Le génocide rwandais à travers Murambi, le livre des ossements de Boubacar Boris DIOP( Télécharger le fichier original )par Zakaria Demba SOUMARE Université de Nouakchott - Maîtrise 2003 |
Chapitre 2 : Le déroulementLe génocide rwandais de 1994 a duré trois mois. Dans trois mois, il y a quatre-vingts jours. Si nous voulons avoir un chiffre rond, nous aurons cent jours. Cent jours de terreur. D'acharnement des Rwandais contre d'autres Rwandais. La raison : ils ont tout simplement la mal chance d'être nés Tutsi. 2-1 Pendant le génocide Nous choisissons cet ordre de chapitres, car il nous semble le mieux représenter la logique de l'histoire. Tableau récapitulatif des chapitres
Nous avons volontairement choisi cette classification, même si elle ne respecte aucunement l'ordre des chapitres, dans la mesure où elle nous semble le mieux correspondre à la narration de l'histoire fatale du génocide des tutsi rwandais en 1994 par leurs compatriotes hutu, dans une indifférence totale de l'OUA et de la communauté internationale. En effet, cette passivité de l'ONU a été très vivement critiquée par le Général canadien, Roméo Dallaire, qui était chargé de la responsabilité de la mission de maintien de la paix des Nations Unis au Rwanda au moment du génocide. Dans son ouvrage, J'ai serré la main du diable, 22(*)qu'il a publié sept ans après la tragédie rwandaise, il raconte l'enfer qu'il a vécu dans ce pays, et il n'hésite pas à reconstituer les terribles évènements auxquels la Communauté internationale a volontairement tourné le dos. Son témoignage est ainsi un compte rendu on ne peut plus clair voire sans concession de la faillite de l'humanité à mettre fin à in drame pourtant maintes fois dénoncé. « Quand le général Roméo Dallaire a été appelé à assurer le commandement de la force internationale de maintien de la paix des Nations Unis, il croyait être dépêché en Afrique pour aider deux belligérants à trouver un terrain d'entente. Une fois au Rwanda, il découvrit une toute autre réalité. Pris entre une guerre civile sanglante et un génocide impitoyable, le général et ses hommes -une petite troupe- furent [...] abandonnés, sans aucune ressource, par leurs patries respectives [et l'ONU]. Le chapitre I de Murambi, le livre des ossements intitulé « La peur et la colère » s'ouvre sur une situation de calme inquiétant qui régnait sur Kigali, capitale du Rwanda, quelques minutes seulement après le crash de l'avion présidentiel. Sa narration est respectivement assurée par : Michel Serumundo, vidéothecaire hutu, Faustin Gasama, organisateur hutu des massacres et Jessica, espionne du FPR à Kigali. Dans cette partie du texte, Serumundo raconte le climat de peur qui avait envahi la ville de Kigali après la chute de l'avion du major Habyarimana ; tandis que Faustin Gasama, comme emporté par on ne sait quel démon, circule avec son chauffeur dans la ville de Kibungo, à quelques kilomètres de Kigali où il était question de planification des massacres : « J'ai étudié l'histoire de mon et je sais que les Tutsi et nous, nous pourrons jamais vivre ensemble, a-t-il déclaré23(*) ». Il s'agissait donc pour lui, tout comme pour son père, de liquider tous les Tutsi, sans laisser la possibilité à personne de s'échapper comme dans les années précédentes : « Commencer par un côté. Quartier par quartier. Maison par maison. Ne dispersez pas vos forces dans des tueries désordonnées. Ils [les Tutsi] doivent tous mourir. Des listes avaient été préparées. Le Premier ministre Agathe Uwlingiyimana et des centaines d'autres politiciens hutus modérés sont déjà tombés sous les balles de la garde présidentielle [...]. Après ce qu'ils appellent complice, se sera le tour des Tutsi. Eux, ils sont coupables d'être eux-mêmes...24(*) ». Jessica, quant à elle, travaillait pour le compte du FPR au plus fort du des massacres. Dans son récit, elle nous raconte les premières tueries à Kigali, en même temps qu'elle recevait des nouvelles des autres villes, théâtres de violents massacres anti-tutsi. Ces informations lui parvenaient par le biais d'une lettre que Stéphane Nkubito lui envoyait. Dans cette lettre, il lui renseignait sur les scènes des horreurs à Bisesero. Cette missive, il l'a écrite quelques minutes savant d'être découvert et abattu par les miliciens : « Stéphane m'apprend [...] que le jeudi le 7 avril 1994, Abdel Myjawarya, un homme d'affaires de Kigali, est arrivé à Gisovu avec deux camions [...] remplis de machettes. Il a fait décharger les armes au domicile de d'Olivier Bishiarandora. Ce dernier, qui une forge dans son atelier, a aussitôt commencé à aiguiser les machettes [...] [il] a ensuite organisé une réunion au cours [de la quelle] il a distribué les machettes et les grenades. Les Interahamw ont alors commencé à terroriser les Tutsi en les accusant d'avoir assassiné leur président bien aimé, Juvénal Hayarimana. 25(*) » Ce qui frappe dans ce chapitre, c'est la méthode quelque peu particulière que Boubacar Boris Diop a choisie pour dire l'indicible. Elle consiste à multiplier les voix narratives afin de donner tour à tour la parole aux bourreaux et aux victimes. Le chapitre III, intitulé « Le génocide », confie la parole aux génocidaires, aux rescapés et autres témoins oculaires des massacres. Comme nous l'avons dit ci-dessus, cette diversification de témoignages s'explique par le souci de l'auteur de respecter la mémoire des victimes du drame le plus cruel de l'histoire du continent africain et de l'humanité. Tandis que certains tuent par simple avidité de s'emparer des biens des Tutsi éliminés, d'autres, au contraire, massacrent ou font massacrer par simple règlement de compte. Le Docteur Karekezi, le père de Corneluis, est l'un des personnages clés à qui la parole est donnée pour raconter des faits dont il est le responsable. Ici, nous sommes au coeur de la tragédie rwandaise. L'auteur montre à travers ce personnage hors norme à quel point l'homme, poussé par des idées haineuses, extrémistes, pourrait être amener à commettre des actes qui dépasseraient la raison. Dans cette partie de Murumbi, le livre des ossements, Karekezi démontre point par point comment il a « lâché » les tueurs sur des réfugiés qu'il prétendait protéger dans l'école technique de Murumbi, dans laquelle se trouvait sa femme (tutsi) et ses propres enfants. L'une des caractéristiques du génocide des Tutsi du Rwanda, c'est qu'il est un génocide de proximité : « Il n'y a pas ici [Rwanda] de différence entre le bourreau et la victime, comme en Afrique du Sud. Nous habitons ensemble26(*) », disait Madame Gasama, rescapée. Dans le même d'ordre d'idée, nous pouvons citer le texte du journaliste de Libération, Jean Hatzfeld, intitulé Une saison de machettes27(*). Le chapitre XI de son ouvrage, qui porte le titre de « Génocide de proximité », nous renseigne qu'au pays de Kagamé Tutsi et Hutu vivent ensemble depuis toujours : « Après le génocide, beaucoup d'étrangers se sont demandés comment les tueurs [...] reconnaissent leurs victimes dans le chambardement des massacres, puisque les Rwandais des deux ethnies parlent la même langue sans aucun particularisme, habitent les endroits, et que leurs distinctions physiques, bien que repérables parfois, sont très aléatoires. La réponse est simple : les tueurs n'avaient pas à reconnaître leurs victimes puisqu'ils les connaissent. Car d'un village tout se sait28(*) ». Cette proximité a joué un rôle essentiel dans les massacres des plusieurs centaines de Tutsi. Les récits des certains personnages, comme le Docteur Karekezi, nous font savoir ce qu'ils