1.1.2. Les dimensions de l'externalisation des SI :
Des nombreuses recherches réalisées au cours de
la dernière décennie font état de la diversification des
modes d'approvisionnement utilisées par les entreprises pour faire face
à leurs besoins en SI (Roy 2006) : développement à
l'interne, acquisition de progiciels existants (packages), développement
clé en main (externalisation du développement), et
création de partenariats technologiques avec des fournisseurs
spécialisés et mise sur pied d'alliances avec des concurrents
(co-entreprises) (Dibbern et al., 2004). Cette diversité confirme
le fait qu'une telle opération qui comporte des arrangements complexes
et qui concerne des activités de SI assez
hétérogènes, ne peut pas être
considérée comme une simple décision dichotomique (Teng et
al, 1995). En effet, Dibbern et al, (2004) arguent qu'une part
intéressante des recherches s'est intéressée à
l'étude du degré d'externalisation et d'internalisation des SI.
Cette dimension est fondamentale puisqu'elle détermine les
frontières du département SI au sein de l'entreprise
externalisatrice. De leurs parts, Sanders et al, (2007) intègrent une
deuxième dimension concernant le type des fonctions
externalisées. Cette dimension permet d'étudier plus
profondément l'opération d'externalisation, et de mieux
comprendre la relation entre l'entreprise et son prestataire (Goo, et al,
2007). Enfin, à l'instar de Lee, Miranda et Kim (2004), nous allons
ajouter une troisième dimension qui est la durée du contrat
d'externalisation. Ainsi, nous procéderons à l'étude de la
décision d'externalisation des SI à travers trois dimensions,
à savoir, le degré d'externalisation, la durée du contrat
d'externalisation, et le type des fonctions SI externalisées.
1.1.2.1. Le degré d'externalisation des
SI:
Hui et al, (2008) rappellent qu'une entreprise peut accomplir
une transaction économique à travers trois formes
différentes d'échanges. Soit la forme hiérarchie,
où elle réalise cette opération par ses propres moyens.
Soit la forme marché, où elle confie son exécution
à une partie externe. Et enfin la forme hybride, qui désigne le
partage de la responsabilité avec cette partie. Sur la base de cette
classification, Lacity et Willcocks (1998) ont identifié trois
catégories concernant la stratégie d'approvisionnement en SI,
à savoir, l'externalisation totale, l'externalisation sélective,
et l'internalisation totale des SI. Cette classification est la plus
employée pour l'étude du degré d'externalisation des
SI.
Premièrement, l'externalisation totale qui signifie
« le transfert des actifs et des ressources technologiques
matérielles et humaines, ainsi que la gestion des fonctions TI internes
vers un prestataire SI extérieur, pour au moins 80% du budget des
fonctions SI. » (Lacity et Willcocks 1998). La décision
d'externalisation totale se confirme comme une décision de politique
générale d'entreprise qui en modifie les frontières et la
configuration organisationnelle globale (Fimbel, 2003), puisqu'elle
s'accompagne généralement par le transfert des actifs internes
vers le prestataire (Barthelemy et Geyer 2004). A côté de cette
définition, Dibbern et al, (2004) ajoutent que la forme de
quasi-externalisation (Spin-off) bien qu'elle se distingue de
l'externalisation classique, mais en se basant sur quelques critères
comme le pouvoir de décision et de contrôle, cette forme peut
être considérée en tant qu'une externalisation totale.
Deuxièmement, l'externalisation sélective est
définie par Lacity et Willcocks (1998) comme « la
décision de sélectionner des fonctions SI pour être
externalisées à un prestataire SI externe, à condition que
le taux d'externalisation reste compris entre 20% et 80% du budget total des
fonctions SI ». Dans ce type d'externalisation l'entreprise conserve
certaines fonctions SI pour être exécutées et
gérées intérieurement et transfère le reste
ailleurs. Dans cette stratégie l'entreprise peut faire recours à
un seul ou à plusieurs prestataires TI (Lacity et Willcocks 1998). Le
contrat d'externalisation sélective est généralement moins
long que celui de l'externalisation totale (Hormozi et al, 2003). Plusieurs
auteurs (Lacity et Willcocks 1998 ; Lee, Miranda et Kim 2004 ; Cullen
et al, 2005) ont signalé la supériorité de
l'externalisation sélective des SI sur celle totale du fait qu'elle
satisfait les besoins des entreprises tout en évitant les risques qui
accompagnent la décision l'externalisation totale des SI. Cependant,
l'externalisation sélective admet quelques inconvénients comme
l'augmentation des coûts de transaction associés aux
évaluations et aux négociations multiples, et le manque
d'intégration et coordination entre les différents prestataires
(Hormozi et al, 2003).
