Titre:les biotechnologies modernes à
l'épreuve des droits de l'homme:les OGM face à la question de la
sécurité alimentaire, dilemme, controverses et
contrastes.
INTRODUCTION
Considéré comme un droit fondamental de l'homme,
le droit à l'alimentation ou à la nourriture jouit d'une certaine
préséance et d'un certain prestige tant il fait l'objet d'une
importante consécration juridique au plan international et au plan
interne des Etats. Cependant, cette reconnaissance textuelle ou formelle
contraste fortement avec la réalisation effective de ce droit. En effet,
bien que la communauté internationale ait fréquemment
réaffirmé l'importance du respect intégral du droit
à l'alimentation, il se trouve que, entre les normes
énoncées et la situation qui règne dans de nombreux pays
du globe, l'écart reste préoccupant. Plus de huit cent cinquante
quatre millions de personnes à travers le monde, pour la plupart dans
les pays en développement, souffrent chroniquement de la faim. Des
millions de personnes sont en proie à la famine par suite de
catastrophes naturelles, de la multiplication des troubles civils et des
guerres dans certaines régions. Ce tableau déjà sombre de
la situation alimentaire mondiale se trouve davantage assombries par les
prévisions des démographes qui estiment que dans les trente ou
cinquante années à venir, la population du globe aura
augmenté de deux à trois milliards d'habitants, et quatre vingt
quinze pour cent de ceux-ci vivront dans les pays en voie de
développement.
Depuis les années soixante dix, les
préoccupations de l'humanité en matière d'alimentation se
sont accrues, favorisant ainsi l'émergence du concept nouveau de
sécurité alimentaire. La sécurité
alimentaire en tant que concept englobant, commande d'assurer l'accès
à une alimentation suffisante, saine et de qualité. Comment alors
garantir cette nécessité vitale? Telle est la grande
équation qui devra impérativement être résolue, au
risque de rendre illusoire la jouissance des autres droits, et donc
compromettre tous les acquis et ruiner tous les espoirs de
l'humanité.
Comme le fait si bien remarquer le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, la
sécurité alimentaire est indissociable de la dignité
intrinsèque de la personne humaine et est indispensable à la
réalisation des autres droits fondamentaux consacrés dans la
charte internationale des droits de l'homme.
Les politiques entreprises jusque-là au niveau des
instances gouvernementales et même à l'échelle
internationale, en vue de résorber le déficit alimentaire, n'ont
pas connu le succès attendu. Les espoirs qui ont été
suscités par le passage d'une agriculture biologique à
une agriculture conventionnelle à l'ère de la révolution
verte se sont heurtés à la rigueur de la
réalité dans la mesure où dans l'ensemble, les
résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des attentes de
l'humanité en matière d'alimentation. Dans cette recherche
quelque peu désespérée de solutions, certains esprits
pensent qu'une rupture de technologie reste la seule alternative à la
catastrophe alimentaire mondiale.
C'est dans ce contexte sur fond de
crise que les biotechnologies modernes notamment les Organismes
Génétiquement Modifiés ou OGM font leur irruption dans le
débat public. Pourtant, le rapport des OGM à la
sécurité alimentaire de façon spécifique et aux
droits de l'homme en général n'est pas du tout aisé
à définir. C'est la raison pour laquelle cette technologie
nouvelle se trouve au coeur d'une controverse qu'on pourrait qualifier
d'épique. Débordant le cadre des laboratoires scientifiques, le
débat sur les OGM prend ainsi l'allure d'une querelle idéologique
qui polarise les énergies et captive les attentions. De ce point de vue,
deux thèses antagonistes extrêmes semblent se livrer une lutte
sans merci ; d'un côté, les pro-OGM qui pensent que seul un
bond technologique prodigieux et révolutionnaire peut juguler l'actuelle
crise alimentaire mondiale, brandissent les vertus messianiques de cette
technologie qui, à les croire, est incontournable; de l'autre
côté, les anti-OGM, farouches opposants à ces «
aliments artificiels » soulèvent les risques supposés ou
réels que les biotechnologies modernes font peser sur notre
humanité.
L'intérêt social du
sujet réside dans son actualité. En effet alors que des
populations dans certaines régions du monde notamment les pays en
développement souffrent d'un accès difficile à la
nourriture, le risque d'intoxication alimentaire n'a jamais paru aussi
élevé dans les pays développés.
Encéphalopathie Spongiforme bovine (ESB) communément
appelée maladie de la « vache folle », maladie de Creutzfeldt
Jakob, forme humaine de la « vache folle », fièvre aphteuse,
et aujourd'hui grippe aviaire. Toutes ces maladies liées à
l'alimentation nous invitent à nous intéresser de plus
près à la question du rapport OGM / sécurité
alimentaire. Ces inquiétudes sont d'autant plus justifiées
qu'elles dessinent en filigrane les droits des consommateurs. Les débats
autour de la dialectique OGM / sécurité alimentaire traduisent au
fond une différence de représentations entre les
différentes couches de la société. Par exemple, alors que
les consommateurs font une nette distinction entre les aliments donnés
aux animaux et ceux qui aboutissent dans leurs assiettes, les professionnels de
l'alimentation raisonnent en termes de nutriments. Les profanes quant à
eux effectuent des catégorisations des espèces animales en
distinguant les carnivores et les herbivores quand les zootechniciens et les
vétérinaires situent leur catégorisation au niveau des
protéines.
Le génie génétique est
considéré par beaucoup comme une transgression des lois de la
nature, comme une pratique de sorciers, qui induisent forcément des
conséquences néfastes. Face aux raisonnements parfois froids des
professionnels, des scientifiques et des politiques qui parlent de faibles
probabilités des risques, les réactions des consommateurs
généralement exprimées avec une profonde émotion
traduisent bien le très grand fossé. Ce que les consommateurs
considèrent comme normal c'est-à-dire conforme à leur
système de valeurs est nettement divergent des normes et des
règles existantes auxquelles se réfèrent les
professionnels et les responsables politiques. Dans ce débat sur les OGM
d'autres interrogations non moins légitimes suscitent
l'intérêt du public. Les risques sur l'environnement et la
biodiversité, l'hypothèque du droit à la
souveraineté alimentaire, et celui des communautés villageoises
insidieusement entretenue à travers la mainmise des multinationales sur
le commerce des semences et les droits de propriété
intellectuelle, les questions éthiques et religieuses soulevées
par la recombinaison d'ADN dans la fabrication in vitro des OGM et le
brevetage du vivant ...sont autant de préoccupations qui n'ont pas
encore trouvé de réponses satisfaisantes. Dans cet océan
de doutes, de craintes persistantes et d'incertitudes croissantes, la
confrontation des vues reste la seule arme de lutte des différents
acteurs sociaux.
D'un point de vue scientifique et
académique, la présente étude est une
modeste contribution à la matière des droits de l'homme
considérée comme la fondation de notre humanité. La
richesse du débat réside dans le fait que le sujet rapproche deux
notions qui sont a priori inconciliables. A y regarder de près les OGM
et les droits de l'homme se disputent un même terrain de
prédilection, celui de l'interdisciplinarité. Discipline des
sciences sociales matrice par excellence, les droits de l'homme
considérés comme des prérogatives attachées
à la personne humaine et intangibles par nature, jouissent de l'avantage
d'être à l'interface de toutes les disciplines.
Comme nous l'avons indiqué un peu plus haut, les enjeux
des OGM regardent la société en différents aspects: enjeux
scientifiques, alimentaires et sanitaires, enjeux écologiques ou
environnementaux, enjeux politiques et économiques, enjeux
éthiques, philosophiques et religieux. Le sujet fonde ainsi dans un
même moule deux notions qui atteignent l'homme dans sa double dimension,
corps et esprit.
Cette situation montre bien pourquoi le débat sur les
OGM a déchaîné autant de passions dans le cercle des
universitaires, des intellectuels, des spécialistes et autres
écrivains qui n'ont pas renoncé à leur droit naturel
d'écrire. L'abondante
littérature qui s'est construite autour de la
question sensible des OGM est en fait à la mesure de tout
l'intérêt qu'on accorde à cette technologie,
véritable phénomène de société. Dans une
vision simpliste des choses, les lectures auxquelles nous nous sommes
adonnées, montrent bien que deux principales tendances se neutralisent
dans le débat sur les OGM. C'est pour l'essentiel des documents
spécialisés élaborés par des experts d'organismes
intergouvernementaux tels que l'Organisation des Nations Unies pour
l'Alimentation et l'Agriculture ( FAO) et certaines fédérations
paysannes et Organisations non gouvernementales (ONG) telles que l'Institut
Africain de Développement Economique et Social (Inades-formation), lieu
de notre stage académique. Pour la circonstance l'ensemble des ouvrages
mis à notre disposition dans le cadre du stage reflète bien la
position de cette institution sur la question des OGM. Inades-formation qui
travaille à la promotion sociale et économique des populations
rurales en accordant une place toute particulière à leur
participation libre et responsable à la transformation de leur
société, soutient que l'utilisation des OGM à l'heure
actuelle ne peut qu'être préjudiciable à tout point de vue.
Dans deux ouvrages simples à la lecture et accessibles, BEDE
(Bibliothèque d'échange de documentation et
d'expériences), GRAIN (Genetic Resources Action International) et
Inades-formation, trois organismes de développement démontrent
à travers une approche très simple, comment les OGM constituent
une menace vivante pour nos sociétés. Le premier ouvrage
intitulé Les Organismes Génétiquement
Modifiés en Afrique : comprendre pour agir
traite de manière générale des différents
problèmes liés à l'utilisation des OGM en Afrique tandis
que le second ouvrage intitulé Les droits des
communautés africaines face aux droits de
propriété intellectuelle. met en évidence de
façon bien singulière les inconvénients des OGM pour le
monde paysan.
Parmi les documents trouvés sur place dans les locaux
de Inades-formation et qui brisent l'enthousiasme créé par
l'avènement des biotechnologies modernes, on citera de façon
toute particulière, Le
plaidoyer en faveur
d'un monde soutenable
sans modification
génétique, document conçu par le
Panel pour une science indépendante. Ce manuel s'évertue à
discréditer les OGM qu'il appréhende comme de la simple poudre
aux yeux. Il met en évidence de façon assez virulente les
problèmes et les risques liés aux plantes
génétiquement modifiées et met en avant les nombreux
atouts de l'agriculture durable pour la sécurité alimentaire.
Toujours dans le même esprit, on citera également
La piraterie des
ressources biologiques ou
biopiraterie en Afrique,
document assez pessimiste quant à la situation actuelle de l'Afrique
face au problème de brevet sur des organismes vivants modifiés
génétiquement et exportés hors de leur environnement vers
les laboratoires des sociétés multinationales où ils
perdent la majeure partie de leurs constituants.
On n'oubliera pas d'évoquer
Le commerce de
la faim, ouvrage d'ordre
général dans lequel l'auteur, John MADELEY dénonce
l'actuel système commercial international gouverné par
l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui subordonne un besoin fondamental
de l'homme - se nourrir - aux froides règles de la philosophie
libre-échangiste. Il démontre ainsi comment la
sécurité alimentaire a été sacrifiée et
continue de l'être sur l'autel du libre-échange. Les Organismes
Génétiquement Modifiés participeraient de ce paysage laid,
cruel et inique de
la mondialisation. Enfin, les
colonnes du quotidien français Le monde
diplomatique d'avril 2006 ont été largement
consacrées aux OGM. Plusieurs articles abordent cette question sous
l'angle des risques, des dangers, des périls et de la menace qui
pèsent sur notre planète relativement à
l'utilisation des biotechnologies modernes.
A l'opposé, certains documents vantent les
mérites des OGM : il s'agit en partie, de documents conçus par
l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO).
Par exemple dans son rapport sur la situation mondiale de l'alimentation et de
l'agriculture 2003 / 2004 intitulé Les
biotechnologies agricoles,
une réponse aux
besoins des plus
démunis?, la FAO estime que le problème de
la sécurité alimentaire dans le monde ne trouvera de
réponse efficace qu'en étant circonscrit dans le «cercle
vertueux» de l'accroissement de la productivité, de
l'amélioration des niveaux de vie et de la croissance économique.
La révolution génétique serait un maillon essentiel de
cette chaîne sociale.
Dans un document scientifique intitulé
Mythes populaires
concernant la
sécurité sanitaire
des aliments et
de l'environnement en
relation avec les
plantes cultivées
GM, le Centre Mondial de Connaissances sur la
Biotechnologie des Plantes Cultivées présente les
conclusions d'une enquête sur les OGM. La Commission Royale
néo-zélandaise auteur des recherches entreprises marquait son
enthousiasme pour le génie génétique quand elle affirmait
que « les modifications génétiques
représentent une promesse exceptionnelle non seulement pour vaincre les
maladies, éliminer les pestes et contribuer aux économies du
savoir mais aussi pour augmenter la compétitivité internationale
du secteur primaire...».
La méthodologie utilisée dans ce document a
consisté à détruire par des preuves scientifiques tous les
arguments qui discréditent les biotechnologies modernes.
Devant cet enlisement sans issue qui présage des
lendemains incertains sur la question des OGM, laquelle oppose même les
scientifiques entre eux, Jean-Paul OURY dans La
querelle des OGM nous
invite à prendre du recul sur un sujet brûlant d'actualité.
Etude des controverses scientifiques, analyse du suivi médiatique,
réflexion philosophique et juridique, l'ouvrage en question permet
d'envisager le sujet autrement que sous le prisme déformant de
l'idéologisation croisée nourrie à la sève
d'intérêts divergents .
Si le débat sur les OGM fait couler autant d'encre et
de salive au point d'ameuter toutes les couches de la société,
c'est parce qu'il est avant tout soutenu par une problématique.
La problématique
soulevée par le phénomène des biotechnologies modernes
prend tout son sens au regard de la question cruciale de la
sécurité alimentaire en tant que droit fondamental de l'homme.
Bien évidemment, à partir des données en notre possession,
il s'agira pour nous d'examiner si les OGM peuvent constituer une
réponse efficace au problème de l'alimentation dans le monde.
Quelque complexe qu'elle soit, la problématique ainsi posée ne
nous oblige pas à y répondre de façon péremptoire,
au risque de se voir catégoriser de pro- ou d'anti-OGM. Mais il serait
peut-être encore plus difficile de nous dérober honnêtement
à cette tâche qui est aussi la nôtre, c'est-à-dire la
recherche inconditionnelle de la vérité par la confrontation des
thèses en présence. N'est-il pas vrai que, c'est la contradiction
qui enfante la vie et la fait éclore? La recherche de la
vérité passe inéluctablement par l'épreuve du feu;
voilà pourquoi il nous paraît tout indiqué de faire passer
les thèses en présence au crible de la critique intellectuelle.
C'est à ce prix seul que le débat sur les OGM sera fécond.
Toutefois on doit avouer que le débat sur les OGM
réduit à la seule question de l'alimentation ne nous livre qu'une
vision à la fois fragmentaire, parcellaire et partielle des nombreux
enjeux qui découlent de l'utilisation des biotechnologies modernes;
aussi faudrait-il tenir compte des rapports que les OGM entretiennent avec les
droits de l'homme tout court. La délicate question qui en résulte
est de savoir si les OGM respectent les autres droits de l'homme à
l'instar du droit à l'alimentation qui fera l'objet d'un examen
préalable, en principal.
Le sujet tel que pensé impose d'emprunter
l'approche
interdisciplinaire. Le droit, la sociologie,
l'histoire, la science, la philosophie, l'éthique et la morale, aucun de
ces domaines n'échappe à la matière des droits de l'homme.
Bien que n'étant pas de formation sociologue, l'esprit sociologique
devra nous habiter dans la conduite du débat pour éviter ce qu'il
est convenu de considérer comme les pièges tendus à la
recherche de la vérité: il s'agit du sens commun ordinaire et de
l'abstraction. En tant que phénomène social, les OGM
mériteraient d'être saisis par la méthode sociologique qui
consiste, d'un côté à éviter les apriorismes non
éprouvés et infondés, de l'autre côté
à verser dans un excès de théorie sans lien avec la
réalité. Pour ce faire une enquête à petite
échelle sera menée dans notre environnement immédiat pour
analyser les différentes perceptions que les Ivoiriens ont des OGM.
Les hypothèses émises
devraient pouvoir nous situer sur le degré de connaissance des Ivoiriens
sur les enjeux des biotechnologies modernes et leur approche du sujet.
Face à aux incertitudes liées à
l'utilisation des OGM, le droit apparaît comme un instrument de
contrôle des risques biotechnologiques. L'étude appelle donc
à l'examen des différents textes organisant la
biosécurité. Pour la circonstance il s'agira pour nous de faire
une lecture de quatre textes principaux : le Protocole de
Carthagène, les deux lois modèles africaines, et le cadre de
biosécurité en Côte d'Ivoire.
Afin de tenter de répondre aux différents
problèmes que pose le sujet, l'étude mettra en évidence
dans une première partie, la controverse qui se fait jour autour de la
dialectique OGM / sécurité alimentaire
(Première partie) pour ensuite dépasser
cette controverse, en abordant les autres enjeux des biotechnologies modernes
( Deuxième partie ). Mais bien avant, il
faudra définir les différents notions et concepts qui
intéressent l'étude. (Chapitre
préliminaire)
CHAPITRE PRELIMINAIRE : APPROCHE CONCEPTUELLE ET
HISTORIQUE
Les concepts de biotechnologies modernes et de
sécurité alimentaire relèvent d'un certain mystère
pour le commun des mortels. Le mystère qui les entoure procède
à la fois de leur technicité et de leur irruption très
récente dans le débat public. Mais à quoi peuvent-ils bien
correspondre ? Pour comprendre le sujet dans ses subtilités, il importe
de préparer le lecteur à la compréhension des
différentes notions. Le présent chapitre qui y sera
consacré est une sorte de voyage initiatique qui nous conduira d'une
part à définir les différents concepts et d'autre part
à en faire un bref historique.
Section 1 : Définition des notions et
concepts
Il s'agira pour nous de tenter de donner des
définitions satisfaisantes aux différentes notions ; On
procédera arbitrairement à une définition de la notion de
biotechnologies modernes d'abord, après quoi on en fera de même
pour la sécurité alimentaire.
Paragraphe 1 : La notion de biotechnologies
modernes
La notion de « biotechnologie moderne »
commande de définir au préalable celle plus
Simple de « biotechnologie ». Selon le
dictionnaire Le Petit Larousse illustré, la biotechnologie est la
« technique visant à provoquer et
à diriger, en laboratoire, des
bioconversions, en vue d'en
préparer l'utilisation industrielle ».
Cette définition quelque peu complexe qu'elle soit, commande de
définir des notions connexes telles que la bioconversion. La
bioconversion est « la transformation d'une
substance organique en une ou
plusieurs autres par l'action des
micro-organismes ».
Cette première définition se trouve
modifiée dans la mesure où la biotechnologie ou biotechnique y
est désormais définie comme la « technique
produisant par manipulations
génétiques des molécules
biologiques ou des organismes
transgéniques, en vue d'applications
industrielles (agroalimentaire, pharmacie,
chimie...) »
A l'analyse, les différentes définitions
obtenues rendent plus compte des biotechnologies modernes. En effet l'emploi
des termes comme « laboratoire », «
manipulations génétiques » ou «
organismes transgéniques » renvoie tout de suite
à l'idée d'Organismes Génétiquement Modifiés
ou OGM qui ne sont qu'un aspect des biotechnologies. Sans pour autant les
récuser, il faut quand même reconnaître que ces
définitions ignorent en réalité l'utilisation de la
biotechnologie par les sociétés traditionnelles. Or il est
établi que, les sociétés traditionnelles y ont
également recours. En effet, en Afrique par exemple, la biotechnologie
mobilise le vivant dans le processus de fabrication de plusieurs substances
alimentaires. C'est le cas de la fermentation du lait pour la fabrication des
fromages, de la farine de blé pour le pain, du maïs pour la
bière traditionnelle, du manioc pour la fabrication du couscous
traditionnel...de ce point de vue, la biotechnologie doit être comprise
comme la technique ou le procédé par lequel le vivant est
transformé. D'ailleurs le mot « bio technologie » est
assez révélateur dans la mesure où il est formé de
deux principales particules qui le caractérisent. Il s'agit notamment de
« bio » qui fait référence à la vie et
donc au vivant et de « technologie » qui est l'ensemble des
savoirs et des pratiques, fondé sur des principes scientifiques dans un
domaine technique. Le mot « technologie » désigne
également les moyens matériels et organisations structurelles qui
mettent en oeuvre les découvertes et les applications scientifiques les
plus récentes. On oppose habituellement « biotechnologies
traditionnelles » à « biotechnologies
modernes. » Les biotechnologies modernes permettent,
à partir d'êtres vivants naturels, de créer des organismes
vivants artificiels, alors que dans l'autre cas, c'est-à-dire celui de
la fermentation, processus habituel des biotechnologies traditionnelles, on
utilise les propriétés de la nature.
La différence est d'autant plus marquée que les
biotechnologies modernes donnent lieu à la création artificielle
d'organismes vivants ou OGM, ce qui n'est pas nécessairement le cas dans
l'autre procédé.
Ainsi la naissance de la transgenèse en tant que
science apparaît-elle intrinsèquement liée à
l'avènement des Organismes Génétiquement Modifiés
(OGM). De ce point de vue, la définition des OGM permettra de mieux
comprendre la conception des biotechnologies modernes.
Au plan juridique, une définition assez
intéressante nous est fournie par la directive européenne 90/220
rectifiée par la directive 2001/18. On y entrevoit les OGM comme des
organismes dont le matériel
génétique a été
modifié d'une manière qui
ne s'effectue pas naturellement
par multiplication et/ou par
recombinaison naturelle. La définition légale
montre bien que les OGM ne résultent pas d'un procédé
naturel. Bien au contraire ils procèdent d'un processus scientifique
assez complexe qu'il convient d'expliquer simplement. Comme le reconnaît
Hervé le GUYADER, spécialiste de biologie de développement
à l'Institut National de Recherche Agronomique (INRA) en France, l'OGM
est une « molécule artificielle
fabriquée de la main de
l'homme... ».
Les OGM ou Organismes Génétiquement
Modifiés sont des êtres vivants (plantes, animaux ou
microorganismes) dont le patrimoine héréditaire a
été modifié en laboratoire. Les modifications
génétiques permettent à une plante, à un animal ou
un microorganisme d'exprimer un caractère qu'il ne possédait pas
naturellement. On dit que ces organismes ont été
génétiquement transformés parce que des
éléments étrangers porteurs du caractère
désiré ont été intégrés dans leur
patrimoine génétique. Le processus de modification s'appelle la
manipulation génétique. La manipulation ainsi
réalisée porte sur le gène de la plante, de l'animal ou du
microorganisme. L'objectif réel recherché par la
transgenèse est d'introduire un ou plusieurs gènes
étrangers spécifiques dans le matériel
génétique d'une plante ou d'un animal de telle sorte que
l'organisme en question présente des caractéristiques nouvelles.
La fabrication des OGM a été rendue possible grâce aux
progrès considérables des techniques de biologie
moléculaire au cours du dernier quart du siècle passé. Le
génie génétique permet d'intervenir directement sur la
molécule d'ADN (acide désoxyribonucléique), support de
l'information héréditaire pour l'ensemble des êtres
vivants. La capacité d'isoler des gènes et de les
transférer d'une espèce à une autre permet de produire des
organismes vivants possédant une combinaison de caractères
nouveaux qui n'aurait pas naturellement existé. De ce point de vue, les
OGM sont souvent présentés comme des objets scientifiques et sont
restés pendant longtemps dans un débat d'experts. Or par le biais
des questions soulevées de plus en plus par les mouvements
écologiques, les organisations paysannes, les éthiciens et les
religieux, il est apparu que les OGM appellent un profond débat social.
Les enjeux touchent le développement de la société
à travers des questions telles que celles liées, à la
médecine, aux progrès de la science, et celle non moins
importante de la sécurité alimentaire.
Paragraphe 2 : Le concept de sécurité
alimentaire
Le concept de sécurité alimentaire fait de plus
en plus l'objet d'un usage euphorique, tant il transparaît dans les
programmes et les discours politiques, au plan international aussi bien qu'au
plan interne des Etats. Cet état de choses témoigne bien du grand
intérêt qu'on lui voue. Mais au fait, à quoi peut bien
correspondre ce concept ?
Pour une grande partie de l'humanité, le terme de
« sécurité alimentaire » est synonyme de
recherche de la couverture quantitative et qualitative des besoins
élémentaires en aliments et en eaux. Comme l'affirme clairement
le traité des ONG sur la sécurité alimentaire, «
la sécurité alimentaire,
c'est avoir les moyens, en
tant qu'individu, famille,
communauté, région ou pays,
de pouvoir satisfaire ses besoins
nutritionnels sur une base
journalière et annuelle. Cela
comprend à la fois de
n'être menacé ni par
la famine ni par la
malnutrition ». De cette définition, il résulte que
le concept de sécurité alimentaire revêt une double
dimension, l'une quantitative et l'autre qualitative. Du point de vue
quantitatif, un premier facteur concerne les problèmes de production des
denrées alimentaires qui ont longtemps été
considérés comme la cause explicative des manifestations de la
faim. Dans cette perspective, comme le notent Nicole TERCIER et Beat SOTTAS,
un lien univoque est établi
entre la production et la
satisfaction des besoins. Ainsi que le fait
remarquer Robert MALTHUS, « toute augmentation
de la production alimentaire
devrait conduire à la
réduction de la malnutrition
et de la faim ». Un second
facteur est ensuite apparu prépondérant, il s'agit de
l'accès aux denrées alimentaires par tous les groupes de
population. La vraie question n'est pas la disponibilité totale de
nourriture mais son accès par les individus et les familles. Si une
personne manque de moyens pour acquérir la nourriture, la
présence de nourriture sur les marchés n'est pas d'une grande
consolation.
La sécurité alimentaire est aussi perçue
comme la capacité des pays déficitaires ou des régions
déficitaires à atteindre des niveaux de consommation
souhaitables. Cette définition s'appuie sur le niveau de consommation
annuelle alimentaire comme élément déterminant.
Pour la Banque Mondiale, « la
sécurité alimentaire réside
dans l'accès de tous les
individus à tous les moments
à suffisamment de nourriture
pour mener une vie saine
et active ». Cette autre définition lie à
l'évidence la disponibilité des biens et la capacité des
individus à les acquérir. Très fondamentalement, la
sécurité alimentaire reste intrinsèquement attachée
à l'idée d'autosuffisance alimentaire.
D'un point de vue qualitatif, la sécurité
alimentaire est de plus en plus comprise comme intégrant
l'hygiène et la santé publique. Au-delà donc de l'aspect
quantitatif qui tient à la peur très ancienne de manquer de
nourriture, du fait de la forte augmentation de la population, on peut
comprendre la sécurité alimentaire dans son volet qualitatif. La
première phrase de la déclaration de Rome sur la
sécurité alimentaire mondiale, de 1996, réaffirme,
« le droit de chaque être humain d'avoir
accès à une nourriture saine et nutritive
conformément à une nourriture adéquate et au
droit fondamental de chaque être d'être à l'abri de la faim
». Cela supposerait qu'au plan qualitatif, pour que la
sécurité alimentaire existe, les aliments doivent non seulement
être sains c'est-à-dire exempts de toute maladie et donc sans
risque pour la santé du consommateur, mais également être
riches en valeur nutritive, c'est-à-dire contenir en abondance des
éléments ayant la propriété de nourrir.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu'à l'heure
actuelle, plus de la moitié des jeunes enfants vivant en Asie du sud
souffrent de carences en protéines et en calories. Les estimations pour
l'Afrique subsaharienne situent la prévalence à environ trente
pour cent. Dans une telle situation la sécurité alimentaire
serait compromise.
Si pour les pays les moins avancés de la
planète, la sécurité alimentaire se confond à
l'autosuffisance alimentaire, en revanche dans les pays à l'abri de la
pénurie et de la malnutrition, ce qui est le cas de la population des
pays développés, elle désigne la sécurité
sanitaire des produits destinés à l'alimentation humaine. La
prise en compte de la dimension sanitaire rejoint les craintes liées au
productivisme agroalimentaire et les graves problèmes que celui-ci a
engendrés. En effet, ces dernières années ont vu
l'émergence d'un nouveau type de maladies liées à
l'alimentation. Il y a que cette situation correspond étrangement
à l'essor des OGM dans le monde. Serait-ce là une simple
coïncidence ?
Il serait donc tout indiqué de faire un bref historique
des différents termes.
Section 2 : Bref historique
Pour mieux appréhender les concepts et notions objet de
notre étude, il convient de compléter les définitions
précédemment fournies par un bref rappel historique. Cette
section y sera essentiellement consacrée. Ainsi s'agira-t-il pour nous
de faire un état des lieux des OGM dans le monde dans un premier
paragraphe, puis aborder la question de l'évolution et
l'élargissement du concept de sécurité alimentaire dans un
second paragraphe.
Paragraphe 1 : l'état de la transgenèse dans
le monde
L'avènement des OGM dans le monde n'est pas le fruit
d'une génération spontanée, mais au contraire le
résultat d'un long processus scientifique. Plusieurs étapes ont
donc précédé l'essor des biotechnologies modernes.