ont vu ou fait au plus fort des évènements. Ainsi, Nkusi, une jeune fille hutu, nous fait-elle partager la scène à la quelle elle a assisté, et où son père, contraint par son oncle, s'est décidé à tremper sa main dans le sang rwandais. Nous sentons à travers son récit combien, de craint de représailles de la part du gouvernement ou des miliciens, tout le monde était comme obligé à contribuer à la « solution finale » comme le concevaient les commanditaires du génocide. Ainsi toute personne qui refuse de participer se voit sanctionné par une amende ou par le massacre des membres de sa famille. Dans ce chapitre, nous sont racontés les différentes étapes du génocide des Tutsi avec une précision sans faille. Cependant, de toutes les voix narratives, celle du Docteur Karekezi semble bien retenir notre attention du fait de l'ampleur de son acte. Murumbi, le livre des ossements est une oeuvre singulière en son genre, en ce sens qu'il essaie tant bien que mal de nous rapprocher le mieux possible de la réalité de la tragédie rwandaise de 1994. L'auteur voulait sans doute que les lecteurs sachent que le génocide a vraiment eu lieu, barrant ainsi la route à toute forme de négationnisme qui consisterait à rejeter catégoriquement l'existence du plus grand crime de notre siècle. Rejeter la réalité de ce génocide est un attentat contre la mèmoire des victimes, d'autant plus qu'il a été organisé, programmé à la fois par les différents pouvoirs successifs au Rwanda et les intellectuels hutu extrémistes. Le fait que l'écrivain donne la parole à des criminels comme le Docteur Karekezi est une méthode on ne peut plus utile. Dans la mesure où, Karekezi, en acceptant d'avouer son crime, découragerait les négationnistes de leur combat de faire prévaloir la thèse du double génocide, quand il ne s'agit pas de renier celui de 1994. Karekezi donc non seulement nous convainc que ce drame a eu lieu, mais aussi nous fait savoir qu'il a lui-même gagné la confiance de l'Interahamw pour accomplir sa sale besogne : le massacre des réfugiés de l'école technique de Murumbi. A la veille de ce massacre, il avait pris contacte avec les différents responsables de l'Interahamw et un colonel français, qui a accepté de reprendre l'uniforme en vue de former les forces régulières rwandaises. Il n'y a pas que le Docteur qui nous entraîne au coeur des ténèbres. Jessica, à sa manière, relaye le récit. A travers sa narration, beaucoup d'interrogations surgissent. L'Eglise catholique est l'un des objets de ce questionnement. En effet, au moment du génocide certains de ses membres ont d'une manière ou d'une autre participé ou soutenu voire encouragé l'élimination des victimes. Mais Jessica nuance son récit en nous faisant connaître la bonne volonté de certaines religieuses. Cela montre que même dans une situation de folie généralisée, certaines âmes ne perdent jamais le sens de l'humanité. Parmi ces âmes qui ont su dépasser leur propre bassesse pour écouter la voix de la raison, il y a celle de Nyitegeka, une religieuse hutue qui, au prix de sa vie, avait choisi de faire passer à la frontière zaïroise un nombre important de Tutsi menacés de mort certaine. Elle sera par la suite découverte et tuée par les miliciens. Il y a des sacrifices que seuls les âmes généreuses peuvent faire, quand bien même au prix de leur vie. Ce fut le cas de cette dame qui aurait pourtant pu se ranger du côte des tueurs, car étant elle-même hutu. Elle avait pourtant la possibilité de le faire. Car de son église elle avait reçu une lettre de son frère qui la suppliait de cesser ce qu'elle était entrain de faire. Comme toute réponse, elle déclarait : « Je faire tout ce que je peux pour sauver des vies humaines.29(*)» Dans ce roman, nous sommes comme plongés dans l'absurde. Murumbi, le livre des ossements est d'autant plus absurde que les mots manquent, souffrent de la difficulté d'exprimer la bonne volonté des uns d'une part et la barbarie des autres d'autre part. Boubacar Boris Diop lui-même ne cache pas la difficulté qu'il avait rencontrée quand il s'agissait d'extérioriser via les mots les atrocités dont furent victimes les Tutsi du Rwanda entre le 6 avril 2004 et le 4 juillet de la même année, dont les conséquences furent les massacres sans aucun état d'âme des vieillards, des enfants à l'état embryonnaire, des femmes, des nourrissons. Cependant, le fait de donner la parole aux bourreaux et aux victimes donne un grain d'espoir d'approcher le vrai visage des souffrances des suppliciés. Cette méthode est d'autant plus nécessaire que l'auteur ne passe pas par quatre chemins pour nous exposer son témoignage. Le langage des personnages est direct, clair et précis. Il va tout droit au coeur du lecteur, le sensibilise, l'intéresse. Ce chapitre est aussi celui du désespoir. L'Interahamw et les planificateurs du génocide désespèrent de leurs efforts face à l'avance et la prochaine victoire du FPR. Ils prennent la fuite vers le Zare. Le chapitre termine par le récit du colonel Etienne Perrin de l'opération Turquoise chargée de l'évacuation des responsables du génocide avant qu'ils ne soient surpris et massacrés par les hommes de Kagamé. Murumbi, le livre de ossements est plus qu'un simple témoignage sur un drame sans nom. Il est historique. L'auteur, sans aucune forme d'académisme comme il a l'habitude de le faire, choisit la simplicité dans l'expression, et nous retrace l'historique de tous les génocides du pays des Mille collines. Le chapitre est clos sur la victoire du FPR. Mais la France non content de digérer la défaite de ses allés, souhaite que les responsabilités soient partagées. Une telle conception de la victoire est mal perçue par Kagame. Car il ne pouvait pas accepter la proposition d'un partage des pouvoirs avec ceux qui ont trempé sans scrupule leurs mains dans le sang rwandais. Surtout quand cette proposition venait d'un pays qui n'a volé au secours des victimes qu'une fois les massacres achevés, et qui a facilité la fuite des génocidaires au pays de Mubutu. Cette fuite s'inscrit dans le cadre de « l'opération Turquoise ». Celle-ci prétendait venir sauver les Tutsi « menacés » de génocide. Jessica, en ces termes, ironise sur les intentions d'une telle intervention : « Deux mille cinq cents [...] soldats lourdement équipés sont entrain de prendre position à Goma et à Bukavu au Zare. Ils appellent cette affaire l'opération Turquoise. Il s'agit, paraît-il, de se porter au secours des Tutsi menacés de génocide. On verra comment ils vont s'y prendre pour sauver la vie à des gens morts depuis longtemps. C'est une farce sinistre.30(*) » 2-1 Deux ans après le génocide Le chapitre II, qui constitue le début de cette subdivision du texte de Murambi, le livre des ossements, s'ouvre sur un retour d'exil de plusieurs années : celui de Corneluis, le fils du Docteur Karekezi, le « boucher » de Murambi. Au moment du génocide, Corneluis vivait à Djibouti où il enseignait l'histoire dans un collège. Deux ans près le drame, il décide de rentrer au pays des Mille et une fosses communes. Il débarque à Kigali, puis à Murumbi, sa ville natale où il rencontre ses amis d'enfance, Jessica et Stanley et son oncle philosophe, Siméon Habineza qui lui fait revivre les évènements avec un ton triste voire tragique. L''originalité de cette partie de Murambi, le livre des ossements tient au fait qu'elle est riche en analepse31(*). Corneluis, comme obsédé par on ne sait quelle détermination, s'intéresse davantage à son passé, seul moyen pour lui de renouer son destin brisé par le massacre de toute sa