interaction pendant laquelle les réponses sont plus
assurées.
4. Aspect qualitatif des échanges au cours
des interactions.
Le manque d'échange direct entre les enfants des dyades
a fait que l'expérimentateur relançait fréquemment les
interactions en posant des questions. La plupart des phrases produites par les
enfants correspondent donc à des réponses directes aux questions
posées par l'expérimentateur.
Le calcul des coefficients de corrélation entre les
progrès aux questions de justification et l'occurrence des
différents outils langagiers présentés dans le cadre
théorique n'ont pas mis en évidence de lien entre l'occurrence
des outils et les progrès. Notre hypothèse 5 a donc
été rejetée. L'absence de corrélation ne signifie
bien évidemment pas qu'il n'y a aucun lien entre l'utilisation des
verbes mentaux ou des propositions enchâssées et
l'amélioration des scores aux épreuves de justification mais que
l'occurrence de ces termes ne permet pas de prédire
l'amélioration du score.
Il faut en effet rappeler que des études basées
sur un entraînement portant sur l'utilisation de différents outils
linguistiques ont mis en évidence des progrès significatifs aux
épreuves de fausse croyance.
Cette absence de corrélation possède
différentes causes. La première est que notre protocole
expérimental est basé sur une mise en interaction des enfants.
Notre recueil du contenu des interactions ne cherche pas à
différencier les réponses des deux enfants placés en
interaction. Or, les dyades contiennent un enfant du groupe 1 qui fournit des
justifications riches basées sur l'utilisation des outils langagiers.
L'occurrence de ces termes au cours des différentes interactions
marquent donc uniquement leur présence et en aucun cas leur
compréhension ou leur utilisation par les enfants de niveau
inférieur.
Il n'est pas suffisant de donner la bonne justification aux
enfants pour qu'ils soient capables de l'utiliser par la suite dans d'autres
contextes. Ce qui renforce le lien entre ces épreuves et la
théorie de l'esprit puisque l'entraînement n'est pas suffisant
pour permettre l'accès complet à la théorie de l'esprit.
Des modifications conceptuelles sont indispensables selon nous.
La seconde cause de l'absence de corrélation est que
les enfants du groupe deux se trouvent dans un stade intermédiaire
d'accès à la théorie de l'esprit. Nous avons mis en
évidence des scores significativement supérieurs aux questions de
justification dès la phase de prétest. Il nous semble donc normal
que leurs interactions présentent davantage de marqueurs sans
entraîner d'augmentation plus importante du score.
Au-delà de cette absence de corrélation le
contenu des interactions apporte plusieurs informations intéressantes
pour notre recherche. Tout d'abord, nous avons mis en évidence
l'utilisation de ces différents marqueurs pour l'ensemble des groupes
même lorsque les enfants du groupe 3 (qui échouent aux deux types
d'épreuves) sont placés en interaction entre eux. Ces
résultats valident l'utilisation précoce de ces marqueurs sans
qu'il y ait expression de la théorie de l'esprit ou du moins
réussite des épreuves de fausse croyance. Une analyse fine des
phrases produites par les enfants au cours des interactions indique que chez
les enfants qui ne réussissent pas les épreuves de théorie
de l'esprit ces termes apparaissent dans des justifications qui sont le plus
souvent justes même si elles sont rares. Les quatre enfants du groupe 3
ne peuvent donc pas être considérés comme n'ayant pas
accès à la théorie de l'esprit mais plutôt comme
étant en cours d'acquisition mais à un niveau pour lequel ils
échouent ou réussissent rarement aux épreuves de fausse
croyance.
L'effet positif de ces interactions doit donc être
rapporté à l'âge des enfants. Il serait intéressant
de mesurer si des interactions adaptées à des enfants de 3 ans
(qui se trouvent plus éloignés de l'âge moyen d'acquisition
de la théorie de l'esprit) présente des effets similaires.
L'approche statistique du contenu des interactions des dyades
composées uniquement d'enfants n'ayant pas accès à la
théorie de l'esprit est difficile compte tenu du faible effectif du
groupe. Il nous semble tout de même intéressant de noter la
pauvreté relative des interactions. Lorsque des enfants qui ne
maîtrisent pas la théorie de l'esprit sont placés en
interaction les marqueurs se trouvent sous représentés. L'absence
de connecteurs est particulièrement flagrante ainsi qu'un nombre
réduit de recours aux propositions enchâssées et aux
habiletés pragmatiques. Les enfants formulent des réponses aux
questions posées par l'expérimentateur mais se trouvent soit
incapables de justifier leur choix ou le justifient en utilisant peu les outils
linguistiques (verbes mentaux, connecteurs, marques modales
épistémiques...)