-Avant la transgenèse:
1 L'amélioration génétique par
sélection et par croisement : l'amélioration
génétique des végétaux est pratiquée depuis
très longtemps. Plusieurs siècles avant Jésus-Christ, dans
la vallée de l'Euphrate, des fermiers sélectionnaient les
meilleurs plants en conservant minutieusement leurs semences pour la saison
suivante. La pratique de la sélection s'est transmise jusqu'aux
Amériques. Par la suite s'est ajoutée une nouvelle méthode
d'amélioration génétique : le croisement entre
espèces proches parentes. Les techniques de
croisement se sont imposées dans le domaine agricole au
XIXème siècle. La plupart des
végétaux que nous consommons aujourd'hui
seraient des hybrides résultant de nombreuses années de
sélection et de croisement des meilleurs descendants de plantes. Le
croisement est considéré comme une technique
d'amélioration génétique puisque le matériel
génétique des plantes résultantes est différent des
plantes souches ou plantes mères. Jusque-là, cet
échange de gènes par croisement n'était possible qu'entre
espèces proches parentes. Ce n'est que beaucoup plus tard que
l'amélioration génétique entre espèces
éloignées sera réalisée par le biais de la
transgenèse.
2 La découverte de la structure de
l'ADN
La molécule d'acide désoxyribonucléique
ou ADN est au centre de la transgenèse. Incluse dans chaque cellule de
la majorité des êtres vivants, elle contient les
éléments d'informations nécessaires à
l'accomplissement de diverses fonctions des cellules de l'organisme. Cette
longue molécule est divisée en milliers d'unités
nommées « gènes ». Ce sont les gènes
qui sont transférés d'une espèce à l'autre lors
d'une modification génétique par
trangenèse. En 1944, Oswald Théodore AVERY et
ses collaborateurs, les scientifiques canadiens Colin MACLEOD et Maclin Mc
CARTY font la preuve que l'ADN porte les éléments d'informations
nécessaires au maintien de la vie. Puis en 1953, James Watson et Francis
Crick parviennent à dévoiler la structure à double
hélice de l'ADN. Cette découverte est d'autant plus importante,
qu'elle permettra ultérieurement, de comprendre le fonctionnement de
cette molécule fondamentale.
3 L'universalité de l'ADN
Dans les années 60, l'universalité du code
génétique est démontrée. Les scientifiques cumulent
les preuves que la molécule d'ADN est présente chez la
majorité des êtres vivants et que son mode de fonctionnement est
universel. En fait les différences que l'on observe d'une espèce
à une autre sont le résultat de variations dans la disposition
des composantes de l'ADN.
4 Franchir la barrière des
espèces
La découverte de l'universalité de l'ADN et de
son fonctionnement a permis aux scientifiques d'envisager qu'un gène de
n'importe quelle espèce puisse être ajouté et fonctionner
chez n'importe quelle autre espèce. A l'époque, cette idée
défiait l'imagination et ouvrait la porte à un éventail de
nouvelles possibilités d'amélioration génétique
notamment chez les plantes cultivées.
- La naissance de la transgenèse
5 Les premiers OGM
Les années 70 marquent probablement la naissance des
premiers OGM. Une première transgenèse est réalisée
en 1973 lorsqu'un gène d'amphibien est inséré dans l'ADN
d'une bactérie. En 1978, un gène codant pour l'insuline est
introduit dans la bactérie Escherichia Coli afin que
cette dernière produise de l'insuline humaine. En 1983, le Canada
autorise la production commerciale d'insuline à partir de
l'Escherichia Coli génétiquement modifiée.
Aujourd'hui, cette insuline est utilisée dans le traitement du
diabète.
6 Les années 80 et le développement
d'une technique d'insertion chez les végétaux
La technique la plus fréquemment utilisée pour
accomplir une transgenèse chez les végétaux est le
transfert du gène par l'entremise d'une bactérie du sol
appelée agrobacterium tumefaciens. Cette
bactérie est utilisée comme véhicule du gène
d'intérêt, cest-à-dire, le gène
précisément recherché pour ses propriétés.
C'est dans les années 80 que des chercheurs comprennent comment cette
bactérie a la capacité de transférer son ADN dans le
matériel génétique de certaines plantes. De nouvelles
voies sont donc explorées. Est-ce que cette capacité pourrait
être utilisée aux fins de la transgenèse?
Des chercheurs de l'Université de GAND en Belgique
développent alors des bactéries aptes à être
insérées dans un gène d'intérêt dans l'ADN de
la plante.
7 Les années 90 et l'approbation des
OGM
Les années 90 sont marquées par l'approbation
des OGM dans le domaine agricole principalement. C'est au cours de cette
période que la multiplication commerciale des semences
génétiquement modifiées a commencé dans un
très petit nombre de pays, au Canada et aux Etats-Unis d'Amérique
notamment. Mais l'apparition des OGM sur le marché mondial ne s'est
faite que récemment, en 1994. C'est d'ailleurs là une cause
explicative de leur quasi méconnaissance par le grand public.
Avec l'apparition des OGM, une question peut être
soulevée, selon les opinions de chacun. La transgenèse peut
être perçue comme une méthode scientifique au même
titre que les méthodes utilisées précédemment. Il
est également possible de considérer qu'il s'agit d'une rupture
importante dans la manipulation du vivant car elle permet de franchir la
barrière des espèces. Il s'agit là d'une question
très importante qui remet en cause certaines représentations
culturelles et spirituelles sur ce qu'est la vie.
Au demeurant, l'étude historique des OGM depuis dix ans
montre bien les différences entre les Etats. Les Etats-Unis
d'Amérique, pionniers en matière d'OGM depuis 1986 ont largement
fait des adeptes dans de nombreuses régions du globe. Sans nul doute,
l'attitude des Américains face aux OGM a contribué au
développement de cette nouvelle technologie dans
l'industrie agroalimentaire. Depuis seulement quelques mois,
des groupes de personnes scandant des slogans « non aux OGM
» ont fait leur apparition dans ce pays qui compte déjà
une vingtaine de plantes transgéniques commercialisables dont le coton,
le maïs, le soja et le
colza en sont les principales. L'avancée mondiale dans
l'exploitation des plantes transgéniques laisse la France et l'Europe
quelque peu en retrait. Les biotechnologies modernes sont en France très
mal perçues par une franche importante de la population. L'affaire du
sang contaminé et la crise de la vache folle y ont
fortement contribué. A l'heure actuelle, la politique européenne
est influencée par deux courants contradictoires : celui de la marche en
avant vers les OGM dans un contexte de concurrence mondiale, de
potentialités économiques dont il est difficile de s'exclure, et
celui de la prévention et de la précaution. Quant à
l'Afrique, elle vient en dernière position dans la production et la
commercialisation des OGM, juste derrière l'Europe et l'Asie. Plusieurs
facteurs peuvent expliquer ce manque d'engouement des africains à
l'égard des biotechnologies modernes : le fort Ancrage dans la coutume,
la tradition et même la religion et le manque de technologie
appropriée dans une Afrique scientifique balbutiante encore
confrontée au sempiternel problème de pauvreté. Dans cette
indifférence quelque peu conditionnée des Africains à
l'égard des biotechnologies modernes, à l'heure actuelle, seule
l'Afrique du Sud est reconnue officiellement comme producteur de cultures
commerciales d'OGM sur le continent noir.
Aujourd'hui, on estime à un peu plus de quarante
millions d'hectares, la surface de terres qui fait l'objet d'expérience
de cultures génétiquement modifiées dans le monde. C'est
une véritable révolution génétique qui se produit
sous nos yeux. Une chose est certaine, c'est que la transgenèse a
gagné du terrain ces dernières années avec tout de
même des fortunes diverses. La principale entrave qui ralentit son
expansion résulte des préoccupations liées au besoin de
plus en plus croissant de sécurité alimentaire.
Paragraphe 2: l'évolution et l'élargissement
du concept de sécurité alimentaire
8 La sécurité
alimentaire, une idée
ancienne et universellement
partagée
Si le concept de sécurité alimentaire ne date
que de notre époque, l'idée n'en demeure pas moins très
ancienne. En fait, les sociétés anciennes avaient mis en place
des politiques de sécurité alimentaire prévoyant une
réglementation sévère des marchés vivriers,
à l'image du système des greniers africains. Dès le moyen
âge, les villes européennes dotées progressivement d'un
degré avancé d'organisation économique et politique sont
à même de garantir l'approvisionnement d'une ville croissante.
Dans une perspective biblique, le récit de Joseph, fils
de Jacob, devenu gouverneur en Egypte après avoir été
vendu par ses propres frères, nous en fournit un bel exemple.
L'idée même de sécurité alimentaire est née
de la peur très ancienne de manquer de nourriture. Elle participerait de
ce fait de l'instinct de survie humaine, voilà pourquoi elle est
inhérente à toute société. En réalité
elle fait partie de l'histoire naturelle des hommes et constitue de la sorte la
fondation de l'édifice sociétal et social.
9 Les années
70 et l'émergence
du concept
Le concept de sécurité alimentaire est né
des années 70. Apparaissant à cette époque dans de
nombreux discours officiels, il a aujourd'hui évolué de
considération, englobant plusieurs aspects d'ordre, économique et
politique.
10 Les années
80 et l'enrichissement
du concept
Si dans les années 70, on appréhendait la
sécurité alimentaire comme liant la disponibilité des
biens et la capacité à les acquérir, le retour au
libéralisme dans les années 80, va en consacrer une autre
définition reposant sur les nécessités de l'ajustement
structurel afin de résoudre la crise de l'endettement. On y
réserve un champ d'intervention en faveur des couches les plus
vulnérables de la population. L'approche la plus récente de la
sécurité alimentaire est certainement liée à
l'émergence du concept de développement humain. Celle-ci comporte
principalement deux aspects:
1 La création de capacités personnelles par les
progrès en matière de santé, de savoir, et d'aptitude,
2 L'emploi que les individus font de ces capacités dans
leurs loisirs, à des fins productives ou culturelles, sociales et
politiques.
On y retrouve les trois indicateurs-clés suivants:
espérance de vie, alphabétisation, accès aux biens et
service de base.
La sécurité alimentaire est une notion
transversale qui renvoie à de nombreuses
Considération : développement
économique, politique agroalimentaire, relations Nord-Sud...
Dans le contexte des relations Nord-Sud, la
sécurité alimentaire se double d'une autre notion, celle de la
souveraineté alimentaire. La souveraineté
alimentaire désignerait le droit des populations, de leurs
Etats ou fédérations à définir librement leur
politique agricole alimentaire, sans fausser le jeu de la concurrence à
travers le dumping. Elle inclut donc la priorité donnée à
la production agricole locale pour nourrir la population, l'accès des
populations rurales (notamment les paysans) à la terre, à l'eau,
aux semences et aux crédits. Certains y voient l'occasion
d'opérer des réformes agraires et de lutter contre le
phénomène des OGM considéré comme une
véritable entrave au libre accès aux semences. L'idée de
souveraineté alimentaire promeut donc le droit des paysans à
produire des aliments de leur choix et le droit des consommateurs à
pouvoir décider librement ce qu'ils veulent consommer.
11 L'internationalisation
du concept
Le moins qu'on puisse dire, c'est que le concept de
sécurité alimentaire se meut dans le courant controversé
de la mondialisation et de l'internationalisation. Au plan international, la
sécurité alimentaire constitue une des préoccupations
majeures de la communauté internationale. Cet intérêt s'est
traduit par la mise sur pied de la FAO principalement chargée des
questions alimentaires dans le monde. En dépit du fait que les
situations d'insécurité alimentaire soient toujours
localisées, elles peuvent être qualifiées de mondiales.
C'est d'ailleurs à juste titre que l'organisation mondiale en a fait son
cheval de bataille comme en témoignent les nombreuses conférences
qu'elle organise autour de cette question cruciale. A l'Organisation des
Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture vont se greffer d'autres
organismes dans le traitement de la question de la sécurité
alimentaire. Il s'agit de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS),
l'Office International des Epizooties (OIE), la Commission Codex Alimentarius
et l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
Le
problème de la
juridicité du
concept
Si le droit à l'alimentation fait l'objet d'une
consécration juridique officielle, il n'en va pas de même de la
notion de sécurité alimentaire qui a glissé dans le
discours politique des années 70. En effet, aucun texte contraignant au
plan international ne fait usage du concept de façon expresse. Cela
s'explique par le fait que le concept en lui-même a été
dégagé bien tard après l'adoption de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme et le Pacte International relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels qui eux consacrent clairement le droit
à la nourriture. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue le fait
que la sécurité alimentaire repose d'abord sur le droit à
la nourriture qui en est la pierre angulaire. Considérer la
sécurité alimentaire comme un droit à part entière
aide à se concentrer sur les questions cruciales de la
responsabilité et de la non discrimination, qui ont aussi leur fondement
dans la loi des droits de l'homme. En résumé, la
sécurité alimentaire en tant que droit socio-économique,
concerne la bonne gouvernance et l'attention aux plus démunis et aux
marginalisés.
Le principal problème est que la reconnaissance de ce
droit sous-entendrait des prestations de la part des Etats vis-à-vis de
leurs populations respectives. Or il a souvent été argué
que le contenu de l'article 11 du Pacte International relatif aux droits
économiques sociaux et culturels qui consacre justement le droit
à la nourriture était trop vaste pour conférer des
obligations matérielles à la charge des Etats. Il est
considéré comme ayant une simple valeur programmatoire. Pour
Magaret VIDAR du bureau juridique de la FAO, « les gens
ont la responsabilité de se procurer leur nourriture, aussi
ne peut-on automatiquement s'en prendre à l'Etat pour la malnutrition.
« Mais l'Etat peut être responsable d'une circonstance qui la cause;
par exemple les populations doivent disposer de revenus suffisants ou d'un
accès à la terre pour acheter ou cultiver de la nourriture
», fait-elle remarquer.
Cependant, même lorsqu'au plan interne, le droit
à la nourriture fait l'objet d'une constitutionnalisation comme c'est le
cas en Afrique du Sud, il est rarement justiciable dans la mesure où
« les gens qui meurent de faim n'ont guère les moyens
d'intenter un procès. »
De ce point de vue, la sécurité alimentaire
reste une équation quasi-insoluble, insolubilité rendue plus
critique par l'imbroglio entretenu autour de la dialectique OGM /
sécurité alimentaire.
PREMIERE PARTIE / LE DIFFICILE CONSENSUS AUTOUR DE
LA DIALECTIQUE OGM /
SECURITE ALIMENTAIRE
Arrachage de plants génétiquement
modifiés, accusations d'obscurantisme, différends
transatlantiques, le débat sur les OGM est entré dans
l'arène sociale où il a acquis une nouvelle dimension. En effet,
cette technologie des temps modernes alimente régulièrement la
une des médias, car une virulente controverse s'est
instaurée autour de cette question. Opposants et partisans, en
souhaitant faire entendre leur voix, s'affrontent en un dialogue apparemment de
sourds. Source de progrès et de promesse d'un avenir meilleur pour les
uns qui y voient une opportunité de rendre possible les objectifs en
matière de sécurité alimentaire, menace pour le
consommateur pour les autres, les OGM sèment la discorde. L'ampleur du
débat mondial sur les OGM est sans précédent. Ce dernier
parfois empreint d'une forte charge affective, a mobilisé tant les
scientifiques, les producteurs, les consommateurs, les groupes de
défense de l'intérêt public que les pouvoirs publics et les
décideurs. Mais afin de mieux appréhender la controverse sur les
OGM, il convient d'identifier les différents protagonistes, d'analyser
leur attitude et d'examiner les causes des impasses et incompréhensions
actuelles.
CHAPITRE I : L'utilisation des OGM est un atout pour la
sécurité
alimentaire
Comme indiqué, la sécurité alimentaire
doit se concevoir à un double point de vue, dans sa dimension
quantitative, et sa dimension qualitative. Au plan quantitatif, la
sécurité alimentaire doit s'orienter dans le sens de
l'accès des populations à une nourriture suffisante. Au plan
qualitatif, elle doit prendre en compte les préoccupations en
matière de sécurité sanitaire des aliments. Les
défenseurs des OGM pensent que cette technologie des temps modernes
pourrait bien répondre à ce double besoin.
Section 1: Du point de vue quantitatif
Plusieurs arguments sont avancés par les
défenseurs des OGM qui pensent que le problème du lourd
déficit alimentaire mondial peut être corrigé par
l'utilisation des biotechnologies modernes. Au nombre de ces arguments, on
retiendra que les OGM ont l'avantage d'améliorer la production
alimentaire à travers des techniques agricoles
révolutionnaires.
Paragraphe 1: Les OGM augmentent la production
alimentaire
L'on ne saurait nier le lien nécessaire qui existe
entre production agricole et sécurité alimentaire. L'agriculture
est dans l'alimentation ce que représenterait par exemple le sang pour
le corps humain. En d'autres mots, l'agriculture est le poumon de
l'alimentation car tout l'édifice alimentaire repose à
l'évidence sur le fondement de l'agriculture. Dans une telle situation
la sécurité alimentaire ne pourra devenir réalité
que pour autant que la production alimentaire atteindra des proportions
acceptables. La question reste alors de savoir si la recherche biotechnologique
peut permettre d'accroître les rendements et la production agricoles. Les
principaux arguments avancés par les promoteurs des biotechnologies
modernes, restent que celles-ci ont la capacité de corriger le
déficit alimentaire dans le monde par une augmentation significative de
la production agricole. Le sommet mondial sur l'alimentation qui a lieu en 1996
à Rome, a souhaité que se réduise de moitié les
quelques huit cent millions de personnes sous-alimentées, au plus tard
en 2015. Pour y arriver, l'on estime qu'il faut augmenter de quatre pour cent
par an la production alimentaire pendant les vingt prochaines années .
Il est donc nécessaire et urgent d'accroître les rendements
surtout dans les pays du sud. Mais, comme le pense Albert SASSON,
l'amélioration de la production agricole et nutritionnelle dépend
des ressources en terres, en eau et en énergie, qu'on considère
généralement comme limitées, en dépit des
possibilités d'accroissement de leur disponibilité. Cette
amélioration est aussi fonction des ressources d'origine biologique,
renouvelables, que sont les plantes cultivées, les animaux domestiques
et les micro-organismes. L'accroissement de la productivité de ces
derniers, c'est-à-dire de la productivité biologique,
représente un domaine actif de la recherche en sciences de la vie. Les
techniques biotechnologiques modernes y contribuent de plus en plus. Dans ce
vaste domaine, l'un des objectifs visés par les recherches entreprises
consiste à ouvrir la possibilité de mettre sur pied des cultures
à haut rendement en vue d'obtenir une production supérieure.
Depuis quelques temps, semble-t-il, les recherches ont permis de
réaliser cet exploit agricole. En effet, les firmes qui sont en amont du
progrès biotechnologique et certains scientifiques prétendent que
le génie génétique a amélioré la
productivité dans les pays où les OGM font l'objet
d'expérimentation. Des chiffres montrent par exemple que l'adoption en
Afrique du Sud de semences améliorées, de nouvelles
variétés a permis une augmentation des rendements par hectare de
cinq fois pour le maïs et d'un peu plus de quatre fois pour le blé.
De même, quelques douze millions de bananiers produits à partir
d'OGM dont la moitié ont été exportés, auraient
permis d'accroître la production. On estime pour cela que les rendements
ont augmenté d'un peu plus de deux pour cent, depuis l'avènement
des biotechnologies modernes dans cette partie du monde. Ainsi en
considérant le besoin d'augmenter fortement la production d'aliments
destinés aux hommes et aux animaux, en améliorant la
productivité, la rentabilité, il faut trouver des solutions pour
maximiser les bénéfices, et cela resterait une possibilité
gracieusement offerte par les biotechnologies végétales modernes.
La biotechnologie ne serait certes pas le seul outil qui peut diminuer la faim
dans le monde, mais un outil dont notre planète dispose pour
résoudre sa pénurie alimentaire. Pour certains, en Afrique, la
biotechnologie devrait être considérée dans le contexte des
besoins africains qui sont entre autres l'augmentation de la production
alimentaire, la diminution de la pauvreté...
Si on admet que la transgénèse peut
accroître significativement la production alimentaire et donc
résoudre l'un des aspects fondamentaux de la sécurité
alimentaire, à savoir l'accès à une nourriture suffisante,
c'est parce que celles-ci reposent avant tout sur des techniques agricoles
révolutionnaires sans précédent.
Paragraphe 2 : Les biotechnologies agricoles, une
révolution doublement
Verte
Le terme de révolution verte désigne le bond
technologique réalisé en agriculture au cours de la
période allant de 1944 à 1970, à la suite de
progrès scientifiques de l'entre deux guerres. Elle a été
possible par la mise au point de nouvelles variétés de cultures
à haut rendement, notamment de céréales (blé et
riz), grâce à la sélection variétale. L'utilisation
des engrais chimiques et des produits phytosanitaires a fortement
contribué au succès de cette agriculture, lequel succès
s'est traduit par un accroissement soutenu de la productivité agricole.
La révolution verte a permis d'éviter des famines
catastrophiques, qui seraient la conséquence naturelle de l'augmentation
sans précédent de la population mondiale depuis 1950. Le Mexique,
premier pays à s'engager dans cette voie en 1949 est ainsi passé
entre 1956 et 1964 d'un statut d'importateur net de blé pour la
moitié de sa consommation à un statut d'autosuffisance,
permettant l'exportation de cinq cent mille tonnes par an. La révolution
verte a connu ses plus grands succès en Inde et au Pakistan où
l'on estime qu'elle a permis de sauver un milliard de personnes de la faim.
Pour aller plus loin sur la révolution verte, consulter Wikipedia,
l'encyclopédie libre sur le site http://fr.wikipedia.org). Pourtant
force est de constater que la révolution verte qui eut un écho
favorable à une certaine époque se trouve dépassée
devant les défis sans précédent auxquels est
confrontée l'agriculture au 21ème siècle. En
effet, au cours des trente années à venir, nos ressources d'une
fragilité croissante devront nourrir deux milliards de gens de plus.
Pour aider à assurer la sécurité alimentaire, aux huit
milliards d'habitants escomptés en 2025, l'Organisation des Nations pour
l'Alimentation et l'Agriculture estime que le monde a besoin d'une autre
révolution verte comme l'auraient demandé de nombreux
délégués au sommet de l'alimentation en 1996. S'il est
vrai qu'en doublant ou en triplant les rendements, elle a accordé aux
pays en développement un répit qui leur permet de commencer
à s'attaquer au problème de leur rapide croissance
démographique, on doit tout de même avouer avec Normand BORLAUG
que la révolution verte n'a été qu'un «
succès limité ». En effet, si la
première révolution verte a fait augmenter la productivité
des trois principales cultures alimentaires de base que sont le riz, le
blé et le maïs, Entre 1950 et 1990, les rendements
céréaliers ont augmenté de près de 1,06 tonnes
à 2,52 une deuxième révolution verte devrait aussi
permettre de relever la productivité d'autres cultures vivrières
importantes, comme le sorgho, le millet, et le manioc, aliments produits et
surtout consommés par les pauvres. Un changement de paradigme est donc
prôné pour apporter un souffle nouveau à l'agriculture
mondiale. Les apports que l'on anticipe de l'emploi du génie
génétique sont notables. L'augmentation de la production agricole
sur les quarante dernières années serait davantage due à
une amélioration du rendement à l'hectare qu'à un
accroissement des superficies. De ce point de vue les biotechnologies modernes
ne manquent pas d'arguments en leur faveur. En effet, la
transgénèse en tant que science du vivant permet
d'accroître les connaissances de base du fonctionnement cellulaire, du
déterminisme génétique, des voies métaboliques et
de leur régulation dans le règne végétal. Les
retombées pratiques pour l'agriculture pourraient être
considérables. Déjà, comme le pense Didier SPIRE, des
solutions originales et d'utilisation simple ont été
apportées pour répondre aux problèmes et
difficultés rencontrées avec certaines productions. Par exemple
les biotechnologies ont permis grâce à la description plus
précise du polymorphisme intra variétal, de mieux gérer et
conserver les espèces. Le génie génétique a
sûrement l'avantage de franchir la barrière des espèces. En
effet de nombreux végétaux cultivés ont des
difficultés d'hybridation. La transgénèse permet de
s'affranchir de ces barrières de stérilité et
d'incompatibilité qui posent problème à
l'amélioration des cultures. Les nouvelles cultures permettent aussi
d'introduire des gènes nouveaux intéressant le rendement,
à travers des caractères de résistance ou de
tolérance. Par exemple, enrichie de quelques gènes
prélevés sur la bactérie bacillus
thuringiensis, une plante peut fort bien devenir toxique pour les
insectes ravageurs. En ce sens, les biotechnologies modernes peuvent aider les
fermiers à réduire leur dépendance vis-à-vis des
insecticides et des herbicides. On a souvent reproché à
l'agriculture conventionnelle l'utilisation excessive d'intrants chimiques, ce
qui a des répercussions néfastes certaines sur la
sécurité alimentaire. L'agriculture biotechnologique comblerait
cette lacune par la mise sur pied de cultures peu exigeantes en produits
chimiques et phytosanitaires.
Avec le génie génétique, il serait
désormais possible de transférer les gènes
intéressants sans redistribuer les autres. La précision est
considérablement plus grande qu'avec la génétique
classique ou naturelle, le transfert du matériel génétique
se fait au hasard. Considérés à bien des égards
comme une percée technique, les OGM ouvrent des perspectives immenses.
Aujourd'hui, grâce à la transgénèse, on peut
ralentir le pourrissement de certains fruits et légumes (tomates
à mûrissement retardé) ; lutter contre les herbicides
(soja) ; éviter certaines maladies aux plantes cultivées
(maïs résistant aux virus et à la maladie) ;
s'affranchir des contraintes climatiques ou géographiques avec la
culture de plantes résistant à la sécheresse, à la
salinité ou au froid (blé)... Alain WEIL fait remarquer que l'un
des avantages principaux des OGM serait de faire pousser des plantes sur des
terrains qui ne sont pas pour l'instant propices à l'agriculture,
à cause de la salinité ou de la toxicité des sols...Les
biotechnologies agricoles modernes permettront selon lui, aux agriculteurs
d'envisager des plantes plus rustiques, qui résistent mieux aux
agressions de parasites ou de virus, à la sécheresse ou au
froid54.
En théorie, l'éventail des possibilités
est sans limite et certaines équipes consacrent aujourd'hui des moyens
importants à des projets aussi étonnants, par exemple, que la
création de variété de bananes dont la consommation
immuniserait contre l'hépatite ou le choléra ou la fabrication de
vaccins qui protègent les animaux dans la nature contre la rage. Comme
le pense le chercheur, «Les biotechnologies modernes peuvent apporter
aux pays du sud des solutions originales, et d'utilisation simple à des
problèmes qui leur sont plus spécifiques: variétés
de plantes rustiques à haut rendement, peu exigeants en intrants,
tolérantes à la sécheresse, au froid ou à la
salinité...». Elles permettraient aux paysans d'utiliser plus
efficacement des fertilisants, de disposer d'un temps de récolte
uniforme ouvrant la voie à de petites perspectives commerciales
grâce à la qualité de leurs produits.
Section 2: Du point de vue qualitatif
Contre certains arguments tendant à discréditer
les OGM du point de vue de leur qualité, les promoteurs des
biotechnologies modernes prétendent que, non seulement la
transgénèse améliore la qualité, mais que les
aliments qui en sont issus ne présentent pas de risque réel pour
la santé du consommateur.
Paragraphe 1 : La transgénèse améliore
la qualité des aliments55
Pour les créateurs de variétés
végétales, la transgénèse est d'abord un outil de
connaissance remarquable des processus physiologiques et de la
génétique. Les plantes transgéniques permettent en
particulier d'étudier les conséquences des modifications de tout
ou partie des gènes et donc d'en analyser la fonction et la
régulation. Le séquençage des génomes de certaines
plantes réalisé ou en cours de réalisation, peut
être effectué grâce aux outils qui ont été
développés pour la transgénèse. Cette science fait
partie des techniques qui permettent de localiser précisément
l'endroit où se situe un gène sur un chromosome, de
déterminer sa fonction précise. La connaissance des
enzymes56 et des gènes-clefs dans les processus
physiologiques essentiels des plantes permet d'avoir une action sur le
métabolisme et sur le produit final. Ainsi, des modifications
physiologiques, biochimiques et structurales peuvent permettre
d'améliorer la qualité. Par exemple, l'inactivation des enzymes
responsables de la dégradation des parois de cellule des fruits permet
une meilleure conservation. Actuellement des travaux portent sur des maïs
contenant moins de lignine ou de la lignine modifiée en vue de soutenir
l'alimentation destinée aux animaux57.
La sécurité alimentaire a été
aussi déterminée comme devant remédier aux carences
nutritionnelles. Une frange importante des pays du Sud souffre de maladies
liées non plus à un manque de nourriture mais plutôt de
maladies qui sont occasionnées par une alimentation très pauvre.
Cette malnutrition réside dans le fait que les repas consommés
sont dépourvus de vitamines, ce qui a nécessairement de graves
conséquences sur la santé humaine. Chez les enfants, la
malnutrition entrave le développement physique et cognitif et provoque
une moindre résistance à la maladie. L'insuffisance
pondérale (poids trop faible par rapport à l'âge) chez les
enfants de moins de cinq ans est un bon indicateur de ce fléau. La
question qui reste entière est donc de savoir si les OGM peuvent
résoudre cette carence alimentaire qui est de nature à rendre
illusoire l'objectif de sécurité alimentaire, même si on
parvenait à atteindre l'objectif de l'accès à une
alimentation suffisante. On admet de plus en plus dans le monde de la recherche
scientifique, la possibilité de modifier certains de nos aliments de
manière à ce qu'ils apportent des éléments
favorables à la santé, sans pour autant mériter le nom de
médicament. Ces produits ont pour cette raison été
appelés « alicaments ». Certains scientifiques
estiment que le génie génétique peut, en principe,
puissamment contribuer à leur préparation. Par exemple, il est
possible d'agir par transgénèse sur la qualité du lait de
vache pour rendre sa composition plus compatible avec l'alimentation du
nouveau-né58. Mais le succès le plus éloquent
de la transgénèse en ce domaine semble être la mise en
culture d'une nouvelle variété de plantes « à haute
valeur nutritive ». L'exemple dont on a fait beaucoup de publicité
est le Golden rice ou riz doré, une
variété de riz génétiquement modifié mise en
culture pour produire de la vitamine A59. La possibilité de
créer du riz ayant une teneur accrue en micronutriment est
présentée comme un exemple de la contribution potentielle du
génie génétique à la réduction de la
malnutrition. La carence en vitamine A, très répandue dans les
pays en développement, peut accroître la morbidité, causer
la mortalité, la cécité et contribuer à la
mortalité infantile. Le génie génétique dit-on,
peut offrir des opportunités uniques dans ce domaine. Tous ces avantages
laissent quelque peu supposer que les OGM ne comportent pas de risques
réels pour la santé du consommateur.