famille à l'exception de Siméon. Il est aussi question de souvenir de l'exclusion de ses amis d'enfance, Jessica et Stanley, de l'école par qu'ils sont tutsi. Il est également raconté leur à Bujumbura au Burundi en 1973, pour échapper aux massacres. Nous sentons aisément le recours à l'histoire dans ce texte plus proche de la réalité que de la fiction. Boris Diop nous plonge dans une longue tradition de violence qui nous fait comprendre qu'il n'y a pas eu qu'un génocide au Rwanda, mais des génocides. « Le génocide n'a pas commencé le 6 avril 1994 mais en 1959 par des petits massacres auxquels personne ne faisait attention32(*) ». Aussitôt rentré au pays, Corneluis voulait tout comprendre. Il voulait à la fois savoir ce que faisait ses amis, comment ils ont survécu, et sur l'extermination de sa famille par son propre père. Ce retour n'a rien de triomphal. Car ses amis, compte tenu du rôle joué par son père durant les évènement, se méfient de lui afin de voir la manière dont il apprécie le génocide de 1994. Cette méfiance tintée de mépris voire de haine s'explosa quand Corneluis dévoila son intention d'écrire une pièce de théâtre sur la souffrance des victimes. La réaction de Roger ne s'est pas fait attendre. Corneluis s'en est vite rendu compte : « Il [Roger] a l'air d'insinuer que je n'étais pas là quand on tuait les gens [...] Maintenant je viens emmerder le monde avec ma douleur33(*) ». Ce qui frappe dans cette partie du texte, c'est la manière dont l'auteur a su intégrer une histoire [pièce de théâtre] dans une autre. Cette « mise en abyme » est quelque peu intéressante. La philosophie qui se dégage du thème de la pièce est que la vie humaine a beaucoup moins de valeur que celle d'un chat. Car au moment où on était entrain de « couper » les Tutsi avec des machettes, le général Perrichon s'occupait à s'assurer que la vie de son chat n'était pas mise en danger. La plus grande partie de ce chapitre est consacrée au dialogue entre Corneluis et Jessica. Mais aussi à leur visite des sites massacres, véritables musées des ossements, de Kigali et de Nyamata où sont exposés le reste des victimes. Pour la première fois, Corneluis prend acte de l'ampleur des massacres. L'un des objectifs de l'auteur, on le sent à travers le personnage de Corneluis, est de détromper l'opinion des étrangers sur le drame du Rwanda : « Ils [les étrangers] pensent que les Hutu tuent les Tutsi et que les Tutsi tuent le Hutu ». Corneluis et Jessica étaient accompagnés des guides dont certains sont rescapés. Ces guides leur expliquaient l'arrivée de l'Interahamw et le processus des massacres en masse des milliers de personnes réfugiés dans des bâtiments publics. Le ton de leur récit est on ne peut plus tragique : « Pendant que ses collègues égorgent leurs victimes ou les découpent avec leurs machettes tout près de la barrière, un milicien interahamw vérifie les pièces d'identité... 34(*)». Exprimer tant de cruautés avec les mots pose d'énormes problèmes à l'auteur. Cependant il a pu mettre à nu la barbarie dont est capable l'homme. Corneluis, devant cette incompréhension de la folie humaine, s'est souvenu d'une phrase d'un intellectuel afro-américain qui, de retour de Nyamata, déclare : «Voilà, je me suis trompé toute ma vie. Après ce que j'ai vu au Rwanda, je pense que les Nègres sont des sauvages35(*) ». Le texte de Boris Diop est une simplicité flagrante. Mais ce qu'il révèle dérange, choque la conscience du lecteur qui n'est pas habitué de ce genre de récits. L'absurdité des tueries, l'impacte sur les survivants sont si traumatisants que personne ne pourrait refermer Murambi, le livre des ossements sans compatir au martyre des victimes. Par ailleurs, par une prolepse Jessica annonce la visite de la ville de Murambi où, comme nous l'avons dit plus haut, le père de Corneluis, le Docteur Karekezi, avait fait tuer entre cinquante et soixante mille personnes parmi lesquelles se trouvait sa propre famille. Ceci approuve combien Murambi, le livre des ossements est l'expression ultime de la barbarie sous toutes ses formes. L'homme est décrit sous son aspect le plus abject. Sa bestialité est démontrée d'une manière on ne peut plus claire. Corneluis n'est pas sans savoir de cet aspect de l'homme. Il savait qu'il n'y aurait plus de repos pour lui, puis qu'il se savait désormais le fils du diable de l'école technique de Murambi. Tout autour de lui, il n'entendait que des paroles qui le plongeait davantage dans un atroce examen de conscience : « Tu vas demain à Murumbi, lui dit Jessica, et tu dois savoir que ton père y a organisé le massacre de plusieurs personnes. Le carnage de l'école technique de Murumbi, c'était lui... 36(*)». Ces mots de son amie d'enfance le mettent d'avance dans la situation qui l'attend à sa ville natale, Murambi, où il va voir de très près le résultat de la bêtise de son père. Le chapitre IV du texte s'ouvre sur l'arrivée de Corneluis à Murumbi. Après une absence de vingt-cinq ans d'exil à Djibouti, il rentre d'une rentrée triste, qui n'a rien de triomphal. Il pèse déjà sur sa mémoire le massacre de sa mère et de ses frères par son propre père. Il essayait, Siméon aidant, de reconstituer en vain son passé, dans l'espoir de trouver un élément qui puisse l'égayer. L'essentiel de ce chapitre se passe entre Corneluis et Siméon Habineza. Le lecteur a comme impression d'être dans un univers où le ton dominant est le ton tragique : « Tu es revenu et des moments difficiles t'attendent37(*) » de son oncle confirme le tragique de ce passage. Un autre fait qui marque la conscience du lecteur que celui de la fréquence des analepses. Ce procédé narratif aide, devant un présent absurde, surréel, à retrouver les repères brisés de la vie par une sorte de remémoration du passé. Car le génocide a tout brouillé dans la conscience individuelle et collective des Rwandais. Murumbi, le livre des ossements, c'est aussi la visite de l'école technique de Murambi, qui est transformée en site macabre des ossements des victimes. Corneluis s'y est rendu afin de voir de près l'ignoble résultat « du travail » de son père. Murambi, la ville natale de Corneluis, c'était également le lieu où les étrangers de toutes nationalités confondues venaient voir les preuves du plus grand crime de l'histoire du continent africain : « Des gens importants venaient en délégation de pays lointains visiter l'école technique de Murambi38(*) ». Le guide qui accompagnait Corneluis faisait de son mieux pour lui expliquer l'inexplicable. D'un ton triste, son oncle Siméon conclut le chapitre. Il faisait comprendre que ce qui est arrivé aux Tutsi du Rwanda quelques mois plutôt était déjà programmé de longue date. Nous prenons conscience à travers son récit qu'aussi quelques hutu de bonne volonté furent victimes de la folie qui dévasta le pays de Kagamé. Murambi, c'était aussi la visite de la maison du Docteur Karekezi. De ces visites, Corneluis sort complètement meurtri. L'auteur nous montre un personnage dépassé par la force des choses. Sa raison n'arrivait pas à appréhender comment l'homme pouvait-il arriver à un degré de rejet de l'autre au point de s'acharner à sa destruction physique ; d'autant plus que les paroles de son oncle le mettaient davantage dans une situation où il semblait ne plus rien comprendre. Boubacar Boris Diop met encore en évidence, comme pour appuyer la thèse de Siméon, que le génocide au Rwanda n'a jamais débuté le 6 avril 1994. Il a essayé tout au long de son texte, à travers les témoignages des personnages, de faire une sorte d'historique de ce drame sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Il a montré le processus qui, de 1953 à 1994, a conduit aux massacres des plusieurs milliers des Tutsi du Rwanda. L'ampleur de ce génocide dépasse largement toutes les consciences : « Le quatrième génocide du siècle restait une énigme et peut-être fallait-il en chercher la clé dans la tête d'un fou ou dans les mystérieux mouvements des planètes. Cette orgie de haine allait très loin au-delà de la lutte pour le pouvoir dans un petit pays [...] 