En fin, pour leurs stratégies en SI, les entreprises
peuvent choisir de conserver la majorité de leurs SI à
l'intérieur. Cette décision désigne que l'entreprise
retient au minimum 80% du budget des fonctions SI pour la gestion et
l'exécution interne. Tandis que Lacity et Willcocks (1998) traitent
cette décision en tant qu'une décision d'internalisation totale,
Lee, Miranda et Kim (2004) considèrent cette même proportion comme
étant une externalisation minimale. Cette proportion inclut
également les services fournis par des prestataires externes à
titre provisoire, puisque ces services sont considérés comme
complémentaires à des fonctions réellement
réalisées et gérées intérieurement par
l'entreprise.
1.1.2.2. La durée du contrat
d'externalisation :
Dans des telles arrangements stratégiques comme
l'externalisation, le contrat se présente comme la pierre angulaire et
le principal déterminant des interconnexions et des ajustements mutuels
entre l'entreprise pivot et ses prestataires (Gosse 2002). Barthelemy (2004a)
considère la qualité contractuelle comme une variable ayant un
impact déterminant sur le résultat d'une opération
d'externalisation.
A travers la littérature concernant le management des
relations avec les prestataires, on peut distinguer deux courants dominants. En
premier lieu, l'économie institutionnelle des coûts de transaction
(Williamson, 1985) considère chaque épisode de la relation comme
pouvant être traitée de manière autonome. Ceci correspond
à des contrats de type classique (simple et de courte durée).
Chaque transaction crée des besoins de contrôle particuliers qui
s'organisent de manière optimale dans un type d'arrangement
organisationnel qui lui correspond (Nogatchewsky 2003). Lorsque les risques
contractuels augmentent, les contrats classiques doivent être
remplacés par des contrats néoclassiques, plus complexes et d'une
durée plus longue (Barthelemy 2004b).
Cette conception purement économique des relations
inter organisationnelles a reçu son lot des critiques et a
été largement remise en cause (Sebti 2007). En fait, la prise en
compte de la transaction comme unité d'analyse, conduit
nécessairement la théorie des coûts de transaction à
ignorer la temporalité des relations inter organisationnelles et
à les appréhender de façon statique. Ainsi, le
deuxième courant, celui de l'échange relationnel souligne que les
transactions ne sont pas des épisodes isolées mais qu'elles
s'inscrivent dans un processus relationnel qui a une histoire passée,
présente et future (Nogatchewsky 2003).
En ce qui concerne notre recherche, plusieurs auteurs (Lacity
et Willcocks 1998 ; Quélin 2003 ; Fimbel 2003) ont
affirmé que l'externalisation des SI est caractérisée par
l'engagement dans une relation à long terme avec le prestataire. En
fait, à cause du transfert des ressources humaines et matérielles
vers le prestataire, l'externalisation se présente comme une
décision qui modifie durablement les frontières de l'entreprise
(Fimbel 2003). En outre, une fonction externalisée reste
nécessaire au bon fonctionnement de l'entreprise, ce que engage
l'entreprise dans une relation durable avec le prestataire (Gosse 2002).
Par ailleurs, Quélin (2003) affirme que la durée
du contrat et la structure de suivi varient considérablement en fonction
du caractère stratégique des fonctions externalisées. En
effet, plus l'externalisation est stratégique, plus elle se fonde sur un
contrat généralement à long terme. En fin, vu
l'incertitude qui entoure le marché des technologies et SI et la
rationalité limité des décideurs, Barthelemy (2004a)
affirme que l'engagement pour longue durée ne permet pas de
prévoir et de prendre compte des contingences qui peuvent se produire
durant la relation d'externalisation. Par conséquent, à l'instar
de Lee, Miranda et Kim (2004), nous allons essayer d'étudier la
durée des contrats d'externalisation sur un continuum comportant des
contrats à court, moyen, et long terme. Cette diversité permet de
refléter en premier lieu les diversités des formes
d'externalisation des SI et des caractéristiques des fonctions
externalisées, et en second lieu les intensions stratégiques de
l'entreprise (Quélin, 2003).
1.1.2.3. Le type des fonctions SI
externalisées :
Chanson (2004) affirme que la véritable analyse des
contrats d'externalisation n'est pas la transaction mais la fonction, voir la
sous fonction, puisqu'une fonction peut se décomposer en des nombreuses
sous fonctions qui peuvent être externalisées
indépendamment. Les entreprises sont souvent confrontées à
la question de savoir quelles fonctions peuvent/doivent ou non être
externalisées (Dibbern et al, 2004). Pour pouvoir sélectionner
lesquelles des fonctions SI doivent être externalisées ou retenues
à l'intérieur, il faut traiter les SI en tant que portefeuille
(Peppard, 2003 ; Cullen et al, 2005). En fait, les SI sont des fonctions
hétérogènes qui possèdent des attributs, des
rôles et des problèmes assez différents. Par
conséquent, elles exigent une gestion différente (Peppard, 2003).