Paragraphe 2 : les OGM sont sans risque pour la
santé du consommateur
Il existe un lien évident entre sécurité
alimentaire et contrôle de l'innocuité des aliments. Par «
innocuité des aliments », on entend l'absence à des niveaux
acceptables et sans danger, de toxines naturelles ou de toutes autres
substances susceptibles de rendre l'aliment nocif pour la santé de
manière aigue ou chronique. Les maladies transmises par les aliments
constituent un problème mondial d'une ampleur considérable du
fait des souffrances humaines qu'elles entraînent. Même
lorsqu'elles ne sont pas fatales, ces maladies accentuent
considérablement les effets d'un mauvais régime alimentaire, ce
qui peut entraîner l'arriération mentale et des incapacités
physiques60. Aujourd'hui plus que jamais, le problème de la
qualité des aliments se pose avec acuité, parce
qu'amplifié par la résurgence ou l'émergence de certaines
maladies liées à l'alimentation. Devant cette situation, certains
esprits arrivent à établir un lien direct entre la
transgénèse et l'intoxication alimentaire dont sont victimes de
nombreuses personnes, surtout que la naissance de cette science coïncide
bien avec la recrudescence des maladies liées à
l'alimentation61. Des scientifiques estiment pourtant que les
thèses tendant à faire croire que l'ingestion des OGM par l'homme
ou par les animaux comporte des risques pour la santé, relèvent
du « mythe populaire »62 car « les aliments issus
de cultures génétiquement modifiées disponibles
actuellement (principalement le maïs, le soja et le colza) ont
été jugés propres à la consommation et l'on
considère que les méthodes utilisées pour les tester
sont appropriées.» Ces conclusions rendues par le
Conseil International pour la Science (CIUS)63 en 2003 concordent
avec les vues de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). En effet,
l'OMS précise que les OGM présentement commercialisés ont
subi toutes les évaluations de risques nécessaires avant leur
entrée sur le marché, et qu'ils sont examinés plus
soigneusement que les aliments traditionnels pour la recherche
d'effets potentiels sur la santé64... Pour l'académie
française de médecine et de pharmacie, il n'existe aucun risque
particulier lié au mode d'obtention des OGM, l'ADN de leur génome
étant semblable à celui des autres génomes. Ce faisant, il
est comme eux dégradé dans l'intestin lors de la digestion. En
schématisant, on pourrait, comme le laisse supposer l'Académie,
dire qu'en mangeant des carottes ou des laitues, on ne court pas le risque
d'introduire dans son génome des gènes de carottes ou de laitues
et que ce n'est pas parce que l'on aurait introduit un gène de laitue
dans le génome d'une carotte que l'on ferait apparaître ce risque.
Poursuivant, l'institution médicale et pharmaceutique estime que les
risques éventuels des OGM pour la santé du consommateur sont
contrôlables tout comme ceux que comporterait l'ingestion des aliments
ordinaires65. Dans l'ensemble, les défenseurs des
biotechnologies modernes soutiennent que l'alimentation à base d'OGM ne
comporte pas plus de risque que l'alimentation biologique ou conventioneelle,
dans la mesure où dans la pratique, les OGM sont consommés
quotidiennement depuis de nombreuses années par des centaines de
millions de personnes dans les plus grands pays du monde (Etats-Unis, Canada,
Argentine, Brésil, Inde, Chine) sans qu'aucun effet nocif sur la
santé n'ait été rapporté. En effet, à ce
jour, selon les informations réunies par le GM Science Review
Panel66, à l'échelle mondiale, aucun laboratoire
n'a signalé
d'effets toxiques au plan nutritionnel, découlant de la
consommation d'aliments ayant pour origine des cultures
génétiquement modifiés. Ce faisant les partisans des OGM
préconisent pour l'évaluation des risques biotechnologiques dans
l'alimentation, la prise en compte du principe de
l'équivalent substantiel ou
d'équivalence en substance67
qui affirme que les OGM ne doivent pas faire l'objet d'un traitement
spécial en ce qui concerne l'évaluation des risques sanitaires
des aliments, dans la mesure où ceux-ci présentent autant de
garantie que leurs équivalents classiques au niveau de
l'innocuité des aliments. Dans cette même logique, l'OCDE estime
à son tour que «la biotechnologie industrielle est un domaine
rigoureusement maîtrisée.. » et que
«tout risque posé par les organismes à ADN
recombiné devraient être de même nature que ceux
présentés par les organismes classiques. »68
étant donné que souvent, la prévisibilité des
techniques de l'ADN sera plus grande que celle des méthodes classiques
de modifications des organismes.
En définitive, les promoteurs des OGM pensent que la
transgénèse est un outil essentiel
de connaissances sur l'organisation des gènes, sur les
parentés génétiques et sur le parti que l'on peut tirer de
la sélection de variétés végétales
améliorées. Elle constitue à ce titre un outil
irremplaçable qui permet d'élargir « la base
génétique » dans laquelle les sélectionneurs vont
pouvoir puiser des gènes destinés à obtenir des
variétés meilleures, en termes de rentabilité pour le
producteur, de qualité pour le consommateur et donc de
sécurité alimentaire. Des utilisations non alimentaires
nouvelles, médicales ou industrielles apparaissent aussi. Les enjeux de
ce côté-ci paraissent donc séduisants.
Et bien pourtant des voix hostiles s'élèvent des
quatre coins du monde pour dénoncer les risques que font peser les OGM
sur la sécurité alimentaire.
CHAPITRE II : les OGM compromettent la
sécurité alimentaire
Plusieurs auteurs africains et occidentaux ainsi que les
plaidoyers d'associations diverses jettent le discrédit sur les OGM dont
ils énoncent une kyrielle de risques sur la sécurité
alimentaire. D'abord ils remettent en cause l'argument selon lequel la
transgénèse permet d'augmenter la production alimentaire, ensuite
ils font valoir l'idée selon laquelle, l'ingestion des OGM comporte des
risques pour la santé du consommateur.
Section 1 : Du point de vue quantitatif
« Les résultats constants des recherches
indépendantes et des expérimentations en champs menés
depuis 1999 montrent que les plantes génétiquement
modifiées n'ont apporté les bénéfices
annoncés, notamment en ce qui concerne l'augmentation des rendements et
la réduction de l'utilisation des herbicides et pesticides
».Tel est le résumé du « Plaidoyer en Faveur
d'un Monde Soutenable Sans Modification Génétique »
rédigé par le Panel pour une Science
Indépendante69, lequel semble ruiner les espoirs d'une
bonne partie de l'humanité qui avait vu en les biotechnologies modernes,
une voie royale de sortie de la crise alimentaire que connaît le monde.
Paragraphe 1: les OGM n'augmentent pas la production
alimentaire
Les populations dont l'alimentation est insuffisante sont,
pour les deux tiers, des familles paysannes possédant de petites
propriétés, équipées d'outils exclusivement manuels
et dotées de systèmes de culture et d'élevage insuffisants
pour se nourrir elles-mêmes ou pour permettre des achats alimentaires.
Ainsi pour le commun des mortels, c'est par un accroissement de la
productivité et des revenus agricoles des paysans les plus pauvres que
l'on parviendra à réduire la prévalence de la faim et de
la malnutrition dans le monde. L'une des raisons avancées par les
promoteurs des biotechnologies modernes et qui justifient leur
bien-fondé se trouve dans le fait que certaines applications de la
transgénèse pourraient améliorer la production
alimentaire. Or en réalité, «Rien
n'indique que le recours aux OGM permette
d'atteindre cet objectif » faisait observer Marc
DUFUMIER70 dans les colonnes du journal français Le
Monde Diplomatique d'avril 2006. Cette affirmation jette le doute sur
les certitudes qu'on avait jusque-là sur l'amélioration des
rendements agricoles par la transgénèse. Si les tenants de cette
thèse brandissent des exemples pour soutenir leurs propos, il n'en
demeure pas moins que des arguments bien contraires trahissent toutes ces
affirmations. En effet certains opposants aux OGM sont formels lorsqu'ils
remettent en question tous les avantages reconnus aux biotechnologies modernes.
Des auteurs comme John MADELEY estiment à ce propos, qu'il convient
à l'heure actuelle de se méfier des biotechnologies modernes.
L'une des raisons de cette méfiance réside dans le fait que
l'argument de l'amélioration des rendements agricoles par le
génie génétique n'est pas vérifié, dans la
mesure où les cultures expérimentales récentes ont
démontré que les semences génétiquement
modifiées n'augmentent pas la production. Selon lui, plusieurs
années après leur introduction, il n'a pas encore
été démontré que les semences
génétiquement modifiées peuvent accroître les
rendements à l'hectare71. En effet une étude du
Service de Recherche Economique du Département Américain de
l'Agriculture indique qu'en 1998, la différence de rendement entre
les cultures génétiquement modifiées et les cultures
traditionnelles n'était pas significative. Ces résultats ont
été confirmés par une autre étude qui a permis
d'évaluer les récoltes de plus de huit mille parcelles de
cultures expérimentales de soja : le soja Roundup Ready
(génétiquement modifié) aurait donné moins de
boisseaux à l'hectare que les variétés comparables issues
de croisements classiques. Un rapport publié en septembre
2002 par une association anglaise, Soil Association, indiquait que les
plantes génétiquement modifiées avaient coûté
aux Etats-Unis la somme de douze milliards de dollars en subventions, pertes de
ventes et retours de produits à cause de la contamination
transgénique. Ce rapport peut se résumer comme suit : «
les conclusions de notre rapport
montrent...qu'aucun des bénéfices annoncés des plantes
génétiquement modifiées n'a été atteint. Au
contraire, les agriculteurs annoncent, outre des pertes de rendements, une
dépendance inchangée aux pesticides et herbicides ...».
Ces résultats concordent bien avec les conclusions des recherches
entreprises en 1999 par l'agronome américain Charles BENBOOK, lesquelles
sont formelles : « les bénéfices des plantes
génétiquement modifiées n'ont jamais été
atteints. Des milliers d'essais réalisés en plein air sur des
parcelles de soja transgéniques ont révélé une
réduction du rendement par rapport à des surfaces plantées
avec du soja non transgénique. » Ainsi par exemple en
2001, les variétés de soja Roundup Ready ont obtenu des
rendements inférieurs de six à onze pour cent en moyenne par
rapport aux variétés conventionnelles72 . Des
conclusions similaires auraient été faites en Grande-Bretagne sur
des plantations de colza d'hiver et sur des champs d'expérimentation de
betteraves73. Ces différents points de vue contredisent en
toute hypothèse les avantages des OGM liés à
l'amélioration des rendements agricoles.
Dans leur volonté manifeste de mettre fin à
l'avancée des OGM dans nos sociétés, les
détracteurs des biotechnologies modernes n'hésitent même
pas à s'attaquer à ce qui en fait le fondement, ce qui
légitime leur utilisation, au point de rejeter l'argument de
l'amélioration des rendements agricoles par cette technologie des temps
modernes. La cause des incohérences et des faibles rendements des
plantes génétiquement modifiées serait liée
à un facteur biologique, l'instabilité
du transgène, un problème
identifié et décrit par les chercheurs FINNEGAN et Mc ELLROY.
L'instabilité du transgène peut s'expliquer de trois
façons: dans la première hypothèse, les mécanismes
de défense qui protègent l'intégrité de l'organisme
peuvent réduire au silence ou désactiver le gène
étranger qui a été intégré dans le
génome, pour qu'il ne puisse pas s'exprimer. Dans la deuxième
hypothèse, l'instabilité du transgène serait due à
sa construction structurelle plutôt prédisposée à se
fragmenter, à partir de joints artificiels fragiles, pour se recombiner
incorrectement avec l'ADN qui se trouve autour. Enfin, il semble selon des
études qu'il existe des « endroits
privilégiés pour réceptionner
» le transgène à l'intérieur du génome, aussi
bien dans celui de la plante que dans le génome humain. On estime donc
que ces endroits privilégiés pourraient également
être des « endroits privilégiés
pour la recombinaison ». De ce fait on imagine
bien que des transgènes peuvent se détacher de leur construction
pour se recombiner ou envahir d'autres génomes74. En pareille
circonstance on peut avouer que la transgénèse aura manqué
son but. Pour Le Panel pour une Science Indépendante,
l'échec manifeste du coton transgénique en Inde, et de
différentes plantes génétiquement modifiées dans
d'autres parties du monde serait principalement dû à
l'extrême instabilité de ces cultures. Dans cette perspective les
opposants au génie génétique ne manquent pas de faire
l'apologie de l'agriculture biologique au détriment de celle
biotechnologique qui apparaît à leurs yeux comme une
«aberration».
Paragraphe 2 : les biotechnologies agricoles modernes, une
technologie
Approximative
L'enthousiasme créé par la révolution
génétique en agriculture se trouve fragilisé devant les
thèses favorables à une « agriculture soutenable sans
modification génétique ». Plusieurs arguments
démontrent la vacuité des affirmations tendant à faire
croire que les biotechnologies agricoles pourraient constituer une
réponse efficace à l'épineuse équation de la
sécurité alimentaire. Si on estime de ce
côté-là que les OGM ne peuvent pas augmenter la production
agricole comme le pensent certains esprits euphoriques, c'est parce que
l'agriculture biotechnologique a, de diverses façons, montré ses
lacunes. De ce fait, certains auteurs n'hésitent pas à
dénoncer le rapport jubilatoire de la FAO sur les opportunités
réelles que pourraient offrir les biotechnologies agricoles en vue de
faire face à la crise alimentaire que connaît l'ensemble des pays
pauvres75. Ce rapport jugé complaisant éveille des
soupçons sur le parti pris de l'organisation mondiale dans le
débat sur les OGM. Certains estiment que la FAO à travers ce
rapport semble n'avoir pas retenu les enseignements tirés des
problèmes issus de la révolution verte. Comme on le sait, la
révolution verte n'a pas eu que des effets positifs. En effet elle a
entraîné un usage excessif de pesticides, occasionnant un
appauvrissement des sols. Elle a aussi causé des bouleversements
culturels à travers des phénomènes tels que l'exode rural
massif avec à la clé la déperdition du savoir traditionnel
agricole. Elle est par ailleurs accusée de contribuer à
réduire la biodiversité et de mettre les agriculteurs sous
dépendance de l'industrie agrochimique. Comme le fait si bien remarquer
Delvin KUYEK76, on peut tirer deux leçons de l'échec
de la révolution verte en Afrique : d'une part le succès
limité que peuvent avoir des technologies
«révolutionnaires» importées de l'extérieur dans
l'écologie complexe de l'Afrique ; les sols africains
n'étant généralement pas propices à une production
intensive de monocultures à causes des pluies excessives dans certains
cas et insuffisantes dans d'autres cas, de la fréquence
élevée des maladies et des ravageurs ainsi que d'autres facteurs.
Aussi les conditions politiques économiques et sociales conviennent mal
aux technologies « révolutionnaires ». D'ailleurs,
poursuit-il, la Banque mondiale estime que la moitié de ses projets
agricoles a échoué en Afrique parce qu'elle n'avait pas tenu
compte des limites des infrastructures nationales. On présume que ces
problèmes vont connaître une amplification avec l'agriculture
biotechnologique. En effet si on estime dans un certain sens que la
révolution génétique est une double révolution
verte, on pourrait également s'accorder à croire que les
problèmes apparus sous cette révolution auraient tendance
à connaître une double amplification à l'ère des
biotechnologies modernes.
Pour Jacques TESTART et Arnaud APOTEKER77, les
cultures génétiquement modifiées le plus souvent
citées n'ont pas d'existence réelle : par exemple la tomate
à longue conservation, première culture
génétiquement modifiée en 1994, a vite été
abandonnée, son goût rebutant les consommateurs des Etats-Unis.
Ces derniers sont formels sur l'échec du riz doré ou
Golden Rice produisant de la vitamine A. En effet,
expliquent-ils, il faudrait en manger plusieurs kilogrammes pour obtenir la
dose quotidienne requise de vitamine. En outre, les plantes capables de pousser
en terrains peu propices à l'agriculture, notamment les terrains
très riches en sel ou les terrains désertiques en sont toujours
au stade de promesse.
Dans l'ensemble, les cultures génétiquement
modifiées qui font l'objet d'une grande admiration par leurs
défenseurs sont des plantes capables soit de produire elles-mêmes
leur propre insecticide, soit de tolérer les épandages
d'herbicides. Dans le premier cas, l'effet bénéfique initial
risque de s'atténuer en quelques années, car les pestes ainsi
combattues parviennent à s'adapter. Des études
révèlent que dans le cas des plantes Bt
génétiquement modifiées pour produire des protéines
insecticides provenant de gènes de bactérie Bacillus
thuringiensis, certains insectes ont développé une
résistance à toutes ces toxines. Le drame, c'est que des souches
d'insectes résistantes utiliseraient la toxine pour en tirer une source
nutritive supplémentaire, ce qui les rendrait encore plus dangereux pour
les plantes78. Dans le cas des plantes génétiquement
modifiées tolérantes aux herbicides des résultats de
recherches évoquent la possibilité que celles-ci se transforment
par la suite en «super mauvaises herbes» nécessitant davantage
de produits chimiques pour leur élimination, ce qui n'est pas sans
conséquence pour la santé de l'agriculture79. Le moins
qu'on puisse dire, c'est que les plantes génétiquement
modifiées n'auraient pas permis jusqu'à ce jour, une
réduction significative de l'épandage d'herbicides,
d'insecticides et de pesticides sur les champs. Bien au contraire, certaines
cultures transgéniques auraient besoin de plus d'intrants chimiques que
d'autres systèmes de gestion des mauvaises herbes ou des pestes. Par
exemple, le soja Roundup Ready (RR) aurait besoin de deux à cinq fois
plus d'herbicides que son équivalent conventionnel. De même, des
résultats relevés en l'an 2000, par le Département de
l'Agriculture des Etats-unis (USDA) montrent qu'en moyenne, il est
nécessaire d'utiliser trente pour cent de plus d'herbicides pour traiter
un arpent de maïs Roundup Ready(RR) par rapport à une surface
similaire plantée avec du maïs conventionnel. On évoque le
plus souvent le problème des gènes
terminator80 qui stérilisent les graines des
récoltes, obligeant ainsi les paysans à se procurer de nouvelles
semences auprès des firmes productrices des semences OGM. Et même
lorsqu'il ne s'agit pas de semences stériles, la logique marchande des
industries agroalimentaires oblige les paysans à acheter les semences
grâce au système des brevets81.
Dans le sillage du paradigme de l'agriculture intensive,
productiviste et chimique, la mission assignée à certaines
plantes génétiquement modifiées est l'éradication
des mauvaises herbes et des insectes parasites. Cette pratique rompt avec
l'attitude traditionnelle du paysan, résolu à préserver sa
récolte par une sorte de « pacte armé » avec la nature
plutôt que par l'éradication de certaines populations
végétales ou animales considérées comme nuisibles.
En effet le paysan sait que l'ensemble du vivant auquel il appartient est
beaucoup trop complexe pour s'autoriser des actions radicales sans risquer des
catastrophes. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les cultures
génétiquement modifiées favorisent les systèmes
agricoles industriels : alors que l'agriculture des pays
développés est très mécanisée, l'agriculture
de la plupart des pays du tiers-monde dépend de la traction humaine et
animale. De plus, on avance que si les chercheurs en génie
génétique visent à trouver des solutions en
s'intéressant seulement au gène, les praticiens de l'agriculture
durable se préoccupent de l'état des sols, de la gestion de
l'eau, ... ils tiennent compte de la situation socio-économique, des
questions de relations entre hommes et femmes, et des besoins des agriculteurs
tels qu'ils les expriment eux-mêmes. Ainsi pour Delvin KUYEK, «
l'agriculture durable intègre
complexité et diversité alors
que le génie génétique
se fonde sur la simplicité
et l'uniformité »82.
Le prix élevé des semences OGM, associé
à l'utilisation accrue des herbicides, et à un rendement qui
laisse à désirer, auquel s'ajoutent les redevances sur
l'utilisation des semences et les marchés réduits, permet de
conclure que tous ces facteurs mis bout à bout font perdre de l'argent
aux agriculteurs83.
Au total les cultures génétiquement
modifiées telles qu'on les connaît à ce jour
relèveraient aux yeux de plusieurs d'un énorme « bluff
technologique » auquel participent certaines institutions et certains
chercheurs pour des raisons qui échappent à la logique de la
sécurité alimentaire. En effet, la transgénèse
abusivement présentée comme preuve de la maîtrise humaine
du vivant apparaît aux yeux de Jacques TESTART et de Arnaud APOTEKER
comme une « manipulation aléatoire », «
une technologie approximative »84.
Par ailleurs, le problème des risques liés à l'ingestion
des produits dérivés des OGM accroît davantage
l'hostilité de nombreuses personnes à l'égard de ces
« aliments artificiels ».
Section 2 : Du point de vue qualitatif: des risques pour le
consommateur.
Les préoccupations des consommateurs à propos
des OGM concernent principalement la sécurité sanitaire des
aliments. Etant donné que les problèmes posés par
certaines denrées alimentaires non transgéniques, comme les
questions des résidus de pesticides, des contaminants micro biologiques
et, ces derniers temps de certaines autres formes de maladies, prennent leur
source dans l'alimentation, les consommateurs ont parfois des doutes au sujet
de la sécurité sanitaire des aliments produits
dérivés des OGM. On évoque pour cela des risques allant
des simples allergènes aux risques toxicologiques plus graves. En effet,
bien que plusieurs scientifiques aient prétendu que les OGM sont
inoffensifs, des études récentes indiquent que leur ingestion
comporte des risques. Ainsi que le fait remarquer John MADELEY, les nouvelles
protéines présentes dans ces aliments pourraient avoir un effet
allergisant ou toxique susceptible de modifier le métabolisme de la
plante ou de l'animal destiné à la consommation, qui se mettrait
à produire de nouvelles substances allergisantes ou
toxiques85.
Paragraphe 1 : Des risques allergéniques
Les aliments sont des mélanges complexes de
composés caractérisés par la grande diversité de
leur composition et de leur valeur nutritionnelle. Leur manipulation en
laboratoire apparaît aux yeux de plusieurs comme une pratique malsaine
qui induit forcément des répercussions négative sur la
santé humaine. Aussi évoque-t-on des risques potentiels et
réels d'allergie liés à l'ingestion des aliments
dérivés des OGM. L'allergie est la réaction de l'organisme
à une substance normalement inoffensive. De ce fait, l'organisme de la
victime se révèle ainsi très
sensible à cette substance qu'il considère comme
un intrus. Les allergies peuvent se manifester sous la forme de boutons,
d'eczémas (petites plaies) sur la peau, de vomissements ou de
diarrhées. Les risques potentiels seraient dus à la constitution
structurelle hybride des OGM qui explique le phénomène de
l'instabilité des
lignées transgéniques. Certains
scientifiques affirment que ces risques peuvent prendre différentes
formes: le risque d'allergie croisée d'une protéine
transgénique avec des allergènes existants, le risque de
modification d'allergie de cette protéine par modification de son
métabolisme dans la plante transgénique, le risque de
modification d'allergie des protéines propres de la plante
transgénique, et enfin , la possibilité pour une
protéine transgénique d'être sensibilisante par
dissémination aérienne, avec comme effet potentiel, une allergie
alimentaire. En effet, si la voie d'exposition aux allergènes
alimentaires est généralement digestive, des allergies peuvent
également résulter d'une sensibilisation
respiratoire86.
Ainsi contre les arguments selon lesquels les allergies
liées à la consommation d'aliments ne constituent pas un
phénomène propre à l'ingestion des OGM87, les
détracteurs du génie génétique soulignent que les
risques allergéniques dus à la consommation des plantes
transgéniques sont trop élevés pour qu'on les compare avec
les risques liés à la consommation de tout autre aliment. Comme
preuve, on avance par exemple que les allergies au soja ont augmenté de
cinquante pour cent depuis la mise sur le marché du soja
transgénique88.
De ce point de vue, le principe de
l'équivalence en
substance apparaît comme une « mystification
»89. Ce faisant, on n'hésite pas à relever des
risques allergéniques réels pour le consommateur. En effet
plusieurs exemples de cas d'allergies provenant de l'alimentation
transgénique sont signalés un peu partout dans le monde pour
sensibiliser l'opinion publique sur les effets nocifs des OGM pour la
santé du consommateur. Il semble qu'aux Philippines, des villageois qui
habitaient près des parcelles de maïs génétiquement
modifié Bt ont souffert de vertiges et de vomissements au
moment de la pollinisation de plantes génétiquement
modifiées. De même, des cas d'allergies ont été
signalés aux Etats-Unis après la consommation de maïs
génétiquement modifié Starlink90 par
de nombreuses personnes. Ce maïs qui avait été interdit par
l'Union Européenne à cause des risques d'allergie a
été autorisé aux Etats-Unis mais seulement pour nourrir le
bétail. Cependant en 2000, ce maïs a été introduit
illégalement dans l'alimentation humaine provoquant des douleurs, des
vomissements et des diarrhées chez les victimes. Certaines sources
rapportent également que la possibilité d'un transfert
d'allergènes causé par le génie génétique
est apparue au grand jour lorsqu'un producteur de
méthionine91 provenant de la noix du Brésil a
été incorporé au soja pour améliorer sa teneur
nutritionnelle par la société Pioneer Hi-Bred aux
Etats-Unis92.
Enfin selon des informations recueillies par le Panel Pour une
Science Indépendante, les toxines Bt seraient des
allergènes actuels et potentiels pour les êtres humains dans la
mesure où des travailleurs exposés à des épandages
ont souffert d'allergies de la peau93.
Qu'en est-il des risques toxicologiques ?
Paragraphe 2: Des risques toxicologiques
La lutte anti-OGM a atteint sa vitesse de croisière
avec la publication des résultats des recherches entreprises par le
Docteur Arpad PUSZTAI. Lorsqu'il était encore chercheur à
Rowett Reasearch Institute à Aberdeen en Ecosse, PUSZTAI a
obtenu des résultats préliminaires inquiétants :
après avoir mangé des pommes de terre transgéniques, des
rats ont souffert d'un retard de croissance, de problèmes de
développement de plusieurs organes vitaux tels que le foie et le
cerveau, et d'une déficience alarmante du système immunitaire.
Ses travaux allaient donner lieu à l'une des plus
grandes querelles scientifiques (parce que largement médiatisée)
de notre époque dans la mesure où les résultats des
recherches concluaient à la nocivité des OGM94. De
cette expérience, certains scientifiques déduiront des risques
toxicologiques certains liés à la consommation de l'alimentation
transgénique.
Le transfert
horizontal de
gène95, la technique qui consiste à
transférer directement du matériel génétique dans
le génome d'organismes d'espèces totalement différentes
semble être le plus sérieux problème de
sécurité que pose le génie
génétique96. Cela est d'autant plus vrai que certaines
constructions artificielles créées par le génie
génétique nécessitent l'utilisation de virus et de
bactéries qui ne sont en réalité que les véritables
vecteurs de maladie97. Or selon des études, il n'est pas
exclu qu'au cours d'une ingestion d'aliments transgéniques issus de la
recombinaison de l'ADN de bactéries ou de virus, l'estomac humain soit
infecté. On rapporte à ce sujet que des recherches,
autorisées par le gouvernement du Royaume-Uni pour étudier
l'éventualité d'un transfert de gène horizontal dans des
bactéries de l'estomac de volontaires, ont donné lieu à
des résultats positifs98. Les dangers les plus insidieux du
génie génétique résideraient donc dans la
technologie elle-même puisqu'elle augmente grandement la portée et
la probabilité des transferts horizontaux de gènes et de
recombinaison, la voie décrite comme idéale pour la
création de virus et de bactéries qui pourraient provoquer des
épidémies. Il semble que les techniques nouvelles, comme la
recombinaison de l'ADN, permettent aux généticiens de
créer en laboratoire, en quelques minutes, des millions de virus
recombinants qui n'ont jamais existé durant les milliards
d'années de l'évolution de notre monde. Or les virus et les
bactéries susceptibles de provoquer des maladies et leur matériel
génétique sont en toute hypothèse les matériaux et
les outils prédominants du génie génétique, les
mêmes sont utilisés pour la création intentionnelle d'armes
biologiques. Diverses possibilités au service d'une attaque biologique
seraient envisageables par manipulations génétiques : rendre
pathogène une bactérie naturellement offensive, en y
insérant des gènes de toxicité prélevées
sur le génome de bactéries dangereuses, modifier une
bactérie pathogène afin d'empêcher sa reconnaissance par le
système immunitaire ou de la rendre résistante aux antibiotiques,
introduire un virus silencieux dans une population ciblée puis
réveiller ce virus par un signal chimique99 . Une autre
forme de bioterrorisme pourrait être de déclencher des maladies
dites agricoles, ce qui serait à la fois efficace et discret, un
laboratoire agronomique se distinguant avec peine d'un laboratoire militaire et
certains OGM agricoles présentant des points communs avec des agents
bactériologiques militaires100. Le pire est donc à
craindre.