39(*)». Cette réflexion de Siméon est riche de philosophie. Elle nous appelle en effet à méditer sur l'incompréhension qui avait entouré et qui entoure encore le génocide rwandais qui coûta la vie à un million de personnes, dans une indifférence injustifiable du monde entier. « L'ONU et ses membres ont tergiversé alors même que les télévisions montraient chaque jour les images du génocide 40(*)». DEUXIEME PARTIE : DEVOIR DE MEMOIRE, PARDON, JUSTICE ET RESPONSABILITES CHAPITRE I : TEMOIGNAGE SUR UN DRAME ET LA COMPLEXITE DE SES IMPLICATIONS Engagés, les écrivains africains francophones le sont sans doute depuis la naissance de ce qu'il est convenu d'appeler désormais la littérature africaine de langue française. Aussi, malgré leur long silence sur le génocide rwandais de 1994, ont-ils décidé de porter leur témoignage afin d'éviter aux victimes une deuxième mort : l'oublie. 1-1 Rwanda, écrire par devoir de mémoire Littérature de génocide et de témoignage, Murambi, le livre des ossements de Boubacar Boris Diop est le fruit immédiat d'un projet d'écriture : Rwanda, écrire par devoir de mémoire. A la demande de Nocky Djedanoum et Mamouna Koulibali, organisateurs de Fest'Africa, un festival littéraire qui a lieu chaque année à Lille, en France, une dizaine d'écrivains africains francophones est partie au Rwanda en 1998 pour voir de près ce qui s'est réellement passé là-bas entre le 6 avril 1994 et le 4 juillet de la même année dont le résultat, faudrait-il le répéter, fut le massacre atroce d'un millier de personnes. Ont participé à ce projet : Koulsi Lamko (Tchad), Monique IIboudo (B. Fasso), Véronique Tadjo (C. D'Ivoire), Moussa Konaté (Mali), Boubacar Boris Diop ( Sénégal), Thierno Monenembo (Guinée), Abderrahmane Waberi (Djibouti), Jean -Marie Vianney, (Rwanda), Nocky Djedanoum ( Tchad), et Mamouna Koulibali. Ces auteurs avaient effectivement un objectif bien déterminé. Ils se sentaient d'une façon ou d'une autre responsables devant le drame rwandais vis-à- avis duquel on n'avait, à l'exception de Wole Soyinka, recensé aucune réaction de leur part au moment de la tragédie. De ce projet donc est sortie une dizaine de textes constituant ainsi la thématique de génocide dans le paysage littéraire africain de langue française : « Nous, disait Nocky Djedanoum, intellectuels africains, nous sommes restés muets au moment du génocide. Mais c'est à nous de réagir. Par rapport à ce qui s'est passé en 1994 [...]. C'est notre responsabilité de faire en sorte qu'on oublie pas les victimes41(*) ». Cette citation de l'auteur tchadien renferme d'une manière quelque peu concise l'objectif de ces écrivains qui ont décidé de se porter comme porte parole de la souffrance des centaines de Tutsi tombés sous les coups des machettes. Huit ans après le génocide, ces auteurs ont jugé indispensable de sortir de leur silence et de s'investir dans la littérature afin d'exposer au public des lecteurs l'ampleur du chao rwandais de 1994. Pendant leur séjour au pays de Kagamé, ils ont visité les différents sites macabres où sont exposés des restes humains (ossements), et ils ont pris de très près la mesure de ce qu'ils ont suivi à la télévision quelques années plutôt : un génocide. Leurs oeuvres ne sont donc rien d'autre qu'une reconstitution de ce drame inhumain. Murumbi, le livre des ossements, à l'instar de tous les textes d'auteurs africains francophones publiés sur la tragédie rwandaise de 1994, constitue un devoir de témoignage, de souvenir afin de perpétuer la mémoire des victimes contre toute forme de négationnisme. La nouveauté de ce texte, c'est qu'il a, après le thème de la migration des Africains vers la France avec les Congolais Daniel Biyaoula et Alain Mabanckou, et le thème des guerres civiles avec Ahmadou Kourouma, donné le coup d'envoie à celui du génocide. Cette littérature de génocide ou de crise est un témoignage on ne peut plus clair sur l'extermination programmée des Tutsi et quelques Hutu modérés du pays des Mille Collines. Elle a pour tâche d'empêcher de tomber dans les tiroirs des oubliettes l'une des plus grandes horreurs de l'époque moderne. Boubacar Boris Diop, tout comme d'ailleurs tous les autres auteurs ayant participé au projet de souvenir : Rwanda, écrire par devoir de mémoire, se porte comme le porte-parole de l'indicible barbarie afin de mettre à nu les souffrances des massacrés et des rescapés. Dans son ouvrage, le lecteur est comme entraîné dans une sorte de fleuve de témoignages de tous niveaux, qui racontent avec une précision on ne peut plus claire ce que l'auteur lui-même n'a pu raconter dans Le Cavalier et son ombre dont nous avons parlé plus haut. C'est donc grâce à la complicité de ces divers témoignages que Boris Diop avait pu surmonter les multiples difficultés qui lui sont posées. Car il n'est jamais du tout facile de dire avec les mots toutes les horreurs de la tragédie rwandaise de 1994. Des tous les témoignages, seuls ceux des rescapés nous semblent être les plus frappants du fait sans doute de la souffrance qu'ils ont subie. Murambi, le livre des ossements est donc l'expression de leurs douleurs. Ces victimes ne sont pas du reste sans savoir de l'importance d'une telle mission de l'écrivain. Cependant, ce qu'elles demandaient, c'est qu'on écrive pas de fiction sur leur malheur. Autrement dit, elles ne voulaient pas que leurs douleurs soient réduites, par le lecteur, à l'irréalité. « Les Rwandais ne voulaient pas qu'on écrive de la fiction mais qu'on fasse des essais ou de l'histoire. Dans l'esprit de [ces derniers] la fiction est un genre, peut être pas mineur mais pour le moins peu fréquentable et dans l'échelle des valeurs, elle arrive bien derrière l'histoire ou l'essai qui sont des genres séreux, nobles. Il y a donc l'idée de fiction/falsification.42(*) »
Le recours à l'imaginaire, pour les rescapés, n'exprimerait pas mieux voire ne ferrait pas comprendre la réalité du génocide. La fiction se voit par conséquent fixée dans des limites. Il faut que le monde entier sache la volonté des Hutu à éliminer jusqu'au dernier tous les Tutsi du Rwanda. Boris Diop a, en conséquence, pris acte de leur revendication. Il leur avait fait comprendre qu'il allait, à travers Murambi, le livre des ossements, respecter autant que faire se peut à mieux faire entendre leurs supplices. Roman de témoignage, Murambi, le livre des ossements fait ressortir, sentir toutes les atrocités du génocide rwandais de 1994 d'une manière précise et objective. Ce texte devrait être lu sous l'angle de reportage-témoignage sur les cent jours d'horreur et de folie collective dont ont été victimes les Tutsi, littéralement tués à coups de machettes, de gourdins, de coupe-coupe, de haches, de serpes, de verges... Comment représenter la violence d'un génocide ? Telle était entre autres questions celle que se posait l'auteur au moment de la rédaction de son oeuvre. Car il n'est jamais facile d'écrire sur un drame d'une telle gravité. A l'instar de Boubacar Boris Diop, le Guinéen Thierno Monenembo, dans son ouvrage intitulé L'Aîné des