Le declin du mythe imperial: proces du colonialisme et de l'apartheid dans Au coeur des tenebres (1902) de Joseph Conrad et dans L'Age de fer (1992) de John Maxwell Coetzee( Télécharger le fichier original )par Amadou Hame NIANG Université Cheikh Anta Diop de DAKAR - Maitrise 2007 |
INTRODUCTIONDe l'héritage des Lumières à la littérature exotique, l'imaginaire Occidental a forgé le mythe colonial. Il a défendu et s'est évertué à justifier la prétendue supériorité de la Civilisation Européenne et l'expansion impérialiste vers les contrées « vides » de l'ailleurs. A partir du substrat philosophique des écrits de Rousseau, Voltaire et d'autres auteurs, relatif à l'altérité, les récits de Pierre Loti et de Rudyard Kipling exaltent la domination culturelle et scientifique de l'Europe dans les terrae incognitae. Cependant, malgré l'apologie de la grandeur impériale, s'insinuent en filigrane dans l'imagerie coloniale du roman de l'ère victorienne et dans les récits exotiques français, des doutes entamant la stabilité de l'Empire. Ainsi, apparaissent dans les fictions et les récits de voyages, des « héros coloniaux plus troubles ; inquiétudes coloniales de l'entre-deux-guerres où surgissent des figures de malaise impérial.1(*) ». On songe à des romans tels A Passage to India (1924) de E. M. Forster, Voyage au bout de la nuit (1932) de Louis-Ferdinand Céline ou Burna Days (1934) de Georges Orwell entre autres. Il s'agissait dans ces textes d'une représentation de l'émissaire de la Civilisation dans un milieu hostile, propice à la convoitise et à la déchéance morale. La rhétorique de ces deux aspects annonce la démythification de la « mission » dont sont chargés ces héros, et préfigure le déclin de l'empire. Au Coeur des ténèbres2(*) (1902) de Joseph Conrad (1857-1924) anticipe le déclin, en exprimant le doute et le scepticisme, relatifs au projet impérial et ses accents ont continué avec John Maxwell Coetzee (né en 1940) dans L'Age de fer3(*) (1992). Dans ces deux romans s'énoncent différents modes de représentation du colonialisme et de l'apartheid. Les deux écrivains exploitent les sentiments mitigés de leur héros, dévoilant ainsi leur position, et partant de là, celle d'une vision générale de leur époque : « L'image qu'un auteur se compose d'un pays étranger d'après son expérience personnelle, ses relations humaines et ses lectures, est toujours d'autant plus intéressante que cet auteur est représentatif de la littérature de son pays, qu'il a exercé une influence réelle sur celle-ci ainsi que sur l'opinion publique de son pays.4(*) ». Nos deux récits s'inscrivent dans cette logique, d'où la motivation qui a guidé notre choix. En effet, Conrad et Coetzee, près d'un siècle d'écart, ont anticipé le déclin du mythe impérial, et ont ouvert la voie à un réquisitoire sans précédent du colonialisme et de l'apartheid. Quels ont été les traits caractéristiques du discours littéraire du déclin impérial dans les textes du corpus ? Quels sont les modes de représentation et d'énonciation du procès du colonialisme dans Au Coeur des ténèbres, d'une part et d'autre part, du procès de l'apartheid dans L'Age de fer ? Comment s'articule dans la fiction, le bilan littéraire des conséquences de l'image de l'Afrique dans l'imaginaire Occidental de Pierre Loti à André Gide ? Nous nous intéresserons à la manière dont les textes s'ouvrent sur « leurs différences par rapport aux assertions du centre impérial.5(*) ». Il est probable que Joseph Conrad, de même que John Maxwell Coetzee, aient été influencés par leur histoire personnelle pour déconstruire les codes de l'ordre colonial et au-delà, ceux de la culture Occidentale. Albert Memmi avait déjà montré dans Portrait du colonisé suivi du Portrait du colonisateur (1957) combien les visages de l'un et de l'autre pourraient fournir les conditions d'articulation de la mythification au déclin. Le mythe impérial était destiné à présenter sous une forme concrète, les concepts de vacuité, de tabula rasa, de terrae incognitae... du monde non-occidental. On pourrait revoir à ce niveau la théorie de Todorov dans Nous et les autres (1989). La notion de déclin reçoit dans cette présente étude une extension sémantique, à l'image de l'analyse de Léon-Fanoudh Siefer, revue sous un autre angle par Martine Astier Loufti. Nous allons voir en quoi l'affirmation de Roland Barthes : « L'écriture est une fonction : elle est le rapport entre la création et la société, (...) elle est la forme saisie dans son intention humaine et liée aux grandes crises de l'histoire.6(*) » éclaire Au Coeur des ténèbres et L'Age de fer. La première partie de cette étude sera une réflexion sur l'héritage des Lumières dans le mouvement impérialiste_ dont découlent la rhétorique de l'ailleurs et de l'altérité, puis de l'expansion impérialiste et enfin de la représentation dichotomique de l'univers colonial. La deuxième partie sera consacrée au déclin du mythe impérial, à travers ses manifestations, la démythification du système colonial et ses conséquences, tant chez les européens que chez les africains.
* 1 Jean-Marc Moura, « Francophonie et critique postcoloniale. », Revue de Littérature Comparée, No 281, p.68. * 2 Cette oeuvre sera notée dans toute notre étude par l'acronyme : C.t. * 3 Celle-là aussi par l'acronyme : A.f. * 4 Jean-Pierre Makouta-Mboukou, Systèmes, théories et méthodes comparées en critique littéraire. Des nouvelles critiques à l'éclectisme négro-africain. Volume II_ Paris, l'Harmattan, 2003, p.269. * 5 B. Ashcroft, G. Griffiths, H. Tiffin, The Empire Writes Back. Theory and Practice in Post-Colonial Litteratures, Londres, Routledge, 1989, p.3. Cité par J-.M. Moura, Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, PUF, 1999, p.5. * 6 Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture suivi de Nouveaux essais critiques, Paris, Seuil, 1953 et 1972, p.14. |
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