De plus, l'ADN transgénique serait reconnu pour
survivre à la digestion dans l'intestin et pour sa capacité
à pénétrer dans le génome de cellules de
mammifères, ce qui augmenterait la possibilité de
déclencher le cancer101. Par ailleurs, il existe une ample
documentation scientifique montrant que l'augmentation massive des produits
chimiques et phytosanitaires dans le traitement des plantes fait courir un
risque important sur la santé humaine. Et pourtant, des
statistiques102 révèlent que, plus de soixante quinze
pour cent des plantes génétiquement modifiées ont
été conçues pour être tolérantes à des
herbicides. On avance que non seulement ces herbicides tuent les plantes sans
discrimination, mais ils sont également dangereux pour les animaux et
les êtres humains. Certains herbicides à l'instar du
glufosinate d'ammonium et du glufosate sont reconnus
pour leur toxicité. Le glufosinate d'ammonium ou
phosphinothricine utilisé dans le traitement de certaines
plantes génétiquement modifiées est réputé
pour sa nocivité pour les systèmes neurologiques, respiratoire,
gastro-intestinal et hématologique et provoquerait des malformations
chez les humains et les mammifères103. En ce qui concerne le
glyphosate couramment utilisé dans le traitement des plantes
transgéniques appelés «Roundup Ready»
conçues par la firme MONSANTO, des études révèlent
que ce produit constitue la cause principale d'empoisonnements et de plaintes
au Royaume-Uni. En effet on rapporte que nombreuses sont les personnes qui
après avoir inhibé ce produit par voie alimentaire ont perdu
l'usage de certaines fonctions vitales : pertes d'équilibre,
vertiges, réductions des capacités cognitives, troubles de la vue
et perte de l'odorat, troubles de l'ouie et du goût, maux de tête,
baisse de tension, paralysies des muscles, neuropathies, extrême
fatigue104 ... Certains scientifiques vont jusqu'à faire
admettre que l'exposition à ce produit peut doubler le risque de fausse
couche105 et que les enfants de parents qui l'utilisent seraient
plus aptes à développer des troubles de
comportement106. Le Docteur Jorge KACKZEWER107,
médecin à Buenos Aires note à ce propos que le
glyphosate vendu aux agriculteurs n'est pas pur. En effet selon lui,
« dans les formules commerciales,
des ingrédients inertes sont
ajoutés pour que le produit
pénètre mieux dans la
plante », lesquels pourraient également avoir des
conséquences désastreuses sur la santé. Mais ce qui
préoccupe surtout le médecin argentin, c'est leur combinaison
avec le glyphosate car il « crée une
synergie qui produit des
symptômes nouveaux, non explicables
par la symptomatologie de chacun
des produits ». Enfin l'un des problèmes
sérieux que soulève le génie génétique dans
l'alimentation est le risque de résistance aux
antibiotiques. De quoi s'agit-il ? En général, une
expérience de transgénèse nécessite un grand nombre
de cellules eu égard à son faible taux de réussite. Elle
requiert en conséquence la présence d'un système de
repérage permettant de sélectionner les organismes issus de
cellules manipulées ayant intégré le transgène. Le
plus souvent, les chercheurs introduisent avec le transgène un
gène de résistance à un antibiotique, dit gène
marqueur, ce qui permet, par application de l'antibiotique, de détruire
les cellules non modifiées. La source du problème est la
possibilité de transmission du gène de résistance d'une
plante transgénique à des bactéries pathogènes pour
l'homme par le phénomène des transferts horizontaux. Il en
résulterait inéluctablement une recrudescence de la maladie
causée par l'agent pathogène dans la mesure où il serait
quasiment impossible de lutter contre ces gènes pathogènes
résistants aux antibiotiques, transférés à
l'organisme humain avec les antibiotiques actuels. Peut être alors
faudra-t-il « surdoser » les antibiotiques pour espérer avoir
la guérison. De ce point de vue, le développement de
résistance aux antibiotiques peut être envisagé comme une
fatalité. Si la recrudescence de microorganismes pathogènes due
au développement de résistance aux antibiotiques est
réelle, nous pouvons espérer une parade dans les progrès
incessants de la biologie moléculaire, qui ne se contentera
bientôt plus de produire en masse des substances antibiotiques
naturelles, mais inventera certainement de nouvelles molécules
entièrement synthétiques108. Compte tenu des
problèmes posés par le
génétique en ce domaine, la Commission
Européenne a entrepris des travaux en vue d'identifier les gènes
de résistance aux antibiotiques qui devraient être
éliminés des futures constructions génétiques parce
que pouvant présenter un danger pour la santé humaine et
l'environnement109.
Les OGM sont donc perçus ici comme une menace
potentielle et réelle pour le consommateur. C'est ce qui ressort en tout
cas des analyses de certains professionnels de la santé
nutritionnelle.
A ce niveau de la réflexion, on retiendra que
l'introduction des OGM dans l'alimentation et l'agriculture est a priori le
domaine le plus controversé des biotechnologies
modernes110.
Cette situation est liée à la place de choix
qu'occupe l'alimentation dans les sociétés humaines. La question
qui reste entière est de savoir si les motivations profondes qui animent
les pro- et les anti-OGM dans ce débat d'une rare complexité,
sont légitimes. Il est certain que derrière cette confusion
totale se cache bien une guerre idéologique larvée, entretenue
par des intérêts divergents. D'un côté, les
promoteurs des OGM sont représentés par de grands groupes
capitalistes à la recherche de profits, de l'autre côté, se
trouvent des mouvements écologistes et les
altermondialistes111 qui luttent contre le phénomène
de mondialisation dont les OGM feraient partie. De toute évidence toutes
ces contradictions méritent d'être prises en compte pour faire
naître un minimum de consensus autour des opportunités
réelles que pourraient offrir les biotechnologies modernes. Pour
être plus juste, la plupart des partisans des biotechnologies modernes
n'affirment pas que les cultures génétiquement modifiées
peuvent résoudre tous les problèmes. Ils disent que le
génie génétique est seulement un outil essentiel parmi
tant d'autres et qu'il pourrait à cet effet ouvrir de grandes
perspectives dans le domaine agroalimentaire. Mais le génie
génétique entraîne une série de problèmes
pour la sécurité biologique, ce qui exige forcément des
ressources considérables pour en assurer la gestion. Il transfère
la recherche développement en agriculture du secteur public au secteur
privé via les firmes multinationales, et perturbe un processus collectif
de sélection des plantes qui existait depuis des temps
immémoriaux. C'est donc à juste titre que Richard HORTON
éditeur de la revue scientifique anglaise The
Lancet, affirme qu'« il y a un grand potentiel dans la
recherche (...) qui pourrait venir des industries de technologies alimentaires
et toute préoccupation sur la sécurité pourrait mettre en
danger cet investissement gigantesque. On peut donc comprendre que les
scientifiques soient inquiets de mettre en danger cet investissement
» 112. En réalité, les OGM
placent la société toute entière au coeur d'un profond
dilemme entretenu par la volonté de résorber le déficit
alimentaire grâce aux progrès de la science et les exigences de
survie humaine qui réside dans le besoin de sécurité. Nous
pensons avec Georges POSTE, directeur scientifique du groupe pharmaceutique
SMITH KLINE BEECHMAN que « l'angoisse du public face à des
évolutions technologiques que nous tenons désormais comme
acquises ou plutôt non, que nous considérons et exigeons comme des
droits inaliénables trouve sa source commune dans l'ignorance du public
en matière scientifique, et dans la menace ressentie par les pouvoirs
économiques et politiques établis lorsque (...) subsistent des
incertitudes. On devrait tenir compte des ambiguïtés et
prendre des mesures afin de réduire lesdites incertitudes
...»113. La communauté scientifique est donc
appelée à construire le consensus nécessaire autour de la
dialectique OGM / sécurité alimentaire. Certes toute technologie
nouvelle est susceptible d'entraîner des risques directs ou indirects,
cependant les problèmes posés par les OGM surtout dans
l'alimentation exigent une surveillance plus accrue. Il ne s'agit pas pour nous
de vouer cette technologie agricole aux gémonies, mais plutôt de
tenir compte des préoccupations des uns et des autres pour faire avancer
le débat. Sans pour autant entrer dans les considérations d'ordre
scientifique, nous pensons en toute honnêteté que le principe de
l'équivalence en substance est intellectuellement dépourvu de
sens dans la mesure où la composition organique des aliments
transgéniques est bien différente de celle des aliments
conventionnels. Il faudra donc tenir compte de cet aspect des choses dans
l'évaluation des risques sanitaires des aliments.
Somme toute, il faut avouer que la complexité du
débat réside dans la difficulté de discerner entre la
vérité et les rumeurs.
En tout état de cause, rien ne garantit que des plantes
ayant absorbé une quantité importante d'herbicides ne soient pas
toxiques. Les risques croissants d'allergies alimentaires ne sont pas à
écarter, ainsi que la possibilité d'infection des cellules du
corps humain par des vecteurs viraux après ingestion d'aliments
transgéniques. Une recombinaison avec divers éléments
génétiques ou des virus endogènes dans les cellules de
l'hôte pourrait également favoriser l'émergence de virus
pathogènes. Le risque le plus redouté pour l'homme, mais qui
reste encore théorique, est le transfert aux microorganismes de la flore
intestinale de gènes de résistance aux antibiotiques. De toute
évidence, l'apparition très récente des OGM sur le
marché ne permet pas d'avoir le recul suffisant pour évaluer tous
les avantages et tous les risques qui en résulteraient. Tout ceci doit
tempérer les euphories et les angoisses et pousser à la
prudence.
La polémique actuelle sur les OGM, souvent
réduite à leurs avantages et à leurs inconvénients
dans leur rapport à la sécurité alimentaire, n'est rien
d'autre que la partie visible de l'iceberg d'un débat qui
intéresse divers domaines de la société. La question des
OGM cache certains enjeux qui pourraient aussi bien expliquer les
contradictions profondes qui existent entre les acteurs en présence. Il
importe donc d'aborder ces questions qui gardent toute leur importance dans ce
débat multidimensionnel.
DEUXIEME PARTIE : DEPASSER LA CONTROVERSE AUTOUR
DE LA
DIALECTIQUE
OGM/SECURITE ALIMENTAIRE
Après avoir analysé, les enjeux alimentaires
liés aux OGM, la deuxième partie du travail consistera à
exposer, les autres enjeux des biotechnologies modernes (chapitre 1) sans bien
sûr omettre l'analyse des questions juridiques s'y rapportant (chapitre
2).
CHAPITRE I : Les autres enjeux des biotechnologies
modernes
Au delà de la question de la sécurité
alimentaire, les OGM soulèvent des enjeux de divers ordres : enjeux
économiques et politiques, enjeux écologiques et éthiques,
enjeux juridiques, la question des OGM ne manque pas de réveiller des
débats d'école et des querelles de doctrine.
Section 1: Les OGM, des enjeux économiques,
commerciaux et de stratégie géopolitique
Nous aborderons successivement dans cette section, les enjeux
économiques et commerciaux d'une part, et d'autre part, les enjeux de
stratégie géopolitiques liés aux OGM.
Paragraphe 1 : Les enjeux économiques et
commerciaux
D'après le rapport de la FAO sur la situation de
l'alimentation et de l'agriculture 2003/2004, la recherche en biotechnologie
agricole est essentiellement le fait de grands groupes privés
implantés principalement dans les pays industrialisés. Il s'agit
là d'une orientation profondément différente par rapport
à la révolution verte, où le secteur public joua un
rôle de premier plan pour diriger la recherche agronomique sur les
problèmes de la faim et de pauvreté rurale dans le monde en
développement. Pour l'Organisation, ce changement de paradigme a des
répercussions importantes sur le type de recherche, les types de
technologies élaborées, et la façon dont ces technologies
sont utilisées. « La domination du secteur privé
dans les biotechnologie agricoles suscite des préoccupations sur le fait
que les agriculteurs des pays en développement, et en particulier les
paysans pauvres ne pourront en profiter, soit parce qu'ils ne disposent pas des
innovations appropriées, soit parce qu'elles sont trop
coûteuses »114indique-t-elle. Comme le fait
remarquer Stephane DAZIE du Centre Africain pour les études
technologiques : « le développement des biotechnologies
dans l'Est et le Sud de l'Afrique n'est pas basé sur des politiques
particulières que les gouvernements ont mis en place mais sur les
intérêts de certains chercheurs et quelques fondations procurant
les financements»115
Les sociétés transnationales vivent de leur
commerce. Près du tiers des échanges commerciaux se pratiquent
entre les transnationales et leurs propres organisations : une filiale
vend des produits ou en achète à une autre filiale
installée dans un autre pays, par exemple, ou fait du commerce avec la
société mère. Elles sont particulièrement actives
dans les secteurs de la transformation et de la commercialisation des produits
agroalimentaires. Il n'est pas rare que plus de quatre vingt pour cent du
commerce d'un produit agricole se retrouve entre les mains d'une poignée
de méga-entreprises. Les OGM n'échappent pas à la logique
mercantile de ces multinationales. Comme le fait remarquer John
MADELEY116, il existe un lien étroit entre les règles
commerciales élaborées par l'Organisation Mondiale du Commerce et
l'essor du commerce des cultures génétiquement modifiées.
Les impératifs de la croissance économique et de l'accumulation
ont amené les pays industrialisés à s'investir activement
dans le domaine des biotechnologies modernes et à rechercher des
marchés. Ils ont tenté de s'assurer un accès au
marché mondial au moyen des accords de libre-échange, notamment
lors des négociation du cycle de l'Uruguay (Uruguay Round) dans le cadre
du GATT, dont les résultats sont maintenant inscrits dans les statuts de
l'OMC. A ce jour une poignée de méga-entreprises règnent
sur l'industrie des aliments génétiquement modifiés :
il s'agit des firmes Monsanto (USA), de Sagynta (Suisse), de Dupont (USA) pour
ne citer que ces dernières. Pour maximiser leur profit, ces
transnationales doivent vendre leurs semences génétiquement
modifiées partout dans le monde. Cela est rendu possible par
l'instauration des droits de propriété intellectuelle
(DPI) dans les relations commerciales. L'un des principaux facteurs
à l'origine des investissements croissants du secteur privé dans
la recherche sur les biotechnologies est le fait que depuis vingt cinq ans,
entrent en jeu des mesures internationales vigoureuses pour protéger les
droits de propriété intellectuelle. Le secteur privé
a reçu des incitations économiques pour investir dans la
recherche et le développement des biotechnologies modernes. Mais si les
droits de propriété intellectuelle ont fortement stimulé
la recherche du secteur privé dans les pays développés,
ils peuvent en retour restreindre l'accès aux outils de recherche pour
les scientifiques des pays en développement. En effet, de nombreuses
innovations de la génétique sont protégées par des
DPI, ce qui signifie que les pays en développement se heurtent à
des coûts croissants d'accès et d'utilisation des nouvelles
technologies.
Mais qu'est-ce qu'un droit de propriété
intellectuelle ?
Le droit de propriété intellectuelle
reconnaît à un individu ou à une firme, la
propriété exclusive sur une invention, sur les nouveaux
résultats d'une recherche ou d'une sélection. Pour certaines ONG
africaines, la société industrielle et la logique de profit qui
la soutient ont permis de développer ce mécanisme pour
protéger les créations de l'esprit. Un DPI est accordé
à toute firme qui en fait la demande et qui peut montrer que le produit
à protéger est un nouveau produit. Les brevets qui
matérialisent ces DPI117 assurent aux inventeurs ou
créateurs, le droit exclusif d'exploiter leur invention pendant une
certaine période. De façon plus concrète, les DPI
empêchent les autres d'exploiter cette invention ou création et
permettent ainsi aux créateurs de tirer un bon profit, monétaire
généralement de leur invention. Après cette
période, l'invention tombe dans le domaine public et peut être
exploitée par d'autres individus ou d'autres firmes.
Le brevet accorde à son titulaire l'exclusivité
de son innovation, exclusivité qui comprend la fabrication, la vente, ou
la distribution de l'article ou de la matière brevetés, de
même que l'utilisation ou l'exploitation de la méthode ou du
procédé en vue de fabriquer un article ou une substance. Le
brevet serait le mode de protection de la propriété
intellectuelle qui rapporte plus de profit à son
propriétaire ; il lui confère un monopole d'exploitation de
vingt à vingt cinq ans. Mais la procédure d'obtention des brevets
serait également coûteuse118. Toutefois le
propriétaire d'un brevet peut autoriser un tiers à utiliser son
produit ou son procédé contre le paiement d'une redevance ou
royalty. L'accord de l'OMC accorde une place dominante aux brevets. En effet,
à travers les Accords sur les Droits de Propriété
intellectuelle touchant au Commerce (APDIC), l'Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) oblige les Etats-parties à se doter d'un système
de protection de la propriété intellectuelle. L'accord sur les
APDIC est l'entente internationale la plus exhaustive qui existe sur les droits
de propriété intellectuelle ; elle complète les
conventions de la propriété intellectuelle en les assortissant
d'obligations substantielles découlant des règles de
l'OMC119. Tout en autorisant les pays membres à interdire le
brevetage des plantes et des animaux, l'article 27,3(b) requiert
néanmoins une forme de protection de la propriété
intellectuelle pour les nouvelles variétés
végétales. Les firmes biotechnologiques se servent bien
évidemment de ce cadre juridique pour non seulement amortir le
coût des investissements opérés mais également
réaliser de gros profits.
Dans le cas des brevets sur la vie, il s'ensuit que leurs
détenteurs peuvent empêcher tout autre personne de fabriquer ou
d'utiliser les semences, plantes et animaux ainsi brevetés. Pour Ralph
NADER, « Sous le régime autocratique et secret de l'OMC,
les transnationales, convoitent le monopole international des brevets, et non
seulement sur les médicaments mais sur les semences, la flore et la
faune. Les règles visent à soumettre les normes des pays membres
en matière de santé et de sécurité alimentaire aux
impératifs du commerce international ». A en croire
certains esprits hostiles à la philosophie libre-échangiste qui
guide les relations commerciales actuelles dont l'OMC passe pour être le
porte voix, les
transnationales se servent de cette instance pour
« instaurer un marché mondial
déréglementé qu'elles pourront contrôler et
où il n'y aura pas de place pour des lois efficaces destinées
à protéger l'environnement et les droits de
l'homme »120. Les transnationales favorisent la
monoculture et, partout où c'est possible, exigent des agriculteurs
qu'ils achètent leurs intrants, en plus de leur interdire de conserver
ou de vendre leurs propres semences. En contrôlant le matériel
génétique de la semence au marché et en obligeant les
fermiers à payer des prix parfois au-dessus de leurs moyens, pour leurs
semences et leurs intrants, les grandes firmes tentent de tirer le maximum de
profits de leurs investissements. Les grandes firmes semencières n'ont
certainement pas inventé les semences génétiquement
modifiées pour aider les petits agriculteurs des pays du Sud. Ces
derniers craignent que les OGM ne nuisent à leur agriculture et à
leur sécurité alimentaire, tout particulièrement en
permettant à des transnationales de contrôler leur
approvisionnement alimentaire. Dans les pays du Sud en particulier, ces
monopoles menacent grandement les bases de la sécurité
alimentaire dans la mesure où le contrôle des semences
échappe de plus en plus aux agriculteurs. La technologie
« terminator » mise au point par la firme MONSANTO
et qui oblige les paysans à renouveler leurs semences chaque saison
trahit bien les velléités d'expansion économique des
industries biotechnologiques. Or la majorité des petits agriculteurs du
tiers-monde n'ont pas les moyens d'acheter de nouvelles semences chaque
année. Et comme la plupart des banques sont réticentes à
accorder des prêts à des paysans qui ne peuvent offrir de
garanties, il leur est difficile d'emprunter. De toute façon, même
s'ils avaient accès au crédit, bon nombre d'agriculteurs sont
d'avis que les semences, trop importantes pour être laissées entre
les mains d'entreprises étrangères, doivent demeurer sous le
contrôle des communautés locales. Dan GLICKMAN, secrétaire
américain à l'agriculture sous l'administration CLINTON attira
d'ailleurs l'attention sur « le risque que les petits
agriculteurs deviennent dépendants des technologies brevetées par
des entreprises privées, notamment les OGM, soulignant que les choix
motivés par les intérêts commerciaux en matière de
développement technologique ne répondent pas aux besoins des
agriculteurs démunis et, pire encore, qu'ils risquent de les
réduire à la condition de
serfs. »121 Le système des brevets et
le rôle que jouent les grandes firmes dans le secteur des aliments
transgéniques représentent un risque pour les petits agriculteurs
au profit des grandes firmes monopolistiques. Les brevets apparaissent comme un
outil vital des transnationales. Les grandes firmes de la biotechnologie
possèdent les ressources pour mettre au point des produits brevetables
et les protéger légalement, ce que favorisent d'ailleurs les
règles de l'OMC. Pour Mark CURTIS, « les règles du
commerce international sur les brevets permettent à
des entreprises colossales d'accaparer le contrôle des produits du Sud
aux dépens des affamés. »122
De nos jours, des compagnies, des universités, des
chercheurs et, en particulier, des gouvernements semblent jouer gros en se
lançant dans une chasse au trésor des brevets dont la vente leur
rapportera des milliards de dollars. Ainsi, on a pu voir à la fin du
vingtième siècle des brevets être accordés à
l'égard du savoir et des plantes des indigènes, des
mictro-organismes, des gènes, des animaux, voir des cellules et des
protéines humaines.
La mondialisation des systèmes de DPI à
l'occidentale dans un monde où règnent de profondes
inégalités vient saper directement les droits économiques
des pauvres.
Ainsi que le signalait Deepak NAYYAR, « Il est
essentiel de garantir une récompense aux innovateurs, mais la protection
des bénéfices monopolistiques ne doit certes pas avoir la
préséance sur les intérêts des consommateurs dans un
monde qui se caractérise par un développement
inégal»123. Le défi consiste dans l'atteinte
d'un équilibre : une protection qui encourage l'innovation sans
nuire au bien commun. L'Accord sur les ADPIC a malheureusement
dépassé ces limites en protégeant les droits des
investisseurs sans créer un régime de protection de
l'intérêt public. Tout ceci soulève le problème du
commerce équitable dans les relations Nord-Sud. En effet, les
règles actuelles du commerce international font peser sur les petits
producteurs marginalisés une pression de plus en plus forte contre
laquelle ils n'ont pas les moyens de lutter. Le commerce
équitable124 propose un nouveau modèle basé sur
une relation plus équilibrée entre les différents
partenaires commerciaux. Soutenu par les consommateurs, ce commerce garantit
aux producteurs des pays en voie de développement l'achat de leurs
marchandises à un prix « juste » à l'abri des
fluctuations du marché.
Paragraphe 2 : Les enjeux de stratégie
géopolitique
Le débat sur les OGM remet en selle la
problématique des relations Nord-Sud et la querelle
idéologique qui la soutend. La question du brevetage du vivant dans les
relations commerciales contribue fortement à entretenir ce débat.
Vandana SCHIVA125 note à ce propos que dans l'histoire, le
brevet a pendant longtemps été utilisé comme un instrument
de conquête coloniale. Aujourd'hui, les brevets sont souvent
perçus par le tiers-monde comme des outils d'un néocolonialisme,
mais les puissances occidentales les assimilent à un « droit
naturel » ; un conflit naît ainsi de l'opposition entre
les DPI et les droits des communautés villageoises. Ce conflit est
curieusement entretenu par l'opposition marquée entre la convention sur
la biodiversité et l'accord sur les ADPIC. En effet, alors que la
convention de Rio, entrée en vigueur en 1993 entend promouvoir la
reconnaissance des droits des communautés locales et des populations
autochtones à leurs ressources biologiques, en se fondant sur le
« principe d'un partage équitable des avantages
découlant de l'utilisation des ressources génétiques,
l'accord sur les ADPIC, ne promeut pas le partage des profits mais la
privatisation des ressources
génétiques »126 . Plusieurs
observateurs du Sud voient dans la convention sur la biodiversité, un
moyen de contrebalancer les droits accordés par les ADPIC.
L'appropriation du vivant à travers les brevets est
considérée comme un acte de biopiraterie par les populations
autochtones du Sud qui estiment que l'accord sur les ADPIC favorise le vol de
leurs ressources naturelles. A ce propos, un rapport d'Action Aid indique que
soixante deux brevets « seraient reliés à la
biopiraterie (...), ceux-ci permettant à des entreprises de nations
riches d'exploiter des ressources aux dépens de paysans pauvres et
de leurs
Familles »127. Lors de la rencontre
ministérielle de Seattle, les représentants des pays du
tiers-monde ont exprimé de vives inquiétudes concernant les
droits relatifs à la propriété intellectuelle. Il est
affirmé dans l'une de leurs déclarations ceci :
« Certaines plantes que des peuples autochtones ont
découvertes et qu'ils cultivent et utilisent pour se nourrir, se soigner
ou s'adonner à leurs rituels sacrés ont déjà
été brevetées aux Etats-Unis, au Japon et en Europe. En
voici quelques exemples : l'aya-huasca, le quinoa et le sangre de drago,
qui poussent dans les forêts d'Amérique du Sud ; le kava,
dans le Pacifique ; le curcuma et le melon amer, en Asie.
Notre accès à la biodiversité environnante et le
contrôle que nous exerçons sur nos ressources
génétiques ainsi que sur notre savoir traditionnel et notre
héritage intellectuel sont menacés par l'Accord sur les ADPIC.
L'article 27,3(b) de cet accord autorise en effet le brevetage des formes de
vie et établit une distinction artificielle entre plantes, animaux et
micro-organismes. En ce qui nous concerne, ce sont tous là des formes et
des processus de vie qui sont sacrés et ne sauraient être
considérés comme une propriété
privée»128. Le problème de la
privatisation du vivant au moyen des brevets est aussi lié à
celui des OGM. Il est évident que la question des OGM n'est pas
réductible à celle des brevets et que réciproquement, la
problématique de la privatisation du vivant dépasse le domaine
strict de l'agriculture et de l'alimentation. Cette dernière question
touche également aux domaines de la santé et du
médicament. Le brevetage du vivant et les manipulations
génétiques constituent de véritables menaces pour les
droits des communautés de base.
Visiblement l'idée de transfert de technologie sert
souvent de prétexte à l'Occident pour drainer la technologie du
Sud vers le Nord. Les tentatives de mainmise sur l'héritage
génétique du tiers-monde en général, et
l'héritage génétique africain en particulier
participeraient d'un projet bien défini: il s'agit d'intégrer
dans la sphère de l'échange marchand, les pratiques
séculaires de gestion des écosystèmes et de la
biodiversité développées par les sociétés
locales, en particuliers les agriculteurs. Ces tentatives visent même
à subordonner ces pratiques à des règles commerciales
édictées au niveau mondial, bien souvent pour le
bénéfice des opérateurs privés. La connaissance des
ressources génétiques qu'ont acquises les paysans profite tant
aux habitants qu'aux entreprises du Nord. Cependant, les agriculteurs du Sud ne
touchent aucune « redevance » pour leur
« propriété intellectuelle ». Alors qu'il n'a
jamais été question que les agriculteurs acquièrent des
brevets sur les semences qu'ils améliorent, les transnationales, elles,
font breveter de nouvelles variétés qu'elles prétendent
avoir inventées alors que ce sont les paysans qui travaillent à
les mettre au point depuis des siècles. Les peuples autochtones se
sentent ainsi floués. L'exemple de biopiraterie dont on fait le plus
souvent cas est celui de la thaumatine, un édulcorant naturel
extrait des fruits d'un arbuste appelé katemfe
(thaumatococcus daniellii) qui pousse dans les forêts
de l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale. Depuis des siècles
apparemment, les populations de ces régions utilisent les fruits de cet
arbuste pour sucrer les aliments ou pour renforcer leur goût. Des
chercheurs de l'université d'Ifé au Nigeria ont découvert
que la protéine extraite de cette plante est environ deux mille fois
plus sucrée que le saccharose (le sucre ordinaire).
Depuis quelques années, la thaumatine est
utilisée par les industries de l'alimentation et de la confiserie dans
plusieurs pays. Plusieurs sociétés ont tenté d'utiliser la
technologie de l'ADN recombinant sur le gène producteur de la
protéine de la thaumatine. Beatrice Food, une firme
agroalimentaire a obtenu un brevet aux Etas-Unis pour le procédé
de clonage du gène dans la levure. Il semble également que des
chercheurs de la société Lucky Biotech Corporation et de
l'université de Californie ont reçu un brevet américain
pour tous les fruits, les semences et légumes trangéniques
renfermant le gène qui produit la thaumatine. A ce rythme, il
est fort probable que des plantations de katemfe ne seront
bientôt plus nécessaires ; les pays où le
katemfe est cultivé ne pourront alors même plus en
exporter les fruits129.
Les agriculteurs des pays en développement craignent
que le fait d'accorder des brevets sur des produits agricoles à des
sociétés transnationales ne mette leur indépendance en
péril et ne les contraignent à quitter leurs terres. Ils
craignent également que cela ne favorise la prolifération de
variétés génétiquement uniformes et
réduisent leur choix aux semences. Les agriculteurs revendiquent le
droit de conserver, d'utiliser, et d'échanger les semences qu'ils ont
mis des années à obtenir. Ils veulent s'assurer que les brevets
ne compromettront pas leurs pratiques agricoles et qu'ils pourront toujours
semer des variétés brevetées sans demander de permission,
ni payer des redevances. Ainsi que le fait remarquer Wangari Maathai,
du Greenbelt Movement au Kenya,
« Pour assurer leur sécurité alimentaire, les
communautés locales doivent avoir accès aux semences, pouvoir les
améliorer et les échanger librement, et produire suffisamment de
nourrture pour subvenir à leur besoins.(...) Le recours au
génie génétique menace la sécurité
alimentaire de la génération actuelle et des
générations futures. »130.