orphelins43(*) retient l'attention des lecteurs par la simplicité de son écriture et le thème qu'il développe. En effet, ce texte raconte la vie malheureuse d'un jeune enfant du nom de Faustin Nsenghimana -hutu par son père, tutsi par sa mère- rescapé miraculeux d'une tragique et fatale fusillade publique dans une église à Nyamata. A Kigali où il séjourne après avoir échappé au massacre planifié, Faustin mène une vie errante et s'installe dans un abri de fortune dénommée QG par ses habitants. Rentrant à l'improviste au QG après une longue absence, il surprend sa soeur avec un des habitants, Musinkoro, son voisin d'infortune. Il l'exécute à bout portant avec un révolver. Au procès, Faustin se défend mal, il se montre insolent : il est condamné à mort. Monenembo, dans son ouvrage, met surtout l'accent sur les conséquences du génocide sur les survivants qui, par la force des choses, se muent en cyniques. C'est tout le contraire de Murambi, le livre des ossements où Boris Diop a frontalement abordé le sujet sans aucune forme de détour. Thierno Monenembo, tout comme Boris Diop, s'engage dans un travail de sensibilisation de l'opinion publique africaine et internationale sur le danger que pourrait constituer pour toute nation l'instrumentalisation ethnique dont celle du pays des Mille Collines avait entraîné la mort des plusieurs centaines de Tutsi du fait seulement de leur différence. La littérature prend la couleur de l'engagement et descend aux enfers pour monter l'homme dans toute sa bestialité. Au Rwanda, elle a assisté à sa propre honte par le biais du manifeste des Bahutu dans lequel les idéologues extrémistes hutu réduisaient les Tutsi au rang de l'animalité. C'est aussi à travers la conséquence de ce manifeste (génocide) que la littérature doit encore renaître en témoignant et en dénonçant la barbarie sous toutes es formes. Cette dénonciation trouve son illustration dans le texte de Monique IIboudo intitulé Murekatete44(*) : « Ce jour-là [le jour où avait commencé le génocide], le soleil ne se leva pas [...] tout un pays venait de sombrer dans les ténèbres [...] tout ce qui vit meurt un jour. Mourir est donc naturel, et nous l'acceptons en naissant. La mort anormale est celle qui fauche des êtres sains, dans la force de l'âge, des enfants en pleine croissance, des foetus à l'abri dans le sein maternel. La mort n'est pas normale lorsqu'elle frappe collectivement des êtres qui n'aspirent qu'à vivre. Des êtres dont le seul tort est d'être nés d'un bord et pas de l'autre. 45(*)». Muraketete, c'est le nom d'une jeune femme qui veut dire « laisse-la vivre ! ». Nom donné par son père parce qu'elle a manqué de mourir à la naissance « première résurrection ». Elle a manqué de mourir pendant le génocide « deuxième résurrection ». Récupérée par un soldat du FPR, elle s'est finalement sauvée. Dans la même lancée, l'on signalera l'ouvrage de Koulsy Lamko, Phalène des collines. Dans ce texte, Lamko nous relate l'histoire mythique une reine qui, non contente de la situation qu'on lui a réservée (elle était exposée dans l'un des sites macabres du génocide où les ossements des victimes sont entassés, constituant ainsi la preuve matérielle de la barbarie rwandaise), décide de s'incarner dans un papillon et vogue à travers le pays en attendant qu'on lui fasse des funérailles digne de ce nom. Cette oeuvre, en d'autres termes, soulève la question de l'importance que l'on accorde au deuil au Rwanda et, d'une manière générale, en Afrique au Sud du Sahara. Il y est tout aussi question de la responsabilité de l'Eglise dans les massacres de 1994. Il faut en outre constater dans le même registre de cette littérature de génocide ou de crise l'apport sans égal des témoignages des rescapés, c'est-à-dire ceux qui ont miraculeusement échappé à leur propre mort. Un (e) rescapé (e) ne témoigne certes pas comme un écrivain qui n' pas directement vécu l'horreur indicible. Le rescapé donc, ayant vécu le drame en son âme et corps, est le mieux placé pour nous rendre compte de la gravité des scènes des tueries où les Hutu ont manifesté leur bestialité en tentant d'exterminer leurs compatriotes tutsi. Ainsi, le texte de Yolande Mukagasama, rescapée, intitulé N'aie pas peur de savoir46(*) constitue un exemple on ne peut plus précis sur la prise de parole des survivants. Tous ces textes, qu'ils soient produits par les rescapés du génocide rwandais de 1994 ou par les écrivains ayant participé au projet d'écriture dont nous avons parlé plus haut, avaient un objectif manifeste et incontestable que celui de briser le silence des survivants, de partager leurs douleurs afin d'empêcher l'oubli de ceux qui sont tombés sous les coups des machettes, des gourdins, des serpettes... Mais témoigner sur une tragédie de l'ampleur de celle du Rwanda n'est pas une tâche aisée. Le Djiboutien, Abdourrahmane Waberi, dans la préface de son ouvrage intitulé Moisson des crânes, textes pour le Rwanda47(*) nous fait par de la difficulté de raconter avec les mots les atrocités de la barbarie du pays des milles et une fosses communes : « Cet ouvrage s'excuse presque d'exister. Sa rédaction a été hardie, sa mise en chantier différée pendant des semaines, des mois.48(*) ». Ce texte est le résultat de deux mois de séjour au pays des Mille Collines. Voilà donc qui rappelle à l'écrivain la difficulté de témoigner sur les massacres organisés d'un millier de Tutsi et quelques hutu dits modérés qui n'ont pas accepté de se salir la main dans cette triste histoire de haine séculaire. Cette difficulté expressive est surtout liée à la violence avec laquelle l'Interahamw « découpait » les victimes. Certains passages des textes publiés sur ce génocide ne sont pas faciles à exposer, comme en témoigner cet extrait de Murumbi, le livre des ossements : «Tout cela est absolument incroyable. Même les mots n'en peuvent plus. Même les mots ne savent plus quoi dire49(*) ». En plus du thème de génocide, celui du viol occupe une place non négligeable dans les textes issus du projet d'écriture. Ainsi, Boubacar Boris Diop, dans son oeuvre au ton tragique et absurde, nous en parle d'une manière surnaturelle, presque inexprimable du fait de la violence infligée aux femmes au moment des massacres, avant de les achever : « Une jeune femme, parfois juste une fêle gamine, est étendue contre un mur, jambes écartées, totalement inconsciente [...] .Quand ils [les tueurs] ont fini [de violer], ils versent de l'acide dans le vagin ou [...] enfoncent dedans des tessons de bouteilles ou des morceaux de fer... 50(*)». Les scènes de violence corporelle voire sexuelle ainsi relatées par les auteurs africains francophones de génocide sont indignes, dénaturants, antimorales. L'auteur de Murumbi, le livre des ossements voulait surtout attirer l'attention sur le viol collectif des femmes par des miliciens sans aucun scrupule. Tandis que Lamko, lui, braquait le proviseur beaucoup plus largement sur le viol commis par un membre de l'Eglise, un prêtre. La reine, personnage mythique de Phalène des collines, nous raconte comment elle a été violée par le prêtre de l'église où elle était partie chercher refuge : « Lors que je reviens à mois, je réalise que je suis solidement amarrée à de grosses pierres disposées en croix, pieds et poings liés. Je sens une lancinante douleur au ventre et comme un énorme sac de plomb entre les jambes [...] IL [après avoir terminé de la violer] saisit une bouteille d'acide qui traîne par-là et déverse tout le contenu dans mon sexe. Je sens la corruption s'emparée de mes viandes internes [...]