Le génocide rwandais à travers Murambi, le livre des ossements de Boubacar Boris DIOP( Télécharger le fichier original )par Zakaria Demba SOUMARE Université de Nouakchott - Maîtrise 2003 |
Chapitre I : le contexteCamper le décor dans lequel l'un des crimes les plus inhumains du XXeme siècle s'est déroulé dans une indifférence sans précédent, revient à donner quelques indications socio-historiques permettant d'avoir une idée plus ou moins exhaustive de ce qui est arrivé aux Tutsi du Rwanda en 1994 entre le 6 avril le 4 juillet de la même année.
Le Rwanda est l'un des pays de l'Afrique des Grands Lacs. Il fut d'abord colonisé par l'Allemagne, avant de passer sous mandat belge après la Première Guerre mondiale. Ce pays des Mille Collines est composé de trois groupes socio-ethniques : v Les Hutu ; v Les Tutsi ; v Les Twa. Les principales langues parlées du pays sont : v Le Kinyarwanda (apparenté aux langues bantoues) ; v Le Français ; v Le Swahili (la langue vernaculaire d'Afrique centrale) ; v L'Anglais. Le Rwanda est victime d'une instrumentalisation ethnique entamée par les Belges, poursuivie par les différents pouvoirs successifs, et dont les conséquences furent les massacres répétés des Tutsi par leurs compatriotes Hutu. En effet, les tueries des Tutsi ont réellement commencé au Rwanda en 1959 ; mais personne n'y prêtait attention. Elles n'ont atteint le point culminant qu'en 1994 avec le génocide qui aura coûté la vie, en trois mois seulement, à un million de Tutsi sans défense, et quelques Hutu modérés. Le six avril 1994 à vingt heures l'avion qui transportant les Présidents rwandais, Juvénal Habyarimana, et burundais, Cyprien Ntavyamina est abattu à son atterrissage par deux missiles venant des collines avoisinantes. Tous les deux Présidents sont morts sur le coup. Les accusations vont bon train. Certains pointent du doigt l'Akazu, un clan extrémiste hutu proche du pouvoir du défunt président, qui n'aurait pas accepté la signature d'un traité de paix avec le FPR12(*), formé essentiellement des rebelles tutsi basés en Ouganda voisin. En effet, il s'agissait du traité d'Arusha en Tanzanie en août 1993. Ce traité prévoyait le partage des pouvoirs militaires, politiques et civils avec les hommes de Kagamé. Ce clan aurait donc pu tuer le Président Habyarimana, et faire peser les responsabilités sur le FPR afin de régler le problème tutsi ; enfin, d'autres avançaient la thèse d'un attenta commandité par les rebelles tutsi, car étant minoritaires, ils auraient pu penser prendre le pouvoir par un coup de force en éliminant physiquement le Président de la République. Cette dernière thèse a été démentie par Paul Kagamé. En effet, en réponse aux accusations du juge ant-térroriste français, Jean Louis Bruguière, qui soutenait la thèse de l'attentat contre l'avion présidentiel orchestré par le FPR, il ( Kagamé) affirmait que des telles accusations ne sont nullement fondées13(*). En outre, en guise de réponse aux mêmes accusations, Corneille, un défenseur de Kagamé, qui est dirigeant d'une grande société d'entreprise à Kigali, scande :
« Cela ne tient pas une seconde. Tout ceux qui ont suivi l'actualité de l'époque et qui connaissent bien la ville de Kigali savent bien qu'une telle opération était impossible à organiser sans la complicité française. La zone d'où les missiles sont partis était sous le contrôle de son armée 14(*)». Quoiqu'il en fût, quelques minutes après le crash de l'avion de Habyarimana, la garde présidentiel et l'Interahamw15(*) ont commencé à dresser des barrages pour ainsi limiter les mouvements de populations, et à tuer les Tutsi et les Hutu modérés, dont le le Premier ministre de l'époque, Aghthe Uwilingiyimana, et les dix casques bleus belges chargés de sa sécurité. Les Tutsi, pour sauver leur vie, se sont réfugiés dans les édifices publics : écoles, églises...où ils seront systématiquement éliminés. Le 4 juillet 2004. Le FPR prend Kigali, et met fin au drame le plus cruel du XXeme siècle. Les génocidaires hutu prennent la fuite vers le Zaïre voisin avec la complicité de l'opération Turquoise de l'armée française. 1-1Rappel chronologique16(*)
1993. Les accords de paix d'Arusha prévoient, sous la pression militaire du FPR aux portes de Kigali, un partage du pouvoir. Mais le camp extrémiste hutu fourbit ses armes. La Radio Mille Collines et l'hebdomadaire Kangura diffusent une propagande appelant au génocide des Tutsi.