Au-delà même de la sécurité alimentaire, c'est la
question de la souveraineté alimentaire131 qui est mise en
cause avec l'introduction des OGM dans la sphère alimentaire. Il est
essentiel de bien percevoir que, derrière les OGM, se dessine plus
généralement la question des semences. En effet en
contrôlant désormais les semences qu'elles mettent au point, les
firmes biotechnologiques ne s'assurent-elles pas également du
contrôle des approvisionnements alimentaires ? La maîtrise des
semences garantit le contrôle de la production alimentaire. Se couper de
toute une partie du développement des semences reviendrait à
renoncer à une large part de l'indépendance alimentaire. N'est-il
pas vrai que le meilleur moyen de dominer une communauté, c'est de
s'assurer le contrôle de son alimentation ? Il est donc permis
de se poser des questions sur la pureté d'intention de ceux qui
proposent les semences ou les aliments transgéniques sur les
marchés. On peut légitimement soupçonner les firmes
détentrices des brevets sur les OGM d'avoir avant tout pour ambition de
rendre leurs clients agriculteurs dépendants de leurs
fournitures, et d'être essentiellement des
commerçants pour qui toutes les stratégies sont permises pour
écouler leurs produits avec le maximum de profit. Mais l'on peut surtout
s'étonner de l'agressivité assortie parfois de menaces, dont font
preuve les USA pays d'origine de la plupart de ces firmes. Elle fait douter de
leur générosité pour l'Afrique, d'autant plus qu'il est
démontré que les USA peuvent aider l'Afrique à
éviter la famine sans recourir aux OGM, avec les stocks alimentaires
mondiaux actuels. Pour le professeur Johnson EKPERE, les pays du Sud subissent
« une pression pour accepter les biotechnologies de la part des
pays qui y ont de gros intérêts. Cela se manifeste de
différentes manières : politique, économique et
scientifique. La pression politique est la plus forte. Accepter les
biotechnologies est désormais souvent une condition pour obtenir une
aide financière »132. Le lobby occidental des
brevets voudrait convaincre tout le monde de la nécessité de ces
derniers pour favoriser la croissance et atteindre un niveau de vie
élevé dans le cadre de marchés libres
réalisés grâce à l'invention technologique. Les DPI
stimuleraient l'investissement, le transfert de la technologie du Nord vers le
Sud ainsi que la recherche et l'innovation. Or la réalité est
tout autre. Les systèmes de brevets drainent à l'heure actuelle
la technologie et la richesse du Sud vers le Nord. Les exemples du riz
basmati et de la plante neem sont édifiants.
Le riz basmati, communément appelé le « joyau
de la couronne » en Asie pour son arôme, ses grains longs et
fins et son goût unique est beaucoup prisé au Pakistan et en Inde.
Dans ces deux pays, des centaines de milliers de petits fermiers cultivent
depuis plusieurs siècles diverses variétés de ce riz,
qu'ils sélectionnent et préservent eux-mêmes. En septembre
1997, Rice Tec inc., une petite firme du Texas a obtenu un brevet
controversé sur le riz basmati. « Le brevet que
détient Rice Tec sur le basmati est considéré par
plusieurs comme un cas classique de biopiraterie » signale La
Rural Advancement Foundation International (RAFI, aujourd'hui Action Group on
Erosion, Technology and Concentration ), car « non seulement il
usurpe le nom de basmati, mais il tire profit du génie
génétique des agriculteurs d'Asie du Sud. Le brevet en question
s'applique à des croisements touchant vingt deux variétés
de riz basmati mis au point par des paysans du Pakistan et de
l'Inde ». De son côté, l'entreprise
américaine prétend avoir découvert la texture du riz
après la cuisson en mesurant l' « indice
d'amidon » d'un grain. Or d'après KR Bhatttachrya, ancien
directeur du département des sciences céréalières
de l'Institut central de recherche sur les techniques alimentaires de Myrose,
en Inde, « le prétendu rapport entre l'indice
d'amidon et le comportement du riz à la cuisson est faux, artificiel, et
fallacieux ; il y a tout lieu de croire qu'il s'agit là d'un
subterfuge dont Rice Tec s'est servi pour obtenir son
brevet »13 3. Ceux qui contestent le brevet de
la compagnie Rice Tec soutiennent que l'utilisation qu'elle fait du nom
basmati est frauduleuse car seul le riz cultivé dans le nord de
l'Inde et au Pakistan a droit à cette appellation.
En ce qui concerne, le neem (margousier,
Azadiracta indica ) cette plante est utilisée à de
nombreuses fins depuis des siècles, notamment en médecine et en
agriculture. Les valeurs culturelles, médicinales et agricoles
conjuguées du neem ont contribué à sa diffusion
à grande échelle et à sa popularité. C'est ainsi
qu'en Inde, le neem est appelé l'«arbre
gratuit ». Pendant des siècles, le monde occidental a
ignoré l'existence de cette plante et de ses propriétés.
Depuis quelques années, cependant l'opposition croissante aux produits
chimiques en Occident, en particulier aux pesticides, a provoqué un
enthousiasme soudain pour les propriétés pharmaceutiques du
neem, de sorte qu'en 1985 aux Etats-Unis, des sociétés
américaines et japonaises ont obtenu plus d'une dizaine de brevets sur
des formules stables de solution et d'émulsion à base de
nems, y compris un dentifrice. Ainsi la multinationale Grace, une fois
ses brevets obtenus et devant la perspective d'une licence d'exploitation de
l'Agence de Protection de l'Environnement, a cherché à
commercialiser son produit en s'établissant d'abord en Inde.
La demande de semences de la compagnie a eu trois
effets : le prix des graines de neem est maintenant hors de la
portée des simples citoyens ; en fait l'huile de neem
utilisée dans les lampes est quasiment introuvable parce que les
huileries ne peuvent plus se procurer les graines. La compagnie achète
presque toutes les graines recueillies, les agriculteurs et les fournisseurs
autochtones de soins de santé n'y ont plus accès, emportant comme
conséquences l'inaccessibilité des pauvres à une ressource
essentielle pour leur vie, ressource qui leur était auparavant offerte
facilement et à bon marché. Le vif intérêt de Grace
pour la production du neem a soulevé une vive protestation des
scientifiques, des agriculteurs et des militants politiques indiens. Pour eux,
les multinationales n'ont pas le droit de s'approprier les résultats
obtenus après des siècles d'expérimentations autochtones
et des décennies de recherche « scientifique »
indienne. De son côté, pour se justifier, la multinationale
prétend que les procédés modernes d'extraction constituent
bel et bien une invention. Bien que les travaux de recherche et de
développement ayant débouché sur ces compositions et
procédés brevetés se soient inspirés du savoir
traditionnel, le résultat a été jugé suffisamment
nouveau et différent du produit naturel original et des modes
d'utilisation traditionnels pour être brevetable.
Du reste, les OGM posent le problème de l'aide
alimentaire. En effet, malheureusement celle-ci est de plus en plus
utilisée comme arme pour créer des marchés au profit de
l'industrie de la biotechnologie et des aliments génétiquement
modifiés. L'exemple le plus frappant de cette forme d'«aide
inhumaine» fut la tentative de l'USAID de fournir du maïs
transgénique aux pays d'Afrique australe frappés par la famine,
tels que la Zambie, le Zimbabwe et le Mozambique qui ont pourtant
refusé. La combinaison des changements climatiques et des programmes
d'ajustement structurel imposés par la Banque Mondiale, a fait de cette
région une victime de la sécheresse et de la famine. En 2003,
plus de trois cent mille personnes y étaient confrontées
directement et la politique qui consiste à leur envoyer une aide
alimentaire contenant des OGM est devenue un problème sérieux.
Déjà lors de la première session qui clôtura le
sommet de la terre à Johannesburg en Afrique du Sud en 2002,
l'ex-Secrétaire
d'Etat américain Collin POWELL fut hué à
la fois par les ONG et les gouvernements, alors qu'il insistait pour que les
pays africains importent les aliments génétiquement
modifiés en provenance des USA. Mieux, des centaines de
représentants des paysans africains ont condamné la pression
exercée par les USA pour distribuer une aide alimentaire à base
d'OGM. A la place, ils ont proposé des solutions locales, reposant sur
le droit à la terre,
à l'eau et aux semences. Dans la même
foulée, le président zambien Levy MWANAWASSA avait
déclaré que son peuple préférerait mourir
plutôt que de manger des aliments toxiques134. Le
président Zambien avait par ailleurs condamné la FAO, l'OMS et le
PAM qu'il accusait
d'irresponsabilité en raison de leur soutien aux
USA135. « Nous sommes peut être pauvres et nous
faisons peut être face à une pénurie alimentaire, mais nous
ne sommes pas prêts à exposer le peuple à des risques de
maladies » avait-il insisté136. La
mondialisation sert souvent de prétexte à l'Occident et tout
particulièrement aux Etats-Unis qui veulent accéder librement
à tous les pays pour trouver des fournisseurs et vendre leurs produits
partout où les entreprises alimentaires peuvent avoir des coûts
plus bas et faire de gros profits. Le gouvernement des Etats-Unis a
généralement profité de certaines crises et a
cherché à protéger et à renforcer sa domination
dans le système alimentaire mondial en étendant le contrôle
monopolistique de ses entreprises sur les secteurs clés du
système alimentaire, s'assurant ainsi que les profits et les royalties
continueront à affluer vers ce pays. Dans ce nouveau contexte mondial,
les cultures génétiquement modifiées ne sont pas seulement
une nouvelle technologie pour l'agriculture des Etats-Unis ; elles sont en
première ligne de la politique étrangère de ce pays. En
effet le gouvernement américain a de plus en plus recours à des
accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux et
à une pression diplomatique au plus haut niveau pour pousser les pays
à adopter des réglementations favorables aux multinationales
concernant les cultures transéniques137. Tout ceci faire dire
à Peter HENRIOT que la controverse sur les OGM participe
du « paysage plus large de la mondialisation. Elle met bien
en évidence les connivences géopolitiques du commerce mondial
alliées aux influences politiques et aux intérêts des
grandes sociétés multinationales »138.
Section 2 : Les enjeux écologiques et
éthiques
Nous aborderons tour à tour les questions
écologiques et environnementales et les questions éthiques
découlant de la problématique des OGM
Paragraphe 1 : les enjeux écologiques ou
environnementaux
Considéré comme un droit de l'homme à
part entière, le droit à un environnement sain est reconnu dans
l'ordre juridique interne139 des Etats et dans l'ordre juridique
international.
Le principe 1 de la Déclaration de Stockholm (1972) lie
cependant les normes de protection de l'environnement aux droits humains
stipulant que : « l'homme a un droit fondamental
à la liberté, à l'égalité, et à des
conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité
lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être, il a le
devoir solennel de protéger et d'améliorer l'environnement pour
les générations présentes et futures ». Il
existe bien sûr un lien étroit entre le droit à un
environnement sain et les autres doits de l'homme, mais il est souvent plus
facile d'aborder les problèmes liés à l'environnement par
d'autres droits de l'homme que par le droit à un environnement sain
lui-même. La détérioration de l'environnement affecte le
droit à la vie, à la santé, au travail, à
l'éducation, entre autres droits. C'est autant dire que le droit
à l'environnement est un droit fondamental de l'homme.
Certains aspects de la problématique des OGM touchent
à ce droit fondamental. En effet, le débat que les OGM suscitent
dans le monde entier a donné lieu à des alliances entre groupes
disparates s'intéressant à la sécurité sanitaire
des aliments mais également à la protection de l'environnement.
Il semble que les risques concernant l'environnement diffèrent à
plusieurs
égards. De l'avis de certains écologistes, la
pratique des plantes génétiquement modifiées est
préjudiciable à l'environnement. En effet le développement
de l'agriculture biotechnologique favorise la monoculture
généralement pratiquée sur de grandes surfaces. Une telle
situation peut conduire à l'évidence à une perte
substantielle de la biodiversité à travers l'adoption d'un
système agricole moderne bien aux antipodes des techniques culturales
traditionnelles telles que adoptées en Afrique par exemple. En effet, en
Afrique alors que la tendance est à une diversification des cultures sur
une même parcelle de terre (diversité génétique), ce
qui a pour avantage de sauvegarder la biodiversité, l'agriculture
biotechnologique monoculturale repose sur l'uniformité
génétique. De plus, les cultures génétiquement
modifiées peuvent avoir une influence sur les autres cultures, mais
aussi sur les autres organismes qui vivent dans les champs, dans le sol et
autour des champs. On note donc des risques de dissémination, de
pollution et de contamination liés à l'invasion des cultures
génétiquement modifiées.
Les plantes génétiquement modifies se conduisent
comme toutes les autres plantes, c'est-à-dire qu'elles se
fécondent entre elles, se croisent avec les plantes du champ voisin,
produisent des graines qui se multiplient et se disséminent. Les OGM
plantés en plein champ vont donc se croiser avec les plantes voisines
sous l'effet du vent ou par le canal des insectes et envahir leur
environnement, contaminant les autres cultures. Les OGM peuvent donc se
répandre de façon incontrôlée dans la nature sous
l'effet de la pollinisation croisée. L'histoire de Percy SCHMEISER
illustre bien cette possibilité. Agriculteur canadien, Percy SCHMEISER
cultive du colza, une plante oléagineuse des pays froids, depuis des
dizaines d'années. Il a développé sa propre
variété locale qui résiste bien aux maladies et qui a peu
de mauvaises herbes. En 1996, ses voisins achètent à Monsanto,
la variété de colza transgénique qui tolère
l'herbicide Round Up, lui-même commercialisée par Monsanto.
En 1997, Percy SCHMEISER pulvérise comme d'habitude de
l'herbicide Round Up sur les bords de son champ afin d'éliminer les
mauvaises herbes et les repousses de colza. Deux semaines plus tard, il
remarque que ces plants de colza ont survécu et résistent
à l'herbicide. Ce qui signifie que son champ de colza conventionnel a
bien pu être contaminé par les cultures voisines de colza
génétiquement modifié. La preuve : il récolte
son colza et, comme il l'a toujours fait, il utilise une partie de sa semence
pour l'année suivante. En 1998, Monsanto l'accuse d'avoir utilisé
son colza transgénique breveté sans payer le prix de la licence
d'utilisation. L'affaire est portée en justice140. La
possibilité de la contamination des cultures biologiques ou
conventionnelles par les cultures transgéniques pose le problème
de la coexistence entre les différentes filières. En effet est-il
techniquement possible de faire coexister les filières
génétiquement modifiées et les filières non
génétiquement modifiées sans que les premières ne
nuisent aux secondes. Les scientifiques semblent être pour le moins
unanimes sur la question. En effet suite à l'affaire Percy SCHMEISER qui
constitue un exemple en la matière, une frange non moins
négligeable de la communauté scientifique
Estime que le principe de la
coexistence des différentes filières est un leurre. Dans
un rapport présenté à la Commission Européenne en
janvier 2002, l'Institut d'Etudes Technologiques Prospectives du Centre
Européen des Recherches Conjointes affirmait que « La
coexistence entre l'agriculture OGM et non-OGM ou l'agriculture biologique est
impossible... »141. Des tests sur le flux de pollen
ont montré que le pollen de blé peut voler au moins une heure, ce
qui voudrait dire qu'il peut, selon la vitesse du vent, parcourir une distance
très longue. Le pollen de colza, qui est encore plus léger, peut
voler entre trois et six heures. Un vent normal de soixante dix
kilomètres à l'heure, se « moque des distances de
séparation de quelques centaines de mètres
prévues par la loi » commente Percy SCMEISER qui semble
tourner en dérision ceux des scientifiques qui estiment que le risque de
contamination peut être efficacement contrôlé, à
condition de prévoir des mesures rigoureuses qui sont entre autres,
« L'établissement des zones-tampons entre les cultures des
deux types, le recours à des pièges à pollen ou la bonne
gestion des dates de semis et de récolte pour créer un
décalage entre les périodes de pollinisation des plantes
génétiquement modifiées et les autres plantes, le respect
scrupuleux des distances d'éloignement entre ces cultures avec la
possibilité de les moduler en fonction des espèces d'une part, et
des conditions particulières de la zone, d'autre
part.»142. Contrairement à Percy SCHMEISER,
certains écologiques favorables aux OGM vont plus loin pour affirmer que
l'utilisation des plantes génétiquement modifiées peut
avoir des effets bénéfiques sur l'environnement dans certains
cas, notamment par la réduction de quantité de produits
phytosanitaires avec des plantes génétiquement modifiées
peu exigeantes en pesticides ou en insecticides. On évoque même de
plus en plus la possibilité de l'utilisation de produits moins polluants
parce que biodégradables à partir des manipulations
génétiques143.
Si ces solutions méritent qu'on y prête une
oreille attentive, on ne peut néanmoins s'empêcher de se poser
quelques questions sur la coexistence des différentes
filières ; en effet, comment peut-on éviter que les graines
de maïs génétiquement modifié tombent par terre et
germent plusieurs années après ? Comment un agriculteur
pratiquant les cultures biologiques ou conventionnelles peut-il être
sûr que son tracteur, sa charrette et même ses bottes ne
transportent pas de grains transgéniques ? Comment alors peut-on
éviter les mélanges de semences sur les lieux de stockage ?
C'est à autant de questions qu'il faudra répondre si on veut
appliquer le principe de la coexistence des différentes
filières.
Concrètement, il est extrêmement difficile de
faire coexister deux filières étanches, l'une
transgénique, l'autre biologique ou conventionnelle. En effet, quand les
semences sont mélangées dans les charrettes ou les greniers, il
est souvent difficile de faire le tri entre les OGM et les cultures
traditionnelles, car les grains se ressemblent beaucoup. Seule une analyse
technique complexe (analyse PCR) permet de vérifier si le patrimoine
génétique d'une semence a été modifié ou
non144. De plus en plus les transnationales intervenant dans le
domaine des biotechnologies s'activent en vue de sauvegarder la
diversité génétique des semences des plantes
cultivées145. Pour certains observateurs à l'instar de
Robert Ali Brac De La PERRIERE et Frederick PRAT, « Si les
industriels promoteurs des cultures transgéniques prennent au
sérieux la nécessité de sauvegarder les ressources
génétiques des plantes, c'est parce que de nombreux indices
attestent la contamination des plantes conventionnelles par les plantes
génétiquement
modifiées »146. La dispersion du
pollen des plantes génétiquement modifiées dans la nature
et précisément dans les mauvaises herbes pourrait rendre ces
dernières plus résistantes aux herbicides et aux insectes, ce qui
nécessiterait pour leur traitement l'usage de produits plus puissants et
plus toxiques. De plus, on admet que l'utilisation répétée
d'un même herbicide peut entraîner une modification de la flore
car sous l'effet des pressions très fortes qui s'exercent sur elles, un
processus de sélection fait apparaître des biotypes
résistants aux herbicides associés aux plantes
transgéniques conçues pour posséder une tolérance
à l'égard de ces herbicides. Autre risque : la
possibilité d'une colonisation du sol par les plantes
génétiquement modifiées. Le génie
génétique permet en effet qu'une fois utilisé, par exemple
du soja génétiquement modifié sur un sol donné, il
ne soit plus possible d'y cultiver du soja biologique. Les effets
écologiques ou génétiques de l'introduction d'OGM dans
l'environnement peuvent inclure :
- Des effets non voulus sur la dynamique des populations
animales et végétales dans le milieu récepteur
résultant des impacts sur les espèces non ciblées pouvant
subir des répercussions directes du fait de la prédation ou de la
concurrence, ou indirecte à cause des changements intervenus dans
l'utilisation des terres ou les pratiques agricoles. Certaines recherches
relatives à l'impact des OGM sur les espèces non ciblées
ont donné des résultats qui ne sont pas de nature à
rassurer. Il a par exemple été constaté que les
variétés Bt secrètent des toxines Bt dans la
rhizosphère ; ces toxines sont alors présentes dans des
concentrations plus élevées que dans les conditions normales, ce
qui pourrait avoir des conséquences sur les populations d'insectes du
sol qui se nourrissent de ces plantes. Le vif intérêt
suscité par les papillons Monarque (Danaus Plexippus)
très populaire en Amérique du Nord a donné lieu aux
travaux les plus importants sur l'impact des OGM sur les espèces
sauvages, et les consommateurs s'intéressent de très près
à cette question. Ces travaux dont les résultats ont
été largement diffusés ont révélé la
toxicité du pollen Bt pour les larves de Monarque
élevés en laboratoire. Ces travaux vérifient ainsi
l'hypothèse selon laquelle la biodiversité pourrait bien
disparaître sur le long terme, sous la menace des OGM. Par le pollen, des
échanges de gènes peuvent avoir lieu entre les plantes
génétiquement modifiées et les espèces sauvages
apparentées qui poussent dans les forêts, dans les prairies et les
savanes. Ces échanges peuvent transformer les propriétés
des plantes sauvages utilisées en agriculture pour l'obtention de
plantes cultivées ou pour l'amélioration des plantes
cultivées. Ces échanges peuvent également changer les
propriétés des plantes sauvages utilisées par la
médecine traditionnelle.
-On n'exclut pas la possibilité de contamination des
micro-organismes du sol par les OGM. En effet, il n'est pas rare de rencontrer
dans la nature des micro-organismes capables d'introduire des gènes de
plantes dans leur propre patrimoine héréditaire à
l'occasion d'un flux de gènes. Il pourrait donc y avoir un transfert de
gènes entre la plante OGM et le micro organisme environnant. Une telle
possibilité existerait, qu'elle conduirait sûrement à un
dérèglement de l'équilibre
écologique, quand on sait que certains micro-organismes jouent un
rôle catalyseur dans le maintien de cet équilibre.
Par sa nature même, le risque environnemental
éventuellement associé aux OGM est souvent beaucoup plus
difficile à appréhender que le risque sanitaire. D'une part, la
sécurité sanitaire concentre ses moyens sur les effets directs
pour l'homme, là où la sécurité environnementale
doit évaluer un large champ d'espèces végétales et
de populations animales, ainsi que leurs innombrables interactions. D'autre
part, et surtout, les effets environnementaux sont nécessairement des
effets à terme, et donc logiquement beaucoup plus difficiles à
évaluer a
priori. Il convient d'insister d'emblée sur un point
fondamental, qui explique les inquiétudes des populations : les OGM
sont perçus comme une évolution irréversible. Dans ces
conditions, le droit à l'erreur ne serait vraiment permis, ce qui
confère au débat une tension dramatique qui explique sans doute
les incompréhensions parfois animées de violences. Enfin le
débat sur les OGM met en confrontation deux visions du
développement durable : d'un côté les partisans d'une
durabilité faible, estiment que l'épuisement et la
dégradation de l'environnement naturel peuvent être
compensés par l'investissement et le progrès technologique qui
permettent la découverte de substituts. Cette hypothèse de
substituabilité présente et future entre le capital naturel et
les autres formes de capital, combinée à une vision très
optimiste des possibilités de la technologie, aboutit à nier la
spécificité des actifs naturels, et donc l'existence de
contraintes écologiques absolues.
De l'autre côté, dans sa version la plus rigide,
la durabilité forte souligne la spécificité du capital
naturel. Alors que le capital technique reproductible peut toujours être
modifié en hausse ou en baisse, la diminution du capital naturel est,
elle, souvent irréversible. Le progrès technique est impuissant
à y remédier et l'hypothèse de totale
substituabilité entre le capital technique et naturel est
rejetée147.
Paragraphe 2 : Les enjeux éthiques, moraux,
philosophiques et religieux
Les manipulations génétiques soulèvent de
nombreuses questions d'ordre éthique. Le recours aux techniques de la
transgénèse est parfois considéré comme
illégitime d'un point de vue philosophique lorsque la
transgénèse heurte les conceptions que l'on peut avoir à
l'égard de la nature, ou religieux lorsque la trangénèse
est perçue comme un blasphème. Les expérimentations
biotechnologiques reposant sur la transgression des barrières
génétiques contredisent un ordre inscrit dans la conscience
collective et dont les racines peuvent être trouvées dans les
premières pages de la Bible : « La terre produisit de
la verdure : des herbes portant semence selon leur espèce, des
arbres donnant selon leur espèce des fruits contenant leur semence, et
Dieu vit que cela était bon » et plus
loin, « Dieu fit les bêtes sauvages selon leur
espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du
sol selon leur espèce, et Dieu que cela était
bon »148. Modifier artificiellement le vivant et
créer de nouveaux organismes ne sont pas des actes ordinaires et
certains y voient, la manifestation d'une volonté démiurgique
pernicieusement hérétique de l'homme, qui tend à
défier Dieu dans son absolutisme. La dimension culturelle et religieuse
du débat sur les OGM est d'autant plus prégnante qu'elle est
souvent subliminale. Au Mali par exemple, « OGM » en langue
Bambara se dit Bayèrè ma'shi c'est-à-dire
« mère nourricière
déformée » ; dans une conception animiste
très présente dans ce pays, sous un vernis simpliste, le
génie génétique consiste à prendre les gènes
d'une espèce pour les introduire dans une autre - de quoi susciter de
l'aversion à l'égard de cette pratique aux antipodes d'un
modèle culturel fortement teinté de sacralité, où
l'ordre naturel passe pour être un ordre intangible149.
Que dire des interdits totémiques dans les traditions
ou les religions ? Les OGM pourraient bien être perçus dans
certaines situations comme une violation de ces interdits, lesquels font
partie intégrante de certaines traditions ou religions. L'enquête
que nous avons réalisée dans le cadre de nos recherches nous a
permis de mesurer le de sensibilité accordé au sacré dans
le débat sur les OGM. En effet lorsqu'on entre dans la sphère du
sacré, le discours rationnel devient inopérant car les dogmes ne
se discutent pas. On y souscrit ou on n'y souscrit pas. De ce fait, on aboutit
à une certaine cristallisation des positions enlevant au débat
toute sa raison d'être. On présume qu'en Afrique en
général et en Côte d'Ivoire en particulier, les OGM auront
du mal à connaître le rayonnement qu'ils ont connu aux Etats-Unis
par exemple. La variable explicative de cette situation est l'emprise de la
tradition et de la religion sur les populations. Notre hypothèse de
départ s'est vérifiée sur le terrain. Sur un
échantillon de cent personnes choisies dans notre environnement
immédiat pour se prononcer sur les enjeux des OGM, seulement cinq pour
cent se sont prononcées en faveur des OGM, le reste constitué des
quatre vingt quinze pour cent a montré son aversion pour ces aliments
artificiels, évoquant ça et là des raisons liés aux
traditions et aux religions. Dans la religion musulmane, la consommation de la
viande de porc est interdite. Qu'adviendrait-il si des OGM mis sur le
marché contiennent des gènes de porc ? Cela serait
perçu comme un blasphème. Il en irait certainement de même
dans certaines traditions africaines où la consommation de certains
aliments est interdite.
Par ailleurs, l'irruption des OGM dans l'agriculture fait
ressurgir un vieux débat relatif aux différentes conceptions
autour des relations entre l'homme et la nature. Les OGM ravivent ainsi la
querelle philosophique entretenue par les naturalistes et les utilitaristes.
Pour les naturalistes, la nature prime sur l'homme. Cette approche dite
biocentrée, privilégie la préservation de la nature pour
elle-même indépendamment de son utilité pour l'homme, et
même au détriment des activités humaines. La nature a une
valeur intrinsèque, indépendante de l'usage qui peut en
être faite, et tous ses éléments, humains et non humains,
sont égaux en valeur intrinsèque. Au plan éthique, cela
signifie que l'homme est situé à égalité avec les
éléments non humains. Cette approche est anti-utilitariste et
profondément opposée à l'anthropocentrisme qui place
l'homme au-dessus de la nature150. Les partisans comme les
adversaires des OGM empruntent les uns et les autres des conceptions
philosophiques et religieuses pour défendre leur point de vue. Certains
opposants aux OGM critiquent leur application à la modification
génétique des végétaux et des animaux, tandis que
des partisans des OGM estiment qu'une conception de la nature fondée sur
la notion de « pureté génétique » est
suspecte. Si nous nous abstenons de faire une immixtion partisane dans les
querelles philosophiques, il nous est toutefois permis de nous interroger avec
Arsène Brice BADO sur certains aspects du problème :
La nature a-t-elle une valeur en soi, ce qui appellerait le
respect de la part de l'homme des principes naturels ? Ou n'a-t-elle
qu'une valeur utilitaire, auquel cas l'homme est habilité à la
modifier, à la transformer fondamentalement151 ? Ou
peut-être doit on grossièrement penser comme Francis BACON,
philosophe des sciences sociales, que « la nature est une femme
publique. Nous devons la mâter, pénétrer ses secrets et
l'enrichir selon nos désirs »152 ?
S'il est vrai que par son travail et son oeuvre, l'homme a
toujours transformé la nature en y procédant par artifice pour
produire de la « culture », ces transformations
s'inspiraient, en général, jusqu'à présent des
règles même de la nature : on pouvait encore parler de
l'homme et de la nature, juxtaposer l'homme à la nature, ce qui
conférait à l'homme une responsabilité et des devoirs
à l'endroit de la nature. Mais le génie génétique
qui permet de modifier la nature dans son essence, d'introduire de nouveaux
gènes dans certaines espèces, de modifier, voire de perturber
ainsi la biodiversité ne viole-t-elle pas la nature ? Pour Hillel
PARIENTE, l'arrivée des OGM fait entrer les pays africains, notamment le
Sénégal dans une sphère tout à fait inconnue et
engendre un bouleversement terrible au sein des populations qui,
jusque-là, suivaient le cours tranquille de leurs vies proches de la
« nature ». Que restera-t-il de l'évolution
naturelle de ces pays ? Des traditions et moeurs bafouées par une
soudaine occidentalisation ?153
Ne faut-il pas plutôt se départir de la vision
anthropocentrique pour reconnaître à la nature des droits propres,
le droit de chaque espèce de garder son identité ou son
intégrité génétique ? N'y a t-il pas urgence,
à côté des droits humains à promouvoir des droits de
la nature ?