. L'acide dévore comme un feu de saison sèche lâché sur la savane51(*) ». Ces cas de viol ne sont qu'une infime part si nous prenons la peine de considérer ce phénomène dans sa généralité. Dans d'autres cas, les miliciens interahamw violaient sciemment leurs victimes afin de les contaminer du virus du sida. Le texte de Lamko ne traite pas que du viol atroce et humiliant de la femme rwandaise. Il fait lui aussi à sa manière, avec un style quelque peu académique, sa part de témoignage sur le génocide de 1994, dans un contexte d'indifférence où le monde avait les yeux braqués sur la télévision pour regarder les matches de la coupe du monde de football se déroulant au pays de l'oncle Sam. Ceci montre en effet le peu d'importance qu'on accordait à la vie des victimes tutsi qui tombaient sous les coups infernaux des bourreaux qui les qualifiaient de « cancrelats.52(*)». Pour les génocidaires, ces Tutsi sont indésirables à la vie, et donc il faudrait les éliminer jusqu'au dernier. L'ouvrage de Lamko, vu sous cet angle, est un véritable donné à voir, à réfléchir sur l'animalité de l'homme et surtout sur sa capacité d'autodestruction. Car tuer un Tutsi du Rwanda équivaudrait à assassiner tous les Rwandais. Dans la mesure aussi où au pays de Kagamé, malgré la division ethnique instaurée par le colonisateur pour mieux régner, tout le monde partage la même religion, la même langue vernacukaire [le Kinyarwanda]. C'est donc une faillite de l'humanité qu'avait assisté pendant les évènements de 1994. Les romanciers ayant pris part au projet d'écriture ont introduit, après Kourouma, une nouvelle méthode d'écriture, de narration dans le paysage littéraire négro-africain francophone. Ainsi, Boris Diop opte pour la multiplication de vox narratives, seul moyen d'expression fiable permettant d'exposer les souffrances des suppliciés. Abdourrahmane Waberi, lui, émaille son texte, Moisson des crânes, textes pour le Rwanda, de citations de l'un des pères fondateurs de la négritude, Aimé Césaire, et du prix Nobel de littérature, Wole Soyinka. Tandis que Lamko, de son côté, fait preuve d'une compilation d'un certain nombre de textes des auteurs qui ont participé aux manifestations de Fest'Africa pour en faire une pièce de théâtre. Toutes ces oeuvres avaient un seul objectif que de monter toute la vérité sur la tragédie rwandaise de 1994, afin que le « plus jamais ça » se concrétise en fin dans monde où la moindre dérive pourrait conduire à un génocide. Ceci est surtout vrai quand il s'agit de l'Afrique des Grands Lacs, théâtre depuis plusieurs années des conflits ethniques d'une violence incommensurable, et dont les victimes sont toujours les populations civiles sans défense. Murambi, le livre des ossements, ainsi que tous les autres textes du même, s'efforcent autant que faire se peut à faire remonter à la surface la vérité, dans sa nudité, des massacres collectifs et planifiés des Tutsi par leurs compatriotes hutu. Ceci afin de donner un visage aux victimes malgré la difficulté d'expression que cela implique. Cette difficulté, nous l'avons dit, est liée à la violence des massacres. Boubacar Boris Diop explique cela dans l'ouvrage de Boniface Mongo MBoussa, Désir d'Afrique, par le fait : « Dans tous les récits sur le génocide du Rwanda, il question de maris qui ont tué leurs femmes et de soeurs qui ont tué leurs frères...53(*) » Dès lors nous sentons la peine à trouver des mots précis pour dire l'indicible, rendre compte de la folie collective des hutu. Nous sommes de ce fait devant l'expression la plus absurde voire inhumaine de la bestialité de l'homme face à son prochain. Seul « l'investissement » dans l'écriture-fiction pourrait, à notre avis, mieux faire ressortir, partager, compatir à la souffrance des rescapés. Ainsi, de justesse, les victimes éviteraient de mourir une deuxième mort que celle de l'oublie. Les écrits des auteurs africains francophones qui ont séjourné au Rwanda pourraient constituer une sorte de mémorial. Ces écrivains ont voulu mettre leur talent au service des victimes tutsi. Dans ce sens toutes les oeuvres issues de ce projet, de même que toutes les autres oeuvres entrant dans le même cadre, devraient être abordé sous la grille de littérature de témoignage. Une fois de plus, les écrivains africains de langue française reviennent sur le terrain de la littérature pour continuer le combat commencé par Kourouma, et continué par Sony Labou Tansi, pour ce qui concerne la période postcoloniale. Ce combat est celui de la dénonciation des dictatures, à la seule différence près qu'ici nous avons affaire un à drame qui dépasse de très loin toutes les dictatures que le continent africain ait connues depuis les indépendances : un génocide. Dès lors les écrivains ayant participé à ce projet d'écriture entendaient faire de la fiction leur seule « arme miraculeuse » selon la fameuse expression d'Aimé Césaire. Cette arme de combat leur permettrait ainsi de réagir contre l'oubli, mais aussi et surtout contre la banalisation de la cruauté des bourreaux. L'expression de cette cruauté apparaît dans ce passage de Moisson des crânes, textes pour le Rwanda de Waberi, qui montre combien ces bourreaux étaient sans état d'âme : « Tous les hommes et toutes les femmes [...] foetus compris sont recherchés sans relâche [...] Même écrasés ou écartelés, on arrive pas à les [les Tutsi] croire morts. Alors on reviens les achever à coup de n'importe quoi, machette, coupe-coupe, gourdin, massue, kalache, serpe, crosse, gros bâton, tronc d'arbre, barre de fer, baonnette, verge, pieu, balle, crosse de fusil, pneu enflammé [et] on rebrousse chemin en chantant.54(*) » Roman -reportage, Murumbi, le livre des ossements renvoie naturellement aux souffrances des victimes. Par le passé, toute une littérature s'est proliférée sur le génocide des Juifs d'Allemagne. Mais jamais une littérature semblable ne s'est produite en Afrique. C'est la première fois qu'un génocide s'y produit. C'est par conséquent la première fois qu'une littérature de génocide fait son entrée dans le champ littérature africain francophone, depuis sa naissance. Ce génocide aux conséquences incalculable a placé l'intellectuel africain face à ses responsabilités. Car, si les politiques ont échoué dans leur politique de règlement de différends du continent par le dialogue, lui, l'intellectuel, se sentait coupable de n'avoir rien fait pour empêcher le génocide de 1994. Ce dont il se reprochait surtout c'est son inaction après le drame. Car il lui a fallu quatre ans après le génocide pour qu'il [sur invitation !] se mette à parler. Cependant, sa prise de position si tardive qu'elle soit, est de taille. Car elle avait permis la prolifération de tout un ensemble d'oeuvres qui constituent désormais le corpus de la littérature africaine francophone de génocide. Le génocide des Tutsi n'était pas que le problème d'intellectuels africains ayant participé au projet : Rwanda, écrire par devoir de mémoire. Au de-là de Murumbi, le livre des ossements et de tous les autres textes du même genre tout un ensemble d'écrits d'auteurs non africains a vu le jour traitant du dernier génocide de la fin du siècle dernier. Ces ouvrages constituent un prolongement du travail de témoignage s'inscrivant dans le même registre que Murumbi, le livre des ossements de Boris Diop. A titre d'exemple, nous pouvons citer le texte du journaliste québécois Gil Courtemanche, Un dimanche à la piscine à Kigali55(*). Dans cette oeuvre, Courtemanche rend compte de son expérience de journaliste au pays des Mille Collines au moment