Malheureusement, certaines entreprises considèrent toutes les
fonctions SI comme étant un ensemble unique et les gèrent de la
même manière (Peppard, 2003). Par ailleurs, Fimbel (2003) annonce
l'absence d'un cadre conceptuel robuste et fiable pour mener l'analyse de
l'externalisation des SI. Il souligne également qu'il n'existe toujours
pas de typologie unique des activités informatiques.
En réponse à cette lacune, Fimbel (2003) propose
une typologie qui regroupe les fonctions des SI autour de six
périmètres. Ces périmètres sont le résultat
de l'intersection de deux axes. Le premier concerne les composants
technologiques des SI (Les infrastructures et compétences techniques, et
les solutions logicielles), et le second concerne le positionnement des
diverses activités d'un SI dans le temps (étude,
implémentation, fonctionnement et maintenance). Sur la base de cette
classification générale, chaque entreprise peut identifier les
contours et frontières spécifiques de son SI (Fimbel, 2003).
D'autre part, Lacity et al, (1996) affirment qu'une
externalisation réussite commence par l'analyse de la contribution de
chaque fonction SI dans l'activité de l'entreprise. Dans cette
perspective, Teng et al, (1995) ont identifié trois rôles
stratégiques que les SI peuvent jouer dans l'entreprise, à
savoir : (1) un rôle traditionnel, les fonctions SI appartenant
à ce type ne cherchent pas à soutenir les activités
stratégiques de l'organisation (2) un rôle évolutif, les SI
constituent une partie du processus stratégique, (3) un rôle
intégral, les SI sont au coeur de métier de l'entreprise. Cette
classification manifestent un ordre croissant de la valeur stratégique
de chaque fonction SI dans l'entreprise, et renvoie ainsi à la question
de distinction entre fonction de commodité et fonction
stratégique.
En ce que concerne l'externalisation des SI, la plupart des
recherches s'accordent sur le fait que les fonctions de commodité et non
stratégiques sont les premières à être
externalisées, tandis que les fonctions stratégiques doivent
être exécutées à l'intérieur (Hormozi et al,
2003 ; Dibbern et al, 2004). Mais cette idée est de plus en plus
dépassée, puisque davantage des SI stratégiques sont
externalisées (Goo et al, 2007). De plus, le choix des fonctions SI
externalisées varie, bien évidemment, des intensions et des
attentes de l'entreprise vis-à-vis de la décision
d'externalisation.
Toutefois, il reste à signaler que dans la pratique, le
choix du mode de gestion des SI reste une décision assez
spécifique et complexe (Fimbel, 2003), où l'entreprise doit
prendre en compte en même temps les caractéristiques des fonctions
SI en terme du rôle stratégique qu'elles assurent dans
l'entreprise et le degré d'externalisation (totale ou sélective)
adéquat pour l'entreprise. Cette relation est illustrée par
Hormozi et al, (2003) dans la figure suivante :
Fonction SI stratégique
Fonction SI non stratégique
Non, ou bien opter pour l'externalisation
sélective pour les activités SI non critique.
Oui, si les SI sont des fonctions de coeur de
métier
Non, ou bien opter pour l'externalisation
sélective pour les activités SI critiques.
Oui, si les fonctions SI n'ont pas une plus
value significative
Externalisation totale
Externalisation sélective
Figure.1. Relation entre le type des fonctions SI et
le degré d'externalisation
Source : Hormozi et al, 2003, page
21.
En plus, Peppard (2003) ajoute d'autres
caractéristiques devrant être prises en considération lors
de la décision d'externalisation des SI. En effet, pour certaines
fonctions SI, comme le développement des applications, la participation
du personnel interne est indispensable pour l'exécution et la
performance de ces fonctions. Pour d'autres fonctions, comme le support des
utilisateurs, le fonctionnement nécessite une présence
quotidienne sur le champ dans l'entreprise. Finalement, Fimbel (2003) indique
que les changements technologiques et économiques affectent
considérablement le mode de gestion des SI, en effet même si une
entreprise désire conserver une fonction SI, une offre mature sur le
marché peut l'amener à externaliser cette fonction.
Conclusion :
Nous pouvons conclure qu'il n'y a donc plus une
externalisation uniforme et homogène, mais différentes fonctions
externalisables dont une part significative des enjeux et
caractéristiques est spécifique à chacune d'eux. Ainsi,
dans notre recherche, nous allons traiter l'externalisation des SI à
trois niveaux différents. En premier lieu, le degré
d'externalisation, là où on distinguera entre externalisation
totale et partielle. En second lieu, le type des fonctions
externalisées, ce que permettra d'identifier les fonctions SI qui sont
les plus susceptibles d'être externalisées. Et enfin, la
durée du contrat d'externalisation, qui manifeste la nature de
l'engagement de l'entreprise dans cette relation inter-organisationnelle.
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