Au-delà de cet aspect, les OGM soulèvent une
autre question d'ordre éthique, celle relative à la
brevetabilité du vivant. Est-il juste de breveter le
vivant au profit de quelques firmes ? Beaucoup se sont interrogés
sur les enjeux moraux du brevetage du vivant. Le sénateur Mark HATFIELD,
chef de file de la lutte contre le brevetage animal américain
résume ainsi la situation « le brevetage du vivant
soulève une question essentielle d'ordre moral, celle de la
vénération que doit inspirer la vie. Les prochaines
générations vont-elles adopter l'éthique de cette
politique du brevetage et percevoir la vie comme une simple usine chimique et
une invention qui n'a pas plus de valeur ou de signification que les produits
industriels ? Ou bien le sentiment de vénération
l'emportera-t-il sur la tentation de réduitre la vie, qui vient de Dieu,
à un simple objet de commerce ?»154. S'il
n'est pas douteux que les OGM soient des
« créations » nouvelles, elles le sont cependant
à partir d'organismes vivants, les gènes qui constituent le
patrimoine de l'humanité. Et le droit de propriété
intellectuelle sur les OGM peut-il être reconnu en ignorant
simultanément le droit des populations locales sur les ressources
génétiques de leur terroir ? Il est pourtant connu que les
pays en développement représentent quatre vingt dix pour cent des
ressources biologiques mondiales, mais que la presque totalité des
brevets appartient à quelques firmes du Nord.
La question de l'appropriation du vivant, des semences
notamment se combine avec des aspects d'ordre culturel. Dans certaines
civilisations, en Afrique ou en Inde, la semence est le premier maillon de la
chaîne alimentaire. Elle incarne la continuité de la vie et sa
reproductibilité, sa diversité biologique et culturelle. Pour les
agriculteurs de ces régions, elle n'est pas seulement la promesse des
plantes et de la nourriture à venir, mais représente leur culture
ancestrale et leur histoire. Elle est l'ultime symbole de la
sécurité alimentaire. L'échange des semences entre
agriculteurs est à la base du maintien de la biodiversité et de
la sécurité alimentaire. Cet échange repose sur la
coopération et la réciprocité. Celui qui veut
échanger des semences offre en général, en retour des
semences obtenues, une quantité égale provenant de son propre
champ. Le libre échange entre agriculteurs dépasse le simple
échange de semences et comporte aussi le partage d'idées et de
connaissances renforçant ainsi les liens d'amitié. Il s'agit du
cumul des traditions et des connaissances sur la façon de faire
fructifier les semences. Les agriculteurs se renseignent sur celles qu'ils
veulent cultiver en regardant la récolte pousser dans le champ du
voisin. La signification religieuse de la plante, ses propriétés
naturelles ...façonnent le savoir de la collectivité au sujet de
la semence et de la plante qui en sortira. Le riz paddy par exemple
possède un sens religieux presque partout en Inde et constitue un
élément essentiel de la plupart des festivals religieux de
même que l'igname a une signification symbolique chez le peuple Agni de
l'Est de la Côte d'Ivoire. Non seulement les semences jouent un
rôle important dans les rituels et les coutumes communautaires, mais
elles représentent également les connaissances accumulées
à travers les siècles, et comme elles reflètent les
options offertes aux collectivités, elles représentent leur
choix. La culture de la conservation et de l'échange des semences, aux
fondements de l'agriculture du tiers-monde est de nos jours menacée. Les
nouvelles technologies, comme celle de la révolution verte ainsi que des
biotechnologies agricoles dévaluent le savoir culturel et traditionnel
relatif aux semences et érodent le savoir holistique de la
collectivité. Si bien que la semence risque elle-même de
disparaître, son existence étant intimement liée à
ce savoir. Le processus d'érosion de ce riche savoir traditionnel
s'accélère avec l'universalisation des droits de
propriété intellectuelle par le système de l'OMC. De plus
en plus, des personnes opposent une vive protestation à l'encontre de la
prétendue stimulation de la créativité et de
l'inventivité par les brevets155. Pour Vandana
SCHIVA156, cette conception de la créativité à
l'occidentale, comme produit de systèmes faits pour protéger la
propriété intellectuelle, est une négation pure et simple
de la créativité telle qu'elle existe dans la nature, et de la
créativité qui obéit à d'autres motifs que le
profit dans les sociétés, tant industrialisés que non
industrialisés. Elle nie le rôle de l'innovation dans les cultures
traditionnelles. En effet, pour lui le mot «science» ne peut pas
renvoyer exclusivement à la science moderne et occidentale. Par sa
nature même, pense-t-il, le savoir est le fruit d'une entreprise
collective et cumulative. Fondé sur les échanges au sein de la
collectivité, il est l'expression de la créativité
humaine, ainsi bien individuelle que collective. Il doit donc englober les
systèmes employés à travers les cultures et les âges
pour produire la connaissance. Pourtant, les brevets sont des titres de
propriété intellectuelle privée et repose sur la fiction
d'une intervention scientifique à caractère purement individuel.
Il y a donc conflit entre cette façon de sanctionner l'innovation et la
créativité individuelles et la perception du savoir en tant
qu'entreprise collective.
Le brevetage du vivant appauvrit les sociétés
d'un point de vue moral et culturel. Avec les OGM, c'est la
problématique de la place de l'éthique dans la science qui est
mise en évidence. La bioéthique a-t-elle aujourd'hui de la voix
dans une société du productivisme maximaliste, qui bien souvent
malheureusement place le progrès scientifique au-dessus des autres
valeurs
sociales telles que l'éthique et la morale ? Le
Docteur Mae-Wan HO décrit à ce propos « le
marécage nauséabond qu'est devenue l'éthique en science
génétique » sous les assauts
répétés des industriels de la chimie qui veulent vendre
à tout prix leurs OGM. Il avertit que la seule motivation pour produire
et vendre les OGM, c'est le profit157.
CHAPITRE II/ le droit, instrument de contrôle des
risques biotechnologiques
Devant la menace réelle ou potentielle que peuvent
représenter les OGM sur l'existence humaine, le droit est un instrument
de contrôle des risques découlant de l'invasion biotechnologique.
Le présent chapitre nous permettra non seulement de faire l'état
des lieux de la réglementation (Section 1) mais aussi de
réfléchir sur la problématique de la responsabilité
et de la réparation (Section 2) en cette matière.
Section 1 : l'état des lieux de la
biosécurité dans le monde
On envisagera dans un premier paragraphe, l'étude de la
biosécurité au plan international, puis dans un second
paragraphe, la biosécurité dans le contexte régional
africain
Paragraphe 1 : au plan international
On entend généralement par
biosécurité, « L'ensemble des politiques et
procédures adoptées pour assurer une application saine de la
biotechnologie moderne dans tous les domaines notamment ceux de la
médecine, de l'agriculture, de l'industrie et de l'environnement, en
évitant de mettre en danger la santé publique et
l'environnement »158. En droit international, un
certain nombre de dispositions engagent les Etats à la prudence. Le
chapitre 16 de l'Agenda 21 ne rejette pas les biotechnologies mais
précise qu'à elles seules, ces dernières ne sauraient
résoudre l'ensemble des problèmes de l'environnement et que
« le réalisme doit tempérer les espoirs qu'elle
suscite ». La Convention sur la diversité biologique de
1992 est plus réservée : chaque partie contractante doit
mettre en place des moyens pour « réglementer,
gérer ou maîtriser les risques associés à
l'utilisation et à la libération d'organismes vivants
modifiés résultants de la
biotechnologie »159. L'article 8 al.g rappelle les
risques que font peser les OGM sur l'environnement, en particulier sur la
biodiversité et même sur la santé de l'homme. De
façon moins directe, mais cependant explicite, la Convention sur le
droit de la mer de 1982 envisage, dans son article 196, les dangers de
l'introduction non seulement d'espèces exotiques, mais aussi
d'espèces nouvelles pouvant provoquer dans le milieu marin des
changements considérables et nuisibles. De même, l'article 22 de
la Convention de New York, du 21 mai 1997, sur le droit relatif aux
utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la
navigation, engage les Etats riverains du cours d'eau à prendre
« toutes les mesures nécessaires pour prévenir
l'introduction dans un cours d'eau international d'espèces
étrangères ou nouvelles qui risquent d'avoir des effets
préjudiciables pour l'écosystème du cours
d'eau ».
Un sérieux pas en avant a été fait avec
l'adoption dans le cadre de la Convention sur la Diversité
Biologique(CDB), le 29 janvier 2000, du Protocole de Carthagène sur les
risques biotechnologiques biologique. Il importe de faire une analyse de cet
instrument inédit.
A Le Protocole de Carthagène sur la
prévention des risques biotechnologiques relatif
à la Convention sur la diversité
biologique
Après en avoir décrit le contexte,
nous en fournirons les stipulations.
1- Le contexte
- Le protocole de Carthagène, prolongement de la
Convention sur la Diversité Biologique
La CDB adoptée au sommet de Rio le 22 mai 1992 et
entrée en vigueur le 29 septembre 1994 a pour but de protéger la
diversité biologique, qu'il s'agisse d'écosystèmes,
d'espèces ou de ressources génétiques. Pour ce faire, elle
établit un cadre commun destiné à servir de
référence aux politiques nationales traitant à la fois de
la conservation et de l'exploitation des ressources biologiques.
Ratifiée par la plupart des pays, cette convention est un instrument
innovant : d'une part elle a rompu avec la logique des accords sectoriels
en traitant les problèmes dans leur globalité ; d'autre
part, elle reconnaît à chaque pays le droit souverain d'exploiter
ses ressources biologiques, à charge pour lui de les gérer de
manière durable au travers de stratégies nationales.
L'article 19 paragraphe 3 de la convention ouvre la
possibilité en outre de conclure un
protocole « comprenant notamment un accord préalable
donné en connaissance de cause définissant les procédures
appropriées dans le domaine du transfert, de la manutention et de
l'utilisation en toute sécurité de tout organisme vivant
modifié résultant de la biotechnologie qui risquerait d'avoir des
effets défavorables sur la conservation et l'utilisation durable de la
diversité biologique ». C'est dans ce cadre qu'ont
été entreprises en 1996 des négociations à
Carthagène (Colombie) qui se sont achevées à
Montréal le 29 janvier 2000 et qui ont abouti à la
rédaction du Protocole de Carthagène sur les risques
biotechnologiques160.
Comme l'indiquent Kyn ANDERSON et Chantal M. Pohl NIELSEN,
dans un article intitulé
Cultures transgéniques, politiques commerciales et
OMC, « Ce protocole n'a pas été uniquement
adopté sous l'impulsion des pays riches ; certains pays en voie de
développement le soutiennent également, car ils craignent que
leurs territoires puissent être utilisés pour des
expérimentations de mises en culture de produits OGM ».
Cet élément de contexte permet de mieux comprendre le contenu du
protocole et les enjeux de sa mise en oeuvre.
2- Les stipulations du protocole de Carthagène
L'objectif du protocole est d'encadrer la manipulation et les
échanges transfrontières d'organismes vivants modifiés
résultant de la biotechnologie. Cet objectif doit être mis en
oeuvre par les Etats signataires, qui conservent par ailleurs le droit de
prendre des mesures plus rigoureuses que celles prévues par le
protocole, à condition qu'elles soient compatibles avec ses objectifs,
mais aussi avec les autres obligations imposées par le droit
international161. La conséquence de ces stipulations est de
permettre à un pays de restreindre l'importation d'organismes vivant
modifiés même en l'absence de preuves scientifiques quant au
caractère nuisible de ces organismes tant sur la diversité
biologique que sur la santé humaine. Le protocole procède en
outre à une définition précise des notions
suivantes : l'utilisation en milieu confiné l'exportation et
l'importation, l'organisme vivant modifié, la biotechnologie
moderne162,...de la sorte, le champ d'application du protocole est
clairement défini : il s'applique aux mouvements
transfrontières, au transit, à la manipulation et à
l'utilisation de tout organisme vivant possédant une combinaison de
matériel génétique inédite obtenue par recours
à la biotechnologie moderne. Les produits pharmaceutiques à usage
thérapeutique humain et les organismes vivants modifiés
destinés à être utilisés en confinement n'entrent
pas dans le champ d'application du protocole163. On pourrait en
déduire que ces différents domaines de la biotechnologie moderne,
a priori ne font pas peser de risque sur l'existence humaine.
Le protocole institue par ailleurs un cadre permettant
d'assurer la transparence des échanges d'organismes vivants
modifiés : tout mouvement transfrontière de ces organismes
doit faire l'objet d'une procédure de contrôle et
d'information164. L'exportateur est obligé d'informer la
partie importatrice d'éléments techniques précis, qui
permettent à celle-ci, après en avoir accusé
réception, d'évaluer les risques de sa transformation ou de sa
dissémination dans l'environnement et dans l'alimentation humaine et
animale. Le principe de précaution est pleinement affirmé,
puisque la partie importatrice peut interdire ou soumettre à des
conditions tout mouvement transfrontière d'un organisme vivant
modifié dont elle est destinataire, même en cas d'insuffisance des
informations scientifiques disponibles ou d'absence de certitudes
scientifiques165.
Le protocole renvoie aux Etats parties le soin de prendre les
mesures appropriées en matière de gestion des risques et en cas
de mouvements non intentionnels166.
Il définit également de manière
précise et contraignante les standards applicables à la
documentation devant accompagner tout organisme vivant modifié, afin
d'en assurer la traçabilité167. Il revient à
chaque partie de désigner un correspondant national chargé
d'assurer la liaison avec le secrétariat de la Conférence des
Parties. Chaque partie devra en outre désigner quelles sont les
autorités nationales compétentes pour la mise en oeuvre du
protocole. Dans le cadre de l'avant-projet de loi ivoirien de
biosécurité, il s'agit d'un organe spécial
dénommé Comité national de
biosécurité168. Un centre d'échange pour la
prévention des risques biotechnologiques sera créé afin de
faciliter les échanges d'informations sur les produits vivants
modifiés et le protocole précise le régime de
publicité des informations recueillies par ce centre169. Ce
centre d'échange d'informations doit constituer la tête d'un
réseau d'informations regroupant trois types d'informations : les
réglementations nationales afférentes aux organismes vivants
modifiés ; les résumés des évaluations des
risques ou des études relatives à ces organismes qui ont
été conduites en application des réglementations
nationales ; les décisions finales prises par chaque partie au
terme de ces évaluations et études. Les opérateurs
économiques pourront ainsi obtenir des informations sur les
réglementations nationales auxquelles ils doivent satisfaire. Les
autorités nationales pourront pour leur part échanger des
informations de telle sorte que la prise de décision leur sera
facilitée. Toute personne aura par ce biais accès aux
informations non confidentielles remises au centre d'échange. Par
ailleurs, le protocole encourage l'éducation et la sensibilisation du
public sur les risques que présentent les organismes vivants
modifiés170 et il invite les parties à procéder
à des études de l'impact socioéconomique de l'importation
de ces organismes171. Un processus d'élaboration de
règles et de procédures internationales en matière de
responsabilité et de réparation pour les dommages
résultant de mouvements transfrontières d'organismes vivants
modifiés doit être enclenché dès la première
réunion des Parties et aboutir dans un délai indicatif de quatre
ans172. Enfin le protocole définit les institutions
chargées de mettre en oeuvre ses stipulations173 et
prévoit le mécanisme de financement de ces
institutions174. Aucune institution nouvelle n'est
créée puisque la Conférence des Partie de la Convention de
1992 reçoit la charge d'assurer l'application du protocole. Son
secrétariat en sera assuré par le secrétariat existant.
L'intérêt majeur du Protocole de
Carthagène est d'imposer le principe de précaution dans le droit
international, y compris commercial. Même s'il n'est pas très
exigeant sur l'information des consommateurs sur les risques que
présentent certains produits dérivés d'OGM, il
dépasse de loin la position des principaux pays exportateurs d'OGM
3- Quelle articulation avec les accords de l'OMC ?
Les accords multilatéraux en matière
d'environnement constituent une catégorie d'accords à part
entière. Ils n'entraînent donc aucune relation de subordination
par rapport aux autres corpus de règles internationales, tels que les
accords de l'OMC. La question de l'articulation de ces accords avec ceux de
l'OMC se pose avec acuité. Il est en effet possible qu'une mesure de
nature environnementale ayant un impact commercial prise par une partie au
protocole soit attaquée par un Etat devant l'organe de règlement
des différends de l'OMC. L'OMC est de plus en plus regardante sur la
question de la compatibilité des accords multilatéraux en
matière d'environnement avec les règles du commerce
international. Mais les discussions actuelles au sein du comité du
commerce et de l'environnement, n'ont pour l'instant pas débouché
sur une position commune. Cette situation souligne la difficulté
constante d'articulation entre le droit international de l'environnement et le
droit international du commerce ; en dépit de tout, il
apparaît indispensable que l'OMC intègre certains principes, tels
que le principe de précaution, dans son corpus de
règles, afin que le commerce des OGM soit encadré et transparent
conformément aux dispositions du protocole de Carthagène.
On peut penser qu'avec le protocole de Carthagène, on
entre dans la problématique d'une future organisation mondiale de
l'environnement, comme la France le préconise. En tout état de
cause, l'articulation du droit international de l'environnement avec les
règles de l'OMC doit être améliorée. Le prochain
cycle de négociations devrait ainsi permettre que le principe de
précaution soit enfin consacré par cette organisation. Il s'agit
en effet qu'en cas de doute sérieux sur les risques induits par la
consommation ou l'utilisation d'un produit, celui-ci puisse être
retiré sans qu'un Etat n'encourre de sanctions prévues par
l'organe de différends
de l'OMC. L'entrée en vigueur du protocole de
Carthagène et le prochain cycle de négociations de l'OMC sont
donc décisifs pour conforter le principe de précaution, tout en
évitant son instrumentalisation à des fins protectionnistes, dans
un domaine où la connaissance scientifique peut évoluer
rapidement.
En somme, le protocole de Carthagène constitue une
avancée en termes de transparence et d'informations tant à
l'égard des Etats que des consommateurs. En jetant par ailleurs les
bases d'une coopération renforcée entre les pays
développés et les autres du tiers-monde, il s'inscrit bien dans
la logique de développement durable défendue au sommet de
Johannesburg. Dans l'attente d'une meilleure articulation entre le droit
international de l'environnement et les règles de l'OMC, le protocole de
Carthagène constitue un signal fort adressé aux pays
réticents à l'égard du principe de précaution. Il
consacre en effet, la nécessité d'améliorer la
transparence et l'information du public sur l'impact des manipulations
génétiques.
B- Le cadre de biosécurité dans l'espace
communautaire européen
1- Présentation de la réglementation
Le 22 septembre 2003, la communauté européenne a
adopté formellement deux règlements sur
la traçabilié et l'étiquetage des OGM. Le premier
vise à définir une procédure communautaire
centralisée et transparente d'évaluation de la
sécurité sanitaire et d'autorisation des aliments à
destination des hommes et des animaux lorsqu'ils ont été
génétiquement modifiés ou produits à partir d' OGM,
ainsi que des prescriptions d'étiquetage harmonisées et
complètes en vue d'offrir aux consommateurs et aux utilisateurs des
informations exactes sur les produits, leur composition et leur
qualité.
Le second règlement modifie la directive
2001/18/CE177et fournit un cadre harmonisé pour la
traçabilité des OGM et des produits destinés à
l'alimentation humaine ou animale produits et dérivant d'OGM dans le but
de faciliter l'étiquetage exact, la surveillance des effets sur
l'environnement et le retrait de ces produits.
2- Objectifs de la réglementation :
L'adoption d'un cadre réglementaire régissant la
traçabilité et l'étiquetage des OGM vise à
prévenir les risques biotechnologiques. D'une manière
générale, la traçabilité permet de suivre chaque
ingrédient depuis sa source jusqu'au produit fini. Dans le cas des OGM,
la mise en place d'un système uniformisé de
traçabilité permet l'identification et la surveillance des effets
indésirables à long terme sur l'environnement et la santé
humaine ou animale et, donc, de retirer du marché des produits quand un
risque est établi. Par ailleurs, elle donne à tout acteur
susceptible d'être en contact avec les OGM des informations sur la
composition d'un produit. Grâce à la traçabilité, le
contrôle de l'étiquetage est alors plus aisé car il est
possible de vérifier la validité et la fiabilité des
informations. Ainsi, la traçabilité est un outil de gestion des
risques a posteriori et vise à assurer une plus grande transparence dans
la production, la commercialisation, l'utilisation et la consommation des OGM.
Pour pouvoir suivre le produit tout le long de la chaîne, des
méthodes de détection analytique sont nécessaires.
Concrètement, la traçabilité repose sur une documentation
papier ou informatisée répertoriant des informations sur
l'identité, le passé et la source d'un produit à chaque
étape de sa mise sur le marché. L'étiquetage est
supposé permettre au consommateur d'effectuer un choix
éclairé sur ce qu'il achète.
3- Champ d'application de la
réglementation :
Les règles d'étiquetage et de
traçabilité concernent désormais l'alimentation pour le
bétail comme l'alimentation humaine, que le produit final contienne ou
non de l'ADN ou des protéines dérivées d'OGM. Ainsi, par
exemple, l'huile de soja hautement raffinée obtenue à partir de
soja transgénique et dans laquelle la transformation
génétique n'est plus détectable est soumise à
l'étiquetage. Cependant, les produits issus d'animaux nourris avec des
aliments OGM comme la viande, le lait, ou les oeufs sont exclus de la
réglementation. Les semences ont été incluses dans le
champ d'application du règlement, uniquement lorsqu'elles sont
destinées à usage alimentaire.
2 La traçabilité des OGM :
Les règlements définissent la
traçabilité comme « la capacité de retracer
le cheminement d'OGM et de produits dérivés d'OGM, à tous
les stades de leur mise sur le marché, le long de la chaîne de
production et de distribution »176. Cette
traçabilité a été conçue pour susciter la
confiance des consommateurs : l'innocuité des produits OGM sera
évaluée par l'Autorité européenne de
sécurité alimentaire avant qu'ils ne soient autorisés
à la mise sur le marché. Elle devrait aussi permettre de
faciliter la surveillance des effets sur l'environnement et l'exactitude des
allégations figurant sur les étiquettes.
-L'étiquetage de tous les
OGM :
Aujourd'hui déjà en Europe, les
détaillants ont l'obligation d'étiqueter des produits contenant
des OGM, à condition qu'ils soient détectables dans le produit
final. L'étiquette doit porter la mention : « Ce
produit contient des OGM » ou « Produit à
partir d'OGM ». Lorsque la denrée alimentaire est mise en
vente au consommateur final ou aux collectivités sans emballage ou dans
de petits conditionnements préemballés, la présence d'OGM
devra être affichée, soit sur le présentoir de l'aliment ou
à proximité immédiate de celui-ci, soit sur le
matériau d'emballage. Les produits alimentaires dans lesquels
0,9177 pour cent des ingrédients sont
génétiquement modifiés devront être
étiquetés. Par contre, si ces ingrédients n'ont pas
été autorisés par l'Union Européenne (UE), mais
sont estimés sans danger pour la santé, le seuil de
tolérance est fixé à 0,5 pour cent, à condition que
la présence de ces ingrédients soit accidentelle ou techniquement
inévitable. Cette tolérance est valable dans un premier temps
pour trois ans ; après ce délai, les OGM non
autorisés seront définitivement proscrits. Au-delà de ce
seuil, le produit ne sera plus admis sur le marché. Enfin pour les OGM
jamais autorisés
dans l'Union Européenne, aucune trace n'est admise.
L'ancienne directive 2001/18/CE reposait sur une procédure
d'autorisation et d'évaluation scientifique des OGM, partagée
entre les Etats et la Communauté. La nouvelle réglementation
établit désormais une procédure selon le
principe « une seule clé par porte » pour
l'autorisation et l'évaluation scientifique. Selon cette
procédure centralisée, un opérateur devra introduire une
seule demande d'autorisation, auprès des instances communautaires.
4- L'application des règlements : vers une
levée du moratoire ?
Le « moratoire de facto » sur les OGM de
1999 n'avait pas reçu de fondement légal mais se justifiait par
la nécessité de mettre en place un régime juridique strict
sur les OGM, dont la législation sur la traçabilité et
l'étiquetage est un élément parmi d'autres. L'adoption de
ces règlements n'entraîne pas ipso facto la levée du
moratoire, mais la facilitera politiquement. Si levée il y a, la mise en
culture de nouveaux OGM ne devrait pas s'accélérer car, faute de
débouchés, peu d'agriculteurs ont opté pour ce mode de
culture. A priori, les achats de produits contenant des OGM ne devraient pas
augmenter non plus dans la mesure où plus de 70 pour cent des
Européens refuse les OGM dans l'alimentation178. En
définitive, on retiendra que cette double réglementation
européenne sur la traçabilité et l'étiquetage est
une avancée significative en termes de prévention et de gestion
des risques biotechnologiques et de choix du consommateur. Greenpeace la
qualifie même de meilleur texte en comparaison d'une part, de la
réglementation américaine qui souffre de l'absence d'obligation
d'étiquetage des produits OGM, d'autre part en comparaison des
réglementations coréenne et japonaise qui fixent le seuil de
déclaration obligatoire à cinq pour cent, seuil jugé trop
tolérant aux yeux de certains observateurs avisés et autres
spécialistes qui considèrent que ces deux dernières
réglementations pèchent par leur trop grande souplesse.
Paragraphe 2 : au plan régional africain
Il s'agira pour nous d'examiner successivement la
législation africaine et celle ivoirienne
A La législation africaine
Au plan africain, il existe deux lois dénommées
lois modèles africaines ; la première est relative à
la protection des droits des communautés locales tandis que la seconde
est relative à la sécurité en biotechnologie. Nous les
étudierons successivement.
1- La loi modèle africaine pour la protection
des droits des communautés locales, des
agriculteurs et des obtenteurs, et des
règles d'accès aux ressources biologiques
a- Le contexte
Les sociétés africaines ont constamment
innové et fait évoluer leurs connaissances et technologies, pour
les adapter à différentes conditions, comme l'ont fait toutes les
sociétés humaines. La période coloniale a imposé
des changements sans laisser de choix aux peuples locaux. Le
« paradigme de développement »
d'aujourd'hui continue d'imposer des valeurs et des priorités
étrangères. Cependant, de plus en plus les gens commencent
à réagir. Ils estiment que les nouvelles technologies doivent
être adaptées aux valeurs et aux besoins des communautés,
aux traditions culturelles différentes, à qui elles sont
destinées. Il faut que ces nouveautés contribuent à la
qualité de vie d'une société, en harmonie avec
l'environnement et il ne faut pas qu'elles sapent ou détruisent les
modes de vie des populations locales. Au cours du vingtième
siècle, les sciences et technologies occidentales ont fait des
progrès rapides dans tous les domaines, modifiant
considérablement la structure de la société dans son
ensemble, le pouvoir politique et économique et, surtout, le
contrôle et l'accès aux différentes ressources biologiques
nécessaires aux moyens de subsistance durables179.
Il est généralement admis que la conservation et
l'utilisation durable de la diversité biologique sont nécessaires
au bien-être des systèmes vitaux de la planète, dont
dépend l'humanité toute entière. Certains tentent au
contraire de réclamer des droits de monopole privé sur la
diversité biologique d'une communauté. La mainmise des monopoles
industriels sur les ressources naturelles des populations autochtones a
d'importantes conséquences au niveau local, national et régional
sur la sécurité et la souveraineté alimentaires,
l'agriculture, le développement rural ainsi que la santé et
l'environnement végétal. Le brevet sur les organismes vivants ou
sur les plantes ou leurs éléments signifie la reconnaissance
légale de droits exclusifs privés sur ceux-ci et leur
descendance.
Pour les Africains, les brevets ou toute autre forme de droits
de propriété intellectuelle sur les organismes vivants ont de
graves conséquences sur le mode de vie des communautés qui se
sont succédées sur le continent pendant plusieurs
générations. La Convention sur la Diversité
biologique (CDB) reconnaît dans son préambule le rôle
et les réalisations des communautés locales et autochtones dans
la conservation de la biodiversité et par là même, la
nécessité de réaffirmer et de protéger les droits
des communautés. Les Accords sur les ADPIC qui confèrent aux
droits de propriété intellectuelle la possession privée,
individuelle et exclusive sur les formes de vie, sont en totale contradiction
avec les principes de base de la Convention.
Il semble de plus en plus que les régimes de
propriété intellectuelle (DPI) ne peuvent pas protéger les
technologies, les innovations, les pratiques et la biodiversité locale.
Ces Systèmes favorisent le biopiratage, le pillage de la
créativité et des innovations et autres pratiques des
communautés locales, les privant des bénéfices
économiques tirés de ces produits. Dans un tel contexte, un
système qui reflète et protège le caractère
essentiel de la richesse culturelle de l'Afrique s'impose. C'est pour
répondre à ces différentes préoccupations tenant
compte des spécificités africaines des agriculteurs que la
loi modèle africaine relative à la protection des droits des
communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et des
règles d'accès aux ressources biologiques, a
été adoptée à Lusaka en Zambie en 2001, par le
sommet des chefs d'Etat dans le cadre de la défunte Organisation de
l'Unité Africaine (OUA).
La loi modèle africaine relative à la
protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des
obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques
reconnaît la nature dynamique des modes de vie riches en
biodiversité des populations locales et leur importance dans le
patrimoine humain. Ainsi que le pense le Docteur J.A EKPERE180, si
certaines lois favorisent les intérêts des puissants qui cherchent
à limiter le développement des autres peuples, cette loi cherche
plutôt à défendre les modes de vie des communautés.