du génocide. Il y montre avec on ne peut plus de clarté le mécanisme qui a conduit aux massacres de 1994 des Tutsi dans les marais au moyen des armes blanches, avec la complicité du gouvernement rwandais, de la France et de la communauté internationale. Il y est également question de la critique des curés belges, des canadiens, parce qu'ayant préféré la neutralité, l'ONU, qui n'a pas pu empêcher le génocide. Courtemanche, comme Boris Diop, essayait de démontrer que toutes les scènes de violence se sont réellement déroulées au Rwanda en 1994. Dans le même sens toujours, l'Américain Philip Gourvtch publie un ouvrage, Nous avons le plaisir de vous informer que demain nous serons tués avec nos familles56(*), très parlant sur la tragedie rwandaise. Ce texte est en quelque sorte un cri de désespoir, comme l'indique son titre. Ce cri de désolation est celui des prêtres tutsi rwandais adressé à leurs supérieurs pour les avertir en vain de l'imminence de leur mort programmée. Ainsi, l'auteur se porte comme le porte-voix de leur déception face à un monde hostile et assassin. Avec ce livre au titre ironique, Gourvitch témoigne à sa façon des cent jours du drame rwandais de 19943. En outre, la littérature de génocide écrite par les rescapes tutsi du génocide est à bien des égards différente de la littérature de témoignage produite par les auteurs africains francophones ayant participé au projet d'écriture de 1998, et celle des écrivains occidentaux ayant apporté leur contribution au devoir de mémoire. Boubacar Boris Diop, Véronique Tadjio, Abdourrahmane Waberi, Courtemanche ou Gourvitch ne pouvaient sans doute pas ressentir le même sentiment de douleur au moment de la rédaction de leur texte que la Rwandaise rescapée, Yolande Mukagasama, qui avait échappe miraculeusement aux massacres. Nous avons ainsi deux types de témoignages traitant certes le même fait [le génocide] mais avec deux visions différentes, pour ne pas dire opposées. Daniel Delas, dans son article57(*) faisait déjà la différence entre ces deux types d'approche quand il déclarait : « La situation d'écriture de ces écrivains est différente des rescapes des massacres : il ne s'agit pas pour eux [les rescapés] [...] de revivre par le souvenir les évènements traumatisants qu'ils ont vécus [...] mais de hisser leur écriture à la hauteur de leur souffrance... ». Cette différence d'écriture s'explique par le fait que le rescapé, ayant vécu le drame en son chair et âme, est à même le mieux placé pour exposer tous les détails des tueries. Dans Désir d'Afrique58(*), Boniface Mongo MBoussa signalait ce décalage en rapprochant le texte de Jean Hatzfeld, Dans le nu de la vie59(*) et celui de Yolande Mukagasama, La mort ne veut pas de moi60(*) en ces termes : « L a différence entre [ces] deux ouvrages est de taille. Tout d'abord, La mort ne veut pas de moi retrace l'expérience individuelle de l'auteur en tant que rescapé du génocide, le livre de Hatzfeld, lui, est un ensemble de témoignages...61(*) ». Etre à l'écoute de témoignages des bourreaux ou des rescapés n'a sans doute pas la même portée affective que raconter soi-même ses propres souffrances. Cependant, ceci ne saurait aucunement déposséder Hatzfeld de sa volonté de porter sa pierre à l'édifice du génocide rwandais de 1994. En journaliste spécialiste, Hatzfeld avait su donner des informations claires et précises permettant une meilleure compréhension de la tragédie rwandaise, en la comparant surtout à celle des Juifs. Murumbi, le livre des ossements fait, par ricochet, écho aux deux textes phares, Dans le nu de la vie et Une saison des machettes, du journaliste de Libération. Tandis que le premier nous donne à lire les récits des rescapés du génocide de 1994, le second, lui, nous entraîne dans une lecture douloureuse de paroles des génocidaires sans scrupules, qui n'éprouvaient aucune peine à relater les scènes des massacres et la chasse macabre des Tutsi dans les marais. Ces tueurs et rescapes, Hatzfeld les a rencontrés soit sur les collines soit en prison. Et ils n'ont pas hésité à lui confier les moments difficiles de l'histoire récente du Rwanda dont les conséquences furent l'extermination de plusieurs milliers de personnes ; soit dix mille personnes par jour ou, pour être précis, mille personnes par minute comme l'avaient justement prévu les planificateurs du génocide ou la faillite de l'humanité au Rwanda entre le 6 avril et le 4 juillet 1994. Ce passage extrait de Une saison des machettes fait ressortir d'une manière ou d'une autre la dureté de ton de certains témoignages : « Le gourdin, c'est plus cassant, mais la machette est plus naturelle. Le Rwandais est familiarisé avec la machette depuis l'enfance. Attraper une machette à la main, c'est ce qu'on fait chaque matin. On coupe les sorghos [...] on défriche les lianes, on tue les poulets [...] Au fond un homme, c'est comme un animal. Tu le tranches sur la tête ou sur le cou, il s'abat de soi. Dans les premiers jours, celui qui avait déjà abattu des poulets, et surtout des chèvres, se trouvait avantagé [...]. Par la suite, tout le monde s'est accoutumé à cette activité et a attrapé son retard. »62(*) Le témoignage de bourreaux montre combien ces tueurs barbares étaient sans aucune humanité au moment où ils accomplissaient leur « travail ». Murumbi, le livre des ossements, à l'instar de textes issus du projet de mémoire et des autres ouvrages sur le drame rwandais, est une véritable réflexion sur la condition humaine. Il est un exposé complet de la marche de l'humanité vers les ténèbres de la barbarie. La philosophie que le lecteur retiendrait de cet ouvrage est que nous évoluons dans un système où le pouvoir, manipulé par des mains externes, est capable du pire : un génocide. Le Rwanda, c'est la honte du monde contemporain. Son incapacité à prévenir ou à empêcher une tragédie qui est pourtant programme au su et au vu de tout le monde. Vu sous cet angle, Murumbi, le livre des ossements est une mise en garde. Il met en garde tous les dirigeant africains que ce qui est arrivé aux Tutsi du Rwanda pourrait un jour ou un autre se produire dans n'importe quel pays du continent. Surtout que la communauté internationale et l'OUA sont entrain de fermer les yeux sur ce qui se passe actuellement en Côte d'Ivoire où des « jeunes patriotes » et les forces de l'ordre sont entrain de commettre des assassinats restés impunis jusqu'à ce jour. Cette situation ainsi que celle du Burundi constituent un miroir pour ce qui s'est passé au Rwanda dix ans plutôt. Ce rapprochement a été mis en exergue dans le Moisson des crânes, textes pour le Rwanda de Waberi. En effet, Waberi est le seul auteur de tous les auteurs qui ont participé au projet d'écriture à avoir prolongé son récit jusqu'au Burundi voisin. Il y fait une sorte de parallélisme entre le Rwanda d'avant génocide et le Burundi. Dans ce pays « jumeau », on a la même stratification sociale. A la seule différence près qu'au Burundi c'est la minorité tutsi qui domine l'armée. Ce passage de Moisson des crânes illustre parfaitement cette comparaison : « Une situation [celle du Burundi actuel] qui rappelle en miroir, ou en négatif si l'on préfère, l'impasse rwandaise qui a conduit au génocide que l'on sait désormais.63(*) » Cette même situation, à notre sens, évoque celle en cours actuellement entre le Rwanda et le RDC. Le 3 mai 2004 sur RFI, le président rwandais, Paul Kagamé, menaçait d'envoyer ses troupes en RDC, près de la frontière rwandaise, si les ex-génocidaires ne mettaient fin à leurs attaques régulières contre