Boubacar Boris Diop, dans ce texte de Murumbi, le livre des ossements s'applique avec autant de clarté à constituer la mémoire des victimes tutsi, et à faire ressort les atrocités des tueries de 1994 à travers une multiplication de voix narratives, seul moyen permettant d'évoquer les cent jours apocalyptiques qui ont plongé le Rwanda dans le chao. Ce procédé narratif démarque Murumbi, le livre des ossements des autres textes de Boris Diop. A propos de ce changement de style, l'auteur déclare : « Le Cavalier et son ombre17(*)a été écrit à partir de clichés : la seul chose que peut faire les Africains est de se battre ; au Rwanda, une haine tribale divise Tutsi et Hutu (...). Dans cet « essai de lamentation », je n'ai pas essayé de démontrer les mécanismes de la culture entrée en oeuvre au Rwanda (...). J'ai parlé du Rwanda sans rien en savoir et sans même me rendre compte qu'il était nécessaire de m'informer davantage. Je me suis laisse entraîner dans une sorte de mystification (...). Avec Le cavalier et son ombre, j'étais content d'avoir parlé du Rwanda...J'ai versé ma petite larme et évidemment, j'ai passé à autre chose. C'est de ce point de vue que je renie ce roman ». Après le voyage de l'écrivain au Rwanda dans le cadre du projet : Rwanda, écrire par devoir de mémoire, il s'avère donc clair qu'un changement sans précédent s'est opéré dans sa façon même d'interpréter les choses. Murambi est le seul texte de Boris Diop où le lecteur n'est pas confronté à une pure acrobatie stylistique. Ceci s'explique par le souci de l'auteur de mieux exposer la souffrance des victimes : « Le Rwanda, dit-il, m'a appris à appeler les montres par leur nom »18(*). « J'ai écrit mon roman le plus simple, en me méfiant cette fois des acrobaties formelles, de l'esthétique, de petits trucs narratifs »19(*). Toujours dans le même sens, il affirmait dans un Quotidien sénégalais, le Soleil : « Avant le Rwanda, j'avais tendance à considérer l'écriture comme un [simple] exercice plus ou moins gratuit. Il s'agissait [pour moi] d'agencer des images, de faire de belles phrases »20(*) Nous pouvons diviser Murambi, le livre des ossements en deux parties, selon une classification favorable à l'auteur lui-même : « C'est un récit qui se déroule en deux temps : pendant le génocide et deux ans près le génocide »21(*) * 12 -Front patriotique rwandais * 13 -Entretien entre Paul Kagamé et David Servenay sur RFI, le 16 mars 2004 * 14 -Ouazani Chérif « Entre rancune et recueillement » in Jeune Afrique L'intelligent » n0 2256 DU 4 AU 10 avril 2004 * 15 -Interahamw signifie en Kinyarwanda ceux qui tuent ensemble. * 16 -Source : Libération du mardi 6 avril 2004 ; * 17 -Paris, Stock, 1997 * 18 -Africultures n° 34, janvier 2001 * 19 -Entretien in « Sans papiers », novembre 1999 * 20 -Le Soleil, février 2001 * 21 - « Les Africains ont droit à l'innocence » in Sans papier, novembre 1999 |
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