Elle définit une limite claire entre les systèmes des
communautés d'une part, et le contrôle exclusif de la
privatisation du vivant d'autre part. Elle permet donc à la
communauté de se protéger. Pour l'essentiel cette loi s'adosse
à la Convention sur la biodiversité qui impose de respecter et
préserver les styles de vie innovants des communautés locales et
autochtones, dont le consentement doit par ailleurs être obtenu pour
avoir accès à leurs ressources biologiques, à leurs
connaissances et à leurs pratiques. Elle leur garantit une part des
bénéfices obtenus par ceux à qui l'accès est
autorisé. C'est donc un système légal qui définit
les règles d'accès et de partage des bénéfices
ainsi que les droits des communautés, notamment les droits des
agriculteurs, en tenant compte des caractéristiques particulières
de l'Afrique et l'énorme diversité biologique et culturale qui
distingue ses sociétés à dominante rurale.
L'un des principaux accords de l'Organisation mondiale du
commerce (OMC), les accords sur les Aspects des Droits de
Propriété Intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) oblige ses
Etats-membres à adopter soit des brevets181, soit un
système « sui generis
effectif »182pour une nouvelle variété
végétale. Les pays du Nord et le Secrétariat de l'Union
pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) essayent de
promouvoir la Convention de l'UPOV de 1991 en tant qu'option
« sui generis » appropriée. Les pays
africains rejettent de plus en plus cette convention parce que pour ces
derniers, elle n'est qu'un instrument qui permet aux monopoles étrangers
d'obtenir des droits sur la diversité locale. La loi modèle
africaine inclut donc des droits d'obtenteur, formulés de telle
façon que la longue tradition d'innovation et de sélection des
communautés d'Afrique ne soit pas menacée par les nouvelles
normes commerciales de sélection et d'innovation, largement
dictées par les groupes d'intérêts et /ou pour les
marchés étrangers. De ce fait, elle remplirait pour certains
juristes les obligations prévues par l'article 27.3 (b) des Accords
ADPIC en faveur d'une option sui generis, tout en respectant les
obligations prévues par la Convention sur la Diversité
biologique.
Plusieurs principes découlent de ce texte juridique
dont nous étudierons les plus fondamentaux :
C- Les principes
- La souveraineté et la sécurité
alimentaires183 :
La monopolisation des produits agrochimiques, les semences
homogènes, la monoculture et maintenant le génie
génétique tendent à réduire la biodiversité.
Non seulement le génie génétique sert à produire
des semences homogènes, mais il est sous le contrôle des grandes
compagnies des pays industrialisés. Ainsi, l'agriculture industrielle
protégée par les brevets telle que nous la connaissons
actuellement empêche le contrôle local et national sur la
production alimentaire. On peut craindre que ces systèmes et
technologies qui limitent la biodiversité aient de graves
conséquences sur la sécurité et la souveraineté
alimentaire de l'Afrique. Devant cette situation, la loi modèle
africaine réagit vigoureusement en s'assignant entre autre comme
objectif de « veiller à l'utilisation efficace et
équitable des ressources biologiques afin de renforcer la
sécurité alimentaire nationale »184. La
véritable sécurité alimentaire, qui assure
l'autosuffisance des communautés et des nations, nécessite la
décentralisation plutôt que la centralisation. Il faut donc un
système décentralisé de production qui permet aux
communautés locales de rester autonomes dans leurs choix et dans la
maîtrise et la gestion des ressources et des moyens de subsistance. Il
s'agit d'un droit fondamental inscrit dans la Déclaration Universelle
des Droits de l'homme185 . Seuls les produits agricoles en
excédent devraient être exportés et une fois seulement que
les besoins alimentaires du pays ont été satisfaits. Les droits
coutumiers des agriculteurs à garder, utiliser, échanger et
vendre les semences sont reconnus par la loi modèle africaine, parce
qu'ils sont le fondement des pratiques agricoles et ont toujours
été pratiqués par les communautés agricoles.
- Souveraineté, droits et responsabilités
inaliénables de l'Etat186 :
L'Etat est l'entité légalement reconnue pour
représenter le peuple. C'est au peuple qu'il appartient de lui
conférer sa souveraineté et son autorité. L'Etat a donc la
responsabilité et le devoir de défendre les droits de ses
populations et de les protéger contre des interventions
extérieures non sollicitées. Le principe de
l'égalité souveraine des Etats et les principes de
non-intervention qui en découlent sont inscrits dans l'article 2 de la
Charte des Nations-Unies et l'article 3 de la Convention sur la
Diversité Biologique qui établit que les Etats ont le droit
souverain d'exploiter leurs propres ressources avec la responsabilité de
les conserver et de les gérer de façon durable. En son sein,
l'Etat doit donc protéger la diversité culturelle de la
population, tenir compte de ses opinions et concilier des intérêts
divergents. C'est le contrat social établi entre le peuple et lui.
Ainsi, il faut clarifier la relation entre les droits d'un Etat et ceux des
communautés locales. L'Etat doit protéger les droits des
communautés locales dont les systèmes socioculturels sont
indissociables des principes de durabilité et assurent la
création, le maintien et la protection de la
biodiversité187. La loi modèle africaine est
fondée sur le principe que les connaissances, innovations et pratiques
associées à la biodiversité des communautés locales
sont le résultat de nombreuses pratiques vérifiées et
expérimentées par les générations passées et
présentes188. Pour préserver et garantir leur
continuité et leur évolution, elles doivent être
transmises aux générations futures. C'est un droit fondamental et
une responsabilité de chaque génération envers celle qui
lui succède. Ainsi, personne n'a le droit de s'approprier, de vendre ou
de monopoliser un quelconque élément d'une ressource biologique
et des connaissances, innovations et pratiques qui lui sont associées.
En ce sens, les droits des communautés sont considérés
comme inaliénables189 et ceux qui les détiennent ne
doivent en être privés. Il s'agit de droits et de
responsabilités intergénérationnels. Nul ne peut, de son
propre chef, affaiblir ou abolir ces droits par ses décisions, mais au
contraire, a le devoir de les défendre et de les transmettre aux
générations futures.
-Les droits et responsabilités des
communautés190:
La loi modèle de l'unité africaine
définit les « communautés locales » comme des
populations humaines vivant dans une zone géographique donnée.
Elles créent, utilisent, gèrent, et transmettent leur richesse
biologique, connaissances, innovations et pratiques. Celles-ci sont
régies par leurs propres lois coutumières qu'elles soient
écrites ou orales. Les droits des communautés revêtent une
importance majeure dans la mesure où les rédacteurs de la loi y
consacrent toute la Quatrième Partie.
Les droits des communautés reconnaissent que les
pratiques coutumières des communautés locales dérivent de
devoirs et de responsabilités a priori des générations
passées et futures des espèces humaines et non humaines. Cette
conception traduit une relation fondamentale avec toute forme de vie et
s'imprègne d'un profond besoin de respect. Les droits et
responsabilités des communautés qui régissent
l'utilisation, la gestion et le développement de la biodiversité,
ainsi que les connaissances, innovations et pratiques traditionnelles qui lui
sont associées, ont existé bien avant l'émergence des
droits privés sur la biodiversité et les concepts de
propriété et de possession individuelle. Les droits des
communautés sont donc considérés comme naturels,
inaliénables, préexistants ou primaires. La loi modèle
africaine reconnaît leur caractère a priori dans son
préambule. Ces droits conduisent à formaliser l'existence du
contrôle communautaire sur la biodiversité. Ce système de
droits qui favorise la conservation et l'utilisation durable de la
diversité biologique et encourage l'utilisation et le
développement des connaissances et technologies, est tout à fait
essentiel à l'identité des communautés locales et au
rôle irremplaçable qu'elles jouent dans la conservation et
l'utilisation durable de cette diversité. Les droits des
communautés sont particulièrement importants pour la nature
multiethnique de l'Afrique. La loi offre ainsi l'opportunité de
reconnaître et de soutenir le riche héritage culturel et les
ressources biologiques de l'Afrique par la reconnaissance d'un système
de droits préexistants. L'ONU a reconnu l'existence des droits
collectifs des communautés locales et autochtones dans le Projet de
Déclaration des droits des peuples autochtones, et a recommandé
que tous les Etats appliquent ces droits dans leur législation
nationale191. Le droit international reconnaît à l'Etat
des droits souverains sur ses ressources biologiques192. Cependant,
le caractère intangible des connaissances relatives à ces
ressources et technologies n'est pas protégé. La CDB a fort
heureusement évoqué cette situation en son article 8(j) en
reconnaissant l'importance des connaissances, innovations et pratiques des
communautés autochtones et locales en rapport avec la conservation de la
biodiversité et son utilisation durable et équitable.
L'existence, presque partout dans le monde, de droits
collectifs des communautés doit être reconnue avant que ces droits
ne soient complètement laminés par les intérêts
commerciaux. La loi modèle africaine place les droits et
responsabilités des communautés au coeur même de
l'utilisation de la biodiversité et des connaissances innovations et
pratiques associées pour défendre le riche héritage de
l'Afrique en matière de diversité biologique et de culture.
-La valeur des connaissances
autochtones193 :
Les sociétés rurales ont de grandes
connaissances écologiques parfois spécifiques aux
différents sols, minéraux, espèces et cycles saisonniers,
parfois relative à une interprétation dynamique des
écosystèmes sur lesquels elles ont co-évolué. Les
cultures autochtones ont donc une conception écologique du monde qui
rappelle que, comme toutes les autres espèces, nous sommes tous
intimement soumis aux lois de la nature. Cela les amène à
respecter les cycles dynamiques de la vie et ses interactions et à se
sentir responsables et constructifs au sein d'écosystèmes dont
elles font intégralement partie. La loi modèle africaine donne
à l'Afrique les moyens de protéger sa richesse culturelle et
au-delà, sa richesse biologique. Non seulement elle reconnaît
officiellement la diversité dans la loi, mais elle soutient et renforce
activement les capacités d'adaptation et développement des
diverses cultures du continent
- Participation totale à la prise
de décision194:
La loi modèle africaine cherche à garantir la
participation réelle des communautés locales dans la prise de
décision sur toutes les questions relatives à leurs richesses
biologiques, connaissances et technologies. Ainsi, il faut que les
communautés locales et autochtones participent à
l'élaboration et à l'exécution de plans, politiques,
programmes et processus qui ont une incidence sur leur vie et leur territoire,
et qui ont un rapport avec la conservation et l'utilisation durable de la
biodiversité.
Chaque culture a ses propres conceptions du monde, qui
déterminent son évolution au cours des siècles. Si la
diversité des traditions et des connaissances des communautés
doit être préservée et transmise aux
générations à venir, il faut que ces communautés
soient à même de prendre des décisions selon leur us et
coutumes. En effet, c'est leur développement qui est en cause. On doit
également tenir compte de la diversité culturelle de l'Afrique
lors de tout processus de participation. D'après la loi modèle
africaine, les communautés locales doivent être consultées
lors du partage des bénéfices tirés de l'accès et
de l'utilisation de leurs ressources biologiques, connaissances et
technologies. C'est le seul moyen pour que les communautés participent
de façon totale et équitable et selon leurs us et coutumes, aux
décisions qui touchent à la biodiversité.
- L'accès à la diversité biologique
et génétique195 :
L'article 15 de la CDB établit que
l ' « accès aux ressources génétiques
» doit être limité à une utilisation raisonnable de
ces ressources d'un point de vue environnemental. Les systèmes
traditionnels d'accès, d'utilisation ou d'échange de la
biodiversité ne doivent pas être remis en cause. La loi
modèle donne une définition large de
l' « accès » qu'elle décrit comme
« l'acquisition de ressources biologiques, de leurs produits
dérivés, des connaissances, d'innovations, de technologies ou de
pratiques des communautés telle qu'elle est autorisée par
l'autorité compétente nationale.» Elle définit
le contrôle de l'accès à la biodiversité et aux
connaissances et technologies des communautés comme « le
devoir de l'Etat et de son peuple »196. Dans ce contexte,
elle prévoit un système d'accès soumis au consentement
donné en connaissance de cause des communautés locales
concernées ainsi que l'Etat.
- Le
Consentement donné en connaissance de
cause197:
La CDB établit que l'accès aux ressources
génétiques doit être soumis à l'obtention du
consentement donné en connaissance de cause du pays d'origine, sauf si
celui-ci en décide autrement198 . Sur le fondement de
cette dispositions, l'article 3.1 de la loi modèle africaine stipule
que « l'accès à toute ressource biologique et
/ou connaissances ou technologie des communautés locales dans toute
partie du pays devra être soumis à une demande en vue d'obtenir le
consentement donné en connaissance de cause et une autorisation
écrite ». La loi modèle africaine contient des
dispositions spécifiques relatives à la consultation des
communautés concernées. Elle donne à l'autorité
compétente nationale l'obligation de garantir que cette consultation a
bien lieu. L'accès aux ressources biologiques est invalide si le
consentement donné en connaissance de cause n'a pas été
donné. C'est aussi le cas si la permission a été
accordée mais que la procédure de consentement donné est
incomplète, ou encore si elle n'est pas en conformité avec les
critères d'une participation réelle et équitable.
La loi modèle africaine
reconnaît que le partage des bénéfices est
un « droit » des communautés locales. Il
correspond à l'un des trois objectifs de la CDB qui dispose dans son
article 1 que « le partage juste et équitable des
avantages découlant de l'exploitation des ressources
génétiques, notamment grâce à un accès
satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert
approprié des techniques pertinentes, compte tenu de tous les droits sur
ces ressources et aux techniques, et grâce à un financement
adéquat », doit être une réalité.
-Le partage des bénéfices justes et
équitables199:
L'Etat doit garantir qu'un pourcentage déterminé
(minimum cinquante pour cent) de tout profit financier est restitué
à la communauté locale. Dans la partie consacrée aux
droits des agriculteurs, la loi modèle insiste su ce droit
fondamental dû aux communautés locales.
Les bénéfices non financiers sont au moins aussi
intéressants que les bénéfices financiers. Il s'agit
notamment de la participation à la recherche et au développement
en vue du renforcement des capacités, l'accès aux technologies
utilisées pour étudier et améliorer la ressource
biologique, le retour des informations relatives aux ressources biologiques
auxquelles l'accès a été autorisé...
-Les droits
d'obtenteur200 :
La loi modèle africaine reconnaît le droit des
obtenteurs sur les variétés qu'ils élaborent, tout en
favorisant un système d'obtention commerciale adapté aux
systèmes agricoles africains. La loi modèle consacre toute une
section aux droits d'obtenteurs. La loi modèle reconnaît
que les agriculteurs sont, et ont toujours été, des obtenteurs et
elle cherche à garantir que les obtenteurs exclusivement commerciaux ne
portent pas atteinte aux pratiques coutumières des agriculteurs. Pour
les Africains, la section de la loi modèle relative aux droits
d'obtenteurs remplit bien les obligations de l'article 27.3 (b) des Accords
ADPIC en faveur d'un système sui generis pour les
variétés végétales. Les droits des agriculteurs
font cependant partie des droits des communautés, et de ce fait n'ont
pas à satisfaire les obligations des ADPIC. Elle reconnaît ainsi
les efforts et les investissements, tant des individus que des institutions,
dans l'élaboration de nouvelles variétés
végétales et propose une reconnaissance et une récompense
économique. L'obtenteur acquiert les droits exclusifs de produire et de
vendre la nouvelle variété. Cependant, ces droits doivent
être protégés conformément aux dispositions
relatives aux droits des agriculteurs de la ladite loi. Ceci signifie que les
agriculteurs peuvent conserver, utiliser, échanger et vendre les
semences et boutures de leur exploitation. Les Africains estiment que l'UPOV
est une fausse alternative au brevet dans la mesure où la
révision de cet accord en 1991 le place quasiment sur le même
terrain que le système des brevets.
- Pas de brevet sur le
vivant201:
Le groupe de travail de la Commission
scientifique, technique et de recherche de l'OUA estime que « la
privatisation des formes de vie à travers le régime des droits de
propriété intellectuelle viole le droit fondamental à la
vie et va à l'encontre du concept africain du respect de la
vie. »202
La loi modèle africaine partage les inquiétudes
exprimées dans la position commune du groupe africain concernant les
accords sur les ADPIC. La loi est claire à ce sujet tant dans son
préambule que dans la troisième partie relative à
l'accès aux ressources biologiques, où elle
déclare que les brevets sur les formes de vie et sur les processus
biologiques ne sont pas reconnus et donc, pas applicables.
La loi préconise l'interdiction des brevets sur les
végétaux et les animaux, ainsi que sur les micro-organismes et
tous les organismes vivants et leurs éléments. Elle
déclare également que les processus naturels qui permettent la
production de végétaux, d'animaux et tout autre organisme vivant
ne peuvent faire l'objet de brevet.
- Vers l'égalité des sexes- un principe
transversal203:
Partout dans le texte de la loi modèle africaine, des
dispositions sont prévues qui reconnaissent la contribution des femmes
dans la conservation de la biodiversité. En effet elles jouent un
rôle majeur et vital au sein des communautés locales et agricoles.
Leur apport est déterminant dans tous les pays riches en
biodiversité, et les pays africains ne font pas exception.
Paradoxalement, les procédures de prise de décisions menacent
souvent le rôle coutumier de ces dernières. La loi modèle
est une alternative de solution à la promotion des droits des femmes, ce
parce qu'elle reconnaît formellement leurs droits coutumiers et leur
droit à participer de façon pleine et entière aux
processus de décision.
Elle prévoit clairement que les femmes soient
consultées et impliquées dans des décisions prises dans le
cadre du consentement donné en connaissance de cause, en tant que
membres à part entière de la « communauté locale
concernée ». Les intérêts des femmes sont aussi
pris en compte dans le partage des bénéfices tirés de la
diversité biologique, puisque ceux-ci sont restitués à la
communauté locale et doivent être redistribués
« d'une façon qui traite les hommes et les femmes
équitablement ». Cette loi évoque le rôle
essentiel des femmes et leur contribution dans la conservation de la
biodiversité dans toutes ses sections. Il ne pourra y avoir
d'égalité des sexes si cet élément fondamental
n'est pas pris en compte dans l'ensemble du droit national.
Dans l'ensemble la loi modèle africaine sur la
protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des
obtenteurs, et des règles d'accès aux ressources biologiques
est profondément enracinée dans la philosophie des droits de
l'homme. Elle pourrait largement contribuer à l'amélioration des
conditions de vie des agriculteurs des pays africains dans la mesure où
elle se donne comme un instrument décisif dans la protection de leurs
différents droits.
1 La loi modèle africaine sur la
sécurité en biotechnologie
a Contexte et champ d'application
L'article 19.3 de la Convention sur la diversité
biologique appelle les parties contractantes à déterminer les
modalités d'un protocole sur la biosécurité. La
création d'un groupe de travail sur la biosécurité a
permis d'entamer les négociations dès 1996. La sixième
rencontre de ce groupe de travail à Carthagène (Colombie) a vu se
renforcer les oppositions entre les différents groupes de
négociation. Les consultations informelles à Vienne (Autriche)
ont permis de faire évoluer ces négociations entre
représentants de chaque groupe de pays, avec des consultations entre les
pays du Sud, rarement réunis et des consultations informelles avec la
société civile et les industriels. La conférence
extraordinaire des parties à Montréal (Canada) en janvier 2000 a
donné naissance au Protocole de Carthagène dont s'inspire
largement la loi modèle africaine sur la sécurité en
biotechnologie. Cette loi adoptée en 2001, s'applique à
l'importation, à l'exportation, au transit, à l'utilisation
confinée, à la dissémination ou la mise sur le
marché de tout OGM, qu'il soit destiné à être
disséminé dans l'environnement ou utilisé comme produit
pharmaceutique, denrée alimentaire, aliment pour bétail ou
produit de transformation, ou d'un produit dérivé
d'OGM204.
b- Les stipulations de la loi
L'autorisation préalable donnée en connaissance
de cause et la notification écrite205 sont exigées par
ladite loi, avant l'importation, le transit, l'utilisation confinée, la
dissémination ou la mise sur le marché d'OGM. Elle accorde une
importance particulière à l'évaluation et à la
gestion des risques206. Aucune décision d'importation,
d'utilisation confinée, de dissémination ou de mise sur le
marché d'un OGM ou dérivé d'OGM ne peut être prise
par l'Autorité compétente sans évaluation des risques pour
la santé humaine, la diversité biologique et
l'environnement207. L'autorité compétente peut, entre
autres, interdire l'importation, l'utilisation confinée, la
dissémination ou la mise sur le marché de tout OGM ou
dérivé si ses caractéristiques ou traits
spécifiques entraînent des risques inacceptables pour la
santé humaine, la diversité biologique, l'environnement, les
conditions socio-économiques ou les normes culturelles. C'est une loi
qui tient largement compte de la volonté et de la
spécificité de chaque pays dans la mesure où «
Si un organisme génétiquement modifié ou un produit
dérivé (...) a fait l'objet d'une interdiction légale dans
le pays d'origine, son exportation ne pourra être en aucun cas
autorisée »208. On pourrait en déduire
qu'un OGM peut faire l'objet d'une mesure d'interdiction dans un pays africains
en raison de plusieurs facteurs d'ordre sanitaire, environnemental,
socio-économique, éthique, culturel ou religieux. Cette
disposition tend donc à protéger les pays dans leur
spécificité, par le respect scrupuleux des valeurs
socioculturelles qui guident leurs choix de société.
La dissémination involontaire est soumise à des
mesures d'urgence209 et la loi modèle fait obligation
d'identifier et d'étiqueter tout OGM ou tout produit qui en est
dérivé210.
Au total, tout comme son inspirateur (le protocole de
Carthagène), la loi modèle africaine sur la
sécurité en biotechnologie repose sur le principe de
précaution, qui fait l'objet d'une consécration formelle et
officielle au paragraphe 3 de son préambule. En consacrant le principe
de précaution, les rédacteurs de la présente loi ne
cachent pas leur inquiétude devant les risques potentiels
découlant de l'utilisation incontrôlée des biotechnologies
modernes.
B- La législation ivoirienne
1- Le contexte :
La Côte d'Ivoire, comme de nombreux pays en
développement a pris une part très active à la
Conférence de Rio de 1992 sur l'Environnement et le
Développement, au cours de laquelle ont été
discutés et adoptés au niveau mondial, l'Agenda 21 qui
présente les biotechnologies comme un outil de promotion susceptible de
contribuer à atteindre les objectifs du développement durable, et
la convention sur la diversité biologique dont l'article 19 est relatif
à la biotechnologie et au partage des avantages qui en découlent.
Toutefois, comme les effets secondaires des produits dérivés des
biotechnologies modernes restent encore incertains, la communauté
internationale invite à la précaution. Dans le cadre de la
recherche des moyens de gestion des risques biotechnologiques, un atelier
sous-régional sur les technologies nouvelles et les produits qui en
découlent a été organisé dans la capitale
économique ivoirienne. Cet atelier a définit les enjeux de la
biotechnologie nouvelle pour l'Afrique et particulièrement pour les
régions Ouest et Centre. Il a été noté que la
biotechnologie moderne présente des potentialités pour
l'amélioration des productions agricoles. Mais certaines manipulations
pourraient constituer une menace pour les ressources naturelles. En
considération des enjeux socio-économiques, environnementaux,
sanitaires et éthiques, le gouvernement ivoirien a mis sur pied un
comité ad hoc pour réfléchir sur cette nouvelle donne et
surtout proposer une réglementation pour l'importation, la production,
l'expérimentation, l'utilisation, ou la mise sur le marché
national des OGM. Parallèlement à cette démarche, la
Côte d'Ivoire participait très activement aux réflexions du
Comité intergouvernemental sur la prévention des risques
biotechnologiques. Le Protocole de Carthagène sur la prévention
des risques biotechnologiques qui en a résulté fait peser sur les
Etats-parties une obligation majeure ; son article 2 dispose que :
« chaque partie prend les mesures juridiques, administratives et
autres nécessaires et appropriées pour s'acquitter de ses
obligations au titre du protocole ».
C'est dans ce cadre que la Côte d'Ivoire a
sollicité et obtenu du Fonds pour l'Environnement (FED) des ressources
pour définir sa politique de gestion et d'utilisation des OGM sur son
territoire. Un cadre national de biosécurité a été
proposé, il s'agit de l'avant-projet de loi portant prévention
des risques liés aux biotechnologie. Le texte est dans sa mouture
très fidèle à la loi modèle africaine qui retrace
les directives du Protocole de Carthagène.
2- OGM et régime juridique en Côte d'Ivoire
L'étude de la législation en matière de
biotechnologie et de biosécurité a révélé
que bien qu'il n'existe pas de textes réglementaires
spécifiquement relatifs aux OGM, l'on ne saurait évoquer un
quelconque vide juridique. En effet, soucieux de protéger son couvert
végétal d'où il tire la quasi-totalité de ses
ressources alimentaires, le gouvernement ivoirien a dès le début
de son indépendance pris des mesures de protection de ses cultures.
Ainsi, les importations de semences et autres végétaux ont
été soumises à des règles très strictes.
Cependant, compte tenu des risques potentiels que les OGM présenteraient
pour la santé de l'homme et l'environnement, ceux-ci constituent
aujourd'hui une spécificité qui commande des précautions
particulières. Or, la législation gouvernant la
sécurité en matière de biotechnologie est quasi
inexistante. On trouve quelques dispositions dans des textes
réglementant des secteurs similaires. Mais elles sont parcellaires et
insuffisantes. Un renforcement de la réglementation nationale s'impose,
à l'effet de l'adapter à l'environnement international et aux
nouvelles technologies.
Mais, avant de suggérer ces mesures à prendre,
il est important de présenter le cadre normatif existant.
a Le cadre normatif existant :
En l'absence de législation nationale spécifique
à la prévention des risques biotechnologiques, des dispositions
de textes existants peuvent aisément s'appliquer à certains
aspects des OGM. Il s'agit notamment de textes relatifs à l'introduction
des végétaux en Côte d'Ivoire, à la protection des
végétaux existants et de la prévention d'atteinte à
la diversité biologique, à l'utilisation de produits
phytosanitaires...
- Introduction des végétaux en Côte
d'Ivoire
En Côte d'Ivoire, aucune opération
d'introduction, d'importation et d'exportation de toute espèce animale
ou végétale ne peut se faire sans une autorisation
préalable de l'autorité compétente. Ce principe est
posé par l'article 16 de la loi n° 96-766 du 30 octobre 1996
portant code de l'environnement. Mieux, le gouvernement s'est très
tôt doté de mesures préventives contre les
végétaux et autres matières susceptibles de
véhiculer des organismes dangereux pour les cultures nationales avec la
mise en oeuvre du décret n° 63-457 du 07 novembre 1963 fixant les
conditions d'introduction et d'exportation des végétaux et autres
matières susceptibles de véhiculer des organismes dangereux pour
les cultures. Ce texte conditionne l'importation des végétaux
à l'obtention préalable d'un certificat phytosanitaire attestant
de l'état sanitaire des végétaux en cause. Ce permis
d'importation est délivré par le Ministère en charge de
l'agriculture à travers les services spécialisés de la
protection des végétaux. Par application de ces dispositions, le
gouvernement de Côte d'Ivoire dispose d'un texte pour se prononcer sur le
transfert et l'importation de certains types d'OGM dont la dangerosité
est avérée ou probable ailleurs. En outre, le décret
n° 92-392 du 1er juillet 1992 relatif à l'homologation
et à la protection des variétés végétales,
à la production et à la commercialisation des semences et plants
qui soumet à homologation les variétés
végétales nouvelles avant leur multiplication, permet au
gouvernement d'opérer une stricte sélection des semences et
plants, y compris les semences et plants génétiquement
modifiés.
3 Protection phytosanitaire
L'utilisation des produits phytosanitaires a fait
également l'objet d'une réglementation. Ceci s'explique par le
fait que l'économie du pays repose essentiellement sur l'agriculture.
Ainsi, l'utilisation de tout pesticide qui peut s'avérer dangereux pour
la santé de l'homme et les ressources naturelles, a été
soumise à agrément par le décret n° 89-02 du 04
janvier 1989 relatif à l'agrément, la fabrication, la vente et
l'utilisation des pesticides. Les articles 4 à 7 fixent les conditions
et formalités d'obtention de l'agrément. L'agrément est
accordé par un arrêté du ministre de l'agriculture sur
proposition d'un comité interministériel dit
« comité de pesticides ». Cette procédure
très intéressante peut être utilisée pour les
demandes concernant des expérimentations et utilisations en usine de
certains types d'OGM tolérants aux herbicides et pesticides.
4 Etude d'impacts environnementaux
En application des principes de développement durable,
la loi n° 96-766 du 03 octobre 1996 portant code de l'environnement fait
obligation à tout initiateur de projets de développement
d'obtenir une autorisation du Ministère en charge de l'environnement.
Cette autorisation est accordée sur la base d'une étude
préalable des conséquences du projet sur l'environnement. Le
décret n° 96-894 du 08 novembre 1996 déterminant les
règles et procédures applicables aux études relatives
à l'impact environnemental des projets de développement
définit les différents types de projets en trois
catégories. Ainsi, on distingue les projets qui de par leur nature sont
exemptés des études d'impacts environnementaux, les projets ne
présentant pas de risques sérieux pour l'environnement soumis
à un simple constat d'impact et les projets qui en raison de leur
nature, de leurs dimensions, de la sensibilité des sites qui les
accueillent, peuvent présenter des risques sérieux pour
l'environnement, soumis à une étude d'impacts environnementaux
complète. Certaines activités concernant les OGM peuvent entrer
dans la dernière catégorie, notamment les essais en champ. En
plus, l'article 16 fait obligation de consulter le public en réalisant
une enquête publique dans la zone d'implantation du projet. La prise en
compte de l'avis des populations bénéficiaires du projet ou
susceptibles d'êtres perturbées par le projet est un facteur
important dans la prise de décision. Cette procédure est
très intéressante à utiliser dans la phase transitoire
d'autant plus que l'étude des risques éventuels, l'information et
la consultation du public sont des étapes incontournables dans le cadre
de certaines utilisations des OGM.
b- Nécessité de renforcement de la
réglementation sur les OGM
Après l'inventaire de l'arsenal juridique relatif
à la problématique biosécurité / OGM, on constate
que les textes sont anciens et mal ou pas tout à fait adaptés
à la nouvelle donne des biotechnologies modernes. Les dispositions
existant aussi bien en matière d'importation, d'homologation des
végétaux qu'en matière de dissémination demeurent
insuffisantes s'agissant des OGM. En effet, les préoccupations
concernant la prévention des risques potentiels, réels ou
supposés des OGM ne sont pas tout à fait pris en compte par ces
textes. Il y a donc lieu de prendre des dispositions qui viseraient à
garantir la sécurité ou à minimiser ces risques.