son pays. Ceci donne raison, avons-nous envie de dire, à Murumbi, le livre des ossements. Car la région, n'étant pas toujours sécurisée, pourrait à tout moment basculer dans un second génocide. Mais le texte de Boris Diop ainsi les autres textes du même genre publiés sur les souffrances des Tutsi pourraient permettre, souhaitons-le, d'éviter la répétition des mêmes bêtises des Hutu, avide de sang et de pouvoir. Murumbi, le livre des ossements reste plus que jamais d'actualité. Car le Rwanda existe potentiellement partout dans le continent africain où le moindre problème ethnique pourrait entraîner des conséquences néfastes. Ce texte de Marcus Bonis Teiga surgi au lendemain du dixième anniversaire du génocide des Tutsi du Rwanda est fort parlent. Nous y lisons : « Pour beaucoup d'Africains, le cas du pays Houphouët Boigny ressemble étrangement à celui du Rwanda d'avant le génocide, toutes les proportions gardées. Les ingrédients sont réunis pour qu'à la moindre explosion la situation devienne incontrôlable. La haine ethnique qui s'installe lentement mais sûrement, il faut ajouter un sentiment anti-français [ à quoi nous ajoutons qu'au Rwanda aussi le torchon n'a jamais brillé entre la France et le FPR de Kagamé] qui va croissant et une xénophobie aveugle.64(*) » Ce passage devrait être interprété comme une mise en garde contre les grands maux dont souffre le continent africain dont nous pouvons entre autres citer : la xénophobie, l'excès de dictatures, l'instrumentalisation de la question ethnique. 1-2 Génocide : pardon et justice
Après un génocide, il y a toujours un besoin pressant de réconciliation entre bourreaux et victimes. Or ce besoin de surmonter le drame rwandais de 1994 nous semble d'autant plus compliqué que les efforts fournis par le nouveau gouvernement de Kigali semblent vouer à l'échec. Murambi, le livre des ossements de Boubacar Boris Diop n'est pas en reste de ce constat triste voire douloureux auquel sont quotidiennement confrontés tous les Rwandais, particulièrement les Tutsi à jamais marqués par les massacres de 1994. il suffit de lire ce passage de Murumbi pour mesurer la complexité qu'un pardon au forceps exige :
« Il est facile de mesure la détresse de celui qui dit : que voulez-vous que je pardonne, mais savez-vous que sur la colline de Nyanja, mes sept enfants ont été jetés vivants dans une fosse d'aisance ? [...]. Pensez aux quelques secondes où ces petits ont été étouffés par des masses d'excréments avant de mourir. Pensez juste à ces quelques secondes et à rien d'autres65(*) ». Dans le même ordre d'idées, dans Une saison des machettes de Hatzfeld nous pouvons lire ce témoignage : « Demander pardons, c'est premièrement dire une vérité valable [ce qui est fort difficile] à une personne éprouvée. Deuxièment, lui demander d'oublier le mal que vous [lui] avait fait, à lui et à sa famille. Troisièment, lui proposer de considérer [son tortionnaire ou l'assassin de sa famille] sans arrière pensée66(*) ». Or demander à quelqu'un qui avait vu mourir d'une manière atroce, inhumaine ses parents, ses enfants de pardonner voire d'oublier d'un coup toutes les souffrances qu'on avait faites subir à ses proches, c'est comme si on demandait à un orphelin d'enfanter ses parents. Les victimes pouvaient peut être pardonner, mais ils ne pourraient oublier les jours fatals des mois d'avril, mais et juin. Trois mois de chasse - poursuite dans les marais, dont les seuls but était de les supprimer parce qu'ils sont tout simplement indésirables. Les Impuzamugambi67(*) ne voulaient pas d'un Rwanda où coexisteraient Hutu et Tutsi. Après un génocide, se pose toujours la question de la justice après celle du pardon. Certains bourreaux acceptent d'avouer leur crime afin qu'ils soient pardonnés, d'autres au contraire refuse mordicus de se culpabiliser. Or comment peut-on pardonner à quelqu'un qui refuse de reconnaître son crime ? Qui regrette de n'avoir pas atteint son objectif ? Comment peut-on avoir le pardon d'un (e) rescapé (e) qui ne se sent pas sécurisé (e) de la menace de ses anciens tortionnaires ? Nous savons, psychologiquement, l'effet que la reconnaissance du crime par le bourreau fait sur la victime. Dans ce sens, Anne-Cécile Robert, dans l'Afrique au secours de l'Occident déclare : « Il arrive que [...] lors d'un procès, la victime ou ses ayant droits refusent les dommages et intérêts infligés par le jugement et se « contentent » de la reconnaissance [c'est nous qui soulignons] du préjudice subi même lors qu'il est grave68(*) ». Le Rwanda travaille d'arrache-pied depuis l'arrivée du FPR au pouvoir pour mettre en place une juridiction traditionnelle dénommée « Gacaca ». Ceci afin que bourreaux et rescapés se rencontrent, se parlent, surmontent le tabou, le silence. Les « Gacaca » sont des « cours de justice populaire auxquelles le gouvernement actuel a décidé de renvoyer le règlement d'une partie des crimes et les délits liés au génocide...69(*) ». L'autre partie des crimes étant confiée au TAPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Cette instance juridique est crée le huit novembre 1994 par la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU chargé de poursuivre les personnes responsables ou complices d'acte de génocide et d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda ou par des citoyens rwandais sur le territoire des Etats voisins entre le janvier et le 31 décembre 1994. Le TAPIR siège à Arusha (Tanzanie) où il dispose d'une prison (pour détention préventive). Son parquet est installé à Kigali. Depuis sa création, le TAPIR est confronté à de nombreuses difficultés dont entres autres celle de témoignage et de prison. Le 4/4/2004 une délégation du TAPIR s'est rendue à Kigali afin de voir l'état des geôles rwandaises. Certains pays comme la France ont accepté d'accueillir des prisonniers du TAPIR. * 22 -Paris, Libre expression, 2003, 685 p. * 23 -Murambi, p 31 * 24 -Murambi, p 42 * 25 -Ibid, 38 * 26 - Yolande Mukagama in Le Monde diplomatique, juillet 2000. * 27 -Paris, Seuil, 2003 * 28 -Ibid, p79 * 29 -Murambi, p141 * 30 -Ibid, p 170 * 31 -Retour en arrière * 32 -Murumbi, p 66 * 33 -Ibid, pp 74-75 * 34 -Ibid, 46 * 35 -Ibid, 96 * 36 -Ibid, p 101 * 37 -Ibid, p 182 * 38 -Ibid, p 183 * 39 -Ibid, p225 * 40 - Pierre-Édouard Deldique « Le Rwanda est l'échec le plus cinglant de l'ONU » in www.rfi.fr, * 41 -« Rwanda, littérature africaine » in www.republique des Lettres.com * 42 Eloise B. «Notes sur moisson des crânes » in www.orees.com * 43 Paris, Seuil, 2000 * 44 -Paris, Le Figuier et Fest'Africa, 2000 * 45 -Ibid, p 19 * 46 -Paris, Robert Laffont, 1999 * 47 - Paris, Le serpent à plumes, 2000 * 48 -Ibid, p 11 * 49 - Murumbi, p 124 * 50 -Ibid, p 112 * 51 - Phalène des collines, pp32-37 * 52 - Ce terme a été utilisé avant et pendant le génocide pour qualifier les Tutsi * 53 -Paris, Gallimard, 2002, pp 184-189 * 54 -Moisson des crânes, pp 36-37 * 55 -Paris, Bréal, 2000 * 56 - Paris, Denoël, 1999 * 57 Daniel Delas « Ecrits du génocide rwandais » in Notre librairie n° 142, octobre-décembre 2000 * 58 - Paris, Gallimard, 2000 * 59 -Paris, Seuil, 2002, 235p * 60 -Paris, Fixot, 1997, 266p * 61 -Désir d'Afrique, p 161 * 62-Une saison des machettes, p 44 * 63 - Moisson des crânes, p 105 * 64 -Ibid * 65 -Murumbi, p 143 * 66 -Une saison des machettes, p 246 * 67 - Ceux qui n'ont qu'un seul objectif * 68 - Paris, Les éditions de l'Atelier, 2004, p79 * 69 -Monique Mas, « Lexique pour mieux comprendre le Rwanda » in www.rfi.fr du 1/4/2004 |
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