Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban( Télécharger le fichier original )par Harb MARWAN Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007 |
3 - Les principes du chéhabismeLe président Chéhab ne possédait pas une théorie générale de la politique et de la sociologie. Ses convictions étaient un ensemble d'idées acquises par ses différentes lectures, ses prises de positions et par les événements réels qu'il a vécus. Cependant, l'absence de telles théories ne veut pas dire que l'exercice direct de la politique était une simple réaction aux situations qui se présentaient ou une improvisation. Parce que, les critères de cet exercice se basaient sur une appréhension morale de la politique, d'un côté, et de la prédominance de l'idée de l'Etat et de ses intérêts, de l'autre. Le président Chéhab avait une vision humaniste de la société, était épris de justice, et rangé du côté du développement comme il le comprenait. Son mandat présidentiel se différencie des autres mandats présidentiels par plusieurs caractéristiques. L'une de ces caractéristiques est la personnalité non-politique du président Chéhab, sa relation atypique avec le milieu politique, son style de gouvernement, ses principes relatifs à la Nation, aux problèmes sociaux qui se sont traduits en projets et en réalisations effectués sous son mandat. Ces principes se sont regroupés sous l'étendard du «Nahg » et tout ceux qui les ont intériorisés ont été appelés les « naghgistes ». Nous pouvons énumérer les principes du « Nahg » comme suit : 3,1- L'indépendance et la souveraineté Le président Chéhab a toujours été attaché à l'indépendance et à la souveraineté nationale, en tant que commandant de l'armée et en 1958 quand il décida de tourner les canons vers les marines lorsqu'ils accostèrent sur Beyrouth sans la prévention ultérieure de l'armée. « Certains libanais considéraient les forces américaines comme une armée d'occupation, et un groupe d'officiers d'état-major décida de résister à notre intervention, écrit Robert Murphy. Nos fusiliers marins, après leur débarquement à l'aéroport de Beyrouth, gagnèrent la ville par l'unique route qui y conduit sans se rendre compte qu'une douzaine de chars y avaient été disposés avec ordre de tirer sur nos hommes. McClintock165(*), l'apprenant à la derrière minute, entra aussitôt en contact avec le général Chéhab et le convainquit de se rendre auprès de cette unité de chars avec l'amiral Holloway166(*) (...) Chéhab, arrive sur les lieux, donna l'ordre de ne pas faire feu et un accrochage tragique fut évité de peu. »167(*) Le président Chéhab insista pour que son unique réunion avec Nasser tienne lieu sur la frontière syro-libanaise et non dans la Capitale. La discussion entre Chéhab et Nasser, débouche sur un accord verbal qui tourne la page des conflits et épreuves de force qui avaient masqué les relations libano-égyptiennes. Le président libanais s'engage à ne pas prendre parti contre la R.A.U. ni à essayer de la contrecarrer sur la scène régionale et internationale, et à suivre sur le plan de la politique étrangère une ligne de stricte neutralité, à revenir en quelque sorte à ce qui avait été l'option du Destour. Il exige, en revanche, que l'indépendance, la souveraineté, l'intégrité et l'inviolabilité territoriales du Liban, ainsi que sa dignité, soient scrupuleusement respectées. A l'issue du sommet, un communiqué conjoint en trois points est publié. Les deux pays expriment leur « souci de raffermir les liens de fraternité et de collaboration fructueuse » qui les unissent et de « consolider leur indépendance, souveraineté et intégrité territoriale » respectives « dans le cadre du Pacte de la Ligue arabe et de la Charte des Nations unies » ; ils soulignent la nécessité « de renforcer la solidarité arabe, d'appuyer et de défendre la cause des Arabes » ; enfin, ils font état de leur détermination à trouver, dans les « délais les plus brefs, des solutions concrètes » aux problèmes économiques pendants entre eux.168(*) Durant tout son mandat cet attachement était clair à travers les relations libanaises avec les pays arabes et les pays étrangers, et son refus de l'ingérence des ambassades arabes et étrangères dans la politique intérieure. Sur les critiques contre la grande influence de l'ambassadeur égyptien qu'on surnommait « le Haut-Commissaire », Bassem El Jisr répond que ces critiques étaient exagérées parce qu'à cette époque l'ambassadeur égyptien représentait Nasser qui était « le président de la R.A.U., un grand leader politique arabe et populaire qui influençait politiquement toutes les populations arabes à côté de la moitié de la population libanaise. Le président Chéhab ne pouvait que prendre en considération cette réalité qui n'affectait en aucune manière la souveraineté nationale, qu'aux yeux de ceux qui s'opposaient au nassérisme. »169(*) Après la séparation de la R.A.U., et la mise en place d'un gouvernement syrien anti-nassériste la relation syro-libanaise sont passées par une étape délicate, le président Chéhab se trouvait tiraillé par le conflit entre Damas et le Caire. Cependant, la politique chéhabiste s'attachait à la solidarité et à l'appartenance arabe du Liban, mais son attachement à l'indépendance et à la souveraineté était beaucoup plus profond.170(*) 3,2- L'union nationale Le président Chéhab répétait continuellement dans ses discours des expressions telles que « l'Union nationale », « le Pacte National », «l'Entente nationale »... tout en prenant conscience que cette union devrait être bâtie à travers la démocratie et la justice sociale. Ainsi, il rappelle le 23 septembre : « rien n'est plus impératif pour les Libanais que leur préservation et leur attachement à l'union nationale, et rien n'est plus condamnable que sa destruction. »171(*) Dans son premier discours à la Nation le 5 Août 1958, le président Chéhab insista que : « si cette unité n'a cessé d'être l'arme efficace grâce à laquelle le Liban a acquis son indépendance et consolidé sa souveraineté, elle demeure aujourd'hui comme toujours à travers le bien-être et la stabilité qu'elle assure, le fondement de tout acte nous permettant de réaliser nos objectifs nationaux. » 172(*) De même le 20 septembre 1960, il considère que : « la principale garantie de l'indépendance de la nation, de la préservation de son territoire et de ses frontières est l'unité nationale de sa population. Sans l'unité nationale il n'y aurait jamais eu d'indépendance.»173(*) Le président Chéhab voyait que l'unité nationale n'est pas simplement la volonté d'un vivre-ensemble ou la coexistence pacifique entre les communautés, mais se repose sur deux piliers essentiels, à savoir la démocratie et la justice sociale. Au cours de ses discours devant les officiers ou lors de la fête de l'armée, il insistait sur la démocratie, la Constitution, le régime parlementaire et la légitimité. Il dit dans l'un de ses discours que : « notre armée est une école de l'unité nationale, dans la pensée et la pratique, et a compris que la démocratie est une condition nécessaire à la survie du Liban, parce qu'elle symbolise et consacre notre unité. »174(*) * 165 - Robert McClintock, ambassadeur des Etats-Unis à Beyrouth. * 166 - James L. Holloway, commandant en chef des forces américaines débarquées au Liban. * 167 - Robert MURPHY, Un diplomate parmi les guerriers , Robert Laffont, Paris, 1965, p.423 * 168 - L'Orient - 26 mars 1959 * 169 - Bassem EL JISR, Fouad Chéhab, op.cit. pp. 108-109. * 170 - Bassem EL JISR, Fouad Chéhab, op.cit. pp. 108-109. * 171 - Le discours du président Chéhab, 23 septembre 1958. * 172 - L'Orient - 5 août 1958, p.1 * 173 - Les discours du président Chéhab, 20 septembre 1960. * 174 - Les discours du président Chéhab, 14 septembre 1962. |
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