Quel que soit le niveau d'acquisition de la théorie de
l'esprit les enfants de notre étude âgés de plus de quatre
ans et six mois utilisent les verbes mentaux suivants dans leurs
réponses aux questions de justification : voir, entendre, dire,
vouloir, savoir et croire. Par contre, l'occurrence des verbes mentaux et des
propositions enchâssées augmente lorsque les enfants progressent
sur la voie de l'acquisition de la théorie de l'esprit comme dans les
interactions entre les enfants du groupe 2 et du groupe 1.
Les verbes mentaux ne sont que rarement utilisés afin
de décrire des comportements mais plutôt sous une forme que
Bouchand qualifie d' « intentionnelle » qui permet de
développer des espaces mentaux détachés de la
réalité . Ces espaces mentaux fournissent ainsi la
capacité de prendre en compte le point de vue d'autrui.
La présence de ces termes peut donc, malgré
l'absence de corrélation, en partie expliquer l'augmentation des scores
aux épreuves de théorie de l'esprit après l'interaction.
En effet, l'utilisation de ces marqueurs dans le cadre des épreuves de
fausse croyance peut permettre un renforcement du lien entre l'utilisation
pragmatique de ces termes et les métareprésentations liées
à l'acquisition de la théorie de l'esprit.
Le contenu des interactions permet de soutenir une approche
socioconstructiviste de l'acquisition de la théorie de l'esprit
basée sur la notion de zone de développement prochain
développée par Vygotsky. Lorsqu'ils sont placés avec des
enfants capables de justifier leurs réponses, les enfants de niveau
inférieur améliorent parfois leur réponse et utilisent
certains outils linguistiques. Ces outils pouvant être utilisés
par la suite dans d'autres contextes comme nous avons pu l'observer dans la
phase de post-test.
CONCLUSION
Nous voudrions en conclusion revenir sur les
résultats que nous avons obtenus concernant le rôle des
interactions entre pairs pour l'acquisition d'une théorie de
l'esprit.
Nous avons mis en évidence une période de
transition dans l'acquisition de la théorie de l'esprit au cours de
laquelle les enfants sont capables de réussir les épreuves de
théorie de l'esprit mais sans être capables de justifier leur
réponse. L'acquisition de la théorie de l'esprit est un long
processus organisé en plusieurs étapes au cours desquelles
l'enfant augmente sa capacité à prendre en compte les
états mentaux d'autrui dans toutes les situations. Cette acquisition ne
peut correspondre à une simple étape mais plutôt comme une
modification profonde de concepts qui peuvent être
considérées comme des précurseurs développés
au cours des années qui précèdent l'accès à
la théorie de l'esprit.
Deuxièmement, les interactions entre pairs
entraînent une amélioration des réponses aux
épreuves de théorie de l'esprit mais ces échanges ne
permettent que rarement d'atteindre un niveau équivalent à une
réussite totale des épreuves.
Troisièmement nous n'avons pas mis en évidence
de différence significative des résultats en fonction du niveau
de l'enfant qui est placé en interaction mais il semble
nécessaire de compléter cette recherche par une étude sur
un échantillon plus important afin de valider ces résultats.
Il pourrait être intéressant d'intégrer
à l'étude la prise en compte des statuts des enfants dans les
interactions à partir des profils sociaux définis par Montagner
(1978) ou des types d'adaptation sociales de Strayer (1989) ( Baudier,
Celeste,2002), afin de déterminer si le statut de l'enfant intervient
dans la capacité à transmettre les informations facilitant la
réussite des épreuves de théorie de l'esprit.
En ce qui concerne le contenu des phrases produites au cours
des interactions, nous avons effectivement mis en évidence l'utilisation
massive de certains marqueurs linguistiques dans les réponses aux
questions de justification mais sans qu'il y ait de lien entre l'occurrence de
ces termes et les progrès observés.
Cette étude pourrait également être
complétée par une étude du rôle des interactions
entre enfants ayant une différence d'âge plus importante afin
d'apporter des éléments de réponse à la
précocité relative de l'acquisition de la théorie de
l'esprit chez les enfants puînés des fratries.
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