L'avant-projet de loi nationale sur la biosécurité a
été initié pour combler ce quasi-vide juridique.
Inspiré de la loi modèle africaine sur la sécurité
en biotechnologie, il en est une copie conforme. Il se présente sous
cinq titres qui sont :
Titre 1 : Les dispositions générales
Titre 2 : L'utilisation confinée des OGM et leur
dérivés
Titre 3 : La responsabilité et les dispositions
pénales
Titre 4 : Les disposions finales
En attendant la transformation de cet avant-projet de loi en
projet, puis en loi adoptée par le parlement et compte tenu de la
situation sociopolitique du pays et de l'urgence en la matière, il est
nécessaire de prendre un décret pour définir un
régime juridique sui generis sur les OGM en Côte
d'Ivoire. Ce régime devra contenir des règles pour
prévenir les éventuels effets nuisibles des OGM sur la
santé humaine et l'environnement.
Section 2 : La responsabilité et la
réparation des dommages découlant de l'utilisation des
biotechnologies modernes
Tous les systèmes de droit comportent, plus ou moins
élaborés, des mécanismes organisant la
responsabilité de leurs sujets. Cela suppose que les sujets de droit
engagent leur responsabilité lorsque leurs comportements portent
atteinte à l'ordre public ou aux droits et intérêts des
autres sujets de droit.
Dans l'ensemble, les textes juridiques qui font l'objet de
notre étude montrent que les biotechnologies ont un caractère
ambivalent. En effet, s'il est reconnu que celles-ci peuvent contribuer au
développement des sociétés, l'on ne saurait pour autant
nier les risques que leur utilisation pourrait faire peser sur la santé
humaine et l'environnement. Pour circonscrire ces risques et les minimiser ces
textes organisent des régimes de responsabilité et de
réparation sur les OGM. Les OGM posent un problème
général lié à l'environnement. Les problèmes
de la responsabilité qui seront traités ici le seront
nécessairement dans le cadre du droit de l'environnement.
Paragraphe 1 : le problème de la
responsabilité
La responsabilité environnementale se donne en droit
comme le moyen par lequel celui qui occasionne une atteinte à
l'environnement est amené à réparer le dommage qui en
résulte. Les références à la responsabilité
apparaissent dans de nombreux traités internationaux qui
préviennent sur l'obligation de réparer les torts
occasionnés. Dans la plupart des textes, cette obligation s'applique
à des individus ou à des opérateurs privés auteurs
de l'action211. La responsabilité est
généralement stricte : le plaignant n'a pas à prouver
que le responsable était bien en faute, mais simplement que
l'activité ou le service fourni est bien la cause du dommage pour lequel
il cherche compensation. La plupart des Etats sont déjà pourvus
de lois nationales sur la responsabilité obligeant les responsables d'un
dommage causé par leur activité ou leur produit à
dédommager les victimes. Ces lois devraient aussi s'appliquer aux
dommages causés par les OGM. De plus l'article 27 du protocole de
Carthagène demande aux parties d'adopter « un processus
visant à élaborer des règles et procédures
internationales appropriées en matière de responsabilité
et de réparation pour les dommages résultant de mouvements
transfrontières d'organismes vivants
modifiés ». Récemment, face à la
diffusion des biotechnologies modernes, certains Etats et régions ont
entrepris d'élaborer des régimes de responsabilité
spécifiques aux dommages liés aux OGM, comme c'est le cas par
exemple de la loi modèle africaine sur la sécurité en
biotechnologie. Un régime international sur la biosécurité
pourrait correspondre en partie au schéma des régimes de
responsabilité fixés par traité, étant donné
la nature transnationale de l'activité en cause et les risques qu'elle
comporte. Certaines des solutions adoptées dans les régimes de
responsabilité internationaux existants pourraient servir utilement de
modèle aux Etats signataires du protocole de Carthagène lors de
leurs débats sur l'article 27. Mais, sur d'autres aspects, le
régime de biosécurité se montera plus novateur. Le
degré d'incertitude quant aux effets des OGM sur l'environnement et le
rôle du principe de précaution dans ce contexte seront
probablement à l'origine d'âpres discussions lorsque les Etats
aborderont la question de la mise en forme des règles et
procédures de responsabilité dans ce domaine. L'avant-projet de
loi sur le cadre national de biosécurité a été
déterminant sur cette question dans la mesure où son
mécanisme de responsabilité prévoit des sanctions
pénales.
Le processus initié sous l'article 14 de la Convention
sur la Biodiversité devrait particulièrement intéresser
les signataires du Protocole de Carthagène. Cet article invite en effet
la Conférence des parties à se pencher sur la question de la
responsabilité et de la réparation pour les dommages
causés à la diversité biologique sur la base des
« études qui seront entreprises ». Ceci prend en
compte des questions de restauration et de compensation mais omet d'examiner la
responsabilité dans la mesure où celle-ci est « d'ordre
strictement interne ». Même s'il y a quelque double emploi dans
les questions abordées dans les articles 14 de la Convention sur la
biodiversité et 27 du Protocole de Carthagène, d'importantes
différences existent. L'article 14 se rapporte aux dommages
causés par les organismes vivants modifiés et ne se
préoccupe que des atteintes à la biodiversité en ignorant
les autres types de dommages tandis que le régime de
responsabilité du protocole devra finalement prendre en compte, les
atteintes à la santé humaine et à la
propriété.
En outre, il convient de rappeler que dans tout régime
international de responsabilité, les parties doivent s'entendre sur la
nature des dommages à couvrir. Certains instruments juridiques couvrent
un éventail de dommages tels que la perte de vie, les dommages
personnels et les atteintes à la propriété212,
tandis que certains instruments précisent que pour entrer dans la
définition du dommage, le préjudice subi par l'environnement ne
doit pas être insignifiant. On peut se demander ce qu'il en est pour les
dommages environnementaux imputables aux OGM : existe-il un niveau de
contamination par du matériel génétiquement modifié
suffisamment élevé pour constituer un dommage signifiant à
l'environnement ? Doit-on fixer un seuil à partir duquel la
contamination sera considérée comme effective et
signifiante ? Sinon au regard du principe de précaution, est-il
utile de fixer un tel plafond ?
Enfin, dans les régimes de responsabilité
stricte, la responsabilité est portée sur une personne en
particulier qui devient alors le référent pour toute poursuite ou
demande d'exonération. Divers instruments viennent résoudre la
question de qui doit être tenu responsable. Selon le cas, ce peut
être l'opérateur ou la personne chargée de contrôler
l'installation ou l'activité mise en question. Dans d'autres cas, le
responsable peut être une personne qui n'est pas directement
chargée de ce contrôle mais qui est partie prenante de
l'activité à un moment donné, par exemple l'armateur dans
les régimes sur la pollution par hydrocarbures. Dans un certain nombre
de cas, le poids de la responsabilité peut être partagé
entre les différents acteurs impliqués dans l'activité.
Dans le cas des mouvements transfrontières des organismes vivants
modifiés, si l'on adopte la responsabilité stricte, les Etats
devront prendre en compte les différents acteurs de la
chaîne : les fabricants, les producteurs, les exportateurs, les
transporteurs et les importateurs. Ils devront aussi déterminer sur qui
doit reposer la responsabilité tout en assurant une répartition
équitable de la charge.
Paragraphe 2 : le problème de la
réparation
Comme toutes les innovations, les OGM peuvent comporter des
risques. La nouveauté de ces produits justifie que leur
développement soit inscrit dans un cadre législatif ou
réglementaire très exigeant. Une société
créatrice peut-elle être une société sans
risques ? Assurément non ; mais il convient de les encadrer.
Ce paragraphe sera consacré à l'examen de
certains principes clés qui jouent un rôle moteur dans le
déclenchement du mécanisme de la réparation. Le premier
principe identifié est le principe de
précaution. Il met en évidence les rapports entre le
droit et la science. Il a pour ambition d'exercer un certain contrôle sur
la technique et la science. Il s'efforce de remonter en amont alors que,
souvent, le droit court, plus ou moins essoufflé derrière cette
dernière. En termes caricaturaux, il se traduit par le dicton
« Dans le doute, abstiens-toi » et aussi à un
impératif : « Mets tout en oeuvre pour agir au
mieux ». La mise en oeuvre du principe signifie soit ne pas
agir c'est-à-dire respecter une obligation d'abstention, renoncer
à une action non maîtrisée, soit prendre des
mesures juridiques et autres pour limiter les futurs effets sur
l'environnement et la santé. Il faut cependant reconnaître avec
Jean-Marc LAVIEILLE que « plus on attend pour
légiférer, plus il est difficile de le faire. Plus on attend pour
résister, moins on est capable de dire non, d'effectuer des remises en
cause »213. Il existe certainement une nuance entre
prévention et précaution. En effet lorsqu'il y a certitude sur un
phénomène et sur les conséquences d'une action face
à celui-ci, on se trouve dans une situation de prévention. On a
la connaissance du risque. Par contre la précaution est une attitude qui
consiste à prendre des mesures face à un risque inconnu ou mal
connu. Sur la responsabilité pour manquement aux obligations
découlant du principe de précaution, on retiendra que peut
être jugé responsable, non seulement celui qui n'a pas pris de
mesures de prévention du risque mais aussi celui qui en cas
d'incertitude n'aura pas eu une démarche de précaution. Le
principe de précaution consiste désormais à dire que
« non seulement nous sommes responsables de ce que de ce que nous
savons, de ce que nous aurions dû savoir, mais aussi, de ce dont nous
aurions dû nous douter. » Tel que présenté, le
principe de précaution laisse peu de chance aux contrevenants (Etats ou
individus) d'échapper à leur responsabilité pour dommage
causé par l'utilisation des OGM, à l'environnement ou à la
santé. Invoqué régulièrement, le principe de
précaution est également controversé. Pour certains, sa
mise en oeuvre va conduire insensiblement à le transformer en un
principe d'inaction ou d'abstention. Cette dérive, forme de
« mutagenèse dirigée » du principe de
précaution, l'a progressivement éloigné du concept
originel, qui désignait plutôt une forme d'action prudente. Cette
évolution, voire cette dérive est, à en croire le
sociologue Alain TOURAINE, l'expression de la société
d'inquiétude dans laquelle nous vivons214.
Concrètement, la première sanction découlant de la
violation d'une règle de droit international est la réparation
« in integrum » c'est-à-dire la remise de
la chose dans son état initial. Généralement, cette
sanction est difficilement
applicable. On a donc trouvé la solution dans
le principe pollueur-payeur qui veut
que celui qui pollue par exemple l'environnement s'acquitte d'une
certaine somme d'argent en guise de compensation. Mais comme le fait si bien
observer Jean-Marc LAVIEILLE215, certains sont inquiets de la mise
en oeuvre de ce principe qui peut freiner l'esprit d'entreprise, remettre en
cause des projets de développement. D'autres insistent plutôt sur
les dérives possibles du principe. Autant le principe est
nécessaire en termes de responsabilité autant il ne faut pas
qu'il devienne ici une incitation à la pollution. Des opérateurs
peuvent par exemple polluer l'environnement par une utilisation
incontrôlée des OGM pour autant qu'il leur sera possible de payer
l'amende ou réparer pécuniairement le dommage. C'est la raison
pour laquelle les amendes doivent être dissuasives.
Il reste que le droit international de l'environnement remet
en cause les règles traditionnelles de la responsabilité. En
effet, comme peuvent le constater avec regret Patrick DAILLIER et Alain
PELLET216, les mécanismes de responsabilité en Droit
International de l'Environnement ont plutôt abouti à une dilution
du domaine de la responsabilité avec l'apparition de mécanismes
de responsabilité « molle » découlant de la
conjugaison de plusieurs facteurs dont la fluidité et
l'imprécision des normes, la difficulté dans
l'appréciation des manquements, le caractère diffus des dommages,
la difficulté dans l'identification de la source de pollution en raison
des incertitudes scientifique, si bien que le lien nécessaire entre le
manquement et le dommage, indispensable à la mise en oeuvre de la
responsabilité, ne peut, dans bien des cas, être établi
avec certitude. L'affaire Percy SCHMEISER que nous avons évoquée
précédemment révèle peut-être bien toutes ces
difficultés. Revenons sur cette affaire qui constitue un
précédent historique dans les annales de la justice. L'histoire
de Percy SCHMEISER est particulièrement tragique et met en exergue le
flou juridique entretenu face aux nouvelles technologies.
En 1998, la firme Monsanto accuse l'agriculteur canadien
d'avoir utilisé son colza transgénique breveté sans payer
le prix de la licence d'utilisation. L'affaire est portée devant le
tribunal. Monsanto déclare que sa variété
transgénique est protégée par un droit de
propriété intellectuelle, un brevet et que le brevet a
été violé. Le géant agro-industriel réclame
à Percy SCHMEISER le prix des semences, un pourcentage de la
récolte et une amende de 175000 dollars c'est-à-dire plus 9
millions de FCFA. Percy SCHMEISER affirme devant le tribunal qu'il n'a jamais
délibérément planté des semences
génétiquement modifiées. Au contraire, la contamination de
son champ par des plantes transgéniques fait que son travail en tant que
sélectionneur, sa variété, son sol et ses
bénéfices ont souffert de sérieux dommages puisqu'il ne
peut plus vendre son colza comme « non OGM . Et pourtant en
2000, le tribunal rend son jugement en faveur de Monsanto qui déclare
que « peu importe comment les gènes
génétiquement modifiés sont parvenus dans le champ de M.
SCHMEISER, il aurait dû donner sa récolte au
propriétaire du brevet »217. Le verdict du
tribunal condamnant SCHMEISER est stigmatisé par bon nombre
d'observateurs qui estiment qu'il y a eu là une application à la
renverse du principe pollueu-payeur, dans la mesure où plutôt que
de faire payer le pollueur, c'est le pollueur qui a été
payé.
CONCLUSION
En définitive, on note que les OGM mettent en cause
toute une panoplie de droits de l'homme : droit à
l'alimentation, droit à un environnement sain, droit à la
santé, droit du consommateur à la sécurité et
à la souveraineté alimentaires, droit de participer aux prises de
décision, droits des communautés locales, droit aux
progrès de la science...et il est frappant de constater que certains
droits entrent directement en conflit avec d'autres. En effet, les droits de
propriété intellectuelle se heurtent par exemple aux droits des
communautés locales, le droit aux progrès de la science butant
sur l'éthique. Sans pour autant prétendre à
l'exclusivité et à l'exhaustivité de la
vérité sur un sujet inépuisé tel que celui des OGM,
nous nous proposons de frayer les pistes de réflexion suivantes dans
cette vaste forêt de confusion intellectuelle.
Privilégier une approche de solution au cas par
cas
L'examen des OGM montre que cette technologie peut avoir une
incidence sur une vaste gamme de produits végétaux et animaux et
que ses multiples conséquences peuvent, en ce qui concerne
l'agriculture, dépasser le cadre de la production alimentaire. La
biotechnologie moderne, si elle se développe de façon
appropriée, peut offrir de nombreux moyens nouveaux de contribuer
à la sécurité alimentaire. En même temps, la
rapidité avec laquelle peuvent survenir les modifications
entraînées par le génie génétique peut avoir
des effets encore mal connus ou inconnus sur la santé humaine et la
biosphère. Toute généralisation à propos des OGM
est toutefois impossible. Chaque application doit être analysée en
profondeur et de façon individuelle. Il y aura moins de controverses et
le débat sera plus constructif si les applications des OGM sont
évaluées de façon exhaustive et transparente, et si leurs
répercussions éventuelles à court et long terme sont
prises en considération. Il faut donc privilégier l'approche du
cas par cas dans l'évaluation des OGM.
Respecter la liberté de choix du consommateur,
assurer la participation du public au débat
Durant le développement de toute technologie agricole
ou alimentaire, il faut se pencher à chacune des étapes sur
diverses questions et préoccupations qui vont du rendement du produit et
de son intérêt économique à la
sécurité alimentaire du consommateur, et à la
réaction de la société. Il est important de se demander
« pourquoi on procède à la mise au point d'un produit
déterminé ? », « quelles sont ses
utilisations » et « qui décide de son
utilité ? », il faut répondre à ces
questions avec la plus grande transparence. Lorsqu'il met en balance tout
à fait rationnellement les risques, ou la perception qu'il en a, et les
avantages perçus, le consommateur conclut qu'il n'a pas besoin d'OGM. Il
en déduit qu'aucun risque ne mérite d'être pris, d'autant
plus que l'utilité des OGM ne lui paraît avérée que
pour les producteurs qui y trouvent la source de nouvelles rentes. Le public
n'a pas été informé de façon satisfaisante de
l'application de la technologie génétique à la production
alimentaire et de ses effets potentiels sur la santé humaine et
l'environnement.
L'inquiétude de l'opinion à l'égard des
OGM est diffuse et complexe et l'analyse en est, de ce fait éminemment
délicate. A l'examen, il apparaît toutefois que le terreau de
cette inquiétude est parfois nourri de faits et de symboles. Le risque
associé aux OGM est une chose, la conception que l'on a des OGM en est
une autre. Une autre source de méfiance à l'égard de la
gestion de l'innovation que constituent les OGM tient aux graves erreurs de
communications sur le sujet, notamment de la part des grands semenciers. La
communication des vendeurs de semences transgéniques a initialement
été tournée vers leurs clients directs, à savoir
les professionnels de l'agriculture, qu'il s'agissait de convaincre de
l'utilité du recours aux OGM. Les semenciers ont ainsi longtemps
mésestimé l'importance d'une communication à l'adresse des
non-professionnels, c'est-à-dire des consommateurs finaux. Lorsqu'ils
ont été conduits à rectifier le tir, ils ont
invoqué des arguments inspirés d'un nouveau messianisme :
vaincre la faim dans le monde, sauver l'environnement planétaire..., que
l'opinion, devenue défiante, jugea suspects et interpréta comme
une tentative de manipulation. Devoir de vérité oblige donc. Les
questions que soulèvent les OGM débordent fréquemment le
simple cadre de la science. En effet, un produit OGM, n'est pas un produit
neutre, il est considéré comme l'emblème d'un choix de
société, d'une vision du monde. Les attributs des produits OGM
renvoient à des valeurs. Cette symbolique associée aux OGM est
à la fois d'ordre culturel, éthique religieux, voire politique.
Les développements alimentaires du recours à la
transgénèse nourrissent d'autant plus l'inquiétude que
l'identité alimentaire est un puissant vecteur de la conscience
nationale. L'assiette est un repère culturel et le sentiment que
« l'on ne sait plus ce que l'on mange » est
déjà répandu. Ainsi que le précisait Axel KHAN,
à propos des OGM, « c'est bien plus la question des valeurs que
celle de la sécurité qui est posée par l'utilisation du
génie génétique en agriculture». En effet le
consommateur assure sa survie avec les aliments, mais en pensant qu'il devient
ce qu'il mange, il construit également son identité. Comme l'a
conclu Lionel Jospin lors du colloque final du 13 décembre à
Paris 2000: « répondre à la question que voulons-nous
manger, c'est en partie dessiner la société dans laquelle nous
voulons vivre »218. La question des biotechnologies
modernes, notamment des OGM renvoie à de nombreux aspects des choix
collectifs de notre société : la liberté de chacun
d'entre nous de choisir, et notamment de savoir ce qu'il mange ; la
confiance ou la défiance de l'opinion publique dans le progrès et
la recherche ou dans les institutions garantes de la
sécurité sanitaire, alimentaire et environnementale ; la
capacité de nos sociétés à organiser un large
débat démocratique permettant de définir, dans des
conditions acceptées par le plus grand nombre, des choix collectifs qui
apparaissent conformes à l'intérêt collectif.
Le débat est de savoir quels risques la
société décide de prendre collectivement en vue d'un plus
grand bien et à quelles conditions. Il est frappant de constater de ce
point de vue que la société fait jouer l'équilibre entre
les risques et les bénéfices à attendre en matière
d'OGM. En effet, on rencontre très peu de remises en cause des efforts
de recherche menés dans le domaine des thérapies
génétiques. De manière générale, l'opinion
semble bien disposée à l'égard des modifications
génétiques dans le domaine médical. Le caractère
génétiquement modifié d'un nombre croissant de vaccins
dans les domaines médical et pharmaceutique ne suscite pas
d'émotion comparable à celle constatée dans le domaine
alimentaire.
Il est indispensable que les risques et les avantages soient
soigneusement envisagés et que ceux qui se trouvent être les plus
nombreux à y perdre c'est-à-dire les agriculteurs soient
impliqués de manière très active dans le processus de
prise de décision comme ça été le cas au Mali. De
plus les cultures génétiquement modifiées entraînent
avec elles des risques sociaux, économiques potentiels, de même
que les brevets et les processus biologiques avec lesquels les compagnies
parviennent à contrôler les ressources alimentaires. Cela a un
impact profond sur l'agriculture et devrait être pris en compte dans
l'évaluation des risques et des bénéfices. Etant
donné le risque évident inhérent aux cultures
génétiquement modifiées, leur diffusion devrait être
envisagée avec beaucoup de prudence, or ce n'est pratiquement jamais le
cas. Le problème commence avec l'absence totale d'informations
concernant les OGM. En Afrique, les services de diffusion et le système
éducatif manquent de compétence et de personnel formé pour
informer les agriculteurs sur les OGM.
Repenser le rôle des médias
Les journalistes jouent un rôle fondamental dans la
polémique sur les OGM. Les médias se font l'écho de toutes
sortes de prises de décision contradictoires, de désaccords entre
les chercheurs scientifiques et de déclarations trompeuses concernant
les recherches effectuées, si bien que le public a de moins en moins
confiance.
Il importe certainement que le débat et la diffusion de
l'information s'inscrivent dans la transparence. Favorables ou
défavorables aux OGM, les informations devraient passer par un filtre
critique plus exigeant, ce qui contribuerait à dépassionner le
débat. Si les journalistes ne disposent naturellement pas de l'expertise
et des moyens matériels pour apprécier la validité des
résultats scientifiques, il leur appartient nécessairement de
rendre compte de façon équilibrée de la position de la
communauté scientifique. Est ainsi posée la question de
l'interférence entre la parole scientifique et l'amplification
médiatique excessive de certaines informations par rapport à
d'autres.
Impératif de développement et
responsabilité des scientifiques
On a souvent affirmé qu'il fallait s'abstenir de
certains développements pour protéger les
générations futures. Oui mais, comment savoir aujourd'hui quelles
seront les technologies de demain ? Ne risque-t-on pas, en faisant
l'impasse sur une technologie de rendre au contraire les
générations futures dépendantes des autres nations qui
auront développé la technologie, si celle-ci rencontre un
succès historique ? Que vaut cependant le devoir de recherche sans
audace ? En effet, partant du principe que le risque fait partie de toute
entreprise technologique, l'impératif d'audace est ce qui permet
d'entreprendre librement, et c'est ce qui définit aussi l'essence de la
liberté de l'homme. Les controverses scientifiques sur les OGM semblent
un débat infini pour la bonne et simple raison que les questions
posées par certains restent sans réponses concrètes :
l'allergénécité, la toxicité des OGM, le transfert
d'un gène à l'organisme, l'apparition d'insectes
résistants, le flux de pollen OGM. L'innovation technologique doit
privilégier le caractère concret de bénéfice
qualitatif plutôt que les objectifs productivistes. La notion de
progrès est en effet attachée à l'importance des apports
sociaux d'une innovation, lesquels ne sont pas perçus d'emblée,
s'agissant des OGM, mais méritent pourtant d'être mis en
perspective et encadrés par une nécessaire régulation.
Cette régulation doit viser à prévenir les dérives,
dont la plus visible est l'appropriation du vivant et dont les enjeux sont
mobilisateurs car porteurs de rapports de force entre les hommes. Elle doit
également permettre de mobiliser l'effort de recherche au
bénéfice des pays en développement et contribuer au
rééquilibrage des rapports Nord-Sud. Les chercheurs sont libres
de leurs recherches, dès lors que celles-ci se conforment au cadre
législatif ; mais parallèlement, les citoyens sont en droit
de demander des comptes à la recherche. Le droit pour le consommateur de
choisir et de savoir ce qu'il mange implique l'étiquetage et la
traçabilité des produits. Cela devra nécessairement passer
par l'amélioration du système de diffusion de l'information
scientifique. Il appartient aux scientifiques de restaurer la qualité du
débat scientifique, en ne précipitant pas le nécessaire
travail d'examen critique et de validation des publications.
Tenir compte de la spécificité des pays
en voie de développement
Certes, les problèmes que soulèvent les OGM ne
sont pas de nature différente dans les pays du Nord et les pays du Sud,
mais ils seront plus difficiles à traiter dans les pays du Sud en raison
précisément de leur moindre développement et de leurs
valeurs culturelles. Le recours aux OGM pose aussi la question du choix par les
pays africains d'une agriculture intensive reposant sur l'uniformité
génétique ou une agriculture extensive. Le continent
décidera de privilégier l'efficacité à court terme
grâce aux OGM ou de s'inscrire dans la continuité en sachant que
les résultats seront plus lents mais plus respectueux de la
biodiversité. Pour M. GLASZMANN, le recours aux OGM ne devrait
intervenir qu'en dernier ressort. Il faudrait chercher au maximum à
valoriser la diversité naturelle des espèces utilisées et
drainer des moyens vers l'exportation de la diversité
génétique naturelle, « Consolidant ainsi un
système de conservation des ressources génétiques,
d'exploitation et d'échange qui est absolument essentiel aux
agriculteurs africains »219. Encore faut-il le
rappeler, les problèmes de malnutrition dans le monde proviennent moins
d'une insuffisance de la production agricole globale que de situations de crise
et de la faiblesse des revenus d'une partie de la population.
Peut-on transférer la transgénèse aux
pays en voie développement ? Si cette question s'est posée,
c'est que très souvent, les opposants ont accusé les industriels
de vouloir appauvrir davantage les paysans les moins favorisés. Il
importe donc de repenser le systèmes des brevets afin de
préserver au mieux les droits des communautés locales. La loi
modèle africaine est une louable alternative, une voie salutaire que
l'ensemble des Etats sous-développés devrait emprunter.
Au demeurant, si l'exploitation des OGM devait se
généraliser dans les pays du Sud, notamment en Afrique, elle
devra impérativement se faire dans le respect des valeurs qui fondent
nos sociétés.
Sortir de la querelle idéologique
Il importe de sortir de la sphère idéologique
dans laquelle se sont enfoncés les acteurs. Très souvent, les
promoteurs de l'agriculture transgénique ont eu tendance à
affirmer que l'opposition aux OGM était de nature idéologique. Or
ne doit-on pas également s'interroger pour savoir si la promotion des
OGM est également de nature idéologique.
Avec l'étude des polémiques sur les OGM, on
passe d'un discours sur l'évaluation des risques à un discours
sur les valeurs. Pour ce qui concerne le discours, on passe de la
démonstration à la revendication. Les ONG revendiquent la
dangerosité de la technologie alors que les industriels en font la
publicité. La querelle des OGM n'est sans doute pas prête de se
terminer. Pourtant viendra peut-être un jour où la technologie
sera banalisée. En attendant ce jour, on peut supposer que les
controverses se poursuivront, faisant ainsi progresser la science. En finir
avec ce débat sans fin, c'est distinguer entre discours
idéologique et évaluation scientifique. Comme le souligne
Dominique LECOURT, on retrouve techno-prophètes et bio-catastrophistes
dans un duel. Les querelles idéologiques condamnent le discours sur les
OGM, conduisent à l'impasse, et mènent directement à la
violence, dont le meilleur exemple est l'arrachage des plantes
transgéniques. Sortir de la querelle idéologique est un
impératif car la violence n'est pas la solution dans l'Etat de
droit220.
Les dix mots-clés du mémoire
Droits de l'homme - sécurité alimentaire -
biotechnologies modernes - OGM - transgénèse - droits de
propriété intellectuelle - biosécurité - protocole
de Carthagène - loi modèle africain - principe de
précaution.
BIBLIOGRAPHIE
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généraux
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les OGM nourriront-ils le tiers-monde ?, par Philippe
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les OGM :des enjeux pour l'Afrique, par Arsène
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Famines et aliments génétiquement
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Les biotechnologies, source de sécurité
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12- consultation d'experts FAO sur la sanitaire des
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Biotechnologies, les enjeux pour la Côte d'Ivoire
15- Le Monde Diplomatique, avril 2006
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1948
2 Convention de Rio sur la diversité biologique,
1992
3 Protocole de Carthagène sur la prévention des
risques biotechnologiques
4 Loi modèle africaine sur la sécurité
en biotechnologies
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droits des communautés locales, des
IV-
Dictionnaires
1- Le Petit Larousse illustré, 1986
2- Le Petit Larousse illustré, 2000
3- Wikipedia, l'Encyclopédie libre
4- Noella BARAQUIN et Jacqueline LAFFITE, Dictionnaire des
philosophes, Ed.
Armand Colin
V- Sites
Internet
1 www.wikipedia. fr
2 http://www.ogm.org
3 http://www.ogmdangers.org
4 http://www.ogm-info.com
5 http://www.ogm.gouv.fr
6 http://www.inra.fr
7- www.greenpeace.org
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