Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban( Télécharger le fichier original )par Harb MARWAN Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007 |
2,4 - La compréhension chéhabiste du système politique libanaisLe président Chéhab a remarqué que la société libanaise était une société troublée, dans une étape de transition, traversée par l'individualisme aigu et le confessionnalisme. Cet individualisme confessionnel reviendrait à la longue occupation du pays qui a favorisé la protection individuelle à laquelle le Libanais a eu recours lors de l'absence des organes de sécurité nationale. « Il est naturel que cette nécessité prenne un aspect religieux, lorsque la communauté constitue un groupement alternatif et acceptable, capable de faire face à l'agressivité de l'étranger. Puisque, dans les moments de danger, l'individu ne se sent en sécurité qu'au sein de la communauté qui partage ses convictions religieuses et ses sentiments.»159(*) Ainsi, avec l'éloignement entre les citoyens et l'affaiblissement du pouvoir, le libanais s'est habitué à confronter lui-même ses problèmes ou à travers son appartenance primaire, sans recourir à l'autorité de l'Etat. Le chéhabisme a compris que la naissance du sens civique et de l'entente nationale sont confrontées à des obstacles qu'il faudrait franchir de manière élaborée. Et que les différentes classes de la population sont concernées par les biens produits par l'économie nationale. Ainsi l'Etat chéhabiste a cherché à réduire les clivages entre la qualité de vie des différentes classes, en vue de les éliminer, en insistant sur le développement des régions périphériques.160(*) En même temps, le chéhabisme se caractérise par la limitation du libéralisme de la société libanaise qui consacre le droit individuel. Cette limitation se concrétise à travers un ensemble de décisions et de mesures pour canaliser les initiatives privées et les intérêts individuels et anarchiques. L'Etat s'est imposé comme administrateur précisant la place et le but de chaque effort personnel. Le chéhabisme a cru à travers l'unité de ses citoyens en la mission de l'Etat qui ne peut se réaliser qu'à travers un développement général et équilibré. La politique de planification qui a été pratiqué pour stimuler le développement conserva le principe du libéralisme économique. D'après ce principe, la stratégie chéhabiste a donné une plus grande efficacité à l'Etat pour pouvoir évaluer et ajuster la distribution des biens nationaux. Les titres de « coordination et de collaboration entre les ministères sur les bases d'une stratégie commune, de la réforme administrative et du développement des organes de décentralisation » « qualifient le style chéhabiste dans la quête des élites dans le but de leur permettre de remplir leur rôle, ce qui a conféré une dynamique au gouvernement et une énergie à ses organes administratifs. Cette politique a permis aux élites d'accéder aux hautes postes de l'Etat et aux grandes responsabilités publiques. Le président Elias Sarkis n'a pas été le premier de ces élites et ne sera pas le dernier.»161(*) L'intérêt pour le dérèglement social qui touche le fin fond de l'entité nationale, provient de la croissance apparente du secteur banquier et commercial en dépit de ses répercussions positives sur la stabilisation monétaire et l'augmentation du PIB. De même, nous ne pouvons pas considérer cette croissance comme stable et constante parce qu'elle résulte des tensions et de l'inégalité entre les secteurs participant aux cycles économiques. Sans déroger à l'efficacité de l'initiative individuelle, la politique chéhabiste n'a pas hésité à intervenir de manière directe, et à occuper un rôle capital quand il s'agissait d'une question qui entravait à la constitution naturelle, matérielle ou culturelle du pays. De plus, elle a construit des organes ayant pour rôle d'effectuer des études permettant à l'Etat de connaître la situation véritable du pays, et de contourner les fausses estimations qui mènent à la perte d'énergie et de temps.162(*) Quant au niveau politique, le président Chéhab se posait la question sur l'essence de la démocratie libanaise, et à cette question répond un des piliers du chéhabisme en 1960 : (...) nous nous flattons de l'être. Nous croyons l'être. Et peut-être bien que dans un certain sens, nous le sommes en effet (...) le Liban apparaît comme le dernier îlot de la liberté, et le dernier refuge de la libre critique et de la libre expression. Que notre démocratie soit assez singulière, qu'elle repose encore essentiellement sur des structures féodales et tribales qu'il lui manque la base même de tout régime parlementaire : des idéologies politiques représentées par des partis organisés à l'échelle nationale. »163(*) La démocratie libanaise n'a pu survivre qu'en raison d'un système de négociation qui a abouti à la remise des affaires de l'Etat et des conflits du pouvoir entre les mains d'un seul homme. Ceci a été imposé par l'édifice socio-politique de cette démocratie, qui se caractérise par les divisions communautaires qui ont empêché la mise en place de partis politiques para-confessionnels à l'échelle nationale. Ce cumul historique qui a mené à l'amplification du pouvoir présidentiel et qui a fini par devenir énorme, reste antérieur à 1958. Cette augmentation du pouvoir du président de la République n'a pas été atteint par la violence ou par une prise du pouvoir par la force, ou engendré par des conditions extraordinaires, mais elle a été le fruit des pressions relatives aux nécessités profondes reliées à la construction du pays même. Ce qui a donné naissance à un pouvoir, non « ...pas de plus en plus personnel mais symbolisé par une seule personne.»164(*) * 159 - Toufic KFOURY, Le chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit. p. 122 * 160 - Ibid, pp. 122-123. * 161 - Toufic KFOURY, Le chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit. p. 124 * 162 - Idem * 163 - Georges NACCACHE, op.cit. p. 391 * 164 - Toufic KFOURY, Le chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit. pp. 